DU CONFORT URBAIN AU DÉVELOPPEMENT URBAIN QUALITATIF
LE DÉVELOPPEMENT URBAIN QUALITATIF
L’urbanisation est aujourd’hui un phénomène mondialement reconnu comme inévitable et irréversible (Bastié et Dezert, 1980, p.13-17). Dans un contexte où l’urbanisation est galopante, le foncier urbanisable et les ressources en eau sont en raréfaction, l’urbain est exposé aux risques majeurs, les besoins à satisfaire en termes d’infrastructure équipements et services urbains croissent à un rythme sans précédent, les villes sont soumises à une multitude de risques. Ces conditions ont contribué non seulement à l’amplification des dysfonctionnements socioéconomiques mais également à une détérioration de la qualité de vie et du cadre de vie. En effet, le bilan actuel des villes dans le monde interroge ainsi sur les liens entre croissance urbaine et développement urbain, sur les liens entre développement urbain et développement urbain qualitatif. Il met désormais en question la capacité des villes à répondre aux exigences de la qualité. Les villes peuvent connaître le déclin si le développement urbain continue à être quantitatif sous de la rupture dans l’équation disponibilités des ressources/ besoins socioéconomiques de la population. Dans cette situation, elles peuvent devenir des lieux d’importants dysfonctionnements, de dérèglements et d’inconfort urbain. C’est pourquoi, il est indispensable aujourd’hui de pouvoir identifier les seuils de la qualité, au-delà desquels le développement urbain représenterait des menaces et des atteintes pour le territoire et ses habitants. Avec le processus de dégradation du cadre de vie et des conditions de vie de la population, la recherche de la qualité devient une revendication sociale forte et l’une des priorités des politiques publiques pour garantir le confort urbain, le bien-être social et l’équilibre environnemental (Joseph, 1998 ; Peuportier, 2008), et ce faisant pour s’inscrire sur une trajectoire de développement durable. Ainsi, le développement urbain est devenu depuis plus de 30 ans un enjeu majeur et un défi à relever, à toutes les échelles et dans tous les contextes géographiques. Le changement de paradigme atteste bien de la volonté d’un renouvellement dans l’esprit et dans la fabrique de la ville ; cette transition qui s’opère à des rythmes variables selon les contextes est, certes, porteuse d’incertitudes mais elle est quelque part le meilleur garant d’un passage vers un développement urbain de qualité (Berezowska-Azzag, 2012, p.10). Alors que l’Occident poursuit ses recherches sur l’affinement des approches, des méthodes et d’outils d’analyse et de mesure du développement urbain durable ; l’Algérie, profitant d’une croissance économique relativement forte portée par les hydrocarbures, met en place une stratégie de développement à partir des années 2000 dans une visée d’améliorer l’image des 17 villes et de les inscrire dans un processus de développement urbain qualitatif. C’est dire que beaucoup d’efforts ont été déployé dans la perspective d’assurer une transition urbaine des villes algériennes vers un développement urbain qualitatif. En effet, la récente prise de conscience nationale des enjeux de la qualité et du développement urbain qualitatif trouve son expression dans des textes de lois, dans le Schéma National d’Aménagement du Territoire ( S.N.A.T 2030), dans les travaux des assises nationales d’urbanisme (juin 2011), dans l’élaboration d’une stratégie de développement urbain articulée autour des objectifs et des enjeux de la qualité, de compétitivité, d’attractivité et de durabilité, et dans la mise en œuvre de l’opération de l’amélioration et l’intégration urbaine. Ainsi, cette première partie de la thèse est consacrée à la définition des concepts et notions de développement urbain qualitatif et de confort urbain, à travers une revue bibliographique et d’expériences étrangères (progressistes, culturalistes et les écologistes) et nationale (en consultant les services et les acteurs concernés, les cahiers de charges, les appels d’offre, les critères de choix des maitres d’œuvre et les entreprises). Cette première partie est structurée en quatre chapitres : les deux premiers chapitres se focalisent sur les fondements théoriques du confort urbain et plus largement du développement urbain qualitatif. Les deux autres traitent de l’expérience algérienne à travers l’analyse critique des dispositifs mobilisés en matière de la qualité et de développement durable.
