Organisation du contrôle cognitif au sein du cortex préfrontal latéral dans la schizophrénie

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Des fonctions exécutives au contrôle cognitif.

Pour résoudre ce problème, et étudier de manière plus rigoureuse les dysfonctions exécutives dans la schizophrénie, certains auteurs ont eu l’idée de se situer à un niveau d’analyse plus fin du déficit, non plus en évaluant les fonctions exécutives elles-mêmes, mais les processus qui les mettent en jeu. Les fonctions exécutives peuvent en effet être considérées comme étant le produit de multiples processus, concernant aussi bien l’encodage et la sélection des informations pertinentes, que leurs manipulations pour aboutir à une réponse appropriée.
Le principal système responsable de la coordination de ces processus est appelé « contrôle cognitif » (ou « contrôle exécutif »), et sa mise en jeu dépend principalement du cortex préfrontal (Miller and Cohen, 2001). Le rôle dévolu au cortex préfrontal pourrait donc être plus précisément défini comme étant celui de coordonner nos pensées et nos actions en accord avec les buts qui les ont initiées pour permettre l’adaptation de nos comportements à l’environnement. En pratique, lorsque les informations extérieures sont ambiguës, ou peuvent donner lieu à de multiples réponses, la mise en jeu du cortex préfrontal permet de choisir la réponse la plus adaptée à la situation. On parle alors de traitement top-down de l’information, parce que le comportement est contrôlé par l’intention, par opposition au traitement bottom-up de l’information où les informations sensorielles sont directement à la base de la réponse – ce qui est le cas dans des situations routinières ou automatiques. Si par exemple, je suis à un carrefour routier dans un contexte habituel, familier (en France par exemple), ma réponse naturelle, routinière, sera de regarder d’abord à gauche pour vérifier qu’une voiture n’est pas sur la route. En revanche, si je me trouve dans un contexte inhabituel (par exemple si je suis en Angleterre), il faudra d’abord que je regarde à droite avant de traverser. La mise en jeu de cette réponse contrôlée – regarder à droite avant de traverser – est permise par le traitement de l’information contextuellement pertinente « je suis en Angleterre » par le cortex préfrontal.
Cette distinction théorique entre fonctions exécutives et contrôle cognitif – une distinction entre une fonction dont le produit est directement observable à l’échelle du comportement humain vs. un processus sous-jacent permettant la mise en œuvre de cette fonction – a sans doute permis de passer un palier considérable dans l’investigation et la compréhension de l’organisation fonctionnelle du cortex préfrontal. Cependant, elle reste actuellement considérée comme très artificielle par de nombreux auteurs qui accordent aux deux concepts la même signification (voir par exemple Koechlin and Summerfield, 2007).

Les théories du contrôle cognitif.

Nous l’avons vu plus haut, on peut définir le contrôle cognitif comme l’ensemble des processus mis en jeu pour coordonner nos pensées et nos actions en accord avec les buts qui les ont initiées. La fonction principale du contrôle cognitif est donc de moduler le traitement de l’information au sein des systèmes dits périphériques – i.e. de plus bas niveau – selon les buts de la tâche en cours (contrôle top-down). Dans une première partie, nous tenterons donc de décrire les principales théories du contrôle cognitif dites du contrôle top-down attentionnel.
Cependant, pour de nombreux auteurs, il est clair que le contrôle cognitif ne constitue pas un mécanisme unitaire et que le cortex préfrontal n’est pas qu’un simple chef d’orchestre des comportements humains qui serait mis en jeu de manière universelle. En revanche, il est maintenant largement établi que différents systèmes au sein même du contrôle cognitif seraient dévoués à différentes fonctions spécialisées que nous allons passer en revue dans la seconde partie de ce chapitre.

Les théories du contrôle attentionnel top-down

Les théories du contrôle attentionnel considèrent que le cortex préfrontal latéral sélectionne les comportements pertinents en fonction du but spécifique à accomplir (Shallice, 1982 ; Burgess and Shallice, 1996 ; Burgess and Shallice, 1996).
Ce but définirait des « épisodes » de contrôle cognitif pendant lesquels les représentations pertinentes activées par le cortex préfrontal seraient progressivement consolidées (Miller, 2000). Reprenons la situation où nous nous rendons en Angleterre. D’habitude, lorsque nous nous trouvons à un carrefour routier, nous regardons d’abord à gauche avant de traverser (Figure 5A). Schématiquement, puisque l’action de regarder à gauche est automatique et routinière, l’intervention du cortex préfrontal est inutile. En revanche, arrivés en Angleterre, les ressources du cortex préfrontal seront mobilisées pour nous
permettre de porter notre attention à droite et non à gauche (Figure 5B). Cependant, après un certain temps passé en Angleterre, l’intervention du cortex préfrontal sera de nouveau moins importante puisque l’action de regarder à droite au carrefour deviendra davantage habituelle.
Le système recruté dans ce type de situations non routinières, nouvelles et complexes, est appelé système attentionnel superviseur (SAS, « supervisory attentional system ») et son substrat neural est le cortex préfrontal (Shallice, 1982 ; puis Burgess and Shallice, 1996 ; Burgess and Shallice, 1996). Cependant, la théorie proposant l’existence d’un SAS ne permet pas d’établir avec précision l’existence d’un mécanisme de contrôle top-down exercé par le SAS, encore moins son corrélat neuronal au sein du cortex préfrontal. En réalité, il a fallu attendre le début des années 1990 pour que Richard Passingham propose et vérifie que les régions antérieures du cortex préfrontal pourraient contrôler les régions postérieures, y compris les régions du cortex prémoteur (Passingham, 1993). Cette théorie a été plus récemment reprise par Earl Miller et Jonathan Cohen, démontrant que lorsque plusieurs comportements sont en compétition, le contrôle cognitif sélectionne des représentations pertinentes pour le but en cours selon le contexte dans lequel se déroule la situation (Miller and Cohen, 2001). Notons que le contexte est ici défini au sens large comme toute information susceptible de biaiser la sélection des comportements adaptés au but fixé par la tâche. Dans cette thèse, nous verrons néanmoins que le terme « contexte » revêt selon les auteurs bien d’autres significations …
Par ailleurs, Miller et Cohen proposent une première subdivision d’importance cruciale au sein du cortex préfrontal. Le contrôle cognitif proprement dit serait exercé par le cortex préfrontal dans sa partie latérale, et permettrait la sélection des représentations adaptées à la tâche en cours (Miller and Cohen, 2001). Les fonctions assurées par le contrôle cognitif seraient spécifiquement mises en jeu par la région dorsale du cortex cingulaire antérieur, système permettant (1) la détection de tout conflit induit par la compétition entre différentes représentations – regarder à droite ou à gauche au carrefour quand je suis en Angleterre ou encore lire le mot ou la couleur dans une tâche de Stroop – (MacDonald et al., 2000 ; Botvinick et al., 2004 ; Botvinick et al., 2001 ; Kerns et al., 2004) ou (2) la détection des erreurs réalisées par le sujet (Carter et al., 1998 ; Brown and Braver, 2005).
Reste maintenant à ce que soient dévoilées les subdivisions fonctionnelles au sein même du cortex préfrontal latéral.

Les théories précisant la subdivision du contrôle cognitif au sein du cortex préfrontal latéral.

Les théories postulant la subdivision du contrôle cognitif au sein du cortex préfrontal latéral se sont largement inspirées du fameux modèle de la mémoire de travail de Baddeley et Hitch (Baddeley and Hitch, 2000). De nombreux chercheurs ont en effet postulé que la fonction principale du cortex préfrontal était la maintenance active en mémoire de travail de l’information pertinente pour la tâche en cours pendant une faible durée (< à une quarantaine de secondes). La mémoire de travail est un système permettant le maintien et la manipulation des informations pour une utilisation à court terme, dite on-line. Ce postulat a été vérifié par des résultats indiquant que certains neurones du cortex préfrontal étaient actifs de manière tonique pendant le délai séparant la présentation d’un stimulus et la réalisation de la tâche (Goldman-Rakic, 1996).
Une première subdivision fonctionnelle au sein du cortex préfrontal latéral a établi que la partie dorsale du cortex préfrontal latéral était en charge de la manipulation de l’information en mémoire de travail tandis que sa partie ventrale était dévouée au maintien actif de l’information en mémoire de travail (Petrides, 1996). D’autres auteurs ont démontré que l’axe dorso-ventral du cortex préfrontal était subdivisé selon le type d’information traitée par le sujet. Les régions ventrales traiteraient les informations de nature verbale tandis que les régions dorsales seraient en charge des informations de nature spatiale (Goldman-Rakic, 1996).
Par ailleurs, d’autres théories proposent que le cortex préfrontal latéral est organisé hiérarchiquement, chaque représentation « supérieure » dans la hiérarchie sélectionnant les représentations du niveau « inférieur », i.e. du niveau le plus haut de la hiérarchie – le but général de la tâche – à l’action elle-même (Fuster, 2001 ; Grafman, 2002). Ces plans seraient disposés de manière hiérarchique au sein du cortex latéral, des régions antérieures représentant les plans d’actions de haut niveau aux régions postérieures et prémotrices représentant des codes plus simples permettant le contrôle de l’action (boucles perception-action, Figures 6 et 7).
Cependant, la principale critique adressée aux théories permettant la subdivision du cortex préfrontal latéral est qu’elles ne permettent pas de rendre compte des modalités d’intégration des différents types d’information, que ce soit au sein même du cortex préfrontal ou plus généralement entre régions préfrontales et régions plus postérieures.

