L’indépendance, une occasion de redéfinir ses frontières (1946-1947)

L’indépendance, une occasion de redéfinir ses frontières (1946-1947)

Le 22 mars 1946, un traité d’alliance est signé entre la Grande-Bretagne et l’Émirat d’Abdallah Ibn Hussein, scellant le retrait du mandat britannique de la zone transjordanienne. Le 25 mai de la même année est déclarée l’indépendance de la Transjordanie et Abdallah est sacré roi. Ainsi se mettent en place les premières fondations de l’État transjordanien à l’échelle nationale. Au-delà de cette dimension légale, il est temps pour le nouveau royaume de construire ses bases stratégiques et idéologiques aux niveaux national et régional. Dans les premières années de son existence apparaissent d’emblée trois éléments qui semblent essentiels à l’accomplissement du royaume hachémite de Transjordanie. D’une part, il s’agit de l’attachement politique et militaire à la puissance britannique, même après la proclamation de l’indépendance. D’autre part, – selon la ligne d’analyse de Mary C. Wilson47 – il y a la nécessité pour ce nouvel État faible en ressources d’agrandir son territoire, cela dans le cadre d’un projet politique grand-syrien suivi de longue date par Abdallah. Dans cette optique originale de construction nationale, l’enjeu stratégique du roi est la construction d’alliances multiples à l’échelle régionale autour de la question palestinienne.

L’allié britannique : Abdallah tiraillé entre nécessité matérielle et désir de souveraineté

D’occupant, de puissance mandataire, la Grande-Bretagne devient au printemps de 1946 un allié d’égal à égal avec le Roi Abdallah. En lui accordant l’indépendance, elle lui donne une certaine marge de manœuvre politique ainsi que l’occasion de s’ériger comme l’unique décisionnaire au sein de son État, et d’en construire la souveraineté tant territoriale que politique. Cela dit, le retrait britannique des instances avant tout militaires, mais également plus généralement politiques, ne se fait pas de façon immédiate ni catégorique, au contraire. Ce phénomène est à replacer dans le contexte d’après-guerre au Moyen-Orient, qui mène à l’indépendance et à l’autonomisation de l’ensemble des pays arabes. Cela va de pair avec l’implantation de domaines de référence politique et idéologique propres aux pays arabes. Ainsi, au milieu des années 1940, les projections politiques issues du nationalisme arabe trouvent leur accomplissement dans la création d’États indépendants de toute mainmise étrangère. De même, pour répondre aux attentes panarabes est créée la Ligue arabe en 1945.

L’appui matériel britannique à la Transjordanie, dans sa dimension militaire au moins, constitue donc un point très stratégique de la diplomatie britannique au Moyen-Orient. Néanmoins, il profite à l’accomplissement national de la Transjordanie en ce qu’elle détient alors l’une des armées les plus puissantes du Moyen-Orient. Elle peut, dans le même temps, se proclamer officiellement indépendante. On peut ainsi dire avec une certaine justesse qu’il s’agit d’une alliance profitant aux intérêts des deux parties, et non d’une sujétion pure et simple de la Transjordanie à la Grande-Bretagne. Tout en gardant cependant en tête l’inégalité du rapport de force entre une puissance internationale et un jeune État globalement démuni de richesses.

Les critiques des pays arabes en général et de la presse libanaise francophone en particulier à l’égard du Roi Abdallah

À la fin des années 1940, l’atmosphère politique mais aussi populaire régionale est à l’éloge du nationalisme et de l’arabisme. Par conséquent, elle est aussi à la lutte contre les impérialismes occidentaux. De fait, dans la région, le nouveau statut de la Transjordanie est recense trois manifestations : une d’ampleur « minime » d’étudiants transjordaniens de l’université de Damas, sous l’influence de l’opposant Subhi Abu Ghanima exilé en Syrie ; et deux de plus grande ampleur à Bagdad. Les commentaires défavorables dans la presse syrienne, dénonçant la perpétuation de la dépendance de la Transjordanie envers le « colonisateur », restent relativement peu abondants. Les observations de la presse égyptienne sont plus nombreuses, mais ce sont surtout les réactions en Irak qui sont dites les plus « virulentes » et « injurieuses ». Le traité signé par Abdallah est qualifié dans les journaux irakiens de « tyrannique », de « menace pour l’ensemble du monde arabe », d’un « challenge lancé au mouvements nationalistes égyptiens et irakiens » ; ou plus violemment par le journal Al Wattan de « sabotage de la revendication principale du monde arabe qu’est le retrait des troupes étrangères » et de « coup de poignard dans le dos aux mouvements de résistance nationale égyptiens et irakiens ». Des soupçons quant au soutien du nationalisme arabe sont faits à l’égard d’Abdallah par tous les organes de presse dits « extrémistes » : ils insinuent que le pacte de défense commune dont les dispositions sont développées en annexe du traité est si défavorable à la souveraineté transjordanienne qu’il n’a pu être accepté par le roi qu’en échange d’un soutien britannique à son projet grand-syrien. Par ce qualificatif d’« extrémistes », l’auteur du rapport pourrait éventuellement vouloir faire passer ces idées pour des conceptions complotistes. Cela peut être aisément remis en question quand on sait que c’est au cours de ces négociations du début de l’année 1948 qu’Ernest Bevin aurait donné le « feu vert » au Premier ministre transjordanien pour l’annexion des territoires arabes de Palestine. Nous y reviendrons ultérieurement.

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