Le développement urbain qualitatif, cible recherchée face aux maux du siècle
L’explosion démographique, l’étalement urbain non maitrisé, la faiblesse des dynamiques économiques des États, la surconsommation des ressources sans penser aux ressources pour les générations futures constituent quelques- unes des causes de la dégradation de la qualité de vie et du cadre de vie. La réponse aux besoins des habitants par la quantité a montré ses limites. Par conséquent, le développement urbain ne pourrait être réduit seulement à de la croissance démographique ou à l’étalement spatial ou même à la croissance économique productrice des richesses, il est également la capacité d’une ville à répondre aux exigences de la qualité (Da Cunha, 2003 ; Veyret, 2005 ; Berezowska-Azzag, 2011). Les pensées urbaines, développées dans ce sens, datent principalement depuis la révolution industrielle (Monin E., 2002). Elles orientent sur les nouvelles pratiques de faire les villes (culturalistes, développement urbain durable, etc). Si ces tendances présentent actuellement une nouvelle dynamique de la politique de ville, il est impératif de rechercher dans la littérature les principes et les actions puis d’analyser les expériences. Dès lors, le chapitre suivant rassemble des connaissances relatives à ce domaine visant ainsi à rendre plus accessible la démarche de développement urbain d’ordre qualitatif. 1. La croissance urbaine versus le développement urbain Le développement est un concept que l’on agite devant l’opinion publique pour donner de l’importance ou pour quelque chose de nouveau ou même pour justifier telle ou telle initiative politique. Vu l’impact de l’urbanisation actuelle des villes ; il est essentiel de savoir si l’on est dans une phase de développement ou dans une phase de croissance et conséquemment de pouvoir d’apprécier le niveau de qualité, de chercher les chemins de la qualité et de préconiser des plans d’actions (les actions correctives) garants d’une amélioration dans la qualité et des bonnes pratiques. De point de vue terminologique, la notion de « développement », synonyme du progrès, de rayonnement, d’épanouissement, à connotation éminemment positive (Lacoste Y., 2003 ; Dorier-Appril, 2006 ; Leveiller T. et Long N., 2013), est tout à fait différente de celle de la « croissance », plus proche du terme « augmentation » qui, selon le contexte dans lequel elle intervient, peut avoir des effets néfastes (Ascher, 2001 ; Mancebo, 2006 ; Berezowska-Azzag, 2011). Du point de vue quantitatif, le développement urbain est souvent compris comme une croissance d’une triple dimension : spatiale (extension des surfaces bâties), démographique (augmentation de la taille de la population urbaine et diversification de la composante sociale), économique (augmentation du P.I.B., amélioration des revenus, augmentation du nombre des investissements urbains, du nombre d’emplois hors secteur primaire, tertiairisation des profils des activités) (Theys et Emelianoff, 1999 ; Merlin et Choay, 2005 ; Veron, 2006). Pour que la croissance soit synonyme de développement, il faudrait que la croissance soit productrice d’effets positifs, d’amélioration, de progrès, d’avancement. Par contre si la croissance est génératrice de stagnation, de régression, elle s’éloigne du développement (Veyret et Arnould, 2008). Une comparaison des valeurs des indicateurs quantitatifs et qualitatifs permettent par ailleurs d’admettre si le développement urbain des villes peut prendre une forme positive (avancement, amélioration), neutre (stagnation) ou négative (régression) (Bajerowski, 2003 ; Veyret, 2005), si le développement peut être jugé de bénéfique ou de néfaste (Mancebo, 2006). Il est évident que le développement et la croissance expriment des situations différentes ; la croissance devient synonyme de développement quand la croissance est doublée d’un changement positif qualitatif (Theys et Emelianoff, 1999), et donc, le concept « développement » représente le stade qualitatif de la croissance. Cela signifie qu’il y a lieu de dépasser l’application de critères quantitatifs et que la question de la qualité est à placée au cœur des politiques et pratiques urbaines pour ne pas compromettre l’avenir et le devenir des villes de demain. 2. Le développement urbain qualitatif, chronologie de la montée de la conscience urbaine Les premières tentatives de la conscience urbaine du développement urbain d’ordre qualitatif datent du début du 19ème siècle. Elles émanent d’une diversité de disciplines et de profils scientifiques : aménagement urbain, anthropologie urbaine, sociologie urbaine, géographie urbaine, économie urbaine, droit urbain, écologie urbaine ; et ont donné lieu à l’élaboration de théories en fonction de leurs propres objectifs. En rapport à la question du développement urbain qualitatif, il est présenté, ici, trois courants :
