La construction d’une politique publique en faveur des patrimoines et la place des associations locales
LA CULTURE, VECTEUR DE LIEN SOCIAL
P.-A. Landel insiste sur le fait que la culture est toujours source de regard décalé1 . De plus, elle a un rôle primordial à jouer dans la construction de normes spécifiques au territoire et ainsi de s’adapter (ou résister) aux normes imposées par l’extérieur, comme l’Etat. Enfin, l’une des clés de développement de la culture en milieu rural est la qualité du dialogue entre pôles institutionnels culturels et associatifs. C. Pigeassou et J. Pruneau estiment que le lien social, dans une acception générale, pourrait être défini comme « un ensemble de forces (analysant des rapports) ou de caractéristiques (décrivant des traits) ou de mécanismes (étudiant les interactions) qui permettent de relier les individus entre eux et, simultanément, de rattacher chaque individu à une collectivité2 ». Le lien social décrit le mode selon lequel un individu invente en même temps qu’il reproduit son intégration dans les groupes auxquels il participe. D’apparition récente, comme le rappelle A. Bernard, l’expression de lien social sous-tend la question du comment faire pour que des individus, avec des dispositions opposées, dotés de chances sociales inégales, mus par des sentiments et des intérêts contraires puissent arriver néanmoins à construire un vivre-ensemble collectif3 . Derrière ce mot, se trouve celui de « rassemblement ». Aussi, le Parc naturel régional porte une politique culturelle sur le territoire au travers d’une animation et du recours au regard artistique. Il doit faire face à des enjeux d’initiation mais aussi d’articulation et de coordination d’opérations culturelles valorisant le patrimoine culturel ou ses acteurs. L’implication d’un de ses chargés demeure très prégnante dans la mémoire collective, en particulier dans celle des associations de patrimoine.
LA POLITIQUE CULTURELLE DU PILAT : ALLER A LA RENCONTRE DES HABITANTS
La vie culturelle est mentionnée dès la charte constitutive comme une mission à déléguer à l’Association des Amis du Parc naturel régional du Pilat. Dans ce contexte, elle se définit comme : « tous les programmes saisonniers d’animation et les manifestations de types divers, tels que festival, expositions, spectacles, stages, manifestations sportives4 ». Par rapport aux missions généralement dévolues aux PNR, l’animation culturelle apparaît comme spécifique du Parc du Pilat5 . En effet, dès sa création, elle est affirmée comme une action d’accompagnement à ses autres missions. L’animation culturelle conduite par le PNR s’est efforcée de « faire participer les habitants en réhabilitant la fête, en animant, en formant, en aidant matériellement et techniquement les associations locales1 ». L’animation représente un moyen de créer un climat de convivialité non seulement entre habitants mais aussi entre ruraux et citadins. La politique d’animation culturelle n’est pas précisée dans la charte constitutive : elle est peu à peu construite, favorisée il est vrai au cours des premières années d’existence du PNR par le concours du Fonds d’Intervention Culturelle (FIC)2 . A la fin de la période de validité de la charte constitutive, la culture donne lieu à une forte implication dans le partenariat avec des associations, la satisfaction des élus locaux vis-à-vis de la politique culturelle, la légitimation du Parc grâce à ce dynamisme culturel et l’affirmation d’une mission spécifique en matière culturelle par rapport aux missions généralement dévolues aux PNR3 . Dans le cadre de la charte révisée, l’orientation choisie ouvre « la poursuite et la gestion de l’animation culturelle dans une structure périphérique en poursuivant l’objectif de valorisation de l’image du Parc et de structuration de la vie locale4 ». Bénéficiant de l’expérience développée durant le temps couvert par la charte constitutive, le PNR, sur l’impulsion et l’action de son animateur culturel, va à la rencontre des habitants grâce à l’animation culturelle et une programmation annuelle. Il porte d’ailleurs un regard particulier sur l’écrit et la lecture, objet cher aux associations locales.
