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Dans la section précédente, Poincaré introduit une variété Σ en décrivant les modifications topologiques des sous-variétés de niveaux d’une fonction f définie sur Σ. Nous voyons ainsi qu’il y a un lien fort entre la topologie d’une variété, et l’ensemble des fonctions que l’on peut définir sur cette variété. Par ailleurs, l’exemple de Poincaré exhibe une fonction dont les com-portements locaux autour des singularités sont donnés par des modèles — des comportements quadratiques dans des coordonnées adaptées. Plus généralement, si V est une variété, une fonc-tion f ∈ C ∞(V, R), l’ensemble des fonctions lisses définies sur Σ et à valeurs dans R, permet de décrire, voire calculer, la topologie de V . Qui plus est, sous quelques petites hypothèses sur f, les changements de topologie des variétés de niveaux de f sont entièrement décrits par des modèles quadratiques locaux. C’est tout le but de la théorie de Morse. Il est temps de définir ce qu’est une fonction de Morse. Dans tout ce qui suit, V désignera une variété fermée de dimen-sion finie. Nous rappelons cependant que la théorie de Morse a aussi été utilisée pour l’étude de fonctions f : V → R où V est de dimension infinie, typiquement un espace de courbes (lisses par morceaux). C’est d’ailleurs une des utilisations importantes faites par Marston Morse, qu’on peut retrouver dans le livre de Milnor [29].
Définition 1.2.1. Soit f une fonction lisse sur V . La fonction f est dite de Morse si pour tout point critique p de f, pour tout système de coordonnées locales centrées en p, la hessienne (∂i∂jf(p))(i,j)∈{1,…,n}2 est une matrice inversible.
Si f est une fonction f : V → R et p est un point critique de f, nous dirons que p est non dégénéré quand sa hessienne est inversible dans un système de coordonnées locales. Une fonction est donc de Morse si tous ses points critiques sont non dégénérés. L’ensemble des points critiques d’une fonction f sera noté C(f). Nous avons existence d’un modèle local autour d’un point critique non dégénéré d’une fonction. Reprenant Poincaré [37, Complément V] :
Tout dépendra du nombre des dimensions et du nombre des carrés positifs et négatifs dans la décomposition de la forme f en une somme de carrés.
Lemme 1.2.2 (Lemme de Morse). Si p est un point critique non dégénéré d’une fonction f, alors il existe un système de coordonnées locales (yi)1≤i≤n centrées autour de p telles que dans ces coordonnées : f(y) = f(p) − yi2 + yi2. i=1 i=k+1
La présence d’un modèle local est extrêmement importante car elle nous permet une description fine de ce qui se passe autour de la singularité.
Définition 1.2.3. Avec les notations précédentes, l’entier k est l’indice du point critique p.
Une démonstration du lemme peut être trouvée dans n’importe quel ouvrage traitant de théorie de Morse. Nous référons à [29, Lemma 2.2] pour en trouver une.
Nous avons :
Proposition 1.2.4 (Densité des fonctions de Morse). L’ensemble des fonctions de Morse défi-nies sur une variété V est un ouvert dense pour la topologie C∞.
Une conséquence non négligeable de cette proposition est que l’espace des fonction de Morse définies sur V est non vide. Si on avait en face de nous une variété V et une fonction de Morse f : V → R dont nous connaitrions tout, nous pourrions procéder comme Poincaré pour sa sphère d’homologie, en décrivant niveau par niveau V . Les changements de topologie s’effectuent quand on passe un point critique, mais le modèle quadratique permet d’avoir une description précise de ces modifications.