Le courant culturaliste
Suite aux conséquences néfastes de la révolution industrielle du 18ème -19ème siècle sur les villes, plus précisément sur celles d’Europe ; la nécessité de revoir les pratiques et de proposer une nouvelle façon de faire les villes s’est imposée. Dans ce sens, plusieurs pensées urbaines se sont développées. Il y a celles qui sont restées théoriques telles que le mouvement de John Ruskin (la vision idéalisée du passé) et l’initiative de William Morris (la désurbanisation) (Franspton, 1985). Parmi celles qui se sont réalisées, nous évoquerons principalement ici le modèle dit « cités jardins » ou « Garden city » (Figure n° 2) qui est apparu en Angleterre en 1876 comme une nouvelle formule, proposée par Soria Y Mata et Ebenezer Howard (Foura, 2003). Figure n°2 : The Garden city Source : http://visle-en-terrasse.blogspot.com/2011/02/histoire-darchitecture-la-citejardin.html Ce modèle visait principalement à corriger le développement urbain des villes en réduisant son industrialisation à travers un réseau de villes-satellites (Garden city), conçues d’une manière très différentes de celles existantes. Les cités jardins répondaient à une somme de principes dont : Améliorer les conditions de vie, Développer le paysagisme, Encourager le goût du pittoresque, Se situer dans la campagne dont le respect rapport ville/campagne est maintenu Limiter le nombre des habitants, Maitriser le foncier. En exemples, nous citerons, les deux projets de « Letchwarth Garden City » and « Hampstead garden city » conçus par les deux architectes Raymond Unwin and Benry Parker. – Letchwarth Garden City : La cité est construite en 1903 dans la région d’Hertfordshire (Figure n° 3). Créée principalement pour contrer les effets de la révolution industrielle, et notamment résoudre les dégradations de la qualité de vie et de cadre de vie des villes existantes (surpeuplement, pollutions, etc.) en assurant une certaine « conciliation » entre la ville et la campagne, et ce, à travers les actions suivantes : – Créer des infrastructures de transport pour supporter les avancées technologiques des modes de circulation de cette époque, – Séparer les zones de nuisances (les usines) des autres zones (résidentielle, récréative) – Intégrer les espaces verts sur toutes les parties de la cité, bien sûr en continuité avec la campagne. Figure n° 3 : L’organisation spatiale de Letchwarth Garden City Source : https://www.pinterest.com/pin/401242648030413659/ CHAPITRE 1 Le développement urbain qualitatif, cible recherchée face aux maux du siècle 23 Hampstead garden city La révolution industrielle malgré les progrès dans le domaine socioéconomique, a causé beaucoup de dysfonctionnements dans les villes : la prolifération de bidonvilles, la ségrégation socio-spatiale, le développement de maladies, etc. La création de la cité de Hampstead, située à Londres, visait principalement à améliorer quelques parties de la ville en se basant sur le principe de la mixité socio-spatiale, sur un groupement de maisons de faible densité entourées de jardins. Conçue par l’architecte Raymond Uwin en 1900, le plan général de la cité comprend des routes légèrement courbées, des fermetures intimes et des panoramas grandioses (Figure n° 4). Via ces dispositifs, ce modèle spatial cherche à corriger les parties les plus touchées de la ville que sont les « Suburb » ou « les banlieues » où les dysfonctionnements d’ordre social et hygiéniste sont importants. Figure n° 4 : Le plan général de Hampstead garden city Source : https://arquiscopio.com/archivo/2012/06/17/proyecto-de-suburbio-jardin-en hampstead/?lang=en Ces cités jardins représentaient une nouvelle pratique, basée principalement sur des corrections de trois dimensions : socio-spatiale (mixité entre les catégories sociales, entre les types d’habitat), paysagère (développement des espaces verts), écologique (le maintien d’un rapport souplesse entre la ville et la campagne).
Le courant progressiste
Suivant les traces des culturalistes, les progressistes en tête Tony Garnier, continuent à développer d’autres pratiques de faire les villes en proposant d’autres idées, d’autres principes, d’autres projets (Jencks, 1979). Le courant progressiste a coïncidé avec les travaux de la Charte d’Athènes. Il favorise la mise en place du progrès technique, l’organisation fonctionnelle des activités et la rationalisation des flux pour concevoir les ensembles urbains. Ces principes se construisent à l’intersection du triptypique soleil, verdure et espace. Ils se fondent sur une série de principes : Confort quotidien, Établir l’harmonie entre l’homme et son milieu, Accroitre la densité, Accroitre la verdure, Accroitre les activités de loisirs, Accroitre les moyens de circulation, Éviter les surconsommations de l’espace. Ces nouveaux principes de l’aménagement des villes ont été regroupés en quatre clés : habiter, circuler, travailler et se recréer (La charte d’Athènes, 1943). Cette identification des fonctions urbaines permet, par conséquent, d’établir une certaine organisation spatiale dite « zoning » se concrétisant sur le terrain par une répartition plus autonome des différents secteurs de la ville. Le but recherché est la production d’une ville moderne, hygiénique et fonctionnelle ; dans ce cas, les règles urbaines se conforment au principe de la « rationalité ». La ville « Radieuse » de Le Corbusier illustre bien cette nouvelle pratique. En 1952, Le Corbusier inaugure à Marseille, la cité radieuse1 ou le village vertical (Figure n° 5) : une cité composée d’un immeuble de 337 appartements, surélevés sur pilotis. Ici, l’architecte élabore une nouvelle manière d’organiser la ville en proposant une autre manière d’habiter et de vivre ensemble. La cité radieuse donna naissance d’une part, au confort acoustique, thermique et visuelle à ses habitants et d’autre part, à un espace à l’échelle de l’homme dont elle lui procure toutes les possibilités de se mouvoir librement. Elle représenta un contre-modèle de la ville de 1 Il faut noter que quatre autres cités ont été réalisées sur les mêmes plans, quatre en France et une en Allemagne ; il s’agit de Rezé (1955), Briey (1961), Firminy (1967), Berlin (1957). l’ère industrielle durant laquelle la qualité des conditions de vie et du cadre de vie s’était détériorée ; des conditions aggravées par les conséquences dévastatrices de la deuxième guerre mondiale. Figure n° 5 : La cité radieuse à Marseille Source : https://www.floornature.eu/la-cite-radieuse-de-le-corbusier-entre-architecture-etmusiq-14738/ Ainsi, les principes progressistes ont bouleversé les pratiques en installant une nouvelle manière de faire la ville, différente de celle des culturalistes dans la structure et/ou dans la composition. Mais le point commun de ces deux courants est le souci de concevoir un urbanisme susceptible d’apporter une amélioration de la qualité du cadre de vie et des conditions de vie.
Le courant naturaliste
Après plusieurs décennies d’une course à la croissance économique qui s’est avérée être destructive de l’environnement surtout naturel ; le club de Rome dénonce en 1972 dans un rapport intitulé « halte à la croissance » (Berezowska-Azzag, 2011, p.14) les effets néfastes de cette course. Il s’agit bien de l’accroissement des consommations énergétiques, des rejets d’eau polluée, de la production des déchets, etc. Ces effets concernent également d’autres paramètres qui influent directement sur le cadre et la qualité de vie des usagers, à l’exemple du bruit, de la pollution de l’air et d’émission de gaz, de l’effet de serre dû essentiellement aux modes de déplacement motorisés. Concevoir de nouveaux modes des milieux urbains qui garantiraient une protection de l’environnement afin de préserver la satisfaction des besoins aux générations d’aujourd’hui comme celles de demain, s’avère désormais nécessaire. En effet, le courant naturaliste est né du diagnostic qui met en évidence les effets néfastes des modes de production et de consommation sur la préservation de la biodiversité et du bien-être commun. Il se positionne à l’intersection de l’espace, de l’usager et de la nature (Veyret, 2005 ; Veyret et Arnould, 2008). L’objectif principal est d’obtenir un compromis entre le besoin en espace, l’exigence d’une protection accrue des espaces naturels et la nécessité d’assurer un bienêtre (Legrand et Chene, 2003). Le courant naturaliste, qui est en quelque sorte le prolongement naturel du développement urbain durable (Theys, 2000), doit conjuguer la maitrise des productions et des consommations, ceci dans le respect de l’environnement où nous vivons aujourd’hui (figure n° 6)
INTRODUCTION GÉNÉRALE |