INTERET THERAPEUTIQUE des HALLUCINOGENES Une nouvelle ère de la médecine psychédélique
Comme nous avons pu le constater précédemment, l’histoire entre les substances hallucinogènes et l’Humanité remonte à plusieurs milliers d’années déjà, et selon toute vraisemblance, leur importance dans notre évolution est nettement sous-estimée. Les plantes qui les contiennent font partie intégrante des pharmacopées des cultures dites « primitives », chez qui elles sont non seulement vénérées, mais surtout employées comme remèdes sacrés du corps et de l’esprit. Cependant, l’intérêt du monde scientifique moderne pour les éventuelles propriétés thérapeutiques de cette classe de molécules ne s’éveilla que tardivement. Et bien que naturellement présentes dans le monde végétal, c’est la découverte accidentelle des propriétés psychotropes d’un dérivé issu de l’hémi- synthèse qui les placèrent au premier plan : celles du célèbre acide lysergique diéthylamide, plus connu sous son acronyme « LSD ». La recherche sur les psychédéliques connait depuis quelques années un nouvel essor après plus de quarante ans d’absence. La nouvelle génération de chercheurs a, pour la grande majorité, peu entendu parler de cette classe de molécules, si ce n’est en tant que classe pharmacologique subissant les plus stricts contrôles légaux. Les psychédéliques ont pourtant suscité un vif intérêt parmi la communauté scientifique des années cinquante, tant pour leurs effets subjectifs hors du commun que pour leur potentiel médical dans le domaine de la santé mentale. Dans cette dernière partie, nous retracerons tout d’abord l’histoire entre le monde scientifique moderne et les hallucinogènes classiques, afin de mieux comprendre l’état de la recherche actuelle. Puis, après avoir expliqué selon quelles modalités ils sont employés en médecine, nous détaillerons quelques exemples d’indications pour lesquelles ils soulèvent de nombreux espoirs.
La recherche sur les psychédéliques : récit d’un passé mouvementé
C’est en 1938 que le chimiste bâlois Albert Hofmann (1906-2008) synthétisa pour la première fois le LSD-25, vingt-cinquième dérivé obtenu à partir des alcaloïdes d’un champignon parasite de certaines céréales, l’Ergot de Seigle (Claviceps purpurea). Hofmann travaillait alors sur de nouveaux agents vasoconstricteurs au sein de la firme pharmaceutique suisse Sandoz, sous la direction du professeur Arthur Stoll. A cette époque, et après des tests peu concluants réalisés sur l’animal (aucun effet pharmacologique notable mis à part une certaine agitation), la molécule fut considérée comme dénuée d’intérêt et son étude classée sans suite. Cinq plus tard, persuadé du potentiel que pouvait avoir sa molécule, Hofmann décida de reprendre les recherches sur ce vingt-cinquième dérivé. Alors qu’il s’attelait à sa purification, il découvrit accidentellement les propriétés psychotropes du LSD, en renversant sur sa main quelques gouttes de la solution liquide qu’il venait de synthétiser, vivant ainsi la première expérience de l’Homme avec ce puissant hallucinogène. Trois jours plus tard, il décida de retenter l’expérience en ingérant intentionnellement une petite dose de son composé dans le but d’en confirmer les effets époustouflants. Pris de fous rires incontrôlables, il quitta le laboratoire à bicyclette pour vivre le « trip » le plus célèbre de l’Histoire, en la journée du 16 avril 1943, jour qui sera plus tard baptisé « Bicycle Day » (le jour du vélo) en son honneur. Il décrivit cette expérience comme « un flot ininterrompu d’images fantastiques, de formes extraordinaires, avec des jeux de couleurs kaléidoscopiques très intenses. »
Les propriétés extraordinaires de modificateur des perceptions et de la conscience rapportées par le chimiste bâlois amenèrent certains chercheurs et thérapeutes à penser que le LSD pourrait être utile en psychiatrie, tout particulièrement aux États-Unis, pays alors traversé par un vif intérêt pour le développement personnel et pour de nouvelles approches psychothérapeutiques. Werner A. Stoll, fils d’Arthur Stoll et psychiatre à la clinique de Zurich, fut le premier à trouver cette substance psychoactive d’un grand intérêt pour le domaine de la psychiatrie en conduisant la toute première étude scientifique utilisant le LSD chez des volontaires sains et chez des patients psychiatriques, qu’il publia en 1947 dans la revue Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie. Il mit notamment en évidence la puissance incroyable de ce produit, ne nécessitant qu’une dose de 25 microgrammes pour être pleinement efficace, là où la mescaline nécessitait au moins 250 milligrammes. La firme pharmaceutique Sandoz le commercialisa dans la foulée, sous le nom de Delysid®, et le distribua aux psychiatres et psychologues du monde entier afin qu’ils puissent mener leurs propres essais cliniques.