Exemple 1.2.5 (Hauteur sur la sphère en dimension 2). Nous rajoutons un exemple autre que celui de Poincaré. Nous allons considérer deux fonctions de Morse sur la sphère de dimension 2, variété pour laquelle on peut « voir » ce qui se passe. La première fonction h : S2 → R est la fonction hauteur. Voyant S2 comme l’ensemble des points (y1, y2, y3) de norme euclidienne 1, la fonction hauteur est donnée par pr3 : (y1, y2, y3) 7→y3. La différentielle générale de pr3 est donnée par dpr3(y)(v) = v3. Son gradient est donné par le champ constant grad(pr3)(y) = (0, 0, 1). Un point y est donc un point critique quand son plan tangent est orthogonal à grad(pr3)(y), mais comme l’orthogonal de TyS2 est justement donné par la droite engendrée par y, un point y est critique quand il est colinéaire à (0, 0, 1). Seuls les pôles (0, 0, 1) et (0, 0, −1) sont critiques. Le premier est un maximum et le deuxième est un minimum. Autour de (0, 0, 1), dans les coordonnées (y1, y2) 7→(y1, y2, 1 − (y12 + y22)), la fonction est q (y1, y2) 7→ 1 − (y12 + y22).
Comme les coordonnées (y1, y2) sont centrées autour de (0, 0), on peut voir directement que le développement limité de la fonction dans ces coordonnées a son premier terme quadratique et que le point (0, 0, 1) est un point critique non dégénéré. On peut aussi trouver des coordonnées explicites (z , z ) données en fonction de (y , y ) en posant (y , y ) = r(cos(θ), sin(θ)) et (z1, z2) = ρ(cos(θ), sin(θ)) (c’est bien le même θ). On résout ensuite 1 − r2 = 1 − ρ2. Cette équation est équivalente à 1 − z12 − z22 = pr3(z). On obtient alors et le changement de coordonnées locales
(z1, z2) = r y12 + y22 , y12 + y22 )
1 − q1 − (y12 + y22)( en est bien un (c’est-à-dire, est inversible en 0).
Il suffit de voir que l’on a une symétrie de plan y3 = 0 pour montrer que (0, 0, −1) est bien un minimum non dégénéré.
Exemple 1.2.6 (Deuxième exemple sur la sphère en dimension 2). Le deuxième exemple montre la complexité qu’une fonction de Morse peut présenter et sera défini aussi sur la sphère S2. Ainsi on peut avoir deux fonction tout à fait différentes, l’une plus complexe que l’autre, sur le même objet, et il faut alors savoir que ces deux fonctions doivent donner les mêmes informations topologiques, ce qui sera au cœur de toutes les études ultérieures d’extensions de fonctions sans points critiques.
En première approximation, la plupart des êtres vivants sont descriptibles par des sphères S2. Nous en choisissons un, au hasard, dont nous présentons une vue d’artiste figure 1.8.
Une représentation plus manipulable et plus mathématique est celle représentée en figure 1.9. Nous considérons ainsi encore une fois la fonction hauteur, mais cette fois définie sur le plongement décrit en figure 1.9, comme fonction de Morse sur le morse.
Nous allons faire, à la Poincaré, une description visuelle de cette fonction de Morse. Nous observons un seul maximum, 4 minimums, et 3 points selles :
– après le premier minimum, la variété de niveau est un cercle ;
– après le deuxième minimum, un deuxième cercle s’ajoute, et la variété de niveau est une union de deux cercles ;
– le premier point selle va joindre ces deux cercles, et la variété de niveau au-dessus de ce point se réduit à un seul cercle ;
– on passe alors deux nouveaux minimums locaux et la variété de niveau au-dessus de ces deux minimums est l’union disjointe de trois cercles qui se réduisent à deux après le passage d’un point selle ;
– le passage du dernier point selle ne réduit plus qu’à un cercle la variété de niveau ;
– ce cercle s’éteint au passage du maximum global.
Nous pouvons peut-être penser qu’il paraît compliqué de savoir que la variété globale est une sphère en inspectant seulement les variétés de niveau. C’est cela le but de l’homologie de Morse, relier les données des variétés de niveau et leurs évolutions à la variété globale. Nous retrouverons cet exemple un peu plus loin pour un exemple de fonction de Morse non triviale pour laquelle il est aisé de trouver un pseudo-gradient adapté.
Implicitement, Poincaré utilise un objet en plus de la fonction de Morse définie sur Σ. Un objet qui permet de définir les cercles décrits sur la figure 1.6. Cet objet est un champ de vecteur particulier, que l’on nomme pseudo-gradient.