UNE ANI MA TION CU LT U RELLE A U X O B J ETS PLU RIELS
L’animation culturelle se définit comme un ensemble d’opérations entreprises par une personne ou par un groupe de personnes en vue d’ajuster ou de changer le comportement humain ou son environnement dans un cadre éducatif et culturel selon des objectifs bien déterminés. L’animation a donc pour piliers : l’animateur, qui agit et encadre ; le sujet qui bénéficie de l’animation ; le programme, c’est-à-dire le contenu de l’animation ; l’espace et le temps, soit le cadre fonctionnel de l’animation et les moyens matériels et pédagogiques. La charte révisée de 1991 définit que l’animation culturelle doit permettre « de favoriser la création artistique pour contribuer à la notoriété du Parc et permettre un échange culturel avec l’extérieur en vue de développer les solidarités, de rompre l’isolement culturel et de renforcer le tissu social5 ». Bénéficiant d’une longue expérience réalisée durant le temps couvert par la charte constitutive, le Parc met en œuvre une pluralité d’actions. Il soutient les associations en leur apportant une aide thématique et en soutenant l’acquisition de compétences. Progressivement, cette politique culturelle évolue au niveau de son portage et de sa mise en œuvre avec la création d’une association par le Syndicat mixte.
UNE ACTION PLURIELLE BENEFICIAN T D’U NE LONGUE EXPERIENCE
L’animateur culturel estime que les projets sont un moyen pour aborder la cohabitation difficile entre ruraux et citadins et « que l’on puisse raconter son patrimoine soi-même sans aller chercher un grand scientifique du patrimoine qui vienne faire un grand livre là-dessus1 ». Aussi, l’animation propose une autre façon d’aborder les questions patrimoniales. Les expériences culturelles étant menées après l’écriture de la charte constitutive, ces enjeux de développement ne sont pas encore définis. L’émergence de cette mission est antérieure à la naissance du Parc nature régional. Ce dernier est rapidement incarné par un chargé de mission. Représentant une expérience inédite, plusieurs champs culturels sont couverts, dont certains sont plus marquants que d’autres. L’action d’animation culturelle naît avant la création officielle du Parc naturel régional. En effet, elle est assurée durant plusieurs années par l’association des Amis du Parc naturel régional du Pilat (AAPNRP) et les diverses associations qui en font partie. Cette action préexiste donc à la mise en place des organismes de gestion et de direction du Parc. A l’été 1973, l’équipe opérationnelle du Parc commence à se partager la responsabilité de l’animation avec l’AAPNRP, notamment en organisant des expositions sur le PNR et en favorisant l’organisation de spectacles culturels. Bon nombre d’associations d’origine urbaine profitent de l’émergence du PNR, considérant cet espace comme propice pour s’ébattre dans le Pilat sous couvert d’animation culturelle, la population rurale restant largement indifférente à ces activités2 . L’animation rurale est envisagée, entre autres, et durant la période de gestation du Parc, sous un angle culturel. L’étude en vue de l’aménagement et l’équipement du futur PNR expose l’exemple de Cirey-sur-Velouze, en Meurthe-et-Moselle3 . La commune, qui compte 2 500 habitants, est riche des restes de l’abbaye de Hauteseille, l’un des tout premiers établissements monastiques fondés par Saint-Bernard de Clairvaux. A l’initiative du curé et d’un groupe de jeunes, des festivités, à l’origine modestes, sont organisées à l’occasion d’un anniversaire de sa fondation. Parallèlement, le site fait l’objet d’une restauration. Progressivement, l’animation prend de l’ampleur, la fréquentation également. En 1968, 100 000 passages sont comptabilisés en une semaine. Aussi, à partir de cet exemple, une possibilité de lancer une ou plusieurs opérations dans ce type dans le Pilat est sous doute envisageable. Par exemple à Sainte-Croix-en-Jarez ou encore à Doizieux ou à Malleval. « Cela nécessitera un effort d’information et d’organisation, mais contribuerait à animer la vie locale et à attirer un public épris de manifestations culturelles originales4 ». L’équipe du tout jeune PNR reprend donc cette activité. A l’été 1974, la situation évolue avec sa totale prise en main de l’action d’animation. Sa direction, en lien avec les Maisons de Jeunes locales, promeut des actions diversifiées dans leur nature et leur localisation, mais impliquant la participation active de la population locale5 . Dès sa création, le PNR se dote de moyens humains pour mettre en place puis réaliser cette mission expérimentale. L’animation culturelle est rapidement portée par une personne. En 1976, le poste d’animateur est créé, ce qui permet d’initier, avec le soutien du Fonds d’Intervention Culturel (FIC), des actions variées. J. Andersson est sollicité dès 1974 par S. Malfois, alors directeur, pour une opération expérimentale : essayer d’amener la culture là où elle n’est pas : « J’ai constaté très vite qu’elle n’y était pas parce qu’elle était refusée par les autochtones. Vous savez, nous, le patrimoine, la culture, c’est la fête du village, la belote, le bal du 14 juillet, la vogue ou la Miss Pilat. Voilà, pour eux, c’était ça ! 