La notion de risque comme clef du pilotage d’un parc patrimonial immobilier
Les piliers de la démarche
Nous avons tracé dans le Chapitre Deuxième plusieurs lignes de force qui vont sous-tendre notre méthode : • le recours à des notions transversales aux trois approches (risque, action et stratégie) • la gestion du cycle complet • la mise au centre de l’arbitrage • l’explicitation de la subjectivité • la prise en compte de la dimension temporelle • l’adaptation du niveau de description • la logique de simulation. Nous allons revenir et développer ces différents points, en vue d’une application concrète à notre objectif, le pilotage de la fonction immobilière.
Approche symbiotique – Risque/Action/Stratégie
Nous avons proposé dans le chapitre précédent de construire une nouvelle approche faisant synthèse des approches : action, risque et stratégie. Cette approche se traduira par l’élaboration d’une méthode puisant dans les différentes phases issues des approches précédemment citées (Figure 17). La sélection des phases répond à une triple problématique : • Répondre à l’objectif de pilotage de patrimoine immobilier • Récupérer les points forts de chaque approche • Assurer une cohérence globale de l’approche de synthèse 118 Chapitre Troisième : Vers une résolution Description Patrimoine Arbitrage Actions Suivi Actions État Risque Avec Action Évolution État Risque Sans Action Identification Objectifs Éléments d’une nouvelle méthode Définition Actions Réalisation Actions Définition Stratégie Identification Objectifs Définition Actions Réalisation Actions Suivi Objectifs Stratégie Risque Description Patrimoine Définition État Technique Définition Action Réalisation Action Action Identification Risques Définition Actions Réduction Réalisation Actions Réduction Évaluation Risques Modification Objectifs Valider Action Définition État Risque Figure 17 : Vers une nouvelle méthode Mais, il n’est pas ici question de simplement emprunter aux différentes approches. Comme nous l’avons signalé dans le Chapitre Deuxième, il y a des incompatibilités méthodologiques entre les méthodes qu’il nous faut corriger. Pour cela, il nous faudra introduire de nouveaux éléments, de nouveaux concepts. Il nous faudra ainsi exposer quels sont ces éléments qui vont pouvoir créer la complétude et la cohérence méthodologique nécessaires à la composition de notre méthode. Chapitre Troisième : Vers une résolution 119 I.2. Des fondations innovantes… I.2.1. Cycle complet Toute démarche performante pour le pilotage doit reposer sur la maîtrise d’un cycle itératif complet. Nous avons donc choisi de reprendre le cycle itératif classique tel que celui de la démarche PDCA, auquel nous apportons quelques modifications afin qu’il s’adapte au mieux à notre contexte (Figure 18). Analyser Suivre Réagir Améliorer Retour d’expérience Plan d’actions Tableau de bord Réaliser Initialiser Pilotage Actions Bilan Modification du plan d’actions Figure 18 : Cycle de pilotage retenu Initialiser : définir les règles de modélisation ; définir le système, le décrire. Analyser : identifier et évaluer les risques et les actions pouvant être entreprises ; construire un plan d’actions en cohérence avec la stratégie au travers d’objectifs à atteindre. Réaliser : mettre en œuvre le plan d’actions et en cela la stratégie. Suivre : suivre les actions décidées et ainsi la stratégie ; suivre l’évolution des risques (et donc de l’environnement). Réagir : modifier la planification des actions en tenant compte de l’évolution de la situation. Améliorer : tirer des bilans de l’écart entre situation réelle et situation projetée ; se baser sur cela pour améliorer le système ; modifier les règles de modélisation au besoin. 120 Chapitre Troisième : Vers une résolution Trois choses sont notables dans notre vision du cycle. La première chose est la présence d’une étape d’initialisation. Elle est généralement intégrée dans les démarches itératives classiques mais non explicitement modélisée. Elle correspond à une étape préalable qui nous permettra de fixer des règles de modélisation. Elle ne sera mise en œuvre qu’une seule fois à l’amorce du cycle. Lorsque celui-ci sera réellement en fonction, la modification des règles devrait se faire dans l’étape d’amélioration au regard des bilans établis dans les phases précédentes. On progressera alors pas à pas, améliorant progressivement les règles, sans avoir besoin de les redéfinir entièrement à chaque tour de cycle. La deuxième chose concerne l’étape de réalisation. Cette étape a été écartée du cycle complet, car elle est à la charge des différentes activités et n’appartient pas véritablement au pilotage. Mais elle restera bien sûr en contact étroit avec le cycle de pilotage. La dernière chose est la distinction entre réaction et amélioration. La réaction correspond à une adaptation rapide à une situation changeante (délai court) ; l’amélioration vise à rendre le processus plus efficient (délai long). Ce sont deux actions qui nous paraissent nettement distinctes et nous avons ainsi choisi de les séparer. De prime abord, la mise en place d’un tel cycle peut sembler une évidence. L’innovation peut ici apparaître absente. Pour autant, en examinant le terrain, on pourra constater que les pratiques en gestion de patrimoine ne sont pas en phase avec la volonté affichée de gestion du cycle. Ce décalage entre volonté théorique affichée et pratiques opérationnelles tient à la difficulté de la mise en œuvre du cycle. Les phases d’analyse et de réalisation sont généralement présentes (bien que pas forcément efficaces), mais le suivi et la réaction sont souvent lacunaires et l’amélioration simplement absente. Ces trois dernières phases exigent une action au long cours et non un effort ponctuel comme les premières. Le manque de méthode ou d’outil pour mener à bien ces missions, complexifie d’autant plus la tâche de ceux qui voudraient s’y essayer. Il émerge de ce constat une conviction. Il faut faciliter au maximum ces activités en proposant une méthode permettant un suivi simplifié, un système de réaction efficace et un processus d’amélioration opérationnel. C’est assurément l’une des clefs de son applicabilité et l’un des points majeurs de la méthode que nous souhaitons élaborer.
Du risque à l’Etat Risque
Nous avons exposé dans le Chapitre Premier, les différentes raisons (richesse de la notion, prise en compte des incertitudes, transversalité…) qui nous ont poussés à introduire la notion de risque et à Chapitre Troisième : Vers une résolution 121 la placer au centre de notre démarche de pilotage. Pour autant, on ne peut faire abstraction des réalités du domaine de la gestion de patrimoine immobilier, ni de la culture qui est sienne. Nous l’avons signalé dans le chapitre précédent, le pilotage est affaire de compromis. Il faut notamment trouver un compromis entre prise en compte de la complexité et capacité à appréhender le problème. Il faut réussir à garder un maximum de richesse tout en s’assurant que les notions et les processus en jeu seront bien compris par tous. Nous avons signalé à plusieurs reprises que le niveau de maturité de la gestion risque dans l’activité de gestion de patrimoine était assez faible. La vision du risque y est très appliquée. L’abstraction semble alors peu pertinente. Nous préférons adhérer à une vision appliquée du risque en introduisant le concept d’Etat Risque. L’Etat Risque représentera le niveau de risque associé à un élément du patrimoine. L’Etat Risque sera une notion clef qui fera le pont entre les concepts d’Etat technique et celui de Risque. Il aura l’assise empirique du premier tout en lui adjoignant une richesse propre au deuxième. L’Etat Risque représente une évaluation globale qui sera traduite par une note. Il fera synthèse des conséquences et des probabilités. Mais les conséquences inhérentes à un risque peuvent être très variées. Elles peuvent être de nature très différente, touchant aux personnes, au matériel ou encore à l’image de l’entreprise. Ces différents types de conséquences ne seront pas appréhendés de la même façon selon les personnes. Certains privilégieront certaines conséquences au détriment d’autres. Il paraît donc judicieux de garder apparentes ces différentes conséquences. Toutefois, du fait de la multitude de conséquences possibles, on ne saurait les garder toutes indépendamment. Nous proposons de les regrouper par type. Nous exprimerons ainsi les conséquences à travers différents domaines d’enjeux qui vont représenter différentes vues sur le risque, ciblant un enjeu particulier (économique, sécurité des personnes…). Cela permettra de prendre en compte les différents aspects du risque en limitant toutefois la multitude de conséquences possibles induites par un risque. C’est une façon de garder un jeu riche de connaissances sur le patrimoine immobilier mais qui restera facilement exploitable. Ainsi l’Etat Risque se déclinera selon différents domaines d’enjeux qui traduiront tout à la fois les spécificités du patrimoine et la stratégie menée. Il nous faut aussi signaler qu’au vu de la méthode d’aide à la décision retenue, il n’est pas nécessaire d’avoir des domaines d’enjeux indépendants. Ainsi on peut choisir des domaines d’enjeux qui sont partiellement communs ou qui se recoupent (par exemple le domaine réglementaire et le domaine de la sécurité). Il faut se représenter les domaines d’enjeux comme des visions sur le risque.
