Géochronologie
Succession d’événements métasomatiques permiens et mésozoïques dans l’est des Pyrénées avec application sur le gisement de talc-chlorite de Trimouns
Comme évoqué dans l’introduction, plusieurs études récentes renouvellent le modèle pré-orogénique des phases pré-alpines à alpines des Pyrénées. Ces travaux traitent notamment de l’amincissement crustal associé à l’exhumation tectonique du manteau dans la ZNP (Lagabrielle et Bodinier, 2008 ; Jammes et al., 2009 ; Lagabrielle et al., 2010 ; Clerc, 2012 ; Clerc et al., 2012 ; Corre et al., 2016 ; Saint Blanquat et al., 2016). Des questions demeurent sur la formation de ce domaine hyper étendu, et sur la période précise d’exhumation du manteau par cassure de la croûte lithosphérique. Il y a une quinzaine d’années, une étude géochronologique majeure (Schärer et al., 1999) a démontré que la minéralisation de Trimouns était ancrée dans le cycle orogénique alpin (pré-collision – ca. 100 Ma) alors que celle-ci était jusqu’alors considérée comme hercynienne. Cette étude permit d’apporter des éléments de réponse aux questions relatives aux Pyrénées alpines. Elle met en relation les terrains paléozoïques de Trimouns et l’amincissement crustal (Boulvais et al., 2006). Elle permet d’inscrire l’hydrothermalisme « talqueux » dans la période de rifting pyrénéen (Crétacé « moyen »), et par conséquent dans une période contemporaine de l’exhumation mantellique des modèles cités précédemment. Cependant, la discussion autour de « l’âge de Trimouns » n’est pas close, et l’étude de Schärer et al. (1999) mérite un approfondissement pour deux raisons. La première est que talc et chlorite ne pouvant pas (encore) être « directement » les objets de datations. Pour dater le gisement, Schärer & al. (1999) utilisent deux minéraux de terres rares contemporains de la talcification : xénotime et monazite. Or ces minéraux se limitent à une zone bien précise du gisement, la zone des minéraux à terres rares dans les dolomies du toit (secteur P2 – Fig. IV-1 et Fig. I-32). Cette zone est bien trop localisée pour représenter un gisement hétérogène. La seconde raison est, que depuis une quinzaine d’années, les techniques de datation ont évolué et plusieurs autres espèces minérales comme les titanites se sont révélées être de bons marqueurs géochronologiques (Frost et al., 2000). L’étude présentée ici (Boutin et al., 2016) prolonge donc les travaux de Schärer et al. (1999) avec le souci d’appliquer des techniques de datation éprouvées sur un plus large panel de minéraux répartis sur les différentes formations du site. Dans cette optique nous avons réalisé un échantillonnage plus fin des minéraux associés aux différents terrains sur Trimouns. L’étude géochronologique U-Th-Pb a été menée à l’ICP-MS à ablation laser sur des minéraux de terres rares (xénotime, monazite, allanite), et sur des minéraux titanifères (titanite, rutile). En parallèle à Trimouns, nous avons pu effectuer des travaux similaires sur des gisements de talc-chlorite de la ZA : le gisement de Caillau au col de Jau, et le gisement de Las Embollas (Fig. IV-1). Ces sites sont plus éloignés du domaine hyper-étendu crétacé et permettent une mise en perspective des âges obtenus sur les minéralisations talco-chloriteuse en fonction du contexte géologique.
Description des roches étudiées
Les marbres gris bleuté du toit (Silurien) situés au contact de la minéralisation talco-chloriteuse (Fig. IV-2) ont été altérés en surface par les fluides métasomatiques. Ils présentent une altération talco- chloriteuse en bordure de banc exclusivement. La roche (hors bordure altérée) est constituée surtout de calcite mais aussi de biotite, de quartz, d’épidote, de titanite et de minéraux accessoires (Fig. IV-3). Cette composition minérale est proche de celle des cornéenne (un faciès métamorphique de basse pression). La présence de titanite au sein de la matrice carbonatée est particulièrement intéressante grâce à son potentiel de géochronomètre (Frost et al., 2000) ; de par sa température de fermeture estimée au- dessus de 500°C (Gascoyne, 1986), la titanite est un minéral de choix pour dater les métamorphismes de bas grade (Fallourd et al., 2014).
Nous avons mené une étude géochronologique sur les titanites de l’échantillon M1S3 avec la méthode à ablation laser couplée à un ICP-MS. Les travaux ont été réalisés à l’Université de Rennes 1 (laboratoire Géosciences Rennes) sous la supervision de Marc Poujol avec un système d’analyse composé d’un spectromètre ICP-MS Agilent 7700, d’un laser Excimer 193 nm ESI (NWR193UC) à durée d’impulsion ultra-courte (<5ns) entièrement piloté par ordinateur, et d’une cellule d’ablation à deux volumes. Le protocole analytique est similaire à celui décrit dans (Boutin et al., 2016) : deux standards ont été utilisés, un zircon « GJ-1 » daté à 602 Ma (Jackson et al., 2004) et une titanite datée à 520 Ma (Pedersen et al., 1989) provenant du Lillebukt Alkaline Complex au nord de la Norvège ; les spots d’analyses ont été faits sur un diamètre de 50 µm. Les données ont été traitées avec le logiciel Glitter (Van Achterbergh et al., 2001). Les âges ont été calculés avec le logiciel isoplot 4.0 (Ludwig, 1998). Les titanites pouvant contenir une part de Pb commun non négligeable, les résultats ont été reportés dans des diagrammes Tera-Wasserburg (rapport 207Pb/206Pb et 206Pb/238U). Nous avons pu analyser huit minéraux de titanites automorphes (pour 10 spots d’analyses) dans une lame mince. Les résultats (Fig. IV-4 et Fig. IV-5) sont assez discordants et définissent une droite (discordia) dont l’intercept inférieur avec la concordia (diagramme Tera-Wasserburg) est situé à 292,2 ±4,2 Ma (MSWD = 2.2). L’intercepte supérieur situé à 4490 ±27 Ma est compatible avec la composition en plomb commun à 290 Ma (rapport 207Pb/206Pb = env. 0.855) suivant le modèle de Stacey et Kramers (1975). Si on force/ancre cette composition, on obtient un âge similaire de 293,4 ±2,1 Ma (MSWD = 2.1). Nous interprétons donc l’âge de 292,2 ±4,2 Ma comme celui de la cristallisation des titanites de cet échantillon.