Le contrôle cognitif et la connectivité cérébrale (Figure 8).

Le cortex préfrontal est une des régions les plus richement connectées du cerveau humain. La substance blanche au sein du cortex préfrontal est particulièrement abondante, suggérant que la connectivité au sein même du cortex préfrontal est profuse (Pandya, 1986). Les interactions fonctionnelles entre les différentes régions du cortex préfrontal suggèrent par ailleurs qu’il existe une certaine interdépendance entre les fonctions qu’elles sous-tendent ; il est ainsi très probable qu’une lésion au niveau d’une région affecte l’activité des neurones dans les autres régions préfrontales. Il semble également que certains déficits soient associés à de larges lésions touchant plusieurs zones du cortex préfrontal plutôt qu’à la lésion d’une région spécifique (Manes et al., 2002).
Les régions postérieures du cortex préfrontal sont également connectées avec les régions prémotrices. Le cortex préfrontal possède en outre d’importantes connexions avec le cortex pariétal postérieur (i.e., régions associatives visuelles et auditives), ainsi qu’avec les régions du système limbique (les régions préférentiellement associées au traitement des stimuli émotionnels). Cette connectivité étendue et réciproque du cortex préfrontal avec les régions associatives postérieures suggère qu’il traite des informations provenant de toutes les modalités sensorielles. Le cortex préfrontal ayant un accès privilégié à toutes les perceptions, internes et externes, il peut être considéré comme « la principale structure capable de synthétiser les mondes sensoriels intérieur et extérieur » (Nauta, 1971). Enfin, le cortex préfrontal est connecté avec de nombreuses structures sous-corticales, par des boucles cortico-striato-thalamo-corticales. Il existe plusieurs voies cortico-sous-corticales, chacune connectant une région du cortex préfrontal avec des sous-régions spécifiques du striatum, du pallidum et du thalamus medio-dorsal (Alexander et al., 1986 ; Cummings, 1995 ; Carmichael and Price, 1996).
Figure 8 : Diagramme schématique des principales connexions du cortex préfrontal.
Remarquez les très nombreuses connexions avec les autres systèmes cérébraux et au sein même du cortex préfrontal, faisant de cette structure une aire cérébrale privilégiée pour accomplir la synthèse de différents types d’information nécessaire à la mise en jeu de comportements complexes et adaptés au monde extérieur.
D’après Miller & Cohen, 2001.

Le contrôle cognitif chez le patient schizophrène.

