Molécules-signal impliquées dans les étapes précoces de la symbiose actinorhizienne Casuarina-Frankia
Les endosymbioses racinaires
L’azote (N2) est l’un des éléments les plus abondants (78%) de l’atmosphère terrestre, cependant il constitue également l’un des éléments les plus limitants pour la croissance, le développement et la productivité des végétaux. Les formes assimilables d’azote présentes dans le sol sont l’ammonium (NH4 + ), les nitrates (NO3 – ) et les nitrites (NO2 − ) mais elles ne sont peu ou pas retenues. Cela est principalement dû au lessivage des sols, d’une part, et au processus de nitrification/dénitrification, d’autre part. Ces formes assimilables sont donc sujettes à un constant renouvellement via des procédés naturels comme la minéralisation de la matière organique, l’action de microorganismes fixateurs d’azote et l’épandage de fertilisants azotés (Dixon & Wheeler, 1983). L’épandage excessif de ces engrais azotés (multipliée par 9 en 40 ans, passant de 10 à 90 million de tonnes par an entre 1960 et 2000) a provoqué de graves problèmes environnementaux. En moyenne, seule la moitié de cet engrais épandu est effectivement assimilée par les plantes, laissant une quantité considérable d’azote résiduel dans les sols perturbant ainsi la biodiversité des écosystèmes (Vance et al., 2001, Adams et al., 2018). L’impact écologique négatif est davantage aggravé dès lors que l’on considère les grandes quantités d’énergies fossiles consommées pour la production de ces engrais chimiques (Graham & Vance, 2003). Les plantes en tant qu’organismes immobiles ont mis en place différentes stratégies d’acquisition de l’azote par leurs racines (Kraiser et al., 2011 ; Wang et al., 2012b). D’une part, il existe une voie dite autonome, où la plante seule prélève dans le sol l’azote assimilable par des systèmes de transport : des transporteurs de nitrate pour l’ammonium/ammoniac et des transporteurs d’acides aminés et d’urée, qui sont les deux formes majeures d’azote organique. Ces systèmes fonctionnent de pair avec une modulation de la croissance racinaire, permettant d’augmenter la surface d’échange via la taille de la racine principale ou le nombre de racines latérales. D’autre part, il existe d’autres voies d’acquisition dites en association, où la plante est cette fois assistée par des microorganismes du sol pour l’acquisition de l’azote : les bactéries capables de promouvoir la croissance des plantes (PGPB, Plant Growth Promoting Bacteria), les bactéries fixatrices d’azote et les champignons mycorhiziens (Vance, 2001 ; Kloepper et al., 2004 ; Puri et al., 2016). La majorité des espèces végétales terrestres a la capacité de former des endosymbioses racinaires mutualistes avec plusieurs types de microorganismes telluriques. Ces relations symbiotiques sont par définition à bénéfice réciproque pour les deux partenaires et sont basées sur l’amélioration de la nutrition minérale des plantes fournie par les microorganismes (en particulier, l’azote et le phosphore). Figure 1. Evolution des endosymbioses racinaires Les endomycorhizes arbusculaires seraient apparues il y a 450 millions d’années (Ma) et les symbioses nodulaires fixatrices d’azote, il y a environ 65 Ma. Les plantes nodulées appartiennent toutes au clade des Eurosids I. Elles sont réunies en quatre sous-clades, les Fagales (Fa), les Cucurbitales (Cu), les Rosales (Ro) et les Fabales (Fa). Ces plantes ont un ancêtre commun qui avait la capacité à former des endomycorhizes et possédait une prédisposition à établir une symbiose fixatrice d’azote nodulaire avec des bactéries (Kistner & Parniske, 2002). Les microorganismes héterotrophes en retour reçoivent des composés contenant du carbone, nécessaire à leur vie et croissance, et qui sont produits par la photosynthèse de la plante (Denison & Kiers, 2011). Parmi les interactions mutualistes, on trouve celles qui sont formées : (i) entre les plantes et les champignons mycorhiziens à arbuscules, c’est la symbiose mycorhizienne à arbuscules, (ii) entre différentes espèces de légumineuses et les bactéries fixatrices d’azote (Rhizobia) c’est la symbiose Rhizobium-Légumineuse et (iii) entre les espèces actinorhiziennes et l’actinomycète appelée Frankia, c’est la symbiose actinorhizienne (Parniske, 2008 ; Kucho et al., 2010 ; Oldroyd et al., 2011). La symbiose mycorhizienne à arbuscules existe depuis environ 450 millions d’années. Elle a joué un rôle important dans la colonisation du milieu terrestre par les plantes. Cette interaction concerne 80% des plantes vasculaires terrestres (Bonfante and Perotto, 1995 ; Wang & Qiu, 2006 ; Smith & Read, 2008 ; Brundrett, 2009) ce qui reflète son importance et son caractère ancestral. En parallèle de cette association plante-champignon, les symbioses nodulaires fixatrices d’azote ne sont apparues que récemment dans l’histoire de l’évolution (figure1), il y a environ 65 millions d’années (Kistner & Parniske, 2002 ; Sprent, 2007).
Les symbioses mycorhiziennes
Il existe deux types de symbioses mycorhiziennes : les ectomycorhizes (EM) et les endomycorhizes qui se distinguent selon que le champignon colonise les espaces intercellulaires des racines ou se développe à l’intérieur des cellules (figure 2). Les endomycorhizes sont ensuite divisées en mycorhizes à orchidées, éricoïdes et arbusculaires (AM). Les champignons ectomycorhiziens représentent plus de 5000 espèces fongiques (Barker et al., 1998) et sont essentiellement des Ascomycètes. Les EM sont caractérisées par la non pénétration des filaments du champignon dans les cellules et la formation du ‘manteau’ autour des racines. Le réseau de Hartig, constitué d’un labyrinthe d’hyphes fongiques s’insinuant entre les cellules racinaires de la partie externe du parenchyme cortical, ne pénètre pas dans les cellules de l’hôte, ce qui permet d’identifier cette forme de symbiose entre le champignon et la racine d’association ectomycorhizienne (Franck, 1885 ; Harley & Smith, 1983 ; Brundrett, 2004) (figure 2). Ce réseau constitue le siège des échanges nutritifs entre le champignon et la plante (Burgess et al., 1994 ; Marschner & Dell, 1994 ; Smith & Read, 1997). La symbiose mycorhizienne à arbuscule (AM) concerne des champignons filamenteux du phylum Glomeromycota qui sont capables d’interagir avec la plupart des plantes terrestres. Cette symbiose fait partie des plus anciennes endosymbioses racinaires (Remy et al., 1994, Smith & Read, 2008). Au cours de cette association, le champignon se comporte comme une extension des racines de l’hôte aidant à l’acquisition de l’eau et des minéraux présents dans le sol 8 Figure 3. Schéma récapitulatif des principaux échanges durant la symbiose endomycorhizienne à arbuscules Schéma résumant les principaux échanges, ainsi que les transporteurs les permettant mis en évidence à ce jour, entre la plante, le champignon et le sol, durant la symbiose endomycorhizienne à arbuscules. D’après Bonfante & Genre, 2010 ; Helber et al., 2011 ; Fellbaum et al., 2012). Figure 2. Représentation schématique de la colonisation d’une racine par un champignon ectomycorhizien et un champignon endomycorhizien à arbuscules Le champignon ectomycorhizien entoure la pointe de la racine avec un épais manteau d’hyphes fortement appréhendés (à gauche en bleu), alors que le réseau de Hartig se développe autour des cellules épidermiques (vert). Dans le cas des mycorhizes arbusculaires, la pointe de la racine n’est généralement pas colonisée (à droite en rose). Les hyphes se développent à partir d’une spore et produisent un hyphopode sur l’épiderme racinaire. La colonisation intraradicale se poursuit à la fois selon un mode intra- et intercellulaire et culmine avec la formation d’arbuscules à l’intérieur des cellules corticales internes (brun) (Bonfante & Genre, 2010). Ectomycorhization Endomycorhization Hartig Manteau 9 (Smith & Smith, 2011). Chez les endomycorhizes, les filaments du champignon pénètrent à l’intérieur des cellules racinaires (figure 2).
L’acquisition des éléments nutritifs par les champignons mycorhiziens à arbuscules
En complément des systèmes d’acquisition des nutriments des plantes à travers l’épiderme et les poils absorbants racinaires, les champignons mycorhiziens à arbuscules (CMA) sont considérés comme des « organes additionnels» d’absorption des nutriments de la plupart des plantes vasculaires (Smith et al., 2009). En effet, les champignons, une fois associés à la plante hôte, forment un réseau mycélien extraracinaire qui constitue un prolongement du réseau racinaire et permet un recrutement des nutriments et de l’eau dans un volume de sol plus important que celui exploré par les racines seules (figure 2). Le champignon fournit principalement du phosphore qui est un nutriment peu disponible pour les plantes en raison de sa mobilité réduite dans le sol et sa solubilité partielle. Les plantes peuvent tout de même moduler leur colonisation par le champignon en fonction de différents facteurs environnementaux et, notamment, en fonction de leur besoin en nutriments. Par exemple, lorsque la concentration en phosphates du sol est élevée, l’établissement de la symbiose est inhibé (Graham et al., 1981) et inversement. Le champignon fournit également de l’eau à la plante : une plante mycorhizée présente une meilleure capacité d’acquisition de l’eau qu’une plante non mycorhizée, que celle-ci soit dans des conditions de carence hydrique ou non, a contrario de la régulation par le phosphore (Bárzana et al., 2012). Comme le phosphate, l’azote est un composant vital pour le CMA et la plante. Il entre dans la formation des phospholipides, des coenzymes et des acides aminés. Le prélèvement et le transport de l’azote du CMA a été montré durant l’exposition des hyphes extra-racinaires du CMA au 15NO3 – ou au 15NH4 + marqués. Les hyphes et les racines étaient alors hautement marqués, suggérant le transfert de l’azote du CMA vers les racines (Govindarajulu et al., 2005). L’azote est présent sous deux formes dans le sol : organique et minérale (nitrites, nitrates et ions ammonium). Le mycélium du CMA est capable de prélever l’azote sous forme d’ions ammonium (NH4 + ) (Johansen et al., 1996), sous forme de nitrates (NO3 – ) (Bago et al., 1997 ; Johansen et al., 1996) et sous forme d’acides aminés (Hawkins et al., 2000), avec une nette préférence pour les ions NH4+ (LópezPedrosa & Gonzalez-Guerrero, 2006). Il peut également accélérer la dégradation de la matière organique afin d’en augmenter la biodisponibilité pour les plantes (Hodges et al., 2000). Ces transports de nutriments et photosynthétats s’effectuent grâce à des transporteurs spécifiques situés sur la membrane fongique dans le mycélium extra-racinaire (figure 3). La symbiose MA étant une symbiose à bénéfices réciproques, le champignon en retire des photosynthétats carbonés que la plante lui fournit sous forme d’hexoses et qui peuvent constituer jusqu’à 20% du carbone fixé par la plante lors de la photosynthèse (Smith & Read, 2008).
La symbiose Rhizobium-légumineuses
Intérêt agronomique et écologique
La symbiose Rhizobium-légumineuses est le modèle d’interactions symbiotiques le plus étudié car de nombreuses espèces cultivées appartiennent à la super famille des légumineuses. Une partie de leurs avantages agronomique, économique et environnemental s’explique justement par leur aptitude à profiter directement de l’azote N2 fixé par la bactérie symbiotique qu’elle héberge, permettant de produire en grande quantité des protéines végétales même en l’absence de fertilisation azotée. Dans le contexte d’une agriculture durable, la culture de ces plantes est compatible avec la réduction d’intrants et la préservation et l’enrichissement des sols en azote. On estime à 100 million de t/an, la quantité d’azote fixée par cette symbiose (Ferguson et al., 2010). Cette quantité est comparable à la quantité de fertilisants azotés utilisés par l’industrie agricole. Dans la plupart des cas, l’assimilation d’azote via un processus symbiotique couvre les besoins de la plante. Dans le sol on peut retrouver 30 à 60% de cette ressource azotée sous forme de rhizodépots qui pourront alors être utilisés par d’autres plantes non symbiotiques. Du fait de l’interaction symbiotique avec les rhizobia, les légumineuses sont capables de croître indépendamment de la présence de composés azotés dans le sol. Les rhizobia sont de bon candidats pour améliorer les rendements agricoles car l’on peut utiliser les légumineuses comme engrais vert azoté. De plus, de nombreuses légumineuses sont intégrées à la nutrition animale et humaine, ou procurent un intérêt dérivé (chauffage, ornement,…). Elles constituent une source majeure de protéines et d’huiles végétales (Graham & Vance, 2003). Ces intérêts agronomiques et écologiques font des légumineuses des plantes largement cultivées sur la planète mais aussi largement étudiées par les équipes de recherche scientifique.
Partenaires symbiotiques
Partenaire végétal : les légumineuses
Les plantes de la super famille des légumineuses ont la capacité de s’associer avec les rhizobia qui vont s’intégrer de manière intracellulaire dans la légumineuse-hôte, lors de la genèse d’un nouvel organe, la nodosité racinaire ou caulinaire. Ces symbioses ont des aspects très variés, au regard de la localisation, de la forme, et de l’anatomie des nodules engendrés (Masson-Boivin et al., 2009). Les légumineuses appartiennent à la famille des Fabaceae (ou Leguminosae) qui sont des plantes dicotylédones et représentent une des trois plus importantes familles d’angiospermes, comprenant près de 800 genres et 20000 espèces (Smykal et al., 2015). D’après la nouvelle classification (LPWG, 2017), cette famille est constituée 11 Figure 4. Phylogénie des légumineuses Elle est basée sur l’analyse de séquences peptidiques de 81 protéines codées (E.J.M. Koenen et al., en prép.). Les six sous-familles sont indiquées par les cases colorées à droite de la phylogénie. Les branches colorées indiquent les trois sous-familles traditionnellement reconnues de Leguminosae : le rouge montrant les Caesalpinioideae au sens ancien paraphylétique, le bleu, les Mimosoideae et le vert, les Papilionoideae (LPWG, 2017) de 6 sous-familles, les Duparquetioideae (1 genre et 1espèce) ; les Cercidoideae (12 genres et 335 espèces) ; les Detarioideae (84 genres et 760 espèces) ; les Dialioideae (17 genres et 85 espèces) ; les Papilionoideae, auxquelles appartiennent la plupart des espèces capables d’établir une symbiose fixatrice d’azote, et les Caesalpinioideae dans laquelle on retrouve les Mimosoideae constitués principalement des arbres et arbustes tropicaux et subtropicaux (figure 4).
Partenaire bacterien : les Rhizobia
Les Rhizobia sont des bactéries Gram négative, non sporulantes et possédant entre 2 et 6 flagelles péritriches ou un unique flagelle polaire comme Mesorhizobium (Bergey’s Manual Trust, 2001). Ce sont des microorganismes chimioorganotrophes aérobies stricts fixateurs de N2. Les bactéries collectivement regroupées sous le terme de rhizobia vivent dans la rhizosphère, qui est l’environnement proche des racines des végétaux et qui constitue la zone d’influence de la racine sur le sol. Elles s’y développent à faible vitesse et ont besoin d’azote ammoniacal pour croître. Les rhizobia forment un groupe paraphylétique (figure 5) où l’on trouve aussi bien des Protéobactéries appartenant aux genres Azorhizobium, Bradyrhizobium, Mesorhizobium, Allorhizobium, Sinorhizobium et Rhizobium (Wang & Martinez-Romero, 2000) et d’autres Protéobactéries, appartenant, entre autres, aux genres Burkholderia (Moulin et al., 2001), Ralstonia (Chen et al., 2001) et Methylotropus (Sy et al., 2001) Les genres Azorhizobium et Bradyrhizobium, par exemple, sont assez éloignés des autres et devraient être placés dans une autre famille (Wang & Martinez-Romero, 2000). Les genres Allorhizobium et Sinorhizobium sont très proches du genre Agrobacterium qui a été classé en dehors des Rhizobiacées en raison de ses caractéristiques pathogènes. Or, les gènes, qui confèrent aux Rhizobia leur capacité symbiotique et ceux qui confèrent à Agrobacterium son pouvoir pathogène, se situent en majorité sur des plasmides. Comme les plasmides peuvent être transmis horizontalement entre bactéries de différentes espèces, la prise en compte des caractères codés par les plasmides n’est pas le meilleur moyen pour établir des divisions phylogénétiques. La classification des Rhizobia est en constante modification, elle peut être suivie sur le site web du sous-comité de taxonomie des Rhizobia (http://edzna.ccg.unam.mx/rhizobial-taxonomy) mais également sur un site tenu par le Dr. Weir, spécialiste en taxonomie des Rhizobia en Nouvelle Zélande (http://www.rhizobia.co.nz/taxonomy/rhizobia). La taxonomie officielle des bactéries dont les noms sont validés par les comités de taxonomie, est mise à jour régulièrement sur le site http://www.bacterio.cict.fr/.
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