Pseudo-gradients
Nous considérons dans cette section une variété fermée V . Les objets que nous allons définir n’exigent pas d’avoir une variété qui soit fermée, mais nous n’allons les utiliser que dans ce cadre. Dans l’exemple de Poincaré, ce qui fait le lien entre le monde de la topologie différentielle — ou plus précisément, la fonction de Morse — et celui de la topologie algébrique est la donnée d’un pseudo-gradient adapté à notre fonction. Étant donnée une fonction de Morse f : V → R, un pseudo-gradient adapté à f est un champ de vecteurs sur V avec des propriétés telles que son flot va permettre une partition en cellule de la variété V et ainsi passer dans le monde de l’homologie. Ne perdons plus une seconde et donnons une définition précise :
Définition 1.3.1. Si f : V → R est une fonction de Morse, un champ de vecteurs X pseudo-gradient et adapté à f est un champ de vecteurs sur V tel que :
– pour tout point x ∈/ C(f), alors dfx(Xx) < 0,
– Si p ∈ Ck(f), alors il existe des coordonnées de Morse (yj)1≤j≤n centrées en p pour lesquelles f(y) = f(p) − y12 − … − yk2 + yk2+1 + … + yn2 et telles que
X(y) = (2y1, …, 2yk, −2yk+1, …, −2yn).
Un pseudo-gradient adapté à f joue donc le rôle d’un gradient pour f, et est même le gradient euclidien de la forme quadratique associée à des coordonnées de Morse autour d’un point critique p. Nous pouvons nous demander si X est effectivement un gradient pour le choix d’une métrique riemannienne définie sur V . La réponse est oui, que nous donnons dans la propriété suivante à titre indicatif.
Proposition 1.3.2. Si X est un champ pseudo-gradient adapté à une fonction de Morse f : V → R, alors il existe une métrique riemannienne g sur V telle que X = gradg(f). De plus, pour tout p ∈ C(f), la métrique g est une métrique euclidienne dans des coordonnées de Morse locales autour de p. Nous disons que g est adaptée à f.
Nous avons en fait une équivalence : il existe une métrique adaptée à f ⇔ il existe un pseudo-gradient adapté à f.
L’utilité du pseudo-gradient provient de son flot. Si on considère un point x ∈ V qui n’est pas critique, il va descendre sous l’action du flot φt de X (comprendre que le réel f(φt(x)) est strictement décroissant) et tendre vers un point critique. De même, φt(x) va tendre vers un autre point critique quand t tend vers −∞. On va donc pouvoir partitionner V en définissant des cellules, les points d’une même cellule tendant tous vers le même point critique sous l’action du flot à mesure que l’on fait tendre t vers +∞. Une autre partition peut être donnée en rassemblant tous les points qui tendent vers un même point critique sous l’action du flot quand t tend vers −∞.
Rappelons que V est compacte. En particulier, le flot φt engendré par un champ de vecteurs X pseudo-gradient adapté à une fonction f est complet, c’est-à-dire défini pour tous les temps t ∈ R. Définissons d’abord les variétés stables et instables d’un point critique p de f, qui vont donner les partitions cellulaires décrites ci-avant. La variété stable de p est l’ensemble :
W s p, f, X ):={ y ∈ V tels que t lim φt y ) = p , ( → + ∞ ( } et la variété instable 9 est : W u(p, f, X) := {y ∈ V tels que t lim φt(y) = p}.
Quand il n’y aura pas de confusion possible sur f et X, nous noterons simplement les variétés stables et instables d’un point p par W s(p) et W u(p).
Proposition 1.3.3. Si p est d’indice k, l’ensemble W u(p) est une sous-variété de V , ouverte, et difféomorphe à Dk. De même, W s(p) est une sous-variété de V , ouverte, et difféomorphe à Dn−k, où n est la dimension de V .
Pour démontrer cette proposition, il suffit de le démontrer dans le cas d’un champ de vecteur du type X(y) = (2y1, …, 2yk, −2yk+1, …, −2yn), pour lequel la proposition n’est pas loin d’être évidente.
Une remarque importante est la suivante : quel que soit y dans V , il existe un point critique p et un point critique q tels que y ∈ W u(p) ∩ W s(q). Un corollaire immédiat de la dernière phrase, issu de [45], est le suivant.
Proposition 1.3.4. Un champ de vecteurs pseudo-gradient X donne une partition de V en cellules. Nous avons V = 0 k n ∪p∈Ck(f)W u(p) .
Donné un couple (f, X) où f est une fonction de Morse sur V et X est un pseudo-gradient adapté à f, nous avons donc une structure de CW-complexe. Nous utiliserons les définitions suivantes. Définition 1.3.5. Si p est un point critique de f d’indice k et valeur critique α, l’intersection W u(p) ∩ f−1(α − ε) est difféomorphe à une sphère de dimension k − 1, que nous appelons sphère d’attachement de p. Nous la noterons σp quand il n’y a pas de confusion sur X, pour ε assez petit. L’intersection W s(p) ∩ f−1(α + ε) est difféomorphe à une sphère de dimension n − k − 1, que nous appelons sphère transverse de p. Nous la noterons σp∗.
Nous finirons cette sous-section par le résultat important :
Théorème 1.3.6. Soit V une variété compacte et f : V → R une fonction de Morse. L’ensemble des pseudo-gradients adaptés à f est non vide et connexe.
Idée de démonstration. Le fait que ce soit non vide utilise une partition de l’unité. La démons-tration de la connexité dérive de [5, p.168], qui énonce que les cartes de Morse autour d’un point critique d’indice k est homotopiquement équivalent à O(k, n − k). On considère un pseudo-gradient adapté autour d’un point critique et une carte de Morse associée (c’est-à-dire une carte pour laquelle le pseudo-gradient est le gradient pour la métrique euclidienne localement dans la carte). Changer les orientations des variétés stables et instables autour d’un point critique conserve le fait que le pseudo-gradient reste compatible avec la nouvelle carte de Morse. Donnés deux pseudo-gradients X1 et X2 adaptés à une fonction de Morse f autour d’un point critique, on peut donc supposer que les cartes de Morse associées sont dans la même composante connexe, par exemple celle de SO(k) × SO(n − k). On a donc un chemin entre les coordonnées associées
à X1 et celles associées à X2. On peut alors considérer le chemin de champs de vecteurs qui sont les gradients pour les métriques euclidiennes pour les cartes de Morse pendant le chemin. On obtient un chemin de pseudo-gradients adaptés à f localement autour d’un point critique qui joint X1 et X2. On peut trouver des chemins de pseudo-gradients autour de chaque point critique, et utiliser finalement une partition de l’unité pour avoir un chemin sur la variété.
Ce théorème sera très important car nous aurons besoin de relier deux pseudo-gradients adaptés à une fonction f par un chemin de pseudo-gradients adaptés à une fonction f. Les pseudo-gradients, comme nous l’avons déjà dit, font le pont entre la topologie différentielle et la topologie algébrique. Ce pont est décrit plus en détail dans la section 1.4 ci-après et dans la section 1.5 un peu plus loin.
Un peu de chirurgie
La théorie de la chirurgie commence avec l’article de Milnor 10 [28], et révèle toute sa puis-sance dans le célèbre article [13] sur les structures différentiables des sphères en grande dimension. La référence principale que nous utilisons est [39]. Nous n’irons pas très loin dans la théorie de la chirurgie. Nous expliciterons seulement l’équivalence entre « passer un point critique » et « réaliser une chirurgie » et l’effet sur les groupes d’homotopie des niveaux d’une chirurgie.
Figure 1.10 – À gauche, des variétés de dimension n avant une opération de k-chirurgie. De haut en bas, n vaut 1, puis 2, puis 1, puis 2 et encore 2. L’entier k vaut, de haut en bas, −1, puis −1, puis 0, 0 et encore 0. De la même manière, en passant de droite à gauche, on réalise une (n − k)-chirurgie sur une variété de dimension n.
Définition 1.4.1 (k-chirurgie). Soit V une variété de dimension n. Soit σ : Sk → V le plon-gement d’une k-sphère. Pour une métrique riemannienne sur V , on suppose que le fibré normal de σ dans V est trivial. On se donne alors un plongement ν : Sk × Dn−k → V , représentant une trivialisation du fibré normal de σ. Le résultat d’une k-chirurgie sur σ est une variété V 0 telle que V 0 est difféomorphe à V \ ν(Sk × Dn−k) ∪Φ Dk+1 × Sn−k−1 , où Φ est un difféomorphisme entre le bord de V \ ν(Sk × Dn−k) et Sk × Sn−k−1.
