Évaluation de la performance d’entreprises dans le
contexte de la personnalisation de masse durable
Mesure de performance
Mesure de performance dans le cas général La performance est « la réalisation des objectifs organisationnels, quelles que soient la nature et la variété de ces objectifs. Cette réalisation peut se comprendre au sens strict (résultat, aboutissement) ou au sens large du processus qui mène au résultat (action)….» (Bourguignon, 2000). La mesure de performance permet d’atteindre des objectifs prédéfinis qui sont tirés des objectifs stratégiques de l’entreprise (Lohman et al., 2004) en utilisant des indicateurs de performance. Un indicateur de performance est une variable qui exprime quantitativement l’efficacité d’une partie de ou de tout un processus, ou système par rapport à une norme donnée ou une cible (Fortuin, 1988). La mesure de performance représente la formulation concrète de choix stratégiques de l’entreprise. Elle permet de traduire la stratégie en objectifs concrets et de faire le suivi de son déploiement. Examiner les mesures réelles par rapport aux prévisions permet de définir les zones de carence et donc, de prendre des mesures correctives (Lohman et al., 2004). Les résultats peuvent conduire à l’ajustement de ces objectifs. Les étapes typiques du développement d’un système de mesure de performance sont les suivantes (Neely et al, 1995; Lohman et al, 2004) : Définir la mission de l’entreprise. Identifier les objectifs stratégiques en découlant. Identifier les domaines fonctionnels qui permettent la réalisation des objectifs stratégiques. Élaborer des mesures de performance pour chacun des domaines fonctionnels et communiquer les objectifs stratégiques à des niveaux inférieurs de l’organisation. Utiliser le système de mesure de performance. Réévaluer périodiquement la pertinence des mesures établies. Par ailleurs, la complexité d’un système de mesure de performance peut être réduite par l’utilisation de techniques telles que le regroupement des paramètres en divers points de vue, la normalisation et l’agrégation des différentes mesures de performance (Lohman et al., 2004). Ces techniques facilitent en particulier le processus de décision. En fait, prendre une décision basée sur un grand nombre d’indicateurs est quasi-impossible. La réduction du nombre de ces indicateurs offre au gestionnaire, par exemple, un aperçu général de l’ensemble du système. 24 K. Medini Ghalayini et al. (1997) ont proposé un système intégré de mesure de performance où ils ont considéré trois domaines fonctionnels : le pilotage où sont définies les zones de succès, l’amélioration des processus en termes de seuils de performance, et le domaine opérationnel qui s’intéresse à la collecte des données. Cette méthode est assez structurée et implique différents niveaux de la hiérarchie de l’entreprise (ex. opérateurs, cadres, etc.) dans l’entretien du système de mesure de performance. Toutefois, son implémentation nécessite beaucoup d’investissement en termes de temps et d’argent. Différentes équipes doivent s’engager dans la collecte des informations et le suivi de la performance quotidiennement. L’application de la méthode peut également rencontrer des difficultés liées à la définition des zones de succès qui n’est pas formalisée. Fournir des zones de succès standards, au moins pour un secteur donné faciliterait la tâche aux utilisateurs de la méthode au niveau industriel. Les tableaux de bord équilibrés visent à produire un ensemble de mesures équilibrées (i.e. financière et non financière). Ils sont basés sur quatre points de vue, à savoir financier, client, processus internes et d’apprentissage, et perspectives de croissance. Kaplan et Norton (1996) ont défini un cadre procédural pour faciliter l’application des tableaux de bord qui a abouti à un système de mesure de performance. La première étape consiste à développer un consensus sur la stratégie de l’entreprise. La deuxième étape concerne la communication de la stratégie à différents niveaux organisationnels. Au cours de la troisième étape, l’entreprise intègre les plans d’affaires et financier. La dernière étape consiste au suivi de la performance. Si des propositions telles que Ghalayini et al. (1997) et Kaplan et Norton (1996) ont fourni un support méthodologique, la plupart des propositions pour la mesure de performance se focalisent sur la description de la structure du système d’indicateurs, il s’agit des cadres structurels (Folan et Browne, 2005). Récemment, la mesure de performance a été étroitement liée à la chaîne logistique et l’entreprise étendue (Lohman et al, 2004; Folan et Browne, 2005). La chaîne logistique est un réseau de partenaires interdépendants qui travaillent ensemble très étroitement pour réaliser un objectif commun à savoir, la satisfaction de la clientèle (Mentzer et al., 2001). Brewer et Speh (2001) ont élaboré un modèle à quatre points de vue du processus de gestion de la chaîne logistique dans lequel ils ont intégré la perspective des tableaux de bord équilibrés qu’ils ont élargie pour inclure les perspectives inter-fonctionnelles et de partenariat. Chan et Qi (2003) ont proposé un cadre d’évaluation basé sur le client, les fournisseurs, la logistique interne, le marketing et les ventes. Chacun de ces processus est divisé en sous-processus et Chapitre I: Etat de l’art 25 activités. Les mesures sont appliquées à des activités, ce qui donne la possibilité de les agréger en sous-processus. Supply Chain Operations Reference (SCOR) est une référence largement reconnue dans le domaine de la gestion de la chaîne logistique. SCOR intègre les processus, des indicateurs et des pratiques dans un cadre unifié pour améliorer la gestion et la communication au sein de la chaîne logistique. Cette référence couvre des chaînes logistiques de diverses complexités et dans de multiples secteurs (Supply Chain Council, 2010). Les indicateurs SCOR s’organisent autour des aspects de fiabilité, coûts, réactivité, et flexibilité. Dans cette section nous avons exposés quelques méthodes qui couplent plutôt l’aspect méthodologique (i.e. l’enchaînement des étapes) avec l’aspect structurel (i.e. catégorisations des indicateurs) d’un système de mesure de performance. Une analyse critique de 33 méthodes de conception et de mise en œuvre des systèmes d’indicateurs de performance se trouve dans (Ravelomanantsoa, 2009). Elle montre que malgré la multitude de ces méthodes, il manque souvent le support à la fois au niveau de la conception (i.e. sélection des bons indicateurs) et l’implantation (i.e. mise en œuvre). Cette idée renforce les constatations de Folan et Browne (2005) qui revendiquent que, dans la littérature, l’accent est mis sur l’aspect structurel des systèmes d’indicateurs de performance au détriment de l’aspect méthodologique. Dans les deux prochaines sections nous allons examiner la mesure de performance dans le contexte de durabilité et de personnalisation de masse. 5.2.Mesure de performance de durabilité 5.2.1. Outils de mesure de performance Les propositions en termes de mesure de performance de durabilité peuvent être classées en outils et méthodes. D’un point de vue outils de mesure de performance, les indicateurs et systèmes d’indicateurs ont marqué la littérature de l’évaluation de la durabilité. Dans les années 1990, Spangenberg et Bonniot (1998) ont proposé un système d’indicateurs qui couvre les dimensions économique, sociale environnementale et institutionnelle de la durabilité. Ils ont introduit des indicateurs d’interdépendance permettant de caractériser les interactions entre les dimensions classiques de la durabilité. En 2001, la Commission des Nations Unies pour le développement durable a proposé un cadre pour évaluer les efforts des gouvernements dans le domaine du développement durable (Nations Unies, 2001). 26 K. Medini Le cadre le plus courant qui couvre toute l’organisation est la « Global Reporting Initiative» (GRI). GRI précise les lignes directrices pour établir les rapports sur la performance des organisations. Elle est basée sur les indicateurs de développement durable relatifs aux aspects économiques, sociaux et environnementaux (Global Reporting Initiative, 2002; Brown et al, 2009). Deux ans plus tard, Labuschagne et al. (2004) ont proposé un cadre multi-niveaux pour évaluer le développement durable aux niveaux stratégique et opérationnel. Ils distinguent entre les initiatives opérationnelles et sociétales. Les initiatives opérationnelles couvrent les dimensions économique, environnementale et sociale à l’intérieur de l’entreprise, tandis que les initiatives sociétales caractérisent la responsabilité des entreprises envers la Société, dite « Corporate Social Responsibility » (CSR). 5.2.2. Méthodes de mesure de performance D’un point de vue méthodologique, une optique « de cycle de vie » a émergé depuis les années 90. Cette optique a été principalement axée sur le pilier environnemental de la durabilité. Selon le Programme de l’Environnement des Nations Unies (2009), l’optique cycle de vie est d’aller au-delà de l’approche traditionnelle au regard des processus de production de telle sorte que l’impact environnemental, social et économique d’un produit sur son cycle de vie complet, y compris la consommation et la fin de la phase d’utilisation, soit pris en compte. Plusieurs efforts ont été faits dans ce sens et ont été couronnés par la série de normes ISO 14040. Au-delà de cette série de normes, l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) a été largement discutée dans la littérature. Le premier guide de la méthode ACV a été publié en 2001 par le Centre des Sciences de l’Environnement (CML) (2001). Tel que défini par Rebitzer et al. (2004), l’ACV est un cadre méthodologique pour l’estimation et l’évaluation des impacts environnementaux du cycle de vie du produit. Concernant la dimension sociale de la durabilité, il y a moins d’avancées sur les plans scientifique et industriel. En effet, la caractérisation de l’impact social est plus compliquée que celle de l’impact environnemental vu que, par exemple, plusieurs aspects humains sont difficiles à quantifier avec des indicateurs. Toutefois, cette dimension est marquée par quelques initiatives comme celles de Dreyer (2009) qui a proposé un cadre pour l’évaluation de l’impact social du produit tout au long de son cycle de vie. La méthode générale est semblable à l’ACV classique même si certaines étapes sont différentes. Par exemple, l’allocation de l’impact social se fait au niveau de l’entreprise alors que dans l’ACV classique elle se fait selon les processus. L’étude comparative de Jorgensen et al. (2008) a mis en Chapitre I: Etat de l’art 27 évidence les zones d’accord et de désaccord au sein de l’ACV sociale. Dreyer et al. (2010a,b) sont allés plus loin dans l’amélioration de l’ACV sociale en proposant une méthode plus formelle pour caractériser l’impact social. L’optique cycle de vie a également marqué la dimension économique de la durabilité. Par exemple, le « Life Cycle Costing » est une méthode d’évaluation qui vise à prendre en compte tous les coûts connexes du cycle de vie du produit. La méthode a été largement utilisée dans de différents secteurs, mais jusqu’à présent il semble qu’il n’y ait pas de norme en la matière (Programme de l’Environnement des Nations Unies (UNEP), 2009). 5.3.Indicateurs sur la personnalisation de masse Yang et Li (2002) ont mis en place un système d’indicateurs pour l’évaluation de l’agilité des systèmes de production dans le contexte de personnalisation de masse. Jiao et Tseng (2004) ont proposé des indicateurs de personnalisation liés à la conception du produit et des processus de production. Ils ont utilisé une méthode floue pour évaluer l’agilité. Un indicateur qui mesure la flexibilité des opérations dans le contexte de personnalisation de masse a également été proposé par Welborn (2009). En parallèle avec ces initiatives, Blecker et al. (2006) ont établi un réseau d’influence où ils ont groupé des indicateurs pour retracer l’influence de certains paramètres sur la valeur perçue par le client. Plus tard, Daaboul (2011) a mis en place une méthode pour évaluer la faisabilité économique de la personnalisation de masse. Elle a tenté d’intégrer le critère de valeur dans l’évaluation économique d’une stratégie donnée. Son approche faisant appel à la chaîne de valeur (Daaboul et al., 2010) et utilisant la simulation à évènements discrets permet d’étendre le périmètre d’évaluation en intégrant différents acteurs contribuant à la production du bien ou service. L’évaluation de la durabilité et celle de la personnalisation de masse ont été souvent traitées séparément. Cependant l’intérêt de traiter conjointement les deux concepts résulte en quelques initiatives visant le couplage de leurs évaluations. La prochaine section s’intéresse au modèle d’évaluation développé dans le cadre du projet européen S-MC-S qui est le premier pas entamé dans cette voie. 28 K. Medini
Evaluation de la personnalisation de masse durable : le modèle d’évaluation S-MC-S
Cadre structurel du modèle d’évaluation S-MC-S
Le modèle d’évaluation S-MC-S couple les niveaux, produit, processus et chaîne logistique avec une perspective de cycle de vie du produit. L’originalité de ce modèle réside dans le développement d’un ensemble holistique d’indicateurs pour l’évaluation de la durabilité et la personnalisation de masse d’un espace de solution de personnalisation (Bettoni et al., 2013 ; Medini et al., 2011). Cet espace contient le produit, le système de production et la chaîne logistique. L’intégration de l’évaluation dans les activités de conception est faite par le biais d’un cadre structurel d’évaluation sur lequel repose le modèle d’évaluation. Ce cadre croise les activités de conception aux différentes phases du cycle de vie du produit. Il sert au développement des formules des indicateurs S-MC-S et permet de garder une trace de la contribution des activités de conception aux valeurs de ces indicateurs. C’est ainsi que le concepteur peut améliorer les valeurs des indicateurs en agissant sur les activités ayant le plus de contributions à leurs valeurs le long des différentes phases du cycle de vie du produit. La possibilité de voir l’impact des décisions de conception sur les indicateurs permet au concepteur d’améliorer progressivement la solution qu’il développe (Bettoni et al., 2013; Medini et al., 2012d).
Les indicateurs S-MC-S
Les indicateurs S-MC-S couvrent les différentes phases du cycle de vie du produit et reflètent la contribution du produit, processus de production et chaîne logistique. Ils ont été développés sur la base de l’analyse de l’état de l’art qui a montré un manque d’indicateurs notamment en ce qui concerne la dimension sociale de la durabilité. L’idée est de proposer un système d’indicateurs holistique et cohérent. Pour ce faire, tout indicateur à sélectionner doit être : Mesurable : l’impact mesuré et ses sources peuvent être traduits en une mesure quantitative. Compréhensible : l’indicateur est facile à comprendre, même par des personnes qui ne sont pas des experts. Exploitable et pertinent : l’indicateur mesure quelque chose qui est important pour la société, il doit pouvoir mettre en évidence des problèmes existants et permettre l’amélioration de la performance de durabilité et le niveau de personnalisation de masse. Équilibré et intégré : les indicateurs sélectionnés donnent une vue d’ensemble des enjeux de personnalisation de masse durable. Capable d’influencer le changement : les informations fournies par les indicateurs sont utiles pour les décideurs au sein de l’entreprise. Les indicateurs permettent aux décideurs de savoir quelles seraient les mesures correctives nécessaires. Fiable : l’indicateur fournit une information fiable. Réalisable : l’indicateur est fondé sur des données accessibles, les informations sont disponibles ou peuvent être recueillies pendant qu’il est encore temps d’agir. Flexible : l’indicateur est souple et polyvalent, il doit couvrir différents types de produits, processus de production et chaînes logistiques. Au final, 40 indicateurs (cf. annexe A) ont été sélectionnés et leurs formules ont été développées en utilisant le cadre structurel décrit dans la section précédente. La prise en compte de toutes les phases du cycle de vie du produit forme un défi majeur notamment avec l’hétérogénéité des aspects sociaux, environnementaux et économiques. Plus particulièrement la caractérisation de l’impact de chacune des phases du cycle de vie du produit doit suivre la même logique pour tous les indicateurs afin d’assurer leur cohérence. Cela reste difficile à atteindre surtout en ce qui concerne les indicateurs de la personnalisation qui ne dépendent pas forcément de plusieurs phases du cycle de vie du produit. Toutefois, les indicateurs S-MC-S couvrent un spectre large des aspects liés à la durabilité avec ses trois dimensions et à la personnalisation de masse. Leur généricité est un atout de leur utilité, déjà prouvée par l’application au secteur de cuisines, chaussures et machines de découpe de pierre.
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