Physiologie du Ca chez les mammifères et l’humain

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De nombreuses fonctions, à tous les niveaux d’organisation

La distribution si hétérogène du Ca2+ entre ces compartiments reflète l’adaptation de cette organisation aux fonctions qu’il remplit aux échelles intra- et extracellulaires. Il est impliqué dans des fonctions clefs dans le compartiment extracellulaire : il participe au maintien de l’intégrité et de la fonction des membranes en tant que cofacteur majeur de protéines (e.g. adhésion moléculaire, facteurs de coagulation, sécrétion d’enzymes) (Brown et MacLeod 2001). Il est, avec le phosphate, un composant majeur de la phase minérale de l’os. Dans les compartiments intracellulaires, il participe aux fonctions d’exocytose, à la contraction musculaire ou à la propagation de potentiels d’actions dans certains types de cellules nerveuses. Plus généralement, le Ca2+ est un second messager intracellulaire vital et ubiquiste, ce qui le place au c de la vie cellulaire, depuis la différenciation jusqu’à la mort programmée, l’apoptose (Clapham 1995, Berridge et al. 2000, Bootman 2012, Brini et al. 2013, Brown 2013) (Figure 1.3).

Interactions entre Ca2+ et protéines

Le Ca2+ interagit avec un très grand nombre de protéines en établissant des liaisons réversibles, d’af-finités et de spécificités variables, notamment grâce à un nombre élevé de coordinations (de 6 à 8) qui permettent son accommodation dans des sites protéiques de géométries irrégulières (Carafoli 2002, Brini et al. 2013). Il interagit principalement avec l’oxygène et présente une forte affinité pour les groupements carboxylates, qui sont fréquents dans les protéines (Katz et al. 1996, Jaiswal 2001, Brini et al. 2013). Le Ca2+ établit et rompt rapidement ces liaisons avec les protéines et cette cinétique en fait un cation particulièrement mobile. Ces interactions entre protéines et Ca2+ permettent le stockage de ce dernier, son transport transmembranaire, transépithelial ou dans les fluides intra- et extracellulaires, et enfin la régulation de l’activité d’enzymes et de protéines plus généralement.
Parmi les protéines libres liant le Ca2+ (Calcium Binding Proteins, CBP), deux grandes familles peuvent tre distinguées selon leurs rôles : i) les protéines « tampon » ou de transport, mobiles, qui stockent ou participent au transport du Ca extracellulaire (e.g. albumine, globuline), intracellulaire ou dans le lumen des organites (e.g. parvalbumine, Calbindines D9k et D28k ) ; ii) les protéines récepteurs de Ca2+, que ce dernier active ou inactive, et qui participent à la transduction d’un signal (e.g. calmoduline, troponine etc.). Les frontières entre les rôles de ces protéines sont cependant parfois floues puisque certaines de CBP remplissent ces deux rôles (e.g. Yáñez et al. 2012, Brini et al. 2013).
Les liaisons établies avec les protéines ayant le Ca2+ pour cofacteur sont suffisamment fortes pour induire des changements de conformation de ces protéines (Katz et al. 1996). Les changements de conformation induits par le Ca2+ permettent l’activation ou l’inactivation de ces protéines par fixation du Ca2+ sur des sites généralement non réactionnels. Le Ca2+ a en effet majoritairement un effet allostérique contrairement à nombre de métaux essentiels (Fe, Zn, Cu ou Mn) impliqués dans les réactions enzymatiques (Brini et al. 2013). Par ailleurs, ces liaisons sont suffisamment réversibles ce qui permet des échanges et donc des flux très dynamiques de Ca2+. Ainsi, les protéines CBP modulent le signal de Ca2+ dans l’espace et dans le temps. Les voies de signalisation dans lesquelles le Ca2+ est impliqué sont donc caractérisées par des vitesses de transduction variables selon les types et les structures des sites d’accueil des protéines, ces vitesses pouvant être particulièrement grandes.
Les activités de beaucoup de protéines sont régulées directement ou indirectement par le Ca2+, incluant les activités de nombreuses kinases et phosphatases, de facteurs de transcription, de la protéine ubiquiste calmoduline (CaM), ou encore de la troponine C au cours de la contraction musculaire.

