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Un élément récurrent au sein des Règlements : la peur de l’infraction.
Les Règlements doivent, théoriquement, prendre une place centrale dans la vie des membres du Bureau, des maîtres, mais aussi des enfants, comme il l’est stipulé dans certains articles ; ils ont pour rôle de devenir une sorte d’organe au sein du corps des personnes qui sont censées les respecter et, plus encore, qui sont régies par ceux-ci. Ils sont des outils omniprésents dans les faits et gestes de ceux qui se soumettent à eux. Les Recteurs du Bureau, par exemple, doivent s’en imprégner dès leur prise de fonctions :
L’on observera pour sa reception qu’il fasse une retraite spirituelle, s’il se peut ou du moins une neuvaine au Saint Enfant Jesus, pendant laquelle il lira souvent avec attention les presents reglements et s’instruira du Directeur Général ou autre par luy a ce commis, de ce qui concerne les moyens pour se bien acquiter d’un tel employ1 »
Cette retraite n’est pas mentionnée dans les Règlements de 1688, par contre il est bien précisé que, lors des Visites dans les écoles :
ils prendront garde si les Reglemens sont fidélement observez, c’est pourquoi il est important que tous les Recteurs en soient bien instruis & que chacun d’eux en fasse souvent la lecture en son particulier2 »
Les membres du Bureau sont donc dans l’obligation de savoir plus ou moins par cœur l’ensemble des Règlements afin – entre autres – d’être en capacité de repérer les possibles manquements à ceux-ci lors de leurs Visites dans les écoles. Les maîtres, eux, doivent les appliquer en classe et « se conformer au surplus pour leur conduite au contenu du livre intitulé l’Ecole Paroissiale, dans les choses qui ne sont pas contraires aux presens Réglemens3 ». Enfin, les enfants doivent s’y plier mais également contribuer à leur bonne mise en place comme on l’a vu un peu plus haut. Cette conception presque organiciste des Règlements au sein du corps que constitue l’appareil scolaire pourrait s’apparenter, une fois de plus, au fonctionnement des séminaires sulpiciens : en effet, comme le souligne Dominique Julia, le règlement dans les grands séminaires, et notamment à Saint Sulpice, constitue un élément essentiel de la vie des séminaristes. En réglant leur emploi du temps comme du papier musique, le règlement leur permet de s’incorporer tout au long de la journée « dans une adhésion intime au Christ prêtre4 ». Or, l’on a vu que Démia concevait le maître à l’image d’un certain type de prêtre essentiellement inspiré du Christ missionnaire, dans une perspective bérullienne. Mais, dans les Règlements, les membres du Bureau doivent aussi s’inspirer de Jésus :
La Regle generale de tous ceux qui composent le Bureau sera de chercher la plus grande gloire de Dieu dans la bonne education et instruction des pauvres, tant eclesiastique que laïques qui est la fin pour laquelle Jésus-Christ dit qu’il a esté envoyé et l’une des marques principale de sa Missions : c’est pourquoy chacun des Recteurs tachera de concevoir une haute idée de la vocation et de s’unir souvent a Jesus Evangelisant les pauvres pour travailler infatigablement a une oeuvres si importantes pour la gloire de Dieu, l’utilité et Salut du prochain5 »
Ainsi, l’intériorisation des Règlements est le moyen le plus simple pour suivre la règle du Christ en toutes circonstances, puisque ceux-ci dictent la meilleure conduite à adopter pour se rapprocher de Jésus. De ce fait, des mesures de prévention et des sanctions sont énoncées au sein des Règlements afin que quiconque s’écarterait du parcours du Christ soit remis sur la bonne voie. Les cas ciblés peuvent d’ailleurs être extrêmement précis, preuve que l’élaboration de ces Règlements finaux s’est faite sur plusieurs années en fonction des témoignages réguliers des courriers des écoles ; c’est également le signe que l’intériorisation ne se fait pas dans tous les cas. En effet, ces précisions faites à propos des interdits à ne pas franchir attestent d’une peur de l’infraction aux Règlements – ou aux vertus qu’ils promulguent – infraction qui ne peut donc que s’être déjà produite.