Au centre de la méthode, l’arbitrage
Le pilotage est avant-tout une activité de décision. Pour autant, nous avons pu voir dans le chapitre précédent que l’arbitrage était lacunaire dans les méthodes existantes. Les différentes méthodes permettent d’établir des listes d’actions à mettre en œuvre, mais ne nous disent que peu (sinon rien) sur la façon dont on peut les choisir ; soit qu’elles supposent que le gestionnaire de patrimoine dispose d’un budget infini, soit qu’elles considèrent que cette étape est trop simple (donc ne nécessitant nulle aide) ou trop complexe (donc impossible à formaliser). Ce n’est pas là notre point de vue. L’arbitrage, c’est à dire le choix des actions à intégrer dans le plan d’actions doit au contraire être au centre de notre méthode. Nous attacherons donc une attention toute particulière à la phase d’arbitrage. Nous avons vu que les méthodes d’aide à la décision utilisées classiquement (pourtant nombreuses) ne s’adaptent que mal à notre contexte particulier et ont peu de marge pour s’intégrer à notre modèle. C’est pour cela, que nous développerons une méthode d’aide à la décision originale, spécialement conçue pour s’adapter au contexte particulier de la gestion de patrimoine et en parfaite cohérence avec le reste de la méthode.
…pour une structure audacieuse
Explicitation de la subjectivité
Le pilotage est avant-tout une activité de décision. Or prendre une décision, est un acte éminemment subjectif. Nous préférons intégrer cette subjectivité dans notre démarche plutôt que de chercher à la masquer. A travers le choix de laisser apparents les opinions et les points de vue des différents acteurs, nous proposons la possibilité d’un dialogue plus ouvert entre eux. Nous introduirons dans la méthode plusieurs niveaux de formalisation de la subjectivité. La subjectivité apparaît dans l’utilisation de la notion de risque. Nous avons défini le risque comme une notion subjective (voir Chapitre Premier). La phase d’évaluation ne peut alors que se concevoir comme un acte subjectif. Pour intégrer cela, on assumera une évaluation experte. Même si cette valeur experte peut être basée (et c’est hautement recommandé) sur des données pointues ou des méthodes d’analyse qui prétendent à une certaine objectivité (de type sûreté de fonctionnement par Chapitre Troisième : Vers une résolution 123 exemple (cf. Chapitre Deuxième)), il n’en reste pas moins qu’à la fin, ce devra être au spécialiste de déterminer la note qu’il souhaite mettre. Nous choisirons volontairement une échelle de notation simplifiée permettant de mettre en évidence cette subjectivité. Dans bien des cas, vouloir estimer des probabilités en pourcentage ou des conséquences au centime d’euro près n’a que peu de sens. Ce n’est ni un gage d’objectivité, ni de qualité, mais simplement se méprendre sur les notions de précision et d’exactitude. Mettre une note revient pour nous, tout à la fois, à modéliser un élément d’un système dans un but de simplification et à conceptualiser une opinion dans une optique volontariste. En acceptant la subjectivité d’évaluation, on se rapproche plus, paradoxalement, d’un résultat fiable. Au niveau de la méthode d’aide à la décision, il faut aussi que cette subjectivité puisse être formalisée. Toute méthode d’aide à la décision multicritère doit intégrer une part de subjectivité. En effet à partir du moment où l’on veut comparer des critères différents, on est toujours obligé de leur donner une valeur, d’exprimer une préférence (que ce soit sous forme de poids, de pseudo-critères ou par tout autre système). Il s’agit bien évidemment d’exprimer une subjectivité (même si on peut ensuite « mouliner » ces préférences avec des méthodes purement mathématiques). Ces choix initiaux ont un impact majeur sur le résultat en sortie. Notre méthode devra ainsi se concentrer sur les choix du décideur. Le domaine de la gestion de patrimoine