On donne plusieurs exemples de chirurgie en figure 1.10.
En collant un disque Dk+1 sur l’image de σ, on « tue » la classe d’homotopie de σ et on peut espérer obtenir une variété V 0 dont les groupes d’homotopie sont plus simples que ceux de V . C’est l’idée principale de l’article [13]. Voici le théorème qui précise cette idée, issu de [39, Proposition 4.19] :
Théorème 1.4.2. Reprenant les notations précédentes, si k ≤ n−21 et σ 6= 0 dans πk(V ), on a :
πj(V 0) = πj(V ) si j < k,
πk(V 0) = πk(V )/hσi,
où hσi est le sous-groupe normal de πk(V ) engendré par σ. Ce sous-groupe est isomorphe à Zσ quand k ≥ 2, puisque les groupes d’homotopie sont abéliens.
Nous n’aurons pas besoin de beaucoup plus que ça. Deux hypothèses sont très importantes pour pratiquer une chirurgie dans l’intention d’amputer de V une classe d’homotopie s ∈ πk(V ) :
1. il faut que s puisse être représentée par une sphère qui est plongée,
2. il faut que le fibré normal de la sphère plongée qui représente s soit trivialisable.
Supposant ces hypothèses, il faut aussi remarquer qu’on peut opérer des chirurgies différentes sur la même classe s. En d’autres termes, après chirurgie sur σ, la variété produite V 0 n’est pas unique, et dépend en fait de Φ (ou de la trivialisation du fibré normal de σ) et du choix du plongement σ qui représente s (en fait, quand la dimension de s n’est pas petite devant la dimension de n, car selon un théorème de Whitney, tous les plongements représentant s sont isotopes entre eux quand 2k + 2 ≤ n). On montre en figure 1.11 deux 0-chirurgies sur la même variété, une sphère de dimension 2, et sur la même classe s, la classe d’homotopie triviale, mais qui donnent deux variétés différentes : le tore et la bouteille de Klein.
Nous avons le fait suivant : Fait 1.4.3. Si σ : Sk → V borde un disque, alors on peut opérer une chirurgie sur σ telle que la variété V 0 ainsi produite soit difféomorphe à V ] Sk+1 × Sn−k−1 .
Ce fait sera utilisé pour la démonstration du théorème 2.5.8.
Nous terminons cette petite section en établissant le lien qu’il y a entre théorie de la chirurgie et théorie de Morse :
Proposition 1.4.4. Soit f : V → R une fonction de Morse, n la dimension de V . Si p est un point critique d’indice k de valeur critique c, alors f−1(c + ε) est obtenu de f−1(c − ε) par une (k − 1)-chirurgie opérée sur la sphère d’attachement de p.
On aura besoin plus loin d’utiliser la somme connexe de deux variétés orientées, définie dans [13], dont nous rappelons la définition ici.
Définition 1.4.5 (Somme connexe). Soient V et W deux variétés lisses connexes et orientées de dimension finie n. Soient ϕ1 : Dn → V et ϕ2 : Dn → W deux plongements du disque dans V et W respectivement tels que ϕ1 respecte l’orientation et ϕ2 la renverse. On considère l’espace topologique obtenu de (V \ {ϕ1(0)}) ∪ (W \ {ϕ2(0)}) en identifiant tout point ϕ1(tu) à ϕ2((1 − t)u), où t ∈ (0, 1) et u ∈ Sn−1. L’espace topologique V ]W est une variété lisse dont la structure différentielle ne dépend ni de ϕ1, ni de ϕ2. C’est la somme connexe de V et W .
La bonne définition de V ]W en tant que variété lisse vient du lemme de Palais [33], que nous rappelons ici :
Lemme 1.4.6 (Palais). Soient ϕ1 : Dn → V et ϕ2 : Dn → V deux plongements équi-orientés.
Alors il y a une isotopie H : V × I → V qui est l’identité hors d’un compact de V telle que H(•, 1) ◦ ϕ1 = ϕ2.