Tout d’abord, les Règlements de 1684 prévoient que chaque maître et chef de bande (qui raccompagne les enfants à la sortie de l’école pour s’assurer qu’ils ne commettent pas d’action contraire à ce qu’énoncent les Règlements) aient un « livre de bons et mauvais points » :
Pour la sortie du soir et du matin, afin que cela se puisse faire avec ordre, le maitre etablira des chefs des bandes des quartiers, lequels auront soing de prendre garde, que ceux qui sont sous leurs conduites gardent la modestie par les rues, ne s’arretent, crient, etc. Pour cet effet il aura un livre de bons & mauvais points comme celuy du maitre ou il marquera les broullions, ceux qui s’en iroient sans permission, etc. & en fera son raport au maitre6 »
Les Règlements de 1688 présentent une variante : c’est le sous-maître qui ordonne la sortie et l’encadrement de la classe par d’autres officiers, pour qui la possession d’un tel livre n’est pas spécifiée7. En revanche, le sous-maître a bien, comme le maître, un « livre de bons et mauvais points » mais il l’utilise surtout lorsqu’il fait classe quand le maître est absent : au lieu de châtier lui-même les élèves, il note en face de chaque nom des bons et des mauvais points. Les Règlements sont très précis en ce qui concerne cet outil d’incitation à la bonne conduite :
Quand un enfant aura fait quelques bonnes ou mauvaises actions, le Maitre les marquera d’un bon ou mauvais Point dans un petit Regître, qu’il tiendra pour cét éfet & après un certain nombre de Points, il châtiera ou recompensera à certain jour du mois, ceux qui l’auront merité.
Lorsque le Soûmaitre en l’absence du Maitre fera l’Ecole, il ne corrigera les enfans, les foüetant ou batant mais il se contentera de marquer un Point dans son petit Regître, lequel au jour designé il fera voir au Maitre, qui châtiera comme il avisera ceux qui le meriteront8… »
On utilise également un instrument similaire au cours de la Visite générale, qui est menée une fois par an par les maîtres et maîtresses et à laquelle participent aussi des ecclésiastiques et des Visiteurs, si possible. Celle-ci est réalisée dans le but de vérifier le comportement des enfants chez eux et les connaissances de leurs parents en matière de catéchisme. Chaque maître est muni d’un « catalogue9 ». Dans celui-ci, il doit chiffrer – et non nommer les enfants pour que ce catalogue puisse être réutilisé dans un tableau. Il doit ensuite diviser celui-ci en différentes catégories comme « prie Dieu », « paresseux », « gourmand », « jureur », « menteur »… et mettre un signe distinctif en-dessous de ces critères en fonction des réponses données par les parents : de fait, pour chaque catégorie, le maître demande à ceux-ci si leur enfant s’est amélioré ou non. Il peut même demander confirmation aux voisins par peur que les parents mentent à ce sujet. Dans les Règlements de 1684, le « • » correspond à Bien », le « + » à « Très mal », et le barème de notation va de « très bien » à « très mal » ; dans ceux de 1688, le « – » est positif alors que le « • » est négatif10. A part ce petit changement de significations dans le type de symboles de notation, la démarche reste la même : vérifier le respect des vertus promues par les Règlements en dehors de la classe, mais aussi la diffusion des enseignements – surtout catéchétiques – recommandés par ces mêmes Règlements de l’enfant vers ses parents, comme nous l’avons vu précédemment. De ce fait, plus que l’éducation dispensée au sein de l’établissement scolaire, ce sont les Règlements eux-mêmes qui doivent suivre l’enfant en dehors de l’école. Mais la procédure pourrait parfois se révéler injuste : par exemple, du fait d’un ressentiment quelconque envers l’enfant ou les parents, les voisins pourraient éventuellement mentir et, étant donné que les Règlements stipulent que ce sont à eux qu’il faut faire le plus confiance, le jugement envers l’enfant serait ainsi biaisé. Dans tous les cas, cette catégorisation très précise des comportements de l’enfant montre que les Recteurs, avant la mise en place des Règlements, avaient sans doute auparavant reçu des plaintes provenant des maîtres, des parents ou encore du voisinage. Par ce catalogue et cette visite chez les parents, on incite, une fois de plus, à la bonne conduite chrétienne et l’on fait sentir à l’enfant et à ses parents l’inévitable présence des Règlements. Mais l’on garde une réelle défiance envers les parents : pour soustraire l’écolier à leur influence néfaste ou à leur « incompétence » en matière d’éducation, les Règlements préconisent :
