L’IDENTITE SEXUELLE HISTOIRE DES IDEES
En Occident, comme dans la majeure partie des sociétés, les populations perçoivent et tiennent pour acquise l’existence de différences fondamentales entre les sexes, ces différences pouvant être d’ordre biologique, morphologique et/ou psychologique. Mais ces distinctions n’ont pas toujours été évidentes dans la pensée occidentale : on n’a pas toujours différencié un sexe masculin et un sexe féminin spécifiques. De l’Antiquité classique jusqu’à la fin du 18ème siècle, le modèle « un seul sexe/une seule chair » a largement dominé la réflexion sur la différence des sexes en Occident. Jusqu’à cette période demeurait l’idée que le sexe féminin était tout simplement le symétrique du sexe masculin, à la différence que l’appareil génital de la femme était à « l’intérieur » du corps et non termes de M-C. Pouchelle, une « différence de cuisson » (2000 : 65)2. Ainsi la femme est froide et humide (principe de mort) et l’homme est chaud et sec (principe de vie) ; dans le « combat » de ces deux principes, c’est par un défaut de chaleur qu’arrive un enfant de sexe féminin : ainsi la femme naît d’un manque. L’homme et la femme sont dans un rapport d’inversion dans lequel la femme est présentée comme un être imparfait et l’homme un être parfait. Ainsi pour Aristote, « la première déviation [de la nature] c’est d’abord la production d’une femelle au lieu d’un mâle : d’une part, les comportements de « genre » qu’ils identifient dérivent directement du sexe, et d’autre part le corps féminin n’est formé que pour servir la maternité. Néanmoins, Thomas Laqueur nous rappelle que dans les textes antérieurs aux Lumières, le sexe était plus considéré comme une catégorie sociologique qu’ontologique. Etre un homme ou être une femme c’était avant tout avoir un certain rang dans la société, une place, assumer un rôle culturel et non pas « être organiquement l’un ou l’autre des deux sexes incommensurables » (Laqueur, 1992 : 21).
Dans le domaine anthropologique, la place de la sexualité est centrale, comme le rappellent L. Bazin, R. Mendès-Leite et C. Quiminal, coordinateurs d’un ouvrage collectif sur « L’anthropologie des sexualités ». Elle est centrale car elle se retrouve constamment dans des domaines classiques de l’anthropologie comme la parenté ou l’économie. Selon les auteurs, « à ses origines ethnographiques, la sexualité a été appréhendée très « naturellement » dans un discours sur l’altérité comme l’une des marques les plus évidentes de l’« exotisme », ce dernier s’inscrivait dans l’univers fantasmatique de la promiscuité » (Bazin et al, 2000 : 9). Entre les années 1920 et 1940, l’anthropologie fournit une contribution importante aux réflexions sur la sexualité avec notamment Malinowski ou Mead1. Par ailleurs, la thématique de la sexualité et de la société primitive s’élabore dans le dialogue entre anthropologie et psychanalyse. En anthropologie, les recherches contemporaines prennent appui sur d’autres disciplines, comme l’histoire et sur certains courants comme ceux des féministes ou encore sur les travaux à propos des homosexuels et des lesbiennes, lesquelles recherches contribuent à l’émergence de la sexualité comme objet d’étude.
Les catégories pour penser les sexualités
Il est important dans cette recherche de traiter des catégories pour penser les sexualités dans la mesure où la définition même de ces catégories peut varier d’une société à l’autre. Ce que nous pouvons percevoir comme de la déviance dans nos sociétés, en matière de sexualité, peut ne faire l’objet d’aucune stigmatisation et de mise à l’écart dans d’autres sociétés. Chaque société appréhende différemment les catégories de sexualité. Par exemple, en Occident, l’homosexualité masculine a toujours été difficile à prendre en compte alors que dans d’autres sociétés, les pratiques homosexuelles peuvent être ritualisées, institutionnalisées comme en Mélanésie lors des rituels initiatiques1. Les catégories de sexualité relèvent avant tout d’une construction culturelle et donc historique. Comme pour les deux sexes, homme et femme, ces catégories ne sont pas non plus comprises de la même manière à toutes les époques. De même, elles n’ont pas nécessairement la même signification pour tous les individus. Comme on le verra ultérieurement, l’orientation sexuelle tout comme l’attrait pour le même sexe, ne sont pas les critères déterminants pour être classé dans la catégorie problématique appelée « troisième sexe ». Pourtant on a longtemps défini les individus dits de « troisième sexe » en fonction de leurs choix sexuels, bien souvent conçus comme homosexuels.
En Occident, avant le 19ème siècle, ceux que nous considérons comme homosexuels en raison de leur orientation sexuelle, n’étaient pas considérés comme des types spécifiques. Selon Michel Foucault, « l’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. La sodomie était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce » (1976 : 59). En d’autres mots, on est passé de l’homosexualité caractérisée comme relation sexuelle (déviante) à l’homosexualité en tant que manière « d’intervertir en soi le masculin et le féminin » (Ibidem). Notons par ailleurs qu’avec l’émergence de la notion d’homosexualité, apparaît celle d’hétérosexualité.