Régulation du Ca2+ libre intracellulaire et rôle de second messager

La régulation de la concentration du Ca2+ libre cytosolique ([C a2+]cyt) est au cœur de son mode d’action. Les flux de Ca2+ sont régulés par 4 grands types de protéines transmembranaires :
— des canaux transmembranaires permettent la diffusion du Ca2+ selon le gradient de concentration donc depuis le milieu extracellulaire vers le cytosol. L’ouverture de ces canaux peut tre régulée par des potentiels d’action membranaires, des récepteurs d’hormones ou autres molécules ou encore des
variations de quantités de Ca2+ d’un organite.
— des échangeurs transmembranaires emploient le gradient électrochimique d’un autre ion (e.g.
Na2+) pour échanger ce dernier contre Ca2+, déplacé à l’encontre du gradient électrochimique, donc vers le milieu extracellulaire.
— des pompes Ca2+-ATP-asiques consomment l’énergie chimique de l’ATP pour transporter deux Ca2+ de l’autre côté de la membrane, à l’encontre du gradient électrochimique, donc vers le milieu extracellulaire ou le lumen d’un organite.
— des protéines tampon du cytosol et des organites participent à l’ajustement de la concentration de Ca2+ libre dans l’espace et dans le temps.
On peut distinguer quatre étapes principales de la signalisation (Figure 1.4 et Berridge et al. (2000), Brini et al. (2013)). L’arrivée d’un stimulus (chimique, mécanique ou électrique) induit la génération d’un signal mobilisateur de Ca2+, qui peut tre par exemple une première décharge de Ca 2+ lui-mme ou encore l’inositol 1,4,5 triphosphate (IP3). Le signal active le mécanisme de libération de Ca2+ du réticulum et/ou extracellulaire et donc l’augmentation de [C a2+]cyt. Ce processus est donc passif et met en jeu des canaux spécifiques au Ca2+ comme InsP3R, récepteur de IP3. La décharge de Ca2+ enclenche des processus sensibles au Ca2+ particulièrement variés, dépendant notamment du phénotype cellulaire. Enfin, l’excès de Ca2+ libre est évacué activement et plus ou moins rapidement du cytosol à travers l’action des pompes et échangeurs transmembranaires de la membrane plasmique ou des organites. La concentration en Ca2+ libre est également contrôlée par l’action de protéines tampon intracellulaires se liant au calcium (e.g. parvalbumine, les calbindine D9k et D28k ) et qui jouent des rôles de tampons chimiques en empchant l’action du Ca2+ sur d’autres protéines. La régulation de cette concentration cytosolique correspond à l’homéostasie calcique cellulaire.
La grande diversité des réponses à la transduction du signal d’un second messager unique est en grande partie due à la capacité de la cellule à exploiter les distributions spatiales et temporelles des signaux tran-sitoires de Ca (Rizzuto et Pozzan 2006, Bading 2013). Les protéines intervenant dans la régulation des flux de Ca2+ cellulaires sont exprimées de manière différentielle selon les tissus. Une des conséquences en est que les constantes de temps tissus-spécifiques des oscillations temporelles et spatiales de concentra-tions intracellulaires dépendent des phénotypes cellulaires. Les myocites cardiaques présentent ainsi des augmentations transitoires rapides de [C a2+]cyt, de quelques centaines de millisecondes permettant des contractions fréquentes du muscle cardiaque, chaque seconde ou moins. A l’inverse, des cellules non-excitables présentent des oscillations de plusieurs dizaines de secondes ou de quelques minutes, participant au contrôle de l’expression de gènes ou du métabolisme (Dupont et al. 2011).