Comme il seroit d’un grand fruit de retirer les enfans d’auprés de leurs parens, desquels bien souvent ils n’ont pas tout le bon exemple necessaire ; il seroit à souhaiter qu’on les pût garder toute la journée à l’ecole, ce qui se pourroit faire si chaque enfant aportoit sa petite portion pour le Diné11… »
Les Règlements dispensent donc également des conseils de manière préventive, afin d’empêcher toute possibilité de transgression. C’est le cas, par exemple, en ce qui concerne la séparation radicale entre les garçons et les filles : les écoles doivent être non mixtes, c’est une condition indispensable pour assurer leur bon fonctionnement, ainsi que pour inculquer un comportement vertueux aux enfants. Camille de Neuville, dans son ébauche des premiers Règlements, écrit :
… nous faisons defenses a tous maitres d’école d’enseigner ny recevoir en leur ecole aucunes filles, et a toutes maitresses d’ecole aucuns garçons a moins que d’en avoir de nous ou notre vicaire general ou promoteur substitué licence expresse par ecrit12 »
Ainsi, les enfants des deux sexes ne peuvent ni se « perturber » ni se « pervertir » puisqu’ils ne pourront jamais se rencontrer de toute la journée et, comme le soir, on les raccompagne, en théorie ils ne devraient jamais se croiser. Il est également prévu que les fêtes saintes soient célébrées séparément comme il l’est précisé dans les Règlements de 1684 : les filles fêtent la Sainte Catherine13, les garçons, la Saint Nicolas14, et il est prévu pour la confirmation qu’ils ne soient pas réunis dans les mêmes salles et mêmes lieux, même si garçons et filles peuvent se suivre mais sans se mélanger : les garçons devant, les filles derrière15. Or, au-delà de cette séparation des garçons et des filles – qui s’avère tout à fait traditionnelle dans les petites écoles aux XVIIe et XVIIIe siècles16 – selon les Règlements, il n’est pas possible de nouer des liens d’amitié entre enfants du même sexe. En effet, lorsqu’ils rentrent chez eux, les écoliers n’ont pas le droit de choisir leur compagnon de marche par exemple. Ils sont placés d’autorité aux côtés d’autres enfants de leur quartier pour éviter, on peut le supposer, de possibles détours (l’un voudrait raccompagner l’autre chez lui et ils finiraient par « courir par les rues ») :
… les enfans sortiront en ordre faisant un tour, comme le matin, & un des soumaîtres fait les commandemens suivans, si tant est qu’on le juge à propos ou qu’on ne les eût pas fait avant que d’aller faire la priere. 1 Oficiers d’un tel Quartier, prenez vos places. 2 Ceux d’un tel Quartier, rangez-vous sous vos Oficiers. 3 Quartier d’un tel endroit marchez en silence. L’on fait la même chose aux autres Quartiers, faisant partir les plus éloignez les premiers. Que si le lieu étoit assez grand pour que tous les Quartiers se rangeassent en divers endrois, il sufiroit de faire ces commandemens une fois pour tous ces Quartiers là17 »
Les Règlements de 1684 recommandent également, pour la sortie du soir, de faire aller les enfants par « quartiers », en compagnie du chef de bande18. Cette pratique, qui empêche la création de toute connivence entre deux enfants, rappelle fortement le principe du nunquam duo, notamment mis en place au séminaire de Saint-Sulpice. Au sein de ce lieu clos qu’est le séminaire (tout comme l’école conçue par Démia, par ailleurs), toute complicité naissante est immédiatement tuée dans l’œuf : si l’on se rend compte que deux séminaristes sont trop proches, ils peuvent être exclus. Mais on essaie également d’éviter cela en amont, c’est-à-dire que le Supérieur associe les séminaristes par « paires » pour les promenades, les récréations, les jeux : généralement, il choisit deux caractères totalement opposés afin que chacun puisse apprendre des vertus de l’autre, mais également de manière à ce qu’ils ne s’entendent pas, ou en tout cas pas assez bien pour qu’il y ait rapprochement – sexuellement suspect ou non, par ailleurs. Une amitié exclusive, même sans aucune ambiguïté n’est pas envisageable car c’est la communauté et son règlement qui doivent demeurer au cœur de la vie des séminaristes19. Ainsi, le principe du nunquam duo semble aussi bien s’appliquer au séminaire de Saint-Sulpice que dans les écoles de Démia. Les enfants doivent être, de même, surveillés à longueur de temps et suivre un bon nombre de rituels codifiés, parfois presque militaires : on a vu que c’était le cas pour la sortie de l’école, mais ça l’est également pour l’entrée en classe, l’exercice d’écriture20, etc. Pour l’entrée en classe, par exemple l’enfant doit effectuer, tous les matins, le rituel suivant :
A sept heures du matin, l’on sonnera l’entrée de la classe, chaque ecolier en entrant prendra de l’eau benite, se mettra à genoux, & dira tout bas l’oraison du Saint Enfant Jesus, ou l’Ave Maria, & après avoir fait une inclination profonde à la Croix & une mediocre au Maitre & au premier Officier de l’Ecole, il s’en ira à sa place21 »
Ainsi, quasiment aucun geste spontané n’est possible, ce qui rappelle un peu l’attitude demandée aux séminaristes (encore plus au XVIIIe siècle, cela dit) dans les grands séminaires comme Saint-Sulpice22. Cela garantit une grande docilité au sein de la classe, en adéquation avec les prescriptions des Règlements. C’est le son des cloches qui rythme la journée et les actions des enfants. Celui-ci a pour rôle de garantir l’ordre et l’absence de toute nuisance au cours des leçons. De ce fait, les écoliers n’ont aucun moyen de se distraire ou de rêvasser car ils sont régulièrement rappelés à l’ordre par cet avertissement sans équivoque :
Le silence étant absolument nécessaire pour le bon ordre de l’Ecole & pour le soulagement du Maître, il ne soufrira qu’aucun des Ecoliers parle sans avoir auparavant levé la main, pour en demander la permission ; & lui même ne parlera que le moins qu’il pourra ; établissant certains signes avec la cloche, ou autrement, pour ce qu’il y aura à dire ou à faire dans l’Ecole23 »
La vie quotidienne de la classe est donc prévue, planifiée et encadrée jusque dans les moindres détails par les Règlements, et même scandée par des signaux sonores afin de marquer des repères stricts dans le temps scolaire et, ainsi, d’éviter toute dérive. En outre, certaines interdictions, extrêmement précises, peuvent d’autant plus attirer notre attention. Par exemple, au folio 51 des Règlements de 1684, on trouve :
heures du soir […] le Maitre ou le Soumaître commandera tout haut les Exercices suivans : 1 Ecrivains preparez-vous. Pour lors les Ecrivains quitteront leurs livres… »
De plus le maitre leurs deffendra, 1° De ne faire des barres contre les murailles de l’Ecole, 2° De se froter contre les montées 3° De se baigner en été sans permission, non plus que d’entrer dans le refectoir de la Communauté et beaucoup moins dans la cuisine24 »
L’interdit qui concerne le bain ressort également dans les Règlements de 1688 :
Le Maitre defendra, sous peine de châtiment, aux Enfans de ne se point baigner sans permission, & quand ils l’auroient, il leur recommandera d’observer la modestie requise en tel cas25 ». Cela signifie probablement que les maîtres avaient du mal à empêcher les enfants d’aller nager – et donc de se divertir – pendant la journée ou le soir. Ainsi, l’on remarque, une fois de plus, que le pouvoir du maître sur l’enfant doit également s’exercer en dehors de l’école puisque, là encore, l’objet de l’interdiction – la baignade – se situe à l’extérieur de l’établissement scolaire. Globalement, cette liste d’actions réprouvées par les Règlements est tellement détaillée qu’elle ne peut qu’interpeller et nous engager à penser que la surveillance de l’enfant dans le cadre des écoles de Démia se base sur des faits précis et qui ont donc déjà eu lieu. La réprimande n’ayant sans doute pas été assez convaincante, l’on voit surgir, du fait de cette insistance sur des bêtises qui pourraient paraître presque anecdotiques (et sans doute très ponctuelles), une réelle peur de la transgression. Il est possible de cerner une concrétisation de cette crainte du manquement à la norme lorsqu’il est question des livres à utiliser en classe. Les Règlements en imposent plusieurs, mais ils ordonnent surtout de ne pas en acquérir d’autres que ceux désignés et d’aller si possible uniquement chez le libraire Olier, à Lyon, pour se les procurer :
