Pratiques de régulation didactique en éducation
physique et sportive et professionnalité enseignante
Retour sur les séances d’escalade
Nous avons fait le constat d’une dispersion importante des objets de régulation didactique. Selon nous, ce phénomène est en partie à mettre en relation avec la tâche proposée par Franck et le moment du cycle. Cette situation « globale », et alors que l’évaluation approche, l’amènerait à observer les élèves au regard d’une multiplicité d’attentes. On peut ainsi dire qu’il s’adapte à chacun, sur le moment. On peut néanmoins se demander pourquoi Franck place si tôt (même si l’évaluation approche) les élèves dans cette tâche très globale. N’est-ce pas finalement le signe de difficultés à choisir des savoirs spécifiques en fonction du niveau des élèves, par exemple ? Ceci pourrait expliquer la variabilité des consignes et les rapports lointains entre consignes et régulations. Au final, la dispersion naitrait du contexte spécifique dans lequel Franck se place lui-même. Ses choix de tâche ne sont sans doute pas sans lien avec les difficultés qu’il éprouve à cerner les besoins d’apprentissage des élèves dans leur hétérogénéité. Nous avions aussi constaté une forte représentation des objets de régulation concernant les aspects sécuritaires et notamment le mousquetonnage. Il est probable que les régulations concernant les « manipulations du grimpeur » sont plus nombreuses parce que Franck les maîtrise bien. Il maîtriserait moins bien les savoirs techniques en relation avec la grimpe. Franck connaît pourtant les critères de l’évaluation mais : — Il aurait des difficultés à mettre en relation les critères de l’évaluation et les conduites des élèves ; — Les savoirs techniques, dans le cadre de l’évaluation ont un statut très formel : les élèves doivent en effet montrer une motricité particulière, même si celle-ci est inutile dans une voie donnée. Dès lors, on voit que Franck les incite à « montrer » des techniques plutôt qu’à les aider à progresser au regard de leurs difficultés ; — L’évaluation manque de lisibilité. Les critères de maîtrise sont de nature très hétérogène et varient pour décrire les différents niveaux). Cela ne facilite pas le travail de Franck, qui manque d’expérience dans l’activité « escalade ». Enfin, nous avons constaté que les régulations tendent à évincer les savoirs de type fonctionnel. Nous pensons que les procédures utilisées par Franck s’imposent à lui car elles sont relativement simples, assez peu couteuses sur le plan professionnel. En effet, il est plus Études de cas 161 simple, plus directement accessible de centrer les élèves sur le résultat de leurs action ou de les « téléguider » que d’interpréter leurs difficultés et de les engager dans un processus conscient d’autorégulation. La proximité relative de l’évaluation pourrait aussi en partie expliquer ces pratiques, mais dans une moindre mesure. 2.5.2. Retour sur les séances de volley-ball Franck n’a semble-t-il pas enseigné comme à son habitude. D’une part il s’est « tenu » à ses préparations, alors qu’il a l’habitude d’improviser davantage. D’autre part, il a introduit des tâches spécifiques de travail des techniques de frappe, alors qu’il a l’habitude de placer très rapidement les élèves dans des tâches d’opposition. Pourquoi ce bouleversement au moment où nous l’observons et alors que le contrat de départ était clair, explicite (observer des pratiques quotidiennes, habituelles) ? Nous avancerons deux hypothèses : soit, il a souhaité produire un enseignement conforme à ce qu’il pense être l’enseignement « normal » de l’EPS. Soit il a tenté d’obtenir une plus grande efficacité. Quoi qu’il en soit, le contexte qu’il crée semble davantage l’inciter à réaliser des régulations langagières. Les fluctuations du guidage lors des consignes, des fréquences de RD, et plus généralement de la façon de guider les élèves (notamment les pratiques technicistes et la dispersion des objets de guidage) pourraient être attribuées au caractère peu expérimenté de son intervention mais aussi à la façon dont il prépare habituellement ses séances, en s’appuyant sur des savoirs macroscopiques plutôt que fonctionnels, alors que réguler suppose d’avoir identifié ces savoirs. Sa volonté de « ne pas donner de solution » ou de « faire réfléchir les élèves » se retrouve néanmoins lors des tâches à finalité stratégiques et de la situation de référence. S’il fait le choix de donner les consignes aux sous groupes, sans pouvoir observer et réguler les élèves, c’est peut-être parce qu’il pari sur l’efficacité des tâches et qu’il veut que les élèves « résolvent le problème ». C’est peut-être aussi pour éviter de réguler, parce qu’il se sent en difficulté. Quand il régule, notamment auprès des plus faibles, c’est bien sûr pour les aider ; c’est aussi pour leur permettre que se poursuive la tâche, alors que les élèves échouent massivement (cf annexes : analyse des auto-confrontations à partir de la vidéo). 2.5.3. Conclusion générale Franck pourrait se trouver dans une phase de transition professionnelle suite au rejet de la technique ou plutôt du guidage technique, qu’il associe au technicisme. Il oscille entre deux Études de cas 162 postures qui s’opposent : ne pas donner de solution aux élèves et aider les élèves (par la régulation langagière notamment). Il semble, habituellement, s’appuyer sur les tâches pour enseigner (suite au rejet du guidage technique, associé au technicisme) mais, peut-être en entrevoit-il aussi les limites ? Amener à réguler, il est en tout cas confronté à de nombreux problèmes, qui le conduisent encore à penser que ses régulations langagières sont nuisibles aux élèves. Les phénomènes de dispersion, de technicisme ou de téléguidage sont selon nous les symptômes de ces difficultés professionnelles. On note une certaine contradiction dans les propos de Franck. Tantôt il affirme qu’il n’a pas de problème au niveau de son guidage verbal. Tantôt il se dit en grande difficulté. Il semble, quoi qu’il en soit, ne pas être en mesure de concevoir et de mettre en œuvre des procédures de guidage et de régulation entre technicisme et non intervention et ce, malgré une réflexion personnelle sur la nature des savoirs de l’EPS, réflexion qui l’engage à penser ces savoirs en rupture avec des normes gestuelles formelles. Franck aurait donc, du point de vue conceptuel, en partie rejeté les gestes de guidage langagiers, notamment du fait de l’association entre technique et technicisme et du développement de conceptions de l’EPS plaçant la technique en arrière-plan. Ce rejet est aussi la cause d’une difficulté ressentie à aider les élèves par la régulation. Son professionnalisme se serait ainsi progressivement et principalement construit autour de la conception et la manipulation de tâches. Les gestes de guidage seraient ainsi relégués en arrière-plan des préoccupations professionnelles quotidiennes en même temps que les savoirs de type fonctionnel. Il reste difficile de savoir si Franck a développé, au fur et à mesure du temps, une conception de « la magie de la tâche » ainsi qu’un rejet de la technique, ce qui l’aurait conduit à moins intervenir sous forme de régulation langagière, ou si les difficultés professionnelles qu’il a ressenties durant sa carrière, le sentiment d’un manque d’efficacité, l’auraient amené à rejeter la régulation langagière et à s’appuyer davantage sur les tâches et le temps, avec l’idée que les élèves apprendront en s’auto-adaptant.
Résultats et analyses des régulations didactiques lors de trois séances d’escalade
Résultats généraux pour les trois séances
Contexte Chris enseigne à une classe de première SMS mixte, composée de 28 élèves. Les séances se déroulent dans le même établissement que « Franck ». Les conditions temporelles et matérielles sont bonnes. Les séances ont lieu de 14 à 16 heures. Le temps effectif d’enseignement est d’environ une heure et trente minutes (entre les premières consignes et l’arrêt du cours). Les élèves sont censés avoir tous effectués un cycle d’escalade en seconde. La figure ci-dessous indique la configuration générale des lieux ainsi que l’emplacement de la caméra lors des observations. La caméra est située à environ 15 mètres du mur, légèrement à droite. L’ensemble des consignes et régulations est ainsi facilement observé. Durant les Études de cas 164 séances, la partie restante du gymnase est utilisée par un autre enseignant. Un rideau sépare les deux espaces. Figure 17. Chris. Caractéristiques de l’espace d’enseignement de l’escalade. Tâches : Les trois séances ont mis en jeu des tâches variées, que nous résumons rapidement ci-dessous : Tableau 38 : Chris, Escalade, tâches lors des trois séances Tâches Séance 1 Tenter des voies pour situer son niveau Séance 2 3 tâches, à réaliser dans l’ordre souhaité : – Réaliser la voie « 11 » en utilisant une seule prise de main. – Réaliser une voie facile. A plusieurs reprises, lâcher une main pour toucher un genou ou un pied. – Tenter trois voies Séance 3 3 tâches, à réaliser dans l’ordre souhaité : – Réaliser une voie facile en double assurage. – Réaliser une traversée en tête (sur la portion du mur dite « traversée »). – Monter une voie trois fois de suite (placer les dégaines, puis la corde, puis monter, se vacher et désinstaller). Le faire sur deux voies. En fin de séance, réaliser sa voie « projet ». Les élèves : La classe est grossièrement scindée en deux groupes. Le premier (deux tiers de la classe environ) est composé d’élèves ayant un niveau de performance faible à moyen. Certains ne savent pas s’encorder, et/ou ne réalisent pas bien la technique d’assurage en cinq MUR « BAS » M U R 13 V O I E S Tapis Rideau Caméra Études de cas 165 temps, et/ou connaissent des problèmes affectifs (peur d’aller jusqu’en haut des voies). Le deuxième groupe est composé d’élèves plus performants et maîtrisant mieux les techniques d’assurage en moulinette. Ces élèves sont en général centrés sur la performance et déploient une activité tournée vers la recherche de plaisir et de valorisation. Dans ce groupe, certains élèves sont très compétents.
Étude des régulations
Chris réunit la classe lors de consignes et de bilans. Lorsque les élèves sont en action, elle se déplace en général le long du mur et intervient auprès des élèves qu’ils soient grimpeurs, assureurs ou en attente. Elle utilise peu de gestes démonstratifs dans son enseignement. A quelques reprises isolées, elle montre la technique d’encordement (nœud d’encordement), d’avalement de la corde pour l’assureur (« 5 temps ») ou de mousquetonnage à une main. Engagement dans la RD Au regard de la structure des séances, il n’est pas possible de différencier les résultats en fonction des tâches. Figure 18 : Chris, escalade, Bilan. Volume et type de RD Tableau 39 : Chris, escalade, Bilan. Fréquences de RD Episodes RD / fréq Objets RD / fréq. Les résultats révèlent une régulation didactique régulière et d’une séance à l’autre et de fréquence moyenne. En moyenne, 0.72 épisode et 1.31 objets de RD sont mis en jeu par minute. Les communications autres que didactiques (cf annexes) concernent principalement des aspects organisationnels (34u/88). Parmi ces objets, La « gestion du temps » est la plus représentée (14u/88)
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