MISE EN TERRITOIRES DU COMMERCE ÉQUITABLE AU NOM DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

MISE EN TERRITOIRES DU COMMERCE ÉQUITABLE AU NOM DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Une intrigue à résoudre, un positionnement scientifique 

Mon objectif est de comprendre les constructions territoriales autour de la campagne ainsi que les territorialisations et territorialités multiples à l’œuvre sur les terrains d’étude. Quels sont les liens entre commerce équitable, territoire, développement devenu durable, dans les récits des acteurs ? Que révèlent leurs actions dans la campagne ? Quelles sont les valeurs véhiculées par le projet mais aussi énoncées par les acteurs ? Bref, quel est le sens et la signification de la mise en territoires du commerce équitable dans les Nords ? En étudiant les perceptions et les actions des villes de Lyon et Bruxelles, des synergies et des divergences ressortent des terrains : il s’agit de les saisir, de les étudier, et d’en comprendre les enjeux pour la campagne et pour le commerce équitable. Penser, concevoir et écrire la thèse suppose de mettre en récit l’intrigue, soit celle d’une territorialisation inédite du commerce équitable dans les Nords J’ai choisi de m’attacher à plusieurs dimensions de ce que je nomme un changement de paradigme pour le secteur : il est un projet territorial nouveau pour le secteur, il est un outil politique de communication et de visibilité de l’action publique, il définit des espaces questionnant les imaginaires du commerce équitable et un territoire du ressenti. Pour comprendre les multiples facettes de la campagne, deux principaux axes de réflexion guident l’écriture de la thèse. D’une part, il est proposé de contribuer à l’étude du commerce équitable sous un angle nouveau dans la discipline géographique, et ce au regard de la mise en lien entre commerce équitable et 4 Dont je suis membre depuis 2012. 11 territoire à travers la campagne « Fair Trade Towns ». L’approche consiste à comprendre les fonctionnements, les dynamiques et les processus territoriaux en œuvre dans cette campagne qui se décline de l’international au local. Quelles sont les différentes strates spatiales du commerce équitable ? D’autre part, il s’agit de saisir et d’analyser les différents objets spatialisés (territoire, ville, commune) et non spatialisés (valeurs, sentiments, perceptions) du commerce équitable, dans un champ étudié traditionnellement en économie par les flux d’échanges par filière de produits. L’ouverture des réseaux d’acteurs et des espaces annonce un changement de paradigme du commerce équitable. La problématique de la recherche s’intéresse en quoi la notion de « territoire » structure-t-elle les discours et les pratiques des acteurs impliqués dans la campagne « Fair Trade Towns ». Trois hypothèses guident le propos pour répondre aux questions initiales. L’hypothèse principale sert de fil directeur à la réflexion et l’écriture, tandis que les hypothèses secondaires permettent la construction du plan (parties 2 et 3). La première stipule que les dynamiques de la campagne « Fair Trade Towns » diffèrent selon leur ancrage local (H1). Les deux autres considèrent que la campagne « Fair Trade Towns » annonce une forme d’innovation de gestion territoriale pour le secteur du commerce équitable (H2) ; que le sens mais aussi l’essaimage du territoire sont limités du niveau global au niveau local de la campagne (H3) : objet aux contours flous, calqué sur les limites administratives des collectivités engagées, le « Fair Trade Town » serait un territoire-valise, dans un contexte de territorialisation accrue des politiques publiques. 

Pour une géographie des perceptions de l’espace 

La thèse s’inscrit dans un approfondissement marqué de la conception culturelle de l’espace, le territoire, depuis les travaux fondateurs de G. Di Méo (1998) : cette approche s’intéresse notamment à la manière de distinguer des territoires. La campagne « Fair Trade Towns » estelle un moyen de distinguer des territoires dans les termes d’une autre consommation, dans des discours défendant un commerce équitable ? Cette fabrique de territoires est portée et énoncée par des acteurs (Gumuchian et al., 2003) : quelles sont leurs visions, leurs perceptions, leurs pratiques, leurs intérêts et stratégies dans un projet commun de territorialisation du commerce équitable ? L’objet n’est pas de dresser une typologie des « Fair Trade Towns » sur une étude de deux villes, au risque de masquer les multiples acceptions de la campagne sur les terrains et d’évacuer les dynamiques tant à l’échelle collective (structures) qu’individuelle des acteurs. Je m’attache à distinguer plutôt des variables de comparaison permettant de lire les cas « les uns à travers les autres », dans la lignée des travaux conduits par H. Gumuchian sur le territoire (Gumuchian et al., 2007) : le « Fair Trade Town » comme support de réseau 12 d’acteurs ; comme élément territorialisant de réseaux d’acteurs ; et enfin comme marqueur spatial (campagne, titre, label). Ces variables de comparaison veulent articuler les échelles spatiales mais aussi d’acteurs, tout en pointant des éléments d’analyse convergents entre les deux terrains, mais aussi entre les deux coordinations nationales de campagne, en France et en Belgique. 