est un domaine politique, il est donc creux de penser que l’on peut substituer la question du choix par un outil automatisant tout le procédé. Il faut au contraire laisser les choix apparents. C’est une façon de permettre une vraie traçabilité de la décision et de responsabiliser les décideurs ; cela revient à redonner véritablement la prérogative de décision au décideur (en toute connaissance de cause) ce qui, il faut en convenir, est véritablement leur rôle. La part de subjectivité de la démarche doit donc être non seulement reconnue mais aussi organisée. I.3.2. Prise en compte du temps La gestion de patrimoine immobilier est prise dans un paradoxe. Le patrimoine immobilier possède une forte inertie (temps de construction d’un bâtiment, temps des travaux…) mais pour autant, son environnement (à commencer par l’entreprise) est sans cesse changeant. Des ruptures brutales peuvent subvenir, obligeant le patrimoine à évoluer sans délai. Si ce nœud gordien ne saurait être totalement tranché, il n’en reste pas moins qu’il est possible d’améliorer sensiblement cet état de fait par une gestion active du patrimoine. La gestion active ne peut que se fonder sur un pilotage faisant preuve tout à la fois de capacité d’anticipation et d’agilité. L’agilité est la capacité du 124 Chapitre Troisième : Vers une résolution système à réagir rapidement et efficacement à un imprévu. L’agilité du système pourra être fortement augmentée par une méthode assurant une bonne maîtrise des phases de Suivi et de Réaction. L’anticipation va consister à savoir prendre en compte l’évolution future du système et de son environnement afin de prévoir les actions qui permettront de diminuer les dangers et de saisir les opportunités. Pour cela, il nous faudra acquérir une vue prospective sur le patrimoine (vieillissement des équipements, des éléments de structure…) et sur son environnement (nouvelle réglementation, nouveaux besoins de l’entreprise…). On ne peut dès lors se contenter d’analyser les risques actuels, il faut aussi anticiper ceux futurs. Il nous faut aussi en parallèle concevoir les décisions à prendre à différentes échéances. On ne se contentera pas de définir des plans d’actions, en prévoyant les actions à réaliser pour une seule année, mais se déployant au contraire sur plusieurs années. On se place dans une logique pluriannuelle. I.3.3. Adaptation du niveau de description du patrimoine Le patrimoine immobilier est un système multidimensionnel. Il doit non seulement se concevoir dans les composantes temporelles et spatiales, mais aussi en terme de domaines techniques et d’organisation (voir le Chapitre Premier). La gestion de risque va ainsi se décliner selon ces différentes dimensions. On peut analyser les risques au niveau d’un équipement, d’un bâtiment, d’un domaine technique (électricité, structure…), d’un type de risque (risque naturel, risque incendie…) ou bien encore du patrimoine dans son ensemble. Selon le niveau défini, la précision des informations (risques et actions) devra être adaptée. Par exemple, si l’on doit arbitrer des actions de réduction des risques portant sur des centaines de bâtiments, on ne pourra pas directement mettre en concurrence les actions de niveau équipement (extincteur vide à remplir, tuyau à changer sur une chaudière, ampoule à changer…). Cela entraînerait une profusion telle d’informations, qu’il serait impossible de les gérer toutes et donc de faire un choix éclairé. Il faut donc selon le niveau considéré, utiliser des informations de niveau adapté. C’est là que rentre en compte la logique de consolidation. Celle-ci a pour objet de synthétiser les informations d’un niveau donné, pour les faire passer au niveau supérieur (Figure 19). Ainsi, on aura à chaque niveau une quantité d’information qui sera suffisamment limitée pour permettre de les appréhender toutes.
Chapitre Premier : Là où s’esquisse la problématique |