ANOMALIES CYTOGENETIQUES ET GENETIQUES RECURRENTES
Vieille de près d’un siècle, l’hypothèse de Boveri selon laquelle le cancer serait une maladie chromosomique de la cellule, a été amplement démontrée par la cytogénétique et la génomique des proliférations malignes au cours de ces cinquante dernières années. Les anomalies chromosomiques (et par extension, génomiques) acquises (car uniquement observées dans les cellules tumorales) peuvent être de toute nature: de nombre ou de structure, équilibrées (sans anomalie quantitative) ou déséquilibrées (avec des pertes ou des gains). Le caractère monoclonal (c’est-à-dire dérivant d’une seule cellule porteuse d’une anomalie génétique initiale acquise) des proliférations tumorales est vérifié dans la plupart des cas sur la base de ces remaniements génomiques. Une cellule initiale, promue par la première anomalie, donnera naissance à des cellules filles. L’une d’entre elles pourra acquérir de nouvelles fonctionnalités via l’acquisition d’anomalies additionnelles de son génome, formant ainsi le clone tumoral (tableau A). Compte tenu du nombre de cellules exposées, ce mécanisme récurrent agit de façon massivement parallèle. La sélection fait ensuite son choix parmi les innombrables mutations produites pour sélectionner les plus favorables: vitesse de croissance, adaptation à un nouvel environnement, résistance aux traitements, etc. L’inactivation du check point télomérique introduit une instabilité chromosomique aboutissant à une sélection du clone ayant retrouvé une fonction de télomérase. Les anomalies chromosomiques résultent d’une sélection darwinienne pervertie et sont pour beaucoup liées intimement au processus tumoral. Ces remaniements successifs codent pour les étapes, souvent nombreuses, de la promotion, de la transformation et de la progression tumorale.
Les principales anomalies chromosomiques en pathologie myéloïde sont résumées dans le tableau B, [Bernheim A, 2010]. Elles ont permis le clonage et l’isolement de nombreux oncogènes. Depuis la publication en 2009 par Breems [Breems, 2009] sur le statut des LAM présentant un caryotype monosomique ou MK pour monosomal karyotype dans la littérature internationale, ce facteur prend de plus en plus d’importance dans la stratification pronostique. La définition est ainsi proposée par l’auteur. Une LAM MK est une LAM dont le caryotype contient au moins deux monosomies autosomales ou bien une monosomie autosomale associée à une anomalie de structure. Cela confère aux LAM MK un très mauvais pronostic (survie à 4 ans estimée à 3-4%) encore plus péjoratif que les LAM à caryotype complexe. Ce critère cytogénétique va probablement devenir principal dans la stratification pronostique. Dans son article dédié à une mise à jour sur les LAM, l’European Leukemia Network propose d’ajouter un cinquième groupe pronostique réservé au statut MK [Estey EH, 2012]. C’est également en 2012 qu’un nouvel article précise, grâce à l’augmentation du nombre de patients étudiés, que le caractère pronostique des LAM MK semble plutôt assez proche de celui des LAM à caryotype complexe [Kayser S, 2012].
Anomalies cytogénétiques dans les t-LAM
Comme on a pu le voir plus haut, c’est en 2001 puis en 2008, que l’OMS distingue clairement les t-LAM comme une entité distincte. Les néoplasies myéloïdes induites sont incluses dans le groupe « Leucémies myéloïdes aigues et néoplasies des précurseurs myéloïdes induites – therapy related myeloid neoplasm ». Les t-LAM sont également des leucémies dont le pronostic est mauvais avec une survie bien moindre : moins de 25% des patients atteints restent vivant 4 ans après le diagnostic (contre près de 40% pour les p-AML) [Kayser S, 2011] La majorité des moelles osseuses des patients atteints une t-LAM présente des anomalies chromosomiques clonales [Rowley JD, 1977 ; Le Beau MM, 1986 ; Rubin CM, 1991 ; Larson RA, 1992 ; Super HJ, 1993 ; Thirman MJ, 1996 ; Andersen MK, 1998 ; Andersen MK, 2002 ; Bloomfield CD, 2002 ; Zhang Y, 2002 ; Smith SM, 2003]. La plupart des anomalies génétiques sont de mauvais pronostic. Les anomalies cytogénétiques sont semblables à celles que l’on trouve dans les p-LAM : perte partielle ou totale des chromosomes 5 et/ou 7, translocations équilibrées associées ou non à un remaniement du gène MLL, translocations de meilleur pronostic telles que la t(15;17), la t(8;21) ou l’inversion du 16. [Detourmignies L, 1992 ; Quesnel B, 1993 ; Pedersen-Bjergaard J, 1997]. La proportion de caryotypes complexes est plus importante dans les t-LAM mais on peut aussi retrouver des caryotypes normaux ou des trisomies « classiques » comme la trisomie 8 ou la trisomie 13. Les atteintes des chromosomes 5 et 7 sont secondaires aux AA ou aux irradiations alors que les translocations, notamment celles impliquant MLL en 11q23 sont la conséquence de l’exposition aux ATII. L’apparition des t-LAM se distingue également en fonction du type d’anomalies acquises. Les t-LAM induites par les AA sont précédées d’une phase pré-leucémique myélodysplasique (t- SMD) qui s’acutise en moyenne en 6 mois. Cette phase peut survenir plusieurs années après le traitement anticancéreux (en moyenne 3 à 7 ans). On retrouve souvent les mêmes anomalies clonales que celles décrites dans les t-LAM.