Insuffisance rénale aiguë après hépatectomies majeures en protocole de réhabilitation améliorée après chirurgie incidence et outcomes
Le traitement chirurgical des tumeurs hépatiques ne cesse d’augmenter en raison d’une augmentation de la prévalence des tumeurs primitives, que ce soient des hépato ou cholangiocarcinomes, et secondaires. La chirurgie prend actuellement une place prépondérante dans le projet thérapeutique des tumeurs hépatiques puisqu’elle est la seule thérapeutique pouvant prétendre à des chiffres de survie entre 34 et 58% à un an et 25% à dix ans (1,2). Elle reste, à l’étage abdominal, grevée d’une morbi-mortalité importante avec une mortalité globale évaluée à 4% en chirurgie hépatique (3) Durant la dernière décennie, un intérêt croissant s’est porté aux insuffisances rénales après chirurgie abdominale, ces dernières étant associées aux complications à court terme comme l’allongement de la durée d’hospitalisation, les évènements respiratoires, le sepsis ou plus globalement la morbi-mortalité immédiate (4), comme à long terme avec une réduction des taux de survie et une augmentation de la survenue d’insuffisances rénales chroniques (5). On estime son incidence entre 3 et 21,8% après un geste de résection hépatique (6–16). Cette variation significative peut s’expliquer par des définitions variées et non standardisées, par des comorbidités ou indications chirurgicales différentes d’une étude à l’autre et se trouve principalement influencée par l’extension de la résection hépatique (17,18). Les mécanismes physiopathologiques conduisant à l’IRA au cours de la chirurgie abdominale semblent liés à la restriction hydrique, à l’insuffisance hépatique ou à l’importance de la réponse inflammatoire (SIRS) (19). Plusieurs facteurs de risque préopératoires ont déjà été identifiés dans des étudesantérieures et des méta-analyses (12,16). En revanche, les facteurs de risque peropératoires ne sont que rarement pris en compte, la plupart des études ne se concentrant que sur les données chirurgicales (manœuvre de Pringle, procédure ouverte…) (16,20) tandis que le déroulement de l’anesthésie avec ses répercussions hémodynamiques, la gestion des fluides ou encore des vasopresseurs n’ont été que peu étudiés. Cela est probablement d’une importance capitale compte tenu du développement de la RAAC en chirurgie hépatique et sa politique de restriction liquidienne. Dans une étude rétrospective portant sur la chirurgie colorectale (21), le protocole de réhabilitation améliorée a montré un impact négatif sur la fonction rénale en aiguë (16,8% d’insuffisance rénale contre 5,1% dans le groupe non RAAC). Bien qu’il s’agisse principalement d’insuffisances rénales non sévères et qu’elles n’aient pas affecté la durée du séjour, l’optimisation du protocole de RAAC doit rester un sujet préoccupant. Récemment, l’intérêt d’une prise en charge systématique en unité de soins intensifs après une chirurgie hépatique a été largement remis en question en l’absence de bénéfice clair démontré sur la mortalité et en raison d’un manque de rentabilité (22–24). Néanmoins, nous avons émis l’hypothèse qu’une prise en charge spécialisée, transitoire, dans une unité de soins intensifs serait bénéfique pour les patients de cancérologie comme l’ont montré Hourmant et al (25), à la fois pour améliorer la surveillance clinique comme paraclinique et afin de guider l’expansion volémique post opératoire. Il serait intéressant de déterminer, en fonction des facteurs de risque liés au patient et à la chirurgie, la durée nécessaire de surveillance en unité de soins intensifs qui permettrait d’assurer la détection et la prise en charge des complications postopératoires précoces telles que l’insuffisance rénale tout en présentant un coût acceptable. L’objectif principal de cette étude rétrospective observationnelle était d’évaluer l’incidence de l’insuffisance rénale aiguë postopératoire après une hépatectomie majeure gérée selon un protocole de RAAC et les facteurs de risque associés. Les objectifs secondaires étaient d’intégrer ces facteurs de risque au sein d’un score prédictif et d’évaluer l’association entre l’IRA postopératoire, la mortalité à un an et les complications postopératoires.
Recueil de données et définitions
Les données ont été manuellement extraites des dossiers électroniques des patients. Elles ont été enregistrées à l’aide de nos deux logiciels hospitaliers (Hôpital Manager et Metavision) et relues par deux médecins référents. Nous avons séparé les données en fonction de leur caractère pré (Tableau 1), per (Tableau 2) ou post opératoire (Tableau 4). Le suivi à court terme débutait le jour de l’opération et se terminait le 30e jour post opératoire. Le suivi à long terme concernait la première année postopératoire, sur la base du suivi chirurgical, des rapports des médecins correspondants, de l’évaluation biologique et d’autres données recueillies au cours des hospitalisations ou des visites ambulatoires. Dans un processus institutionnel de suivi systématique des patients, au moins une visite programmée tous les 3 mois est requise pour les patients d’oncologie sortis de l’hôpital. Le recueil de la morbidité concerne les événements respiratoires, l’insuffisance hépatique postopératoire, l’hémorragie, l’instabilité hémodynamique, le sepsis, la nécessité ou non de reprise chirurgicale identifiant ainsi des complications mineures (I-II) et majeures (III-V) selon la classification de Clavien-Dindo (26) dans la limite des 30 premiers jours postopératoires. Le débit de filtration glomérulaire a été estimé à partir des valeurs de créatinine sanguine par l’équation CKD-EPI. L’insuffisance rénale aiguë a été définie selon les critères KDIGO tel que recommandé par la dernière conférence de consensus (27), correspondant pour le stade 1 à la survenue de 1 des 2 items : 1) augmentation de la créatinine sérique de ≥ 26,5 μmol/L dans les 48 heures ; 2) augmentation de la créatinine sérique ≥ 1,5 fois la valeur de base, dont on sait ou présume qu’elle est survenue dans un délai de 7 jours. Les patients de stade II avaient des taux decréatinine entre 2 et 2,9 fois la valeur de base, les patients de stade 3 avaient des taux de créatinine supérieurs à 353,6 umol/l, 3 fois la valeur de base ou nécessitaient une épuration extra rénale.