SUR LA CLASSIFICATION DES FEUILLETAGES TENDUS DES 3-VARIETES FIBREES SUR LE CERCLE
Généralités sur les feuilletages Un peu d’histoire
A la fin du 19eme siècle H. Poincaré constate qu’il est impossible d’intégrer explicitement une équation différentielle générale. On est donc amené à étudier les propriétés des trajectoires sur l’équation elle-même. On étudie donc les équations différentielles du point de vue qualitative à défaut d’une étude quantitative : par des méthodes géométriques et topologiques, on essaie de déterminer l’allure générale des solutions et leurs positions relatives. Ainsi par exemple, pour une équation différentielle x˙ = f(t, x), avec f(t, x) une fonction différentiable définie sur une variété M, le théorème de Cauchy-Lipschitz affirme que par tout point x d’un ouvert U de M passe une courbe intégrale unique locale. Cette approche qualitative est alors dévéloppée par I. Bendixon, Denjoy, Painlevé,… et aboutit à la notion de feuilletage introduite par G. Reeb, C. Ehresmann et A. Haefliger dans les années 1940-1950, et bien d’autres. Depuis lors, le sujet est devenu un large champ d’investigation en mathématiques. On peut donc dire que la théorie des feuilletages est née de l’incapacité des mathématiciens à résoudre explicitement les équations différentielles ! On peut donc dire qu’un feuilletage est une généralisation géométrique d’un système différentiel où les variétés intégrales locales correspondant à une condition initiale sont des « morceaux » de feuilles du feuilletage.
Feuilletages
Dans ce paragraphe, nous donnons quelques généralités sur les feuilletages en insistant plus particulièrement sur les feuilletages de codimension 1. Sauf mention du contraire, M désignera une variété différentiable de classe C ∞ et de dimension n. Intuitivement, un feuilletage F de classe C r et dimension p (de codimension q := n − p) sur une variété M de dimension n est une partition de la variété M en sous-variétés connexes et immergées qui sont localement empilées comme une famille de sous-espaces affines parallèles appélés feuilles. C’est-à-dire que : — par tout point x ∈ M passe une sous-variété Fx de M de dimension p de classe C r que l’on appelle feuille du feuilletage.On demande à chaque feuille Fx d’être une sous-variété connexe et immergée injectivement, mais pas nécessairement plongée ; — pour tous points x, y ∈ M les feuilles Fx et Fy sont, ou bien disjointes, ou bien confondues ; Pour en avoir l’idée de cette représentation, prenons un livre épais. Si on oublie son contour, on peut le voir comme un ouvert de l’espace euclidien R 3 ; c’est donc une variété connexe de dimension 3. Mais on peut aussi le voir comme la réunion disjointe de toutes les feuilles qui le composent. Si on convient qu’une feuille n’a aucune épaiseur, ce livre pourra être vu comme une variété de dimension 2 non connexe, ses composantes connexes sont précisément ses feuilles. On dira alors que notre livre est une variété de dimension 3 munie d’un feuilletage de dimension 2 (dimension des feuilles) ou de codimension 1 (la dimension complémentaire de celle des feuilles). Un feuilletage F de dimension 2 sur une variété M de dimension 3 est localement de ce type : autour de chaque point on peut découper un petit morceau ressemblant à notre livre ! La variété M est ainsi munie d’une deuxième topologie non connexe et dont les composantes connexes sont des morceaux feuilles de F. Grosso modo, un feuilletage de dimension p sur une variété M de dimension n est une décomposition de M en sous-variétés connexes de dimension p, appélées feuilles du feuilletage, qui sont localement empilées comme des sous-epaces de R n = R p × R n−p avec la seconde coordonnée constante. L’entier n − p est appelé codimension du feuilletage. Un exemple plus simple d’un feuilletage de dimension p est le feuilletage de R n = R p×R n−p où les feuilles sont des p-plans de la forme R p × {c} avec c ∈ R n−p Ecole Doctorale de Mathématiques et Informatique Rénovat NKUNZIMANA c Université Cheikh Anta Diop de Dakar / 2019 Généralités sur les feuilletages 8 Figure 1.1 – Feuilletage modèle sur R n défini par dy1 = …. = dyq = 0 C’est un feuilletage trivial sur l’espace euclidien M = R p+q défini par le système différentiel dy1 = dy2 = · · · = dyq = 0. Il peut être vu comme le produit R p ×R q . Sa topologie usuelle est le produit des topologies des deux facteurs ; elle est en fait une variété différentiable connexe de dimension p + q. Mais on peut aussi l’équiper de la topologie produit de la topologie usuelle sur le premier facteur et la topologie discrète sur le second ; il devient alors une variété différentiable de dimension p non connexe, ses composantes connexes étant les sous-espaces horizontaux définis par le système différentiel dy1 = dy2 = · · · = dyq = 0 qui peuvent être vus comme des feuilles. On voit donc que M est équipé de deux topologies : la topologie usuelle et la topologie des feuilles. On peut donc définir un feuilletage de dimension p et de codimension q sur M comme une structure géométrique telle que autour de chaque point on retrouve quelque chose qui « ressemble » à ce modèle. Deux notions plus importantes sont nécéssaires pour pouvoir bien définir un feuilletage. Il s’agit de la notion de champs de plans et celle de submersions. En effet, d’après le théorème de Frobénius un champ de plans complétement intégrable définit un feuilletage ; et il est bien connu que toute submersion définit localement un feuilletage dont les feuilles locales sont les niveaux de la submersion. Nous introduisons dans la suite les notions de champs de plans.
Notion de champs de plans
Nous introduisons ici la notion de champs de p-plans, objets que l’on peut penser comme généralisation des champs de vecteurs. Nous rappelons le célèbre théorème de Frobénius Ecole Doctorale de Mathématiques et Informatique Rénovat NKUNZIMANA c Université Cheikh Anta Diop de Dakar / 2019 Généralités sur les feuilletages 9 qui nous permet d’avoir une caractérisation des feuilletages. Pour la démonstration de ce théorème [32] et [6] sont des bonnes références. On rappelle que si V est un R-espace vectoriel de dimension n, et si k ∈ {0, . . . , n}, on note Gk(V ) l’ensemble des sous-espaces vectoriels de dimension k de V . Alors Gk(V ) est une variété compacte de dimension n(n − k) appelée variété grassmannienne de rang k de V . Soit q : E → B un fibré vectoriel C r de rang m, et soit k ∈ {0, . . . , m}. On note Gk(E) := F b∈B Gk(q −1 (b)) la réunion disjointe des variétés grassmanniennes de rang k des fibres de q. On note aussi Gkq : GkE → B l’application qui à un élément de Gk(q −1 (b)) associe le point b ∈ B. Cette projection admet une unique structure de fibration C r telle que, pour toute inverse d’une trivialisation locale h : U × R m → q −1 (U) de q au dessus d’un ouvert U de B, l’application (x, A) 7→ h(x, A) de U × Gk(R m) dans (Gkq) −1 (U) soit l’inverse d’une trivialisation locale de Gkq au dessus de U. Cette fibration s’appelle la fibration grassmannienne de rang k du fibré vectoriel E, ou fibré des k-plans de E. En particulier si M est une variété de classe C r+1 alors on appelle fibration grassmannienne de M de rang p la fibration grassmannienne de rang p de son fibré tangent π : TM → M, qui est de classe C r c’est-à-dire la fibration Gpπ : GpTM → M, qui à un sous-espace de dimension p de TxM associe le point x, pour tout x ∈ M. Définition 1.1.1. Un champ de plans de dimension p ou champ de p-plans sur une variété différentiable M de dimension n (p ≤ n) est la donnée d’une application continue ∆ : M → GpTM x 7→ ∆x ⊂ TxM où ∆x est un sous-espace vectoriel de dimension p de TxM, l’espace tangent en x de M et GpTM est le fibré en grassmanniennes de rang p. Autrement dit, un champ de p-plans de classe C r sur une variété M de dimension n est une section C r de la fibration grassmannienne de rang p de M. En termes intuitifs, un champ de p-plans ∆ de classe C r sur une variété M de dimension n est la donnée en chaque point x ∈ M d’un sous-espace vectoriel ∆x de dimension p de TxM. Exemple 1.1.1. Si X est un champ de vecteurs sur M sans singularité, l’application x 7→< Xx > (= sous-espace vectoriel engendré par le vecteur tangent Xx) est un champ de plans de dimension 1, appelé champ de droites. Un champ de p-plans ∆ sur M est dit localement trivial si ∀x ∈ M, il existe un ouvert U autour de x, des champs de vecteurs locaux X1, · · · , Xp sur U linéairement indépendants tels que ∀y ∈ U on a ∆y =< X1(y), · · · , Xp(y) >. On dit que (U, X1, · · · , Xp) est une trivialisation locale. Un champ de plans est dit différentiable de classe C r (r ≥ 1) s’il admet une trivialisation locale formée des champs de vecteurs différentiables de classe C r . Définition 1.1.2. Soit ∆ un champ de p-plans C ∞ sur M. On appelle variété intégrale de ∆ toute sous-variété connexe N de M (dim N ≤ p) telles que : (i) i : N → M est une immersion (ii) i∗(TxN) ⊂ ∆x, ∀x ∈ N , où i est l’injection canonique. Ecole Doctorale de Mathématiques et Informatique Rénovat NKUNZIMANA c Université Cheikh Anta Diop de Dakar / 2019 Généralités sur les feuilletages 10 En particulier si la dimension de N égale p, alors on dit que N est une sous-variété intégrale maximale de ∆ ; et si par chaque point x ∈ M passe une sous-variété intégrale maximale, on dit que ∆ est complétement intégrable. Exemple 1.1.2. On considère R 3 muni de ses coordonnées usuelles (x, y, z) et on note X1, X2, X3 les champs de vecteurs sur R 3 définis par : X1 = −2z ∂ ∂z + 2y ∂ ∂y X2 = −y ∂ ∂x + 2x ∂ ∂z X3 = z ∂ ∂x − 2x ∂ ∂y L’application ∆ : (x, y, z) 7→ vect(X1, X2, X3) est un champ de 2-plans de classe C ∞ qui est complétement intégrable sur R 3 − {0}. En effet, les champs de vecteurs X1, X2, X3 sont C ∞ et vérifient la relation de colinéarité xX1 + zX2 + yX3 = 0. De plus, sur chacun des ouverts d’équation x 6= 0, y 6= 0, z 6= 0 dont la réunion recouvre R 3 − {0}, les couples de champs de vecteurs (X2, X3),(X1, X2) et (X1, X3) sont libres et forment donc une base de ∆. De plus [X1, X2] = 2X2; [X2, X3] = X1; [X1, X3] = −2X3. Donc le champ de 2-plans engendré par {X1, X2}, {X1, X3} est complétement intégrable sur R 3 − {0}. ∆ définit donc un feuilletage de dimension 2 sur R 3 − {0} dont les courbes intégrales sont les niveaux de la submersion f : R 3 → R définie par f(x, y, z) = 1 2 x 2 + yz et qui sont soit des cylindres soit des plans. Un champ de p-plans peut également être défini à l’aide des formes différentielles sur la variété. Ainsi donc on a la définition suivante Définition 1.1.3. Soit M une variété différentiable de dimension n. Un champ de p-plans sur M est la donnée d’une application continue : ∆ ∗ : M → GpT ∗M x 7→ ∆ ∗ x ⊂ T ∗ xM où ∆∗ x est un sous-espace vectoriel de dimension n − p de l’espace cotangent T ∗ xM à M en x, dual à TxM. On dit que ∆∗ est localement trivial si ∀x ∈ M, il existe un ouvert U autour de x et ω1, · · · , ωn des formes différentielles de degré 1 sur U, linéairement indépendantes tels que : ∀x ∈ U, ∆∗ x est engendré par (ωp+1)x, · · · ,(ωn)x . On note ∆∗ =< ωp+1, · · · , ωn >. Remarque 1.1.1. [6] Un champ de plans ∆ de codimension k de classe C r peut être défini localement comme le noyau des k 1-formes différentielles de classe C r linéairement indépendantes. Inversement, si ω1, . . . , ωk sont des 1-formes différentielles de classe C r linéairement indépendantes alors ∆(x) = {v ∈ TxM/(ω1)x (v) = . . . ,(ωk)x (v) = 0} définit un champ de plans de codimension k de classe C r sur M. Le théorème suivant dû à F. G. Frobenius est primordial en théorie des feuilletages. Théorème 1.1.1. [33] Soit ∆ un champ de p-plans C ∞ sur une variété M de dimension n. Alors les conditions suivantes sont équivalentes : Ecole Doctorale de Mathématiques et Informatique Rénovat NKUNZIMANA c Université Cheikh Anta Diop de Dakar / 2019 Généralités sur les feuilletages 11 1. Pour toute trivialisation locale (U, X1, . . . , Xp) de ∆, on a [Xi , Xj ] = Pp k=1 C k ijXk; C k ij ∈ C ∞(U) soit une trivialisation locale de ξ sur U ; 2. ∆ est complétement intégrable. 3. Au voisinage de tout point de U il existe q := n−p formes différentielles ω1, . . . , ωq de degré 1 linéairement indépendantes telle que dωi = Pq j=1 αij ∧ωj , pour αij ∈ Ω 1 (U), avec i, j = 1, . . . , q. La propriété 3. ci-dessus est connue sous le nom de condition d’intégrabilité de Frobenius d’un champ de p-plans. Cette condition peut s’écrire de façon explicite comme ω1 ∧ · · · ∧ ωq ∧ dωi = 0 ; avec q = n − p et i = 1, . . . , q (voir [33] proposition 3.7). Par exemple, si ω est une forme de Pfaff non singulière, la condition d’intégrabilité de Frobenius devient s’écrit ω ∧dω = 0 et par conséquent ω définit un feuilletage de codimension 1. En particulier si α est une 1-forme fermée non singulière, ∆∗ = kerα est un champ de plans de codimension 1 qui est complétement intégrable. Donc toute forme fermée non singulière définit un feuilletage de codimension 1. Mais par contre si l’on considère le champ de 2-plans P défini sur R 3 par la 1-forme différentielle ω = xdy − dz n’est pas intégrable. En effet, ω ∧ dω = −dx ∧ dy ∧ dz 6= 0. Il en est de même pour celui défini par les deux champs de vecteurs X1 = ∂x et X2 = ∂y + x∂z car [X1, X2] = ∂z. Un champ de plans complétement non intégrable i.e partout non intégrable est appelé structure de contact.
Définition et exemples de feuilletages
Dans cette section on donne trois définitions de feuilletage toutes équivalentes à la première. Pour l’équivalence de ces définitions [32],[33] ou [6] sont des bonnes références. Définition 1.1.4. Un feuilletage F de dimension p ou de codimension k := n − p sur une variété M de dimension n est défini par un atlas F = {(Ui , ϕi)}i∈I où les difféomorphismes ϕi : Ui → R n−k × R k sont tels que si l’intersection Ui ∩ Uj 6= ∅ est non vide alors les changements de cartes ϕij ≡ ϕi ◦ϕ −1 j : ϕj (Ui∩Uj ) ⊂ R n−k ×R k → ϕi(Ui∩Uj ) ⊂ R n−k ×R k sont de la forme ϕij (x, y) = gij (x, y), hij (y) . Ainsi chaque ouvert Ui est partitionné en plaques, qui sont les composantes connexes des sous-variétés ϕ −1 i (R n−k × {y}), y ∈ R k et les changements de cartes préservent cette partition. Les changement des cartes ayant cette forme très particulière, les plaques se recollent localement les unes avec les autres, donnant ainsi une partition de M en sous-variétés connexes et immergées dimension n − k appelées les feuilles du feuilletage. Localement les feuilles d’un feuilletage sont parallèles mais le feuilletage peut être compliqué du point de vue global.
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