Le Maitre se servira des livres suivants, scavoir. […] Pour la 5e, le Pseautier, les Pensées Chrestiennes, l’Imitation, l’Introduction, et autres semblables qu’on trouvera chez Olier, libraire à Lyon rue Tupin26 » vie des Saints qu’on a fait imprimer par ordre alphabétique chez Olier27 ». De même, dans les Règlements de 1688, il est dit :
« La quatrième classe se soûdivise en deux bandes, savoir, La I. De ceux qui lisent le Latin simple & facile, comme sont les Psaumes imprimez chez Olier à Lion28 »
Les écoles de Démia ont donc un libraire-éditeur attitré à Lyon, qui leur fournit la majorité des livres qui doivent être utilisés en classe. L’accès aux ouvrages est donc contrôlé, tout comme au séminaire29 ; on redoute sans doute l’introduction, au sein de l’éducation dispensée aux jeunes enfants, de livres influencés par la Réforme protestante ou bien celle d’œuvres jugées immorales par l’Église. Dominique Julia écrit à ce propos : « Même si l’on ne peut parler d’une véritable ‘politique’ du livre scolaire au sens moderne du terme, celui-ci s’inscrit à l’intérieur du gigantesque mouvement d’acculturation qui saisit les Églises au temps des Réformes30 ». Il note également que la méthode d’enseignement simultané (couplé, dans les petites écoles de Lyon, à un début d’enseignement mutuel31 : on l’a vu, les officiers et meilleurs écoliers peuvent seconder le maître pour montrer aux moins adroits), préconisée par Jacques de Batencour dans L’École Paroissiale et appliquée par Démia et La Salle, impose aux écoliers de posséder des ouvrages et manuels similaires32. C’est d’ailleurs ce que Démia, qui s’inspire, une fois de plus, de Jacques de Batencour, recommande dans ses Règlements :
« Le Maitre ayant ainsi divisé son Ecole, observera ce qui suit :
Que les Enfans d’une même bande doivent étre de la même capacité, rangés chacun dans sa place.
Avoir le même livre, de la même impression & la même leçon33 »
Le choix de l’imprimeur est donc crucial car il faut qu’il respecte des codes très précis afin de ne pas troubler les exercices de la classe à cause de livres dépareillés. De plus, à la fin du XVIIe siècle, la concurrence entre les imprimeurs lyonnais et les imprimeurs parisiens fait rage, de même que la contrebande du livre dans le diocèse de Lyon34. Ainsi, il semble primordial pour Démia d’avoir une totale confiance en son libraire fournisseur ; en effet, il y a un risque assez élevé de recevoir de la contrefaçon du fait de la contrebande, et donc des ouvrages dissemblables. Il paraît, de ce fait, possible de penser que privilégier une seule source d’approvisionnement est encore un moyen de limiter les risques de transgression – involontaire, cette fois-ci – à ce qui est édicté dans les Règlements. Emmanuelle Chapron, qui a travaillé sur les petites écoles de Champagne, aborde la question du commerce du « livre scolaire » (terme encore mal défini à la fin du XVIIe siècle, car les textes utilisés à l’école ne lui sont pas spécifiques puisqu’il s’agit essentiellement d’ouvrages religieux) dans son article
Des livres pour les écoles du peuple ? Économie et pratiques du texte scolaire en Champagne au XVIIIe siècle ». Elle mentionne le fait qu’à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, la distribution des livres est réglementée par l’autorité royale : les libraires peuvent obtenir une « permission simple » pour trois ans ou bien c’est l’évêque du diocèse (à Lyon, on peut le supposer, certainement l’archevêque Camille de Neuville), qui, grâce au « privilège général » qui lui octroie le droit de régir la diffusion d’une certaine quantité de livres, peut choisir l’unique libraire chargé de les imprimer35. Le monde du livre est donc très réglementé, et cette main-mise du libraire Olier sur l’impression des livres des écoles, contrôlée par Démia et sans doute Camille de Neuville, permet à la fois de faciliter la méthode d’enseignement simultané, mais aussi certainement