1 ». Le PNR souhaite créer un dialogue avec les habitants qui, à ses débuts, rejettent cette nouvelle structure. La politique culturelle ne se construit pas pourtant dès cette époque ; d’ailleurs, la charte constitutive ne dresse pas de priorités ou d’objectifs. Le terme « culturel » est alors banni car il fait peur : étant donnée « une certaine pudeur de la part des gens2 », cette action est appelée pendant un temps « animation de la vie locale ». Cette mission permet d’aller vers les habitants et de tisser des liens de sympathie avec des habitants très réservés (voire hostiles) à la création du PNR et à son équipe3 . S’il n’est pas clairement défini de ligne directrice durant les premières années, il est admis que le PNR n’intervienne pas dans l’animation traditionnelle villageoise (bal, vogue, etc.). Les objectifs ne sont pas très affirmés dans la mesure où il s’agit d’une mission expérimentale et nouvelle « qui touchait aux sentiments humains à travers des réalisations avec les participation directe des habitants4 ». Avec la création des commissions thématiques d’élus, il est d’ores et déjà décidé que le PNR ne doit pas se transformer en entreprise de spectacle. Une ligne de conduite est donc définie, permettant ainsi de rééquilibrer le budget, d’abandonner certaines actions et le saupoudrage systématique de subventions aux associations. Durant la période couverte par cette charte, différents champs culturels sont investis. L’animation culturelle touche de larges domaines, sans porter de jugement au préalable, et implique un grand nombre de partenaires locaux, comme les associations. Tout d’abord, en termes de théâtre. Des troupes sont créées et des spectacles sont montés avec des groupes locaux. Le PNR est d’ailleurs l’initiateur du Festival Gaston Baty et des Bravos de la nuit, à Pélussin. Des opérations « son et lumière » sont également menées à Marlhes, Saint-Paul-enJarez et aux Haies. Ensuite, en ce qui concerne la musique, des manifestations sont organisées dans chaque canton, mêlant amateurs et professionnels : il s’agit de Musique en fête. Associé à des concerts avec l’Association départementale pour le développement et l’initiative de la musique (ADDIM) Loire5 , est organisé l’Eté musical. Dans le cadre des écoles, l’éveil musical est mis en place, en liaison avec le Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de Pélussin et d’autres communes. En partenariat également avec d’autres organismes économiques et culturels, des journées à thème sont mises sur pied6 . Toujours en allant au-devant des habitants, des débats à thème sont animés – sur l’architecture, le sport ou encore le jouet – ainsi que des soirées d’information, celles-ci organisées 1 Entretien avec J. Andersson, op. cit. 2 Ibid. 3 PNR du Pilat, Les expériences culturelles dans le Parc naturel régional du Pilat, s. d. 4 Ibid. 5 L’Association départementale pour le développement et l’initiative de la musique (ADDIM) Loire, créée en 1983, est en charge de l’éveil et de la diffusion musicale. Elle met en œuvre trois grandes missions : l’Eté musical en Loire-Forez, la Maîtrise de la Loire et le Centre pédagogique sur la musique et la chorégraphie. En outre, l’ADDIM Loire a alors un rôle important en direction des écoles de musique du Pilat et de ses enseignants. Pour finir, il assure un appui auprès d’associations d’amateurs pour la création de projets musicaux. 6 Il s’agit de la Journée de la pomme (Pélussin), la Journée de la chèvre (Bourg-Argental), la Journée de la vigne (Malleval) et la Journée du livre (Roisey) P a g e | 242 dans chacune des communes avec présentation vidéo sur la commune visitée. L’équipe d’animation culturelle réalise aussi des montages audiovisuels1 . Des stages sont organisés sur le théâtre, la bibliothèque, le sport ou encore le jeu d’échec. De plus, de nombreuses expositions sont mises sur pied dans les différentes communes 2 . Enfin, d’autres actions diverses sont à noter : l’ouverture vers l’extérieur avec le jumelage d’une commune du Pilat avec une autre d’un PNR, le développement d’une forme de médiation associative avec la création de l’association des Guides-animateurs du PNR du Pilat et, enfin, le soutien aux associations locales. Ce dernier axe implique des aides techniques, le prêt de matériel, la réalisation d’affiches et le montage de dossiers de demandes de subvention3 , ce qui nous aborderons par la suite.