Fonctions de l’os

Le Ca participe à l’architecture de la phase minérale de l’os en constituant 36 à 40 % en masse de l’hydroxyapatite, qui elle mme représente plus de 90 % de la phase minérale de l’os ( LeGeros et Legeros 1984). L’os spongieux ou trabéculaire (20 % de la masse osseuse), entouré d’os cortical plus dense (80 %), baigne dans la moelle osseuse, lieu de l’hématopoïèse, différenciation des cellules sanguines : érythrocytes, leucocytes et plaquettes (Del Valle et al. 2011).
Par ailleurs, l’hydroxyapatite participe aux fonctions de résistance, de rigidité et d’élasticité de l’os grâce à sa structure nanocristalline et à l’agencement de ces cristaux avec la matrice organique (Glimcher 2006). Indirectement, le Ca participe donc aux fonctions de locomotion, de support et de protection du squelette.
Enfin l’os, à travers les cellules osseuses (ostéoblastes, ostéoclastes et ostéocytes), présente une fonction endocrine et interagit à l’échelle de l’organisme avec d’autres organes (e.g. cerveau, reins, muscle, foie). Il est impliqué dans l’homéostasie de l’organisme total, en lien notamment avec le métabolisme énergétique, le métabolisme des graisses ou encore la fertilité, via par exemple les actions de la leptine ou de l’ostéocalcine, deux hormones respectivement interagissant avec et produites par l’os (Karsenty et Ferron 2012).

Homéostasie phosphocalcique

Le maintien de la concentration en Ca2+ libre du fluide extracellulaire conditionne le fonctionnement normal des processus cellulaires car il est le réservoir source des compartiments intracellulaires. On distingue la calcémie ionisée, notée ici [C a2+]librepl, qui se réfère à la concentration en Ca2+ libre du plasma, de la « calcémie totale » ou « calcémie » , notée [C a2+]pl , qui désigne la concentration en Ca2+ total du plasma. La calcémie est donc une mesure de la calcémie ionisée, variable régulée de l’homéostasie calcique, bien que le Ca2+ lié aux protéines circulantes ne soit pas impliqué directement dans l’homéostasie sur le court terme (Courbebaisse et Souberbielle 2011).
La régulation de la calcémie est couplée à la régulation de la concentration en phosphate inorganique du plasma [Pi]pl , également appelée phosphatémie. Le phosphate inorganique du plasma est réparti entre une forme ionisée (55 % environ), des complexes protéiques (10 %) et des complexes avec des cations inorganiques (35 %) (Courbebaisse et Souberbielle 2011). Bien que les mécanismes soient discutés (e.g. O’Neill 2007, Peacock 2010, Courbebaisse et Souberbielle 2011, Shroff et al. 2013, Lomashvili et al. 2014), le maintien du produit phosphocalcique, produit de [Pi]pl par [C a2+]pl , à des valeurs « basses » semble être primordial car des valeurs trop élevées pourraient induire directement ou indirectement des calcifications ectopiques et une valeur trop basse, une déminéralisation accrue.
L’homéostasie phosphocalcique met en jeu trois organes principaux, un organe de stockage de Ca2+ et Pi, l’os, et deux épithéliums, le rein et l’intestin, faisant l’interface entre les milieux intérieur et extérieur et participant à la régulation des flux entrant et sortant de l’organisme. Ces organes permettent d’équilibrer les entrées et sorties de Ca du fluide extracellulaire (Figure 1.5) et participent de la sorte au maintien de la calcémie ionisée dans la gamme vitale.

Rôle de l’os

L’os est un matériau modelé pendant l’enfance et en constant remodelage à l’âge adulte. Grâce à l’action conjointe de deux types de cellules, les ostéoclastes et les ostéoblastes, l’os est en permanence déconstruit et reconstruit (Figure 1.6). Les ostéoclastes sécrètent des protons et des enzymes vers la phase minérale ce qui a pour effets respectifs de dissoudre les cristaux d’hydroxyapatite et de digérer par hydrolyse la matrice organique, principalement des fibres de collagène type I (Teitelbaum 2000). Ces cellules sont dérivées de la famille des macrophages (Udagawa et al. 1990). Les ostéoblastes remplacent l’os détruit en sécrétant la matrice organique de l’os, ou ostéoïde, puis en régulant la minéralisation qui s’ensuit. Ils sont issus de la différenciation de cellules mésenchymateuses (Long 2011). Les microstructures héritées de ce remodelage sont les ostéons et les cavités de ces ostéons abritent des ostéocytes, provenant de la différenciation de certains ostéoblastes.