Les dysfonctionnements du contrôle cognitif sont aujourd’hui largement admis dans la schizophrénie (Barch et al., 2001 ; MacDonald et al., 2005 ; Perlstein et al., 2001 ; Perlstein et al., 2003 ; Servan-Schreiber et al., 1996). En outre, tout porte à croire que les déficits en contrôle cognitif observés chez le patient schizophrène sont à la base des multiples déficits neuropsychologiques observés dans la maladie et des comportements désadaptés et persévératifs des patients schizophrènes (Kravariti et al., 2005 ; Mahurin et al., 1998).
Les substrats neuraux de ces dysfonctions du contrôle cognitif ont été investigués de manière particulièrement abondante ces dernières années, au moyen de paradigmes variés dont les plus importants ont été reliés au modèle de la mémoire de travail.
Certaines études réalisées par Servan-Schreiber et al. (1996), Barch et al. (2001), MacDonald et al. (2005) et Perlstein et al. (2003), ont testé plus spécifiquement le traitement des informations de nature contextuelle chez le patient schizophrène, en utilisant une tâche dite « AX-CPT » où les sujets devaient répondre à des lettres X seulement si elles étaient précédées des lettres A (la lettre A représente ici l’indice contextuel de la tâche) (Barch et al., 2001 ; MacDonald et al., 2005 ; Perlstein et al., 2003 ; Servan-Schreiber et al., 1996). Les auteurs ont pu démontrer que les patients schizophrènes présentaient des taux d’erreurs plus importants que les sujets sains spécifiquement lorsqu’était présentée la lettre X sans être précédée de la lettre A (fausses alarmes). Ces faibles performances dans le traitement des informations de nature contextuelle chez le patient schizophrène ont été reliées à un défaut d’activation de la région dorsolatérale du cortex préfrontal. Ce trouble du traitement contextuel pourrait aussi être particulièrement spécifique des troubles du spectre de la schizophrénie, puisqu’il a été observé non seulement chez le patient schizophrène (Barch et al., 2001), mais aussi chez le patient souffrant d’un trouble de la personnalité schizotypique (Barch et al., 2004 ; McClure et al., 2008), ou chez les apparentés au premier degré des patients schizophrènes (Delawalla et al., 2008 ; MacDonald et al., 2003). Ce trouble du contrôle contextuel serait par ailleurs présent dès le premier épisode psychotique (MacDonald et al., 2005) et peu sensible aux traitements médicamenteux (Snitz et al., 2005).
Les subdivisions du cortex préfrontal dans la schizophrénie ont également été étudiées par des recherches investiguant l’activation des régions lors des processus de manipulation et de maintien de l’information en mémoire de travail. Perlstein et al (2001) ont ainsi été les premiers à utiliser une tâche de mémoire de travail dite « n-back task » pour mesurer l’activité cérébrale d’un groupe de patients schizophrènes dans des conditions où la charge en mémoire de travail augmentait de manière linéaire (le sujet devait se souvenir du stimulus présenté n fois avant le stimulus qu’il avait en face de lui) (Perlstein et al., 2001). Les auteurs ont pu démontrer qu’il existait bien une inaptitude, chez le schizophrène comme chez le sujet sain, à maintenir activement les stimuli en mémoire de travail lorsque leur charge était élevée, mais cette perturbation était présente à un niveau plus important chez les patients. En outre, ces déficits observés à l’échelle comportementale étaient reliés à des défauts d’activation de la région dorsolatérale du cortex préfrontal (BA 9 et BA 46) (Perlstein et al., 2001 ; voir aussi Cannon et al., 2005 ; Tan et al., 2005 ; Tan et al., 2006).
Paradoxalement, d’autres études ont montré que le cortex préfrontal dorso-latéral était hyperactivé lors de la passation de tâches de mémoire de travail (e.g. Callicott et al., 2000 ; Callicott et al., 2003). Une hypothèse intéressante permettant d’expliquer ces résultats est que la courbe de réponse du cortex préfrontal dorso-latéral en fonction de la charge en mémoire de travail est différente chez les patients comparativement aux témoins. En effet, chez les patients schizophrènes comme chez les sujets sains, il a été prouvé que l’activité au sein du cortex dorso-latéral préfrontal augmentait d’abord avec la charge en mémoire de travail, jusqu’à ce que les capacités en mémoire de travail soient épuisées et que l’activité du cortex préfrontal dorso-latéral diminue alors (courbe en U inversé). Les hyperactivations du dorso-latéral pourraient en fait être expliquées par le fait que la courbe de réponse du cortex préfrontal dorso-latéral en fonction de la charge en mémoire de travail est déplacée vers la gauche par rapport à celle des sujets sains (figure 9). De fait, les patients pourraient hyperactiver leur dorso-latéral pour de faibles charges en mémoire de travail (une observation qualifiée d’ « inefficience corticale » – cortical inefficiency), alors qu’ils hypoactiveraient leur dorso-latéral pour des charges en mémoire de travail plus élevées.

Table des matières

INTRODUCTION
1. Schizophrénie et fonctions exécutives.
2. Des fonctions exécutives au contrôle cognitif
3. Les théories du contrôle cognitif
a. Les théories du contrôle attentionnel top-down
b. Les théories précisant la subdivision du contrôle cognitif au sein du cortex préfrontal latéral
c. Le contrôle cognitif et la connectivité cérébrale.
4. Le contrôle cognitif chez le patient schizophrène
5. Le modèle en cascade du contrôle cognitif (Koechlin et al., 2003)
6. Problématique de la thèse
RESULTATS
1. PREMIERE ETUDE : Organisation du contrôle cognitif au sein du cortex préfrontal latéral dans la schizophrénie (Barbalat, Chambon, Franck, Koechlin & Farrer, Archives of General Psychiatry, 2009).
2. DEUXIEME ETUDE : Contrôle top-down au sein du cortex préfrontal latéral dans la schizophrénie (Barbalat, Chambon, Ody, Domenech, Franck, Koechlin & Farrer, soumis à Biological Psychiatry, 2009)
DISCUSSION
1. Principaux résultats.
2. Problèmes méthodologiques.
3. Apport du modèle en cascade dans la conceptualisation des troubles du contrôle cognitif dans la schizophrénie.
a. Des dysfonctions contextuelles primaires …
b. … aux compensations secondaires.
c. Un trouble de la connectivité au sein du cortex préfrontal latéral
3. Résumé schématique de nos résultats.
4. Perspectives
REFERENCES

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