UNE AIDE A LA VIE ASSOCIATIV E
La deuxième charte définit comme objectif à l’animation culturelle d’« aider la vie associative par le prêt de matériel, la mise à disposition de fichiers spécialisés et les aides techniques à l’organisation d’animations culturelles (relation presse,…)3 ». Cette aide prend plusieurs formes, tant par un appui technique que le prêt de matériel. Elle porte ses fruits en fédérant les initiatives individuelles autour de thématiques communes. 1 PNR du Pilat, Charte Objectif 2010, 1999, p. 76 2 Ibid., p. 77 3 PNR du Pilat, Charte révisée du Parc naturel régional du Pilat, mai 1991, p. 38 P a g e | 245 Pourquoi proposer une aide à la vie culturelle associative ? Parce que rendre acteur est un des objectifs phare de l’aide à la vie associative. « Les créations culturelles réalisées avec la collaboration de ces associations ont permis de révéler leurs besoin et aspirations et de les prendre en compte dans l’animation de la vie locale1 ». Aussi, le PNR du Pilat propose une aide à la vie associative avec pour objectifs de : « Aider les associations à participer à l’animation culturelle du Pilat en mettant à leur disposition des moyens techniques, Faire connaître et valoriser les actions proposées par les associations, Favoriser et améliorer le fonctionnement de la vie associative2 ». Au cours des années, plus particulièrement celles de 1990, le soutien à la vie associative se structure autour de plusieurs actions. Cette aide permet aux associations de progresser et de s’autonomiser, même si elles continuent à solliciter le PNR pour plus d’implication financière ou pour la réalisation de leurs actions. Tout d’abord, le prêt de matériel technique. D’une part, pour assurer la réalisation des spectacles créés dès l’origine et, d’autre part, dans le but de donner des moyens techniques aux associations et aux communes, un pool de matériel est constitué. Le PNR en est propriétaire et gère le calendrier des réservations de ce matériel qui est à disposition des associations contre une somme modique permettant d’assurer leur entretien. Ensuite, un programme d’animation est édité par le PNR pour faire connaître à la population et aux visiteurs les manifestations et animations organisées dans les communes. D’abord publié une fois dans l’année au printemps, il est ensuite bisannuel : « Pilat en fêtes » est proposé pour l’automne-hiver puis le printemps-été. Le Parc du Pilat diffuse les informations auprès des réseaux touristiques, des communes et de la presse. « Pilat en fêtes » est aujourd’hui une rubrique du site internet du PNR ; son alimentation est assurée par la Maison du tourisme. Enfin, des journées d’information sont organisées annuellement à destination de l’ensemble des associations du territoire pour une rencontre-débat avec des spécialistes. Le but est d’informer les associations sur leurs droits, leurs obligations et toutes questions administratives3 . Au début des années 1990, et durant quelques années, le Parc du Pilat propose un thème commun à l’échelle du territoire, bénéficiant de soutien financier. Le PNR fédère ainsi les initiatives des associations et les incite à dépasser le cadre du projet individuel. Il s’agit de proposer à l’ensemble des associations du Pilat, par l’intermédiaire des communes, un thème de création culturelle pour lequel le PNR apporte un concours financier. Les projets lui sont transmis – puis à l’Association Culturelle du Pilat (ACP) une fois le service culturel repris par cette structure – avant que ne s’opère la sélection.
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