d’empêcher, d’une certaine manière, des maîtres et maîtresses hardis de déroger aux Règlements et d’utiliser d’autres ouvrages éducatifs que ceux recommandés et disponibles chez le libraire, comme c’était souvent le cas dans le cadre des communautés enseignantes en Champagne à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle36. La méfiance et la crainte du manquement aux règles est donc forte et se manifeste entre les lignes de nombreuses mesures promulguées par les Règlements ; pour que ces derniers gardent un impact dans le temps, les méthodes éducatives et leurs enseignements doivent être intériorisés (de manière semblable à l’intériorisation du sacerdoce par le séminariste, elle aussi permise par le règlement37) le temps de l’école, et retenus par l’écolier jusqu’à la fin de sa vie : Lorsque les écoliers voudront quitter l’ecole […] Pour lors on recommendera a l’enfant, 1° d’entrer en quelque confrerie, 2° de faire la priere le soir et le matin, et a chaque heure du jour. 3° de faire chaque semaine quelque lecture spirituelle de quelque bon livre dont on leur pourra faire present ou de quelque images pour rappeler les idées des instructions qu’ils ont receües en l’ecole. 4° D’assister aux reveües generale des ecoliers aux jours qu’elle se pourront faire ; 5° De fuir l’ivrognerie, impureté, larcin et toutes mauvaises compagnies38 »
On note que c’est bien l’éducation religieuse qui doit en priorité rester à l’écolier sa sortie de l’école et non son instruction « profane ». Les Règlements ajoutent même : Quand quelque enfant aura été élevé a l’ecole, qu’il aura bien fait et qu’ayant pris congé, il aura été placé ou mis a maitre, de l’avis du Bureau les Recteur le considererons comme leur enfant spirituel et comme tel luy continueront leur soing tout autant qu’ils le pourront39 »
Tout semble donc prévu et orchestré pour prévenir la moindre tentative de transgression : le présent et même l’avenir de l’enfant sont organisés et anticipés au sein des Règlements, de manière à ce que sa moralisation au sein du lieu clos que représente l’école se concrétise également dans sa vie postérieure à son passage dans l’univers éducatif pensé par Démia ; les Recteurs le suivront de manière à ce qu’il garde en tête les bons préceptes religieux dispensés à l’école. Cela dit, les directives des Règlements, extrêmement fermes et détaillées, révèlent pourtant des failles : certaines interdictions indiquent que des désobéissances ont déjà eu lieu, les cas mentionnés étant fort précis. Rappelons que Camille de Neuville, dans l’ordonnance des tous premiers Règlements (1675), est très clair : « Scavoir faisons que pour remedier a plusieurs abus et desordres concernants les petites Ecoles de notre dioceze, nous avons fait et faisons les reglemens suivans40 ». Les Règlements de 1684 et de 1688 trahissent donc des faiblesses récurrentes au niveau du maintien de l’ordre, même après la prise en charge par Démia des écoles du diocèse. Ainsi, cette peur de la transgression qui surgit de manière ponctuelle, entre les lignes de plusieurs articles des Règlements s’explique assez aisément, puisque, on va le voir, ce système idéaliste mais aussi uniquement théorique peine à s’imposer au sein des écoles du diocèse de Lyon…
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE PREMIER L’école : un outil de transformation de l’Homme en un être de perfection
1. Un système administratif et pédagogique marqué de la patte de Démia ?
2. Le maître, émanation du modèle du prêtre de la spiritualité « bérullienne »
3. D’un état à l’autre : « l’ascension sociale » de l’enfant au sein du microcosme scolaire
CHAPITRE DEUXIEME De la théorie à la pratique : transgressions et désillusions
1. Un élément récurrent au sein des Règlements : la peur de l’infraction
2. Entre écoles « clandestines » et écoles légales
3. Maîtres et écoliers, figures imparfaites d’un système peut-être trop idéaliste
CHAPITRE TROISIEME Redresser la situation
1. Les maigres outils des courriers
2. La nécessité de multiplier les avertissements
3. Les écoles de Démia, mythe justifié ou tentative avortée ?
CONCLUSION
SOURCES
BIBLIOGRAPHIE
Sites internet
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