Evaluation du potentiel des inoculants mycorhiziens et rhizobactériens sur le développement de la culture intensive de la tomate
La rhizosphère
Le terme de rhizosphère tire son origine du grec « rhiza » signifiant racine et du latin « sphaira » signifiant sphère. Le concept de rhizosphère a été introduit pour la première fois en 1904 par Lorenz Hiltner. La rhizosphère est définie comme étant la portion du sol immédiatement en contact avec les racines. Cet environnement est caractérisé par des interactions entre les exsudats racinaires et les microorganismes (Campbell et Greaves, 1990 ; Bell-Prekins et Lynch, 2002). Cette zone d’interaction s’étend de quelques micromètres à plus de 2 mm en dehors de la surface racinaire (Kennedy et de Luna, 2004).
La rhizosphère comporte trois parties : l’endorhizosphère (intérieur de la racine), le rhizoplan (surface racinaire) et l’exorhizosphère ou le sol rhizosphérique (sol lié à la racine par opposition au sol distant) (Gray et Smith, 2005; Brimecombe et al., 2007). De même, la densité des bactéries est plus élevée dans la rhizosphère que dans le sol distant des racines, il s’agit de «l’effet rhizosphère» (Lemanceau, 1992 ; Whipps, 2001 ; Lugtenberg et Kamilova, 2009) qui est un processus dynamique résultant d’interactions entre la plante hôte, le sol, les conditions climatiques, les pratiques culturales et les interactions au sein des communautés microbiennes (Katznelson et al., 1962). 2. Les microorganismes de la rhizosphère : les CMA et les Pseudomonas Parmi les microorganismes retrouvés dans le sol, certains vivent en symbiose ou en mutualisme avec les végétaux. Dans ces associations, les microorganismes peuvent être classés en deux catégories : – Les micro-organismes qui colonisent l’extérieur de la racine c’est-à-dire, la rhizosphère ou le rhizoplan : ce sont les ectosymbiontes. C’est le cas des rhizobactéries comme les Pseudomonas (Gray et Smith, 2005). – Les micro-organismes vivant à l’intérieur des cellules de la plante hôte : ce sont les endosymbiontes.
Cette catégorie est constituée majoritairement de champignons dits endomycorhiziens, dont les hyphes pénètrent dans les cellules végétales jusqu’au plasmalemme en formant des arbuscules. Ces champignons sont définis sous le nom de champignons mycorhiziens arbusculaires et regroupent principalement l’ordre des glomales.
Les Pseudomonas spp fluorescents
Dans la rhizosphère, les bactéries constituent les microorganismes le plus nombreux et les plus variés. Certaines de ces bactéries peuvent jouer un rôle bénéfique pour la plante. C’est le cas des bactéries dites PGPR (Plant Growth Promoting Rhizobacteria) (Kloepper et Schroth 1978 ; Lugtenberg et Kamilova, 2009) également appelées rhizobactéries. Ces bactéries appartiennent à différents genres et espèces parmi lesquels les Pseudomonas spp fluorescents (Broadbent et al., 1977 ; Leong, 1986). Le genre Pseudomonas découvert en 1894 par Migula appartient au phylum des Proteobacteria, classe des Gammaproteobacteria, famille des Pseudomonaceae, ordre des Pseudomonales (Moore et al ; 2006). Il comprend plus d’une centaine d’espèces ubiquistes (Bossis et al., 2000 ; Palleroni et Moore, 2004). Les bactéries appartenant au groupe des Pseudomonas spp. fluorescents sont parmi les plus abondantes dans la rhizosphère. Dans certains cas, elles représentent plus de 60 % de la microflore bactérienne totale du sol (Digat et Gardan, 1987). Ces bactéries mobiles sont des bacilles à Gram négatif de 0,5 à 5 micromètres de long, (Bell-Perkins et Lynch, 2002).
Les différentes espèces de Pseudomonas sont divisées en 5 groupes selon leur ARNr. Le sous-groupe des Pseudomonas fluorescents est certainement le plus étudié. Il se caractérise par la production de pigments jaune-vert fluorescents (pyroverdine ou pseudobactine) dans des conditions de carence en fer. Parmi les espèces appartenant à ce groupe, on peut citer : Pseudomonas aeruginosa, espèce pathogène pour l’homme, P. syringae, espèce phytopathogène et P. fluorescens, P. putida et P. Chlororaphis rassemblent des espèces saprophytes (Hofte et Altier, 2010). Certaines de ces espèces de Pseudomonas influencent de manière bénéfique la plante en stimulant sa croissance (voie directe) et ou en la protégeant contre des infections par des agents phytopathologiques (voie indirecte) (Suslow, 1982 ; Kloepper et al., 1991 et Digat, 1992).
Les effets directs
La solubilisation des phosphates par les Pseudomonas spp fluorescents
Après l’azote, le phosphore est l’élément le plus limitant pour les plantes qui sont capables seulement d’absorber ses formes solubles mono et dibasiques (H2PO4 – , HPO4 2-) (Ramos Solano et al., 2008b ; Keneni et al., 2010). L’amélioration de l’alimentation minérale de la plante en phosphore a été la première hypothèse proposée pour expliquer l’effet bénéfique enregistré à la suite de la bactérisation des plantes (Gerretsen, 1948). En présence 6 de PGPR, le phosphore insoluble peut être rendu disponible pour les plantes soit par solubilisation des phosphates inorganiques, sous l’effet d’acides ; soit par une minéralisation des phosphates organiques grâce à des phosphatases, (Richardson, 2001 ; Chung et al., 2005 ; Khan et al., 2009 ; Kim et al., 1998 in Weyens et al., 2010). Dans le cas de la solubilisation des phosphates sous l’effet des acides, les acides gluconiques et 2 – cétogluconique sont les plus fréquemment rencontrés. Les acides glycolique, oxalique, malonique et succinique, ont également été identifiés. Certaines souches sont capables de produire en plus des mélanges d’acides lactiques, isovalérique, isobutyrique et acétique.
La libération de ces acides mobilisant le phosphore par l’intermédiaire d’interactions ioniques avec les cations du sel de phosphate conduisent à l’acidification des cellules microbiennes et de leur environnement, permettant la libération du phosphate sous forme ionique (figure 1). La libération des groupements phosphates liés à la matière organique est assurée par l’action des phosphatases (Kumar et Narula 1999 ; Whitelaw, 2000 ; Gyaneshwar et al., 2002). Les espèces de Pseudomonas spp. fluorescents comme P. chlororaphis, P. putida et P. aeruginosa ont été identifiées comme des rhizobactéries solubilisant le phosphate (Cattelan et al., 1999 ; Bano et Musarat, 2003). Ces bactéries rhizosphériques solubilisant le phosphate pourraient être une source prometteuse comme agent biofertilisant dans l’agriculture (Sharma et al., 2007).
La production de sidérophores
Le fer est un élément capital aussi bien pour les bactéries, les champignons ainsi que pour les plantes. Il est abondant dans le sol et se présente sous forme d’oxydes de fer (Compant et al., 2005), mais il demeure souvent un facteur limitant pour la croissance des bactéries et des plantes. Pour acquérir cet élément indispensable et peu soluble, la plupart des microorganismes comme les Pseudomonas ont développé un mécanisme d’acquisition du fer qui repose sur la synthèse de sidérophores (Neilands, 1976 ; Leong, 1986). Ce sont des métabolites de faibles poids moléculaires qui présentent une forte affinité pour le fer (Fe3+) (Neilands, 1976). Les sidérophores de bactéries rhizosphériques peuvent influencer directement l’alimentation de la plante en fer, comme ils peuvent causer l’inhibition des autres micro-organismes y compris les phytopathogènes dont l’affinité pour le fer est faible (O’sullivan et O’gara, 1992 ; Kapulnik 1996). Ils jouent également le rôle de chélateurs de métaux rhizosphériques ayant une faible disponibilité pour les plantes tels le Zn et le Pb (Dimkpa et al., 2009).
La production de régulateurs de croissance
Plusieurs étapes de la croissance et du développement des plantes telles que l’élongation, la division cellulaire, la différenciation tissulaire et la dominance apicale sont régulées par des hormones. Les PGPR appartenant au genre Pseudomonas sont capables de produire des régulateurs de croissance végétale (Karnwal, 2009) : l’auxine (Acide indole-3-acétique AIA), les gibbérellines, les cytokinines, l’éthylène et l’acide abscissique (Mitter et al., 2002 ; Lucy et al., 2004 ; Zahir et al., 2004 ; Tsakelova et al., 2006; Joo et al., 2009). – L’AIA est le plus important du groupe des auxines, et les rhizobactéries produisant cette hormone sont connues pour leurs capacités à stimuler la croissance et augmenter la longueur des racines (Spaepen et al., 2007 ; Ashrafuzzaman et al., 2009) grâce à ces régulateurs de croissance. Il en résulte une surface racinaire plus grande et une accessibilité pour plus de nutriments pour la plante. Patten et Glick (2002), ont rapporté le rôle de l’AIA produit par P. putida, chez la plante hôte, dans le développement de son système racinaire. – Les cytokinines forment une classe de phytohormones qui stimulent les divisions cellulaires, l’élargissement et le développement des tissus (Salisbury, 1994).
La production de cytokinines a été rapportée chez P. fluorescens (Garcia et al., 2001) . 8 – Les gibbérellines interviennent dans plusieurs processus tels que la germination des graines, la floraison, la fructification et la sénescence dans de nombreux organes d’une large gamme d’espèces végétales (MacMillan, 2002). Elles sont également impliquées dans la promotion de la croissance de la racine car elles régulent l’abondance des poils racinaires (Bottini et al., 2004). La stimulation de la croissance des plantes par les PGPR productrices de gibbérellines est rapportée par plusieurs travaux et cet effet positif sur la biomasse végétale est souvent associé à une teneur accrue en gibbérellines dans les tissus végétaux (Atzhorn et al., 1988 ; Gutierrez-Manero et al., 2001; Joo et al., 2009). – L’éthylène est une phytohormone au rôle central dans la modulation de la croissance et du métabolisme cellulaire des végétaux (Ping et Boland, 2004). Elle est capable de lever la dormance des graines, favorise également la maturation des fruits et déclenche l’abscission des feuilles (Bleecker et Kende, 2000).
La production d’éthylène par la plante peut être induite par n’importe quelle perturbation physique ou chimique des tissus (Salisbury, 1994). Cependant, l’élévation de sa concentration peut être à l’origine de l’inhibition de l’élongation racinaire et de la croissance des racines latérales (Mayak et al., 2004). La diminution de la teneur de l’éthylène peut être réalisée en dégradant son précurseur direct, l’acide 1- Aminocyclopropane -1- carboxylique (ACC), à l’aide de l’ACC-désaminase. Cette enzyme est exprimée chez plusieurs rhizobacteries telles que les Pseudomonas spp (Glick et al., 1994) . L’activité de l’ACC désaminase diminuerait la production d’éthylène et favoriserait un allongement des racines.
Les effets indirects
L’antibiose
L´antibiose consiste en une inhibition directe de la croissance du pathogène via la production de métabolites aux propriétés antifongiques et/ou antibiotiques. Les souches de Pseudomonas produisent une variété de métabolites antifongiques puissants. Il s’agit par exemple de l’acide cyanhydrique (HCN), la viscosamide, la pyolutéorine, le 2,4- diacetylphloroglucinol (DAPG), la pyrrolnitrine, les phénazines, les butyrolactones, les tensines et les tropolones (Haas et Defago, 2005). Howell et Stipanovic (1980) ont mis en évidence la synthèse de deux antibiotiques, la Pyrrolnitrine et la pyolutéorine, par une souche de P. fluorescens, capables d’inhiber in-vitro la croissance de Pythium ultimum (agent causal 9 de la fonte des semis et de la pourriture du collet des plantes) et de rhizoctonia solani (agent de la fonte des semis et de la pourriture des racines des plantes). Des études récentes rapportent que ces deux antibiotiques sont le support de l’activité biologique de plusieurs souches de Pseudomonas fluorescents envers une multitude d’agents pathogènes (Ligon et al., 2000 ; Ramette et al., 2011 ; Rosas et al., 2011). Par ailleurs, Lindberg (1981) a établi le spectre d’activité d’un antibiotique, la tropolone, synthétisée par une souche de Pseudomonas qui manifeste des propriétés antagonistes à l’encontre de différents champignons : Alternaria, cladosporium, Dioplodia, Fusarium, Helminthosporium, Pyricularia, Pythium, Rhizoctonia.
La compétition
Les interactions microbiennes sont conditionnées par la nature et l’intensité de la compétition entre microorganismes (Lockwood, 1981 ; Alabouvette, 1983). Cette compétition s’exerce pour l’espace et les nutriments. Les Pseudomonas fluorescents participent à ces deux types de compétition. Toutefois, les PGPR doivent être présents sur les racines en nombre suffisant pour avoir un effet bénéfique et être capable d´instaurer une compétition pour les nutriments dans la rhizosphère (Haas et Defago, 2005). Cette colonisation importante des racines réduit le nombre de sites habitables pour les micro-organismes pathogènes et par conséquent, leur croissance (Piano et al., 1997). L’essentiel de la compétition instaurée par les Pseudomonas fluorescents est de nature trophique, en particulier pour le fer. Ces microorganismes bénéfiques ont la capacité de synthétiser des composés s´appropriant les ions ferriques présents dans la rhizosphère et les rendent ainsi indisponibles pour les microorganismes pathogènes, entrainant une diminution de leur croissance. Outre la vitesse de croissance intrinsèque, les autres propriétés renforçant le potentiel colonisateur d´une souche sont la mobilité grâce au flagelle (Jofre et al., 2004), le chimiotactisme et la faculté d´utilisation des composés excrétés par les racines en tant que sources de carbone et d´azote (Berggren et al., 2001; Gupta, 2003).
La résistance systémique induite ou ISR
La reconnaissance par la plante de certaines bactéries de la rhizosphère peut conduire à une réaction d’immunisation lui permettant de mieux se défendre vis-à-vis d’une attaque par un organisme pathogène (Van Loon, 2007). Cette « immunisation » de la plante est appelée résistance systémique induite (ISR) (Jourdan et al., 2008). Elle s’initie suite à la perception par la plante de molécules dites élicitrices produites par le microorganisme bénéfique (Jourdanet al., 2008). Plusieurs molécules ont été identifiées comme étant des éliciteurs et 10 impliqués dans l´ISR : la flagelline (protéine du filament flagellaire) des rhizobactéries, les lipopolyssacharides (Meziane et al., 2005), les sidérophores tels que les pyoverdines et la pyochéline (Bakker et al., 2007 ; Meziane et al., 2005), les antibiotiques (Audenaert et al., 2002). Ce phénomène d’induction de résistance systémique par les rhizobactéries est considéré comme une stratégie prometteuse dans la lutte biologique contre les maladies des cultures (Ramos Solano et al., 2008b). L’ISR peut être induite par des bactéries à Gram négatif qui appartiennent au genre Pseudomonas (fluorescens, putida, aeruginosa) (Jourdan et al., 2008). Wei et al., (1991) ont pu montrer que des souches du genre Pseudomonas suppriment l’anthracnose par l’induction de la résistance systémique des plantes vis-à-vis de Colletotrichum orbiculare.
LISTE DES FIGURES |