Température effective d’un système hors équilibre :
fluctuations thermiques d’un microlevier soumis à un flux de chaleur
Modélisation pour une température uniforme
Description analytique de la poutre
Nous montrons dans le chapitre précédent que la déformation d’un micro levier est décrite par la deflexion d(x, t), avec t le temps, et x la coordonnée spatiale le long du levier. L’équation du mouvement du micro-levier s’écrit : µ(x) ∂ 2d ∂t2 + ∂ 2 ∂x2 E(x)I(x) ∂ 2d ∂x2 = f hydro(x, t) + f ext(x, t) (3.1) où µ est la masse linéique, EI la rigidité à la courbure du micro-levier (E est le module d’Young, I le second moment d’inertie), f hydro la force d’amortissement par unité de longueur, et f ext la force extérieure. En présence de forces dissipatives nous faisons l’hypothèse que la dissipation est linéaire en fonction de la déflexion. Cela est le cas pour les dissipations visqueuses liées au fluide environnant. On peut ainsi écrire dans l’espace de Fourier [3, 40] : f hydro(x, ω) = −iωγ(ω)d(x, ω) (3.2) Cette relation est équivalente à avoir une force dissipative proportionnelle à la vitesse avec un coefficient de proportionnalité γ. Notons que dans le vide, seules les dissipations mécaniques internes au levier peuvent apparaitre. Il est alors possible d’utiliser un module d’Young complexe, conduisant à : f dis(x, ω) = −iωγ˜(ω) ∂ 4d ∂x4 (x, ω) (3.3) Pour simplifier la suite de notre étude, nous nous placerons dans le cadre de l’équation (3.2). γ(ω) varie généralement lentement avec ω [40], et la dissipation est faible (facteur de qualité grand), ainsi, pour chaque résonance une simple dissipation visqueuse est une bonne approximation de f hydro . On peut noter que la présence d’air autour du micro-levier induit des effets inertiels qui peuvent être pris en compte dans le modèle de Sader comme une masse ajoutée [40]. À cause de l’échauffement du levier par le laser à son extrémité, sa température n’est pas uniforme. Nous supposerons dans ce qui suit, que le profil de température est uniforme sur la section du levier et ce, indépendemment du temps. Ainsi, le profil de température peut s’écrire : T(x) = T0 + θ(x) (3.4) 3. Modélisation du décalage en fréquence 47 Où T0 est la température ambiante et θ(x) est la différence de température le long du levier. Ce profil de température va localement modifier les propriétés physiques du levier (et éventuellement celle de la masse d’air environnant le levier). Dans une première approche, nous ne considèrerons que les variations du module d’Young et des dissipations en fonction de la température, nous négligerons donc les dilatations spatiales du levier. En effet, le coefficient linéique d’expansion thermique du silicium αl ≈ 2.6 × 10−6 K−1 est un ordre de grandeur plus petit que celui de la dépendance en température du module d’Young [20] : αE = 1 E ∂E ∂T ≈ −64 × 10−6 K −1 (3.5) De plus, nous considérons seulement une correction au premier ordre du module d’Young : E(T) = E0(1 +αEθ). Nous pouvons réécrire l’équation (3.1) dans l’espace de Fourier pour expliciter la dépendance en température de la déflexion du levier : − mω2 d + k0 3 ∂ 2 ∂x2 (1 + αEθ(x)) ∂ 2d ∂x2 + iωγ(ω)d = f ext(x, ω) (3.6) où m et k0 sont la masse et la raideur statique du micro-levier (k0 est définie à température ambiante T0), et x est à présent normalisé à la longueur L (x = 1 à l’extrémité libre du micro-levier). En l’absence de force excitatrice externe, les conditions aux bords de l’équation (3.1) sont celles d’une poutre encastrée (x = 0) et d’extrémité libre (x = 1) : d(x=0, ω) = 0 ∂d(x, ω) ∂x x=0 = 0 (3.7) ∂ 2d(x, ω) ∂x2 x=1 = 0 ∂ 3d(x, ω) ∂x3 x=1 = 0 (3.8) 3.1.2 Fréquence de résonance à température ambiante Commençons par étudier les modes propres dans le cas où θ(x) = 0. De cette façon, l’équation (3.6) devient : −mω2 + k0 3 ∂ 4 ∂x4 + iωγ(ω) d = 0 (3.9) Qui peut se réécrire comme : −mω2 + k 3 L0 + iωγ(ω) d = 0 (3.10) 48 Température d’un système hors équilibre Avec l’opérateur L0 = ∂ 4/∂x4 dans l’espace D des fonctions qui remplissent les conditions aux bords (3.7) et (3.8). Cet opérateur est auto-adjoint sur cet espace pour le produit scalaire définit comme : φ ψ = Z 1 0 φ(x)ψ(x)dx → L0φ ψ = φ L0ψ (3.11) Ses valeurs propres λ 0 n sont définies telles que : L0φ 0 n = λ 0 nφ 0 n (3.12) Les vecteurs propres de l’opérateur L0 forment une base orthonormée de D. Ils sont les modes normaux d’une poutre encastrée-libre dans le modèle de Euler-Bernouilli : φ 0 n (x) = (cos αnx−cosh αnx)− cos αn + cosh αn sin αn + sinh αn (sin αnx−sinh αnx) (3.13) où αn est la n ieme solution de l’équation : 1 + cos αn cosh αn = 0 (3.14) qui conduit à α1 = 1.875, α2 = 4.694, . . . , et αn = (n−1/2)π pour n grand. Les valeurs propres λ 0 n de l’opérateur L0 correspondantes aux modes propres sont alors λ 0 n = α 4 n : L0φ 0 n = λ 0 nφ 0 n = α 4 nφ 0 n . On projette ensuite l’équation (3.6) sur cette base pour obtenir l’évolution de l’amplitude de chaque mode : −mω2 + k0 3 λ 0 n + iωγ(ω) dn(ω) = f ext n (ω) (3.15) avec dn = dφ 0 n , f ext n = f extφ 0 n . L’équation (3.15) est celle d’un oscillateur harmonique de masse m et de raideur kn = k0λ 0 n/3. Les pulsations propres ωn des oscillations sont reliées aux valeurs propres spatiales par la relation de dispersion : mω2 n = k0 3 α 4 n = k0 3 λ 0 n = kn (3.16)
Décalage en fréquence pour un profil de température uniforme
Si on considère à présent une élévation uniforme de la température θ = ∆T 6= 0, avec αE∆T 1, c’est à dire ∆T 104K. L’équation (3.6) s’écrit : −mω2 + k0 3 (1 + αE∆T) ∂ 4 ∂x4 + iωγ(ω) d = 0 (3.17) 3. Modélisation du décalage en fréquence 49 Qui peut se réécrire : −mω2 + k0 3 L + iωγ(ω) d = 0 (3.18) Avec L = (1 + αE∆T)L0. Les vecteurs propres de l’opérateur L sont les mêmes que ceux de l’opérateur L0 définis par l’équation (3.13). Les valeurs propres λn de l’opérateur L correspondant aux modes propres sont alors λn = (1 + αE∆T)λ 0 n : Lφ 0 n = λnφ 0 n = (1 + αE∆T)α 4 nφ 0 n . On projette ensuite l’équation (3.6) sur cette base pour obtenir l’évolution de l’amplitude de chaque mode : −mω2 + k0 3 (1 + αE∆T)λ 0 n + iωγ(ω) dn(ω) = f ext n (ω) (3.19) avec dn = d φ 0 n , f ext n = f ext φ 0 n . L’équation (3.19) est celle d’un oscillateur harmonique de masse m et de raideur kn(1 + αE∆T). En utilisant le fait que λn = (1 + αE∆T)λ 0 n on peut écrire : ∆λn λ0 n = αE∆T (3.20) Qui permet de réécrire la relation de dispersion (3.16) comme : ∆ωn ωn = 1 2 ∆λn λ0 n = 1 2 αE∆T (3.21) Expérimentalement ∆T ne nous est pas accessible, par contre, nous pouvons, à l’aide de filtres modifier l’intensité lumineuse du laser, et donc, à un coefficient d’absorption près, faire varier la température. Nous avons donc la relation de proportionnalité suivante : ∆ωn ωn = 1 2 αE∆T ∝ αEI (3.22) où I est l’intensité lumineuse incidente. 50 Température d’un système hors équilibre
Mesure expérimentale du décalage fréquentiel
Nous effectuons des mesures sur deux types de leviers en silicium et sans revêtement de géométries différentes : — des micro-leviers C100 de longueur L = 500 µm, de largeur W = 100 µm et d’épaisseur H = 1 µm (NanoWorld Arrow TL8). — des micro-leviers C30 de longueur L = 500 µm, de largeur W = 30 µm et d’épaisseur H = 2.67 µm (BudgetSensors AIO-TL). Nous mesurons la densité spectrale de puissance (DSP) des fluctuations thermiques des leviers en utilisant notre interféromètre. Afin d’évaluer le décalage en fréquence, nous effectuons, pour différentes intensités lumineuses I, un ajustement de chaque résonance sur les courbes de DSP par une fonction Lorentzienne pour en extraire les fréquences de résonance fn de chaque mode n. Nous traçons en figure (3.1) et (3.2) les mesures du décalage en fréquence ∆fn/f 0 n pour chaque mode n en fonction de l’intensité lumineuse I du faisceau laser sur l’extrémité libre du levier. f 0 n est défini comme l’ordonnée à l’origine d’une régression linéaire de fn en fonction de I, de sorte que ∆fn = 0 pour I = 0. On remarque qu’il existe une dépendance entre le décalage en fréquence ∆f et l’intensité lumineuse I (figures (3.1) et (3.2)). La dépendance de ∆f en intensité I s’explique par le fait que lorsqu’on augmente l’intensité lumineuse, on augmente le flux de chaleur J~ et donc, grâce à la loi de Fourier : J~ = −λSi∇~ T, on peut en déduire qu’il existe un gradient de température plus grand dans le levier. Cependant l’équation (3.22) suggère que le décalage en fréquence ∆fn/f 0 n devrait être indépendant de n, or les figures (3.1) et (3.2) montrent l’inverse. Il nous faut donc revenir sur la notion de profil uniforme de température dans le levier. En effet, le laser ne chauffe qu’une extrémité du levier (l’extrémité libre du levier). Le levier va conduire la chaleur jusqu’à l’encastrement qui est à température ambiante, et qui va donc dissiper la chaleur. Ainsi la température n’est pas constante dans le levier, il existe, grâce à la conduction thermique, un profil de température non uniforme.
1 Introduction |