Ce lemme montre que la définition de la somme connexe ne dépend pas des choix de plon-gements ϕ1 et ϕ2.
On peut aussi définir une notion de somme connexe pour deux sous-variétés V et W dans la même variété Z, c’est le but de la définition suivante :
Définition 1.4.7 (Somme connexe le long d’un chemin). Soit Z une variété de dimension finie n. Soient V et W deux sous-variétés disjointes de Z de même dimension k, possiblement ouvertes, et orientées toutes les deux. Soient x un point de V et y un point de W . Soit γ : [0, 1] → Z un chemin lisse paramétré qui joint x à y, c’est-à-dire tel que γ(0) = x et γ(1) = y. Soit T : [0, 1] × Dk → Z un plongement tel que :
– T (s, 0) = γ(s) ; T { } × ˚k
– ( 0 D ) est un voisinage de x dans V avec la même orientation que celle induite de V ; T { } × ˚k
– ( 1 D ) est un voisinage de y dans W avec la même orientation que celle induite de W ;
– T (0, 1) × Dk est disjoint de V et de W .
L’ensemble \ T { } × ˚k ∪ T × k−1 ∪ \ T { } × ˚k V 0 D (0,1) S W 1 D est une sous-variété topologique orientée de Z, où D est la boule ouverte de dimension k. Quitte à la modifier par une isotopie topologique ambiante dans Z, on peut la réaliser comme sous-variété lisse de Z qu’on note V ]γW et qu’on appelle somme connexe de V et W le long de γ .
La définition précédente ne sera utilisée que dans la définition 1.8.1.
Nous donnons par souci de complétude :
Proposition 1.4.8. Il y a un cobordisme (Y, V ∪W, V ]W ) et une fonction de Morse f : Y → R telle que f n’a qu’un seul point critique, d’indice 1. En d’autres termes, V ]W peut-être obtenu de l’union disjointe V ∪ W par une 0-chirurgie.
La démonstration peut être trouvée dans [39, Chap. 4] par exemple.
Pour terminer, on donne en figure 1.12 une illustration de la procédure de la somme connexe.
Table des matières
Introduction
1 Notations
Chapitre 1 Théorie de Morse et autres mathématiques
1.1 La genèse, par Henri Poincaré
1.2 Retour dans le présent
1.3 Pseudo-gradients
1.4 Un peu de chirurgie
1.5 Homologie de Morse
1.6 Retour sur l’exemple de Poincaré, point de vue moderne
1.7 Chemins de fonctions génériques
1.8 Généricité des pseudo-gradients
1.8.1 Glissements d’anses
1.8.2 Accidents indépendants
1.9 Théorie de Morse à bord
1.10 Graphes de Reeb
1.11 Torsions de complexes de chaînes
Chapitre 2 Problème d’extension de germes sans points critiques de la sphère à la boule
2.1 Le problème
2.2 Résultats de Blank-Laudenbach et de Curley
2.2.1 Blank et Laudenbach : le cas du cercle
2.2.2 Curley : la sphère de dimension 2
2.3 Résultats de Barannikov
2.3.1 FMC et FMC sous forme canonique
2.3.2 FMC sous forme canonique, deuxième interprétation
2.4 Théorème principal : une condition nécessaire
2.4.1 G( ˜ f)
2.4.2 Le théorème principal
2.4.3 Différences avec le travail de Barannikov
2.5 La condition du théorème 2.4.6 n’est pas suffisante
Chapitre 3 Corollaires du théorème principal et cas de suffisances
3.1 Premiers résultats de suffisance
3.1.1 Germes triviaux
3.1.2 Mort sans points critiques
3.1.3 Il y a toujours un germe qui s’étend sans points critiques à un complexe de chaînes donné
3.2 Germes ordonnés
3.2.1 Définitions et suffisance de la propriété P
3.2.2 Stabilisation de germes ordonnés
3.3 Un peu d’algèbre linéaire à coefficients entiers
3.3.1 Problèmes et définitions
3.3.2 Question 3.3.1
3.3.3 Question 3.3.3
3.4 Une conjecture et quelques perspectives
Appendice : extensions de fonctions de Morse
Bibliographie