Table des matières

1 Introduction 
I Physiologie du Ca chez les mammifères et l’humain
A Une répartition hétérogène
B De nombreuses fonctions, à tous les niveaux d’organisation
C Homéostasie phosphocalcique
D Equilibres et déséquilibres calciques au cours de la vie et de la maladie
II Notions de géochimie des isotopes stables et isotopes du Ca
A Isotopes du Ca et notation « delta »
B Fractionnements isotopiques dépendants de la masse
III Etat de l’art de la physiologie isotopique du Ca
A Les débuts
B Alimentation et consommation de lait
C Effets trophiques et écologies des vertébrés
D Suivi dynamique de la balance osseuse
IV Problématique et plan de thèse
I Méthodes d’analyse
2 Principe général de l’analyse des compositions isotopiques du Ca par MC-ICP-M
I Mesures de rapports d’isotopes stables par MC-ICP-MS
A Spectrométrie de masse à torche plasma et multicollection
B Mesure de δ44/42Ca
C Contraintes analytiques du MC-ICP-MS et de l’analyse du Ca
D Préparation des échantillons
E Justesse et précision
II Analyses élémentaires par ICP-AES et ICP-MS
III Conclusion et développement de méthodes analytiques de la thèse
3 Protocole d’analyse des compositions isotopiques du Ca des tissus biologiques
I Introduction
II Article « A simplified protocol for measurement of Ca isotopes in biological samples »
4 Justesse des analyses, compilation et conversion des données de la littérature
I Compilation des standards de la littérature
A Description du travail de compilation
B Compilation des principaux standards
II Compilation des analyses de standards des travaux de thèse
III Conversion des données de la littérature
A Composition du SRM915a, justesse et principe de conversion
B Création d’une base de données de la littérature
5 Résolution spatiale des analyses de tissus minéralisés 
I Introduction
II Article « Precise analysis of Ca stable isotope variations in biological apatites using laser ablation MCICPMS »
II Les sources de Ca, de l’écosystème à l’individu
6 δ44/42Ca des tissus minéralisés et utilisation du Ca au sein des écosystèmes 
I Relation entre alimentation et os
II Milieu marin
III Milieu continental terrestre
IV Sources primaires de Ca environnemental des vertébrés
7 Estimation des compositions en isotopes du Ca de l’alimentation humaine
I Principe de l’étude
II Méthodes
A Estimation des distributions des δ44/42Ca des différents groupes d’aliments
B Modèle mathématique
III Résultats et discussion
IV Perspectives préhistoriques et historiques
8 Transitions nutritionnelles précoces 
I Introduction
II Article « Assessing human weaning practices with calcium isotopes in tooth enamel »
III Effets physiologiques : observations et modélisations
9 Distribution des isotopes du Ca dans l’organisme
I Introduction
II Matériel et méthodes
A Echantillons de moutons
B Echantillons de rats
C Echantillons humains
D Analyses des compositions isotopiques du Ca
III Résultats et relations entre les principaux réservoirs
A Relations entre os et Ca alimentaire
B Relations entre sang et urines
C Composition isotopique du sang et relations entre le sang et l’os
D Tissus mous, absorptions et excrétions
IV Mécanismes des fractionnements des isotopes du Ca
A Fractionnement rénal des isotopes du Ca
B Autres transports transépithéliaux
C Fractionnement à la minéralisation osseuse
D Fractionnements dans les tissus mous et Ca intracellulaire
V Mécanismes moléculaires possibles
VI Bilan et modèle conceptuel
A Fractionnements isotopiques
B Modèle conceptuel
10 Modèle de boîte 
I Introduction
II Méthodes numériques
A Programme Isopybox
B Principe et formalisme mathématique
C Construction du modèle isotopique pour le Ca des mammifères
D Principe de la résolution de l’état stationnaire
III Résultats et discussion
A Les fractionnements à la minéralisation suffisent-ils ?
B Les fractionnements à la minéralisation et à l’excrétion urinaire sont-ils compatibles ?
C Les effets du fractionnement rénal peuvent-ils être modérés par d’autres paramètres ?
D Comment expliquer les dérives des valeurs de δ44/42Ca sanguins et urinaires lors de
la perte osseuse induite ?
Conclusions et perspectives 
Annexes

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