Modélisation 3D de l’hydraulique racinaire du mil
Méthodes de phénotypage du système racinaire
La conception d’un modèle de structure structure-fonction (FSPM) présuppose de collecter des données relatives à la structure de la plante et aux processus physiologiques qui serviront d’intrants pour alimenter le modèle (DeJong et al., 2011). Le phénotypage végétal est le processus d’identification et d’enregistrement des caractères qualitatifs et quantitatifs qui décrivent le développement des plantes et leurs aspects fonctionnels à différents niveaux d’organisation (cellule, tissu, organe ou à l’échelle de la plante entière ; Granier et Vile, 2014). Les stratégies de phénotypage permettent de suivre de très près le développement des plantes et leur réponse à différentes conditions de croissance afin de décrire un profil architectural et / ou physiologique complet dans le temps et dans l’espace. De nombreuses techniques de phénotypage, allant des méthodes au labo et en serre à des méthodes utilisées aux champs, ont été développées au cours des dernières années (Paez-Garcia et al, 2015). Bien que la plupart d’entre elles soient dédiés aux parties aériennes de la plante (Berger et al, 2012 ; Araus et Cairns, 2014), un certain nombre de techniques permettent la caractérisation de l’architecture racinaire. Le choix d’un système de phénotypage racinaire dépend de plusieurs facteurs, dont entre autres l’espèce étudiée (annuelle vs pérenne), les traits d’intérêt ciblés, la phase de développement étudiée de la plante (précoce vs terminale), la nécessité de recueillir des données 2D ou 3D, la possibilité de sacrifier la plante (mesures destructives vs nondestructives), l’échelle temporelle de la cinétique de croissance (jours vs mois) et enfin le coût (Paez-Garcia et al., 2015). La diversité des systèmes de phénotypage des racines qui ont été développés au fil des années permet maintenant aux chercheurs de choisir la configuration la plus adaptée à leurs questions d’intérêt (Kuijken et al., 2015) (Tableau 1).Une façon simple d’aider à catégoriser et à choisir parmi les systèmes de phénotypage racinaire consiste à les considérer selon leur débit, ce dernier étant estimé à la fois par l’échelle du dispositif expérimental (combien d’unités expérimentales peuvent être déployées en parallèle), et le temps qu’il faut pour collecter les données par unité expérimentale. Les systèmes de phénotypage au laboratoire et en serre tendent à permettre des expériences de phénotypage à haut débit (plusieurs centaines à plusieurs milliers de plants en parallèle et/ou une acquisition rapide des données), permettant de tester un grand nombre de plants dans des conditions hautement contrôlées et répétables (Tableau 1). Ces méthodes à haut débit sont essentielles pour les études QTL ou GWAS visant à lier la plasticité de l’ASR à des marqueurs génétiques ou à des gènes ou allèles spécifiques qui peuvent être une cible d’intérêt pour la sélection variétale. Les systèmes à débit moyen peuvent généralement traiter des dizaines de 6. Observatoire de croissance et de luminescence (GLO-Roots) Sol (labo) Moyen (des centaines de plantes en parallèle) Non / 2D Dérivé du principe rhizotron, ce système utilise des plantes transgéniques bioluminescentes pour représenter la croissance des racines dans le sol. (Rellán-Álvarez et al., 2015) 7. Rhizoscope Milieu liquide + support solide (billes de verre) (labo) Haut (des centaines de plantes en parallèle) Non / 2D Ce système ressemble à un rhizotron. La principale différence est que le substrat de croissance est remplacé par des perles de verre transparentes entre lesquelles circule un milieu liquide. Les billes de verre peuvent être enlevées pour exposer le système racinaire et faciliter l’imagerie et/ou l’échantillonnage. (Audebert et al 2010) 8. Méthode du pot clair Sol (serre) Haut (des centaines de plantes en parallèle) Non / 3D Encore une variante du principe rhizotron. Ici, les plantes sont cultivées dans des pots transparents remplis de terre ou d’un autre milieu de culture. Les graines sont plantées près de la paroi du pot pour permettre l’imagerie à haut débit des racines le long de la paroi du pot clair. (Richard and Hickey, 2015) 9. Rhizoslides Basé sur du papier (labo, serre) Haut (des centaines de plantes en parallèle) Non / 2D La configuration consiste à faire pousser les plantes sur du papier germinatif supporté par des plaques de plexiglas et partiellement immergées dans un milieu liquide nutritif, permettant l’imagerie directe des plants poussant sur le papier. (Marié, 2014) 10. Rhizoponie Milieu liquide (labo) Très haut (milliers de plantes en parallèle) Non / 2D Similaire aux systèmes de rhizoscopes en ce sens qu’il combine l’hydroponie et les rhizotrons. Le système est composé d’un tissu de nylon supporté par un cadre en aluminium. La configuration est immergée dans un réservoir rempli de milieu liquide. (Mathieu and Lobet, 2015) 11. Aéroponie Air (labo) Très haut (milliers de plantes en parallèle) Non / 3D Dans ce système, les plantes sont cultivées à partir de n’importe quel type de substrat et les racines sont soumises à un brouillard régulier pour fournir de l’eau et des éléments nutritifs. Le système racinaire est entièrement accessible en tout temps, bien qu’affaissé par la croissance sans support mécanique. (De Dorlodot et al. 2005) 27 plantes en même temps et se focalisent davantage sur la résolution spatiale et temporelle de la récolte des données. Qu’ils soient basés au laboratoire ou au champ, ces systèmes sont souvent utilisés pour générer les paramètres architecturaux et physiologiques utilisés à la fois pour la calibration et la validation des FSPMs. A une l’échelle de débit plus faible, on trouve des méthodes qui nécessitent des outils technologiques coûteux (par ex., tomographie à rayons X) ou un temps d’acquisition de données important (par ex., shovelemics à échelle fine). Outre le faible débit, la tomographie à rayons X racinaire n’est toujours pas parfaitement maîtrisée, étant soumise à une perte potentielle d’information et à un bruit supplémentaire en raison de la faible résolution des images générées (Mooney et al., 2011) et du fait que la reconstruction 3D automatisée du système racinaire est réalisée à partir d’approches de modélisation statistique (Mooney et al., 2011 ; Kuijken et al., 2015). Un paramètre important à prendre en compte lors du choix d’un système de phénotypage racinaire est l’équilibre entre le besoin de conditions contrôlées et l’observation du développement « réel » de la racine. Les méthodes au laboratoire et en serre, comme les rhizotrons, limitent souvent la croissance du système racinaire à une structure 2D de taille limitée, ce qui peut rapidement entraver la croissance du système racinaire. Au contraire, les systèmes permettant une accessibilité permanente de la racine pour l’observation et l’échantillonnage (par ex., hydroponie et aéroponie) impliquent un manque de milieu mécanique pour soutenir l’ASR et avoir un impact sur son développement, ce qui signifie que la pertinence des phénotypes architecturaux observés dans ces configurations est discutable. Bien qu’elles soient théoriquement moins structurellement limitantes, les méthodes basées au champ nécessitent une configuration spécifique, comme les abris de pluie et les systèmes d’irrigation, pour offrir des conditions contrôlées et prendre en compte avec précision les effets des environnements sur le développement racinaire, tout en limitant fortement l’étendue des observations possibles et des mesures du système racinaire (Paez-Garcia et al., 2015). Des stratégies intermédiaires telles que les rhizolysimètres peuvent offrir une croissance plutôt très prolongée en fonction de la taille des colonnes dans des conditions contrôlées (ou du moins suivis de près), mais elles nécessitent des investissements structurels substantiels pour être réalisables. Les procédures de phénotypage de la structure végétale peuvent généralement être séparées en trois phases : premièrement, l’acquisition des données architecturales (et/ou physiologiques) dans le système de phénotypage choisi par capture d’image, deuxièmement, l’analyse de l’image générée pour extraire des données quantitatives concernant les caractères d’intérêt, et troisièmement, l’analyse postérieure de ces données quantitatives pour extraire des informations significatives telles que les lois mathématiques décrivant un processus de croissance. En ce qui concerne la caractérisation de l’architecture racinaire, la première étape est principalement limitée par la difficulté d’accès aux systèmes racinaires soit visuellement soit physiquement, un problème pour lequel plusieurs solutions ont été élaborées (Tableau 1). La deuxième étape est généralement fortement dépendante des capacités d’analyse d’images et constitue actuellement le principal goulot d’étranglement de la plupart des techniques de phénotypage racinaire (Furbank et Tester, 2011).
Phénotypage de l’architecture racinaire dans un contexte de sélection variétale
Les méthodes de phénotypage décrites ci-dessus ne sont pas encore largement utilisées dans le contexte des programmes de sélection, en partie parce que le lien entre les caractères mesurables et leur utilité dans le contexte de la sélection n’est pas toujours évident, et en partie parce que le débit d’analyse est quelque peu limité par rapport aux méthodes d’analyse génomique qui peuvent être utilisées pour appuyer des programmes de sélection comme le GWAS par exemple (basés sur de milliers à des dizaines de milliers de plantes; Spindel et al., 2015; Biscarini et al., 2016; Gao et al., 2016; Iwata et al., 2016). Pourtant, des efforts de sélection ciblant plusieurs aspects de l’ASR ont été entrepris avec succès dans différentes cultures (tableau 2). Par exemple, Tuberosa et al (2002a, b) ont identifié des QTLs pour les traits des racines séminales dans une population de lignées pures recombinantes de maïs et ont trouvé un certain degré de co-localisation entre les QTLs pour les traits des racines séminales et les QTLs pour la performance de rendement à travers différents régimes d’eau au champ. Chez le pois chiche, un QTL majeur a été identifié pour les caractères racinaires (profondeur, densité ; Varshney et al., 2014), à partir des données phénotypiques générées dans un système de tubes en PVC où les plantes ont été cultivées et les racines extraites et analysées 35 jours après le semis (voir Kashiwagi et al., 2005 pour la méthode). Chez le sorgho, la variation génotypique de l’angle des racines nodales a été identifiée (Singh et al., 2010,2012) et ces caractères sont considérés comme une cible potentielle pour le programme de sélection soit pour l’enracinement en profondeur (angle étroit), soit pour l’enracinement en plantations en 29 rang sauté (angle racinaire peu profond). Par la suite, une plateforme de phénotypage a été développée à une échelle permettant le phénotypage d’une population de cartographie génétique et des QTLs pour l’angle des racines nodales ont été identifiés. Il a été démontré qu’ils se situent dans la même position que les QTLs pour les caractères liés à l’adaptation à la sécheresse. Ces trois exemples, tirés d’une plus grande variété d’utilisations des caractères racinaires dans la sélection variétale (tableau 2) illustrent comment des techniques simplifiées (c.à.d. un système hydroponique ou des mesures de l’angle racinaire entre deux plaques minces) peuvent suffire à déterminer la variation génotypique des caractères qui sont fortement liés à la performance au champ.
Conception des modèles structure-fonction de l’hydraulique racinaire
Les modèles de développement mécanistes peuvent être couplés à des processus fonctionnels afin d’offrir une vision intégrée qui pourrait éventuellement appuyer les programmes de 36 sélection assistée par modèle (Figure 1). L’un de ces processus fonctionnels est l’absorption et le transport de l’eau par les racines des plantes. La sécheresse est l’un des principaux facteurs limitant la productivité des plantes (Lobell et Gourdji, 2012); l’utilisation de modèles pour comprendre où, quand et comment l’eau est absorbée et transportée du sol par les racines des plantes pourrait donc aider à améliorer l’utilisation de l’eau en optimisant l’ASR des plantes par le biais de la sélection assistée par idéotype et par des changements dans les pratiques de gestion agricole dirigés par les modèles (Lynch, 2007; Blum, 2009; Palta et al., 2011; Lynch et al., 2014). Il serait également important d’associer ces approches de modélisation à un montage expérimental permettant une évaluation très précise de l’extraction de l’eau. Par exemple, l’utilisation d’un système lysimétrique pour suivre de près l’utilisation de l’eau par les plantes (Vadez et al., 2014) a montré une variation génotypique du sorgho pour la capacité d’extraire l’eau du profil du sol (Vadez et al., 2011). Il serait intéressant d’étudier quel caractère d’enracinement ou quels traits peuvent expliquer les caractéristiques d’extraction de l’eau contrastées et si celles-ci peuvent être exploitées dans les futurs programmes de sélection variétale. De tels traits peuvent être macroscopiques et liés à la répartition des différents types de racines dans le sol, ou microscopiques et liés à des processus ou structures cellulaires (par exemple, taille des poils absorbants ou des cellules du xylème, modifications de la conductivité tissulaire par l’expression différentielle des aquaporines, etc.). La dynamique de l’absorption d’eau par le sol est une question très complexe qui dépend à la fois des propriétés d’un système biologique dynamique (la racine) et d’un système physique hétérogène (le sol). Les études de la dynamique de l’eau dans le sol ont été initiées dans les années 1960 avec le travail novateur de Gardner (1960) qui se concentrait davantage sur le sol que sur les propriétés des plantes, mais qui a néanmoins servi de base aux travaux ultérieurs pour mieux comprendre les processus d’échange racine-sol. Ces travaux ultérieurs ont introduit les racines sous forme de termes de puits dans les modèles de distribution de l’eau du sol pour représenter l’absorption de l’eau par les racines (Feddes, 1974 ; Molz, 1981 ; Homaee et al., 2002 ; Dardanelli et al., 2004). Ces modèles utilisent principalement une représentation continue du système racinaire, en la décrivant à l’aide de descripteurs de la densité de longueur des racinaire. Comme il a été démontré que la rétroaction entre la croissance du système racinaire et son environnement joue un rôle majeur dans la dynamique de l’absorption des ressources du sol (Doussan et al., 2003 ; Lynch et al., 2014), les FSPMs doivent idéalement être en mesure de considérer le feedback développemental. Des FSPMs spécifiques racine-sol ont été développés pour étudier l’interaction entre l’hydrodynamique de l’eau du sol et le développement du système racinaire. Clausnitzer et Hopmans (1994) ont proposé un modèle hydraulique racinaire détaillé de type FSPM qui associait un modèle architectural racinaire 3D à un modèle de flux d’eau transitoire 3D. Ils ont modélisé l’interaction entre la croissance des racines et la distribution de l’eau dans le sol pour simuler l’absorption de l’eau dans les cultures. Dans leur modèle, les processus qui régissent le développement racinaire sont exprimés en fonction des conditions locales du sol, et le terme d’absorption racinaire du puit d’eau est exprimé en fonction de la transpiration et de la longueur des racines. Le sol lui-même est discrétisé et une grille à éléments finis sert de base au calcul des propriétés du sol. Benjamin et al. (1996) ont combiné un modèle racinaire 2D du système racinaire du maïs avec un modèle hydrodynamique 2D pour simuler les effets des patrons racinaires sur l’absorption d’eau. Somma et al (1998) ont étendu le modèle de Clausnitzer et Hopmans pour exprimer l’activité d’absorption de l’eau des racines en fonction 37 de l’âge des racines et pour simuler en outre le transport des solutés et l’absorption des nutriments. Au-delà de ces modèles fondés essentiellement sur les flux d’eau dans le sol, la dynamique des flux d’eau dans les tissus végétaux a également été au centre des premières études de modélisation où les plantes ont été considérées en utilisant une analogie électrique (van den Honert, 1948). Dans ce premier effort de modélisation et les travaux subséquents, les tissus végétaux sont représentés à l’aide d’un réseau de résistances hydrauliques qui se comportent comme des résistances électriques, et le transport de l’eau est régi par une considération purement physique (van den Honert, 1948 ; Zimmermann, 1978). Le paramétrage de ces modèles nécessite cependant de pouvoir déterminer la valeur de la résistance hydraulique des tissus végétaux. Ceci a conduit au développement extensif de méthodes de mesure permettant l’estimation des paramètres physiologiques des transports d’eau dans les tissus (Hüsken et al., 1978 ; Steudle, 1993, 2000 ; Sperry et al., 2002 ; Sperry, 2011 ; Sperry et Love, 2015). De manière intéressante, ces méthodes de mesure permettent essentiellement de déterminer la conductance hydraulique plutôt que sa résistance. Comme ces deux valeurs physiques sont inversement liées, les modèles de transport de l’eau dans les tissus végétaux basés sur une analogie électrique peuvent utiliser l’une ou l’autre valeur pour leur paramétrage, à condition que les équations soient ajustées en conséquence. Ces modèles ont essentiellement besoin de deux types de conductances (ou résistances) pour leur paramétrage : les conductances axiale et radiale (figure 1). La conductance axiale est directement liée à la structure du tissu vasculaire. En supposant que les brins vasculaires sont de longs cylindres réguliers, leurs conductances peuvent être calculées directement à partir de l’application de la loi générique Hagen-Poiseuille. Ces valeurs de conductivité axiale prédites peuvent être ajustées en fonction de la proportion de vaisseaux embolisés existant dans l’espèce considérée. Le calcul de la résistance radiale dépend cependant du niveau de détail du modèle considéré, car il est le résultat de la combinaison des conductances des cellules contenues dans les couches tissulaires concentriques de l’axe de la plante.
Résumé |