L’implication au travail une approche multidimensionnelle
L’implication au travail est aujourd’hui un domaine d’étude important en gestion des ressources humaines. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’intérêt pour ce champ de recherche : Au niveau théorique tout d’abord, l’implication est un concept très large, qui permet d’expliciter les liens que l’individu entretient avec son travail [Thévenet – 2002]. Le terme travail englobe tous les domaines qui composent la sphère professionnelle : l’emploi occupé, le métier, la carrière, l’organisation, les collègues de travail, voire le syndicat d’appartenance ou les clients. Les recherches théoriques sur l’implication se sont développées dans le sillage des travaux sur les attitudes au travail, traitant de la satisfaction et de la motivation au travail, avec pour objectif de mieux appréhender les causes de certains comportements organisationnels problématiques, comme l’absentéisme ou le turnover [Mowday & al. – 1982]. Ces recherches sont très majoritairement menées sur des domaines spécifiques de l’implication, pris isolément : l’organisation et l’emploi constituant par exemple les deux champs d’implication les plus largement explorés à l’heure actuelle. Au niveau empirique, l’implication retient l’attention des praticiens, car son lien avec certains comportements au travail particulièrement recherchés par les managers a été souvent établi : les salariés impliqués dans leur entreprise ou leur carrière seraient par exemple moins absentéistes [Mowday & al – 1982 ; Mathieu & Zajac 1990], plus fidèles à leur entreprise [Mathieu & Zajac – 1990 ; Allen & Meyer – 1996], et davantage enclins à faire des efforts [Mowday & al. – 1982 ; Sager & Johnson – 1989] et adopter des comportements citoyens [Organ & Ryan – 1995]. Le concept d’implication a donné lieu à une littérature très abondante en GRH, incorporant des définitions et des théorisations très variées. Une présentation des différentes approches du concept d’implication, qui nous permettra d’en délimiter les contours et de proposer une définition constitue donc un préalable indispensable à toute étude empirique (section 1) Nous nous intéresserons en second lieu au concept d’implication globale au travail (work commitment), qui constitue le cadre de notre étude (section 2).
Le concept d’implication en GRH : une approche multidimensionnelle
Il existe une littérature abondante sur l’implication en GRH, qui s’est beaucoup développée depuis le milieu des années 1980, à la suite de certains travaux de synthèse (ex : la méta analyse de P. Morrow sur les divers objets de l’implication en 1983, ou l’ouvrage de synthèse de R. Mowday et ses collègues sur l’implication organisationnelle en 1982). L’implication est une notion complexe : la preuve en est que l’un des ouvrages majeurs dans le domaine, écrit par Paula Morrow7 ne définit tout simplement pas ce qu’est l’implication. L’auteur utilise une approche indirecte, en indiquant en introduction que l’absence d’implication est la cause de comportements problématiques dans les organisations (absentéisme, turnover, absence d’effort, vol, insatisfaction au travail….), avant de s’intéresser aux divers objets de l’implication au travail8. Maurice Thévenet, dans un ouvrage plus récent (« Le plaisir de travailler » – 2004), remarque que certains auteurs (il cite Jeffrey Pfeffer) « ne s’épuisent pas à définir le concept d’implication pas plus que ne le font les dirigeants qui cherchent désespérément à créer ou augmenter l’implication de leurs salariés ». M. Thévenet lui-même propose une voie « phénoménologique », en s’intéressant prioritairement aux manifestations (ou symptômes) de l’implication, dans une perspective méthodologique qualitative qui nous paraît proche des « théories ancrées » (Glaser & Strauss – 1967 ; voir Duchene & Savoie-Zajac – 2005 pour une application au domaine de l’implication dans la profession). Nous tenterons dans cette première section de faire le point sur les différentes conceptualisations et typologies de l’implication (1), avant d’en proposer une définition (2), puis de présenter un modèle synthétique de l’implication au travail, inspiré des travaux récents de J.P Meyer et L. Herscovitch (3).
Il est généralement admis que les attitudes comportent trois dimensions (affective, cognitive et conative), ainsi résumées dans une définition courante : « Les attitudes correspondent à des tendances à évaluer une entité avec un certain degré de faveur ou de défaveur, habituellement exprimées dans des réponses cognitives, affectives et comportementales » [Eagly et Chaiken, 1993 p1]. Les entités dont il est question peuvent être des objets, des évènements, des personnes ou des institutions ; elles sont par essence inobservables, et doivent être inférées à partir de réponses mesurables [Ajzen – 2005, p3]. Cette distinction entre les trois composantes des attitudes, due à Rosenberg & Hovland [1960] a été progressivement enrichie par des auteurs qui ont mis en évidence un aspect dynamique et séquentiel dans leur articulation. Selon le modèle théorique de l’action raisonnée [Ajzen & Fishbein – 1980], on considère par exemple que les intentions d’action des individus par rapport à une entité sont déterminées par les attitudes (degré d’affect vis-à-vis de l’entité) et les croyances portant sur cette entité. L’intention d’action (dimension conative de l’attitude) est ici considérée comme la résultante d’une combinaison entre affects et croyances.
Les déterminants de l’attitude d’implication au travail (affects ou comportements ?)
Même si l’implication est généralement envisagée comme une attitude intégrant plusieurs composantes, il faut noter que les auteurs ont commencé par explorer ces composantes séparément : on peut, comme le fait J.P. Neveu , distinguer un courant « transactionnel », mettant l’accent sur l’aspect calculé ou instrumental de la relation de travail , et un courant « relationnel », mettant l’accent sur l’aspect affectif de cette relation [Neveu – 2002, p.27]. Les approches affectives de l’implication traitent par exemple de l’adhésion aux buts et aux valeurs de l’organisation ou de la profession [ex : Mowday & al. 1982 ; Aryana & al. – 1981 ] ou de l’identification psychologique de l’individu à son travail [ex : Lohdal & Kejner – 1965]. Les approches instrumentales se basent par exemple sur un arbitrage entre les bénéfices liés à la participation à une organisation ou une profession et les coûts liés à l’abandon de cette organisation ou cette profession [ex : Becker – 1960 ; Alutto & al. – 1973]. Ces deux approches font référence à des cadres théoriques différents, mais ne sont pas forcément antagonistes : il est possible de les articuler, en suivant l’approche proposée par Salancik [1977], résumée par Commeiras [1994 p. 67]. Salancik propose de différencier l’implication attitudinale, perçue comme une identification aux buts et aux valeurs de l’organisation et l’implication comportementale, envisagée comme résultant des investissements engagés par le salarié vis-à-vis de l’objet d’implication (l’organisation, dans ce cas). On voit donc dans un cas que l’implication correspond à un attachement psychologique de l’individu à l’objet d’implication (dimension affective de l’attitude) et dans le second cas que cette implication est générée par un jugement porté sur les comportements passés de l’individu (dimension cognitive, résultant d’un calcul et d’un jugement). Cette typologie bi-dimensionnelle, qui se retrouve sous des formes différentes chez un certain nombre d’auteurs .