Pour une géographie de l’interface d’acteurs 

Dans un article paru en 2009 au Bulletin de la Société Géographique de Liège, Serge Schmitz joue à « Si j’étais une géographie… ». Celle-ci propose de « repérer puis rencontrer les acteurs, découvrir et comprendre les enjeux territoriaux de chacun, articuler ceux-ci » (Schmitz, 2009, p. 178). La thèse épouse cette approche de la géographie envisagée comme une manière privilégiée de comprendre les relations des sociétés et des individus avec les espaces. Pour les appréhender, trois axes d’étude des jeux d’acteurs questionnent la campagne « Fair Trade Towns ». Tout d’abord, la campagne témoigne de l’articulation entre les fonctionnements multiniveaux des territoires, déclinée en interactions entre différents niveaux d’organisation au sein d’un territoire (Larcena et al., 1995), à différentes échelles spatiales, et à différents niveaux institutionnels ou d’acteurs (Amiel et al., 2005). Tous entrent en contact par des points d’ancrage, des « interfaces multi-niveaux » (Lampin Maillet, 2010, p.17), que la campagne matérialise par l’octroi d’un titre à une collectivité. En outre, il s’agit également de mettre au jour les synergies et/ou les contradictions entre des stratégies d’acteurs (Veschambre, in Lévy, Lussault, 2003) tant sur la campagne que sur le territoire labellisé : pourquoi et comment les acteurs participent-ils à la campagne ? Leurs intérêts sont-ils tous de promotionner le secteur à l’échelle d’un territoire, comme le veut l’objectif de la campagne ? Enfin, une dernière question s’attache à l’ « appartenance » des acteurs impliqués à la campagne (territorialités). Les « Fair Trade Towns » constituent une lecture spatiale de choix pour comprendre des modalités de gouvernance, de prise de décision, mais aussi de concertation et de visions divergentes, dans des réseaux d’acteurs élargis pour le commerce équitable. 13 De la géographie du commerce à la géographie de la consommation : les « Fair Trade Towns », un laboratoire d’expérimentation ? L’introduction du commerce équitable dans les collectivités n’est pas sans poser des questions dans un contexte de concurrence des territoires à être le « plus durable » ou le « plus responsable » (Noisette, Vallerugo, 2010 ; Boisonnade, dir., 2015). Dans la multiplication des dispositifs et campagnes qui veulent promouvoir l’image « verte » des villes, celui des « Fair Trade Towns » insère clairement l’enjeu de la consommation, à l’échelle des marchés publics, mais aussi à l’échelle des pratiques individuelles. La campagne augure des tensions entre un projet d’action collective pour le commerce équitable et des marques individuelles d’appropriation de l’item « consommation » plus que celui du « commerce ». Le rôle donné aux collectivités locales comme principaux acteurs du commerce durable (Dugot, Pouzenc, dir., 2010) apporte une autre lecture des objectifs des acteurs du commerce équitable pour changer les règles du commerce international et le système dans son ensemble mais avec une dissolution dans le développement durable. La campagne « Fair Trade Towns » n’illustre-t-elle pas une limite du plaidoyer politique du secteur jusqu’à un lissage des discours vers « un » développement durable, vers « un » changement ? Enfin, la campagne opère un glissement d’une géographie du commerce à une géographie de la consommation : elle montre les interactions entre consommation – essentiellement de l’action publique -, sa signification identitaire (consommation responsable) et le systèmemonde (Lemarchand, dir., 2011). Les discours sur ces nouvelles praxis de consommation sont riches d’enseignements : quelles sont réellement les pratiques des collectivités engagées ? La campagne opère un basculement des discours du commerce équitable vers la consommation responsable : les mises en récit d’une autre consommation se tournent davantage vers le « local » et le « Nord », participant de la redéfinition du commerce équitable. 

L’organisation de l’enquête : présentation du fil narratif

 La thèse est construite en prenant en compte trois dimensions principales, comme le propose J. Le Gall (2011). Elle se structure dans un cadre conceptuel défini par les acteurs, le commerce équitable et le territoire ; et par un cadre méthodologique permettant la mise en exergue des relations entre acteurs et espaces (partie 1). Un cadre thématique transcende les deux autres cadres : les actions et stratégies des acteurs (partie 2) et les systèmes de valeurs des mises en récit de la campagne (partie 3) sont successivement explicités. 14 L’objectif de la première partie est de questionner le projet territorial de la campagne au regard de son inscription dans l’action publique locale. En d’autres termes, quels sont ses objectifs, ses critères, ses modalités de mise en place ? Il s’agit de montrer dans quelle mesure le territoire fonde la campagne « Fair Trade Towns » et dans quel contexte des politiques publiques durables. La campagne peut être lue à la fois comme un outil politique au service de l’action publique, un instrument du plaidoyer du commerce équitable pour ses acteurs, et aussi comme un levier pour des territoires appropriés par des configurations d’acteurs complexes (chapitre 1). Je n’ai pas choisi une comparaison terme à terme des terrains en tant qu’espaces urbains, mais plutôt une « mise en regard », un croisement des points de vue (Fleury, 2008) sur l’objet de la campagne. Cette recherche est résolument qualitative, fondée sur des entretiens, couplés à l’exercice du dessin, sorte de synthèse des récits sur la campagne par l’outil de la représentation graphique du territoire « Fair Trade Town » ; des observations directes et participantes d’évènements conduits par les collectivités choisies ou rencontres entre professionnels et chercheurs s’ajoutent à ce corpus (chapitre 2). Cette partie s’attache surtout à l’échelle de la campagne dans son ensemble et dans ses acceptions nationales et locales. La seconde partie s’intéresse à la dialectique de projet, entre sa conception et son application locale par des acteurs qui se le réapproprient. Elle questionne les pratiques et les discours des acteurs dans la campagne, essentiellement ceux des collectivités et des acteurs du commerce équitable, principales figures de la territorialisation du secteur. Les acteurs affichent des intentionnalités réelles et affichées pour le commerce équitable, révélant des jeux d’acteurs qui s’expriment dans le « faire », ou non, et dans le « dire » (chapitre 3). Il s’agit par ailleurs de comprendre les stratégies des acteurs dans leur investissement à participer à la campagne, à des degrés différents selon leurs possibilités, leurs sensibilités et leurs intérêts. Investir la campagne relève de visions et d’intérêts multiples, parfois divergents, entre les acteurs, même au sein des coordinations nationales de la campagne (chapitre 4). La campagne est tour à tour utilisée ou non, mise en valeur ou invisibilisée, et renvoie aux jeux d’acteurs partie prenante pour le développement durable sous l’angle du commerce équitable. Enfin, la dernière partie envisage les mises en récit de la campagne pour exprimer un système de valeurs. L’analyse des perceptions collectives et individuelles du territoire veut saisir la compréhension de la structuration du « Fair Trade Towns », ainsi que les fonctions qu’il revêt pour les acteurs. L’organisation du « Fair Trade Town » mais aussi les liens identifiés avec d’autres espaces et le monde sont au cœur du propos. Le « Fair Trade Town » est également un territoire de l’intime, du ressenti, mettant en avant des symboles et des marqueurs : il est un espace perçu plus que vécu qui vient enrichir l’étude d’un imaginaire spatial du commerce équitable (chapitre 5). Enfin, par leurs projections et leurs constructions d’un territoire pour le commerce équitable, les acteurs cherchent à légitimer leur place pour un « changement » global. Si les futurs de la campagne montrent des territorialisations multiples possibles mais incertaines, les tensions entre un Nord et un Sud sont porteuses d’une redéfinition du commerce équitable (chapitre 6). 

Table des matières

Introduction générale
Partie I. L’intrigue
La campagne « Fair Trade Towns », la mise en territoires du commerce équitable
Chapitre 1. Poser l’intrigue
La campagne « Fair Trade Towns », une lecture spatiale du commerce équitable
Chapitre 2. Résoudre l’intrigue
Pour une approche géographique du commerce équitable
Partie 2. « Action ! »
La dialectique d’un projet territorial pour le commerce équitable, reflet de jeux d’acteurs
Chapitre 3. Considérer les protagonistes
La campagne « Fair Trade Towns », des modalités d’action devant rassembler plus qu’elles ne rassemblent
Chapitre 4. Saisir des intérêts multiples
S’investir dans la campagne « Fair Trade Towns ». Entre stratégies d’appropriation et visions du commerce équitable
Partie 3. « Réactions »
Du récit aux récits territoriaux des acteurs pour exprimer un système de valeurs
Chapitre 5. S’attarder sur les lieux de l’intrigue
La structuration des « Fair Trade Towns », une géographie à plusieurs échelles
Chapitre 6. Déconstruire l’intrigue
Projeter un territoire ou créer un territoire pour le commerce équitable, tensions et enjeux
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes
Table des figures
Table des tableaux.

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *