Effet de la variabilité génétique du mil (Pennisetum glaucum L.R.Br.)
Généralité sur la rhizosphère des plantes
Le sol constitue pour les plantes un support et une source de nourriture (eau et éléments minéraux). Ces éléments transitent du sol vers la plante via une interface appelée la rhizosphère. Cette dernière a été définie par (Hiltner, 1904) comme étant la région du sol autour des racines des légumineuses et qui abrite une intense activité microbienne. Dans cette zone, il se produit des processus biologiques et écologiques très complexes liés aux interactions entre la racine, le sol et les micro-organismes. Par la suite, cette définition a été étendue à la proportion du sol susceptible de subir les modifications mécaniques, physico-chimiques et biologiques dues à la croissance et à la respiration de la plante, à la rhizodéposition, aux échanges d’ions, au prélèvement d’eau et de nutriments, et qui subit aussi l’influence des micro-organismes qui y vivent (Darrah, 1993). Cependant, certains auteurs la définissent de manière plus précise en la subdivisant en plusieurs zones. Ainsi il existe trois zones distinctes dans la rhizosphère selon Morgan et al (2005), Nihorimbere et al (2011): la rhizosphère au sens strict (sol à proximité des racines), le rhizoplan correspondant à la surface de la racine y compris les particules fortement adhérant à la racine, et la racine elle-même qui abrite des micro-organismes endophytiques. Chapitre I : Revue Bibliographique Papa Mamadou Sitor NDOUR, 2017 14 Figure 2 : Schéma général des trois zones qui constituent la rhizosphère (Lynch 1983). Les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques de cette rhizosphère sont très importantes pour la croissance de la plante du fait qu’elle constitue un pont qui assure les transferts de matière et d’énergie entre la plante et son milieu (Czarnes et al., 2000). L’une des principales caractéristiques de cette rhizosphère est qu’elle est le siège de l’exsudation racinaire de matières organiques qui est à la base de nombreux processus complexes qui s’y déroulent.
L’exsudation racinaire
Durant la photosynthèse, il se produit une transformation du CO2 en glucides, dont les formes finales sont généralement de l’amidon et/ou du saccharose et plus rarement des sucres simples tels que le glucose et le fructose (Heller et al., 1993). Ces glucides vont constituer des réserves temporaires puis une partie servira de matière de base pour la production de molécules plus complexes (protides, lipides, acides aminés, acides organiques, …) permettant à la plante de synthétiser sa biomasse aérienne et racinaire. La partie restante sera stockée dans les racines sous forme de réserves (Heller et al., 1993). Cependant, une fraction des photosynthétats, estimée en moyenne à 17 % du C net fixé par la photosynthèse, n’est pas utilisée par la plante pour sa croissance mais va être acheminée jusqu’aux racines et libérée dans le sol : c’est ce qu’on appelle exsudation racinaire (Nguyen, 2003). Ainsi cette exsudation fait référence à la libération de composés organiques par les racines des plantes vivantes dans le sol environnant Les racines libèrent des composés à travers plusieurs mécanismes et les taux d’exsudation peuvent varier considérablement selon les espèces et les conditions environnementales (Kochian et al., 2005). D’après Nguyen (2003), c’est un processus écologique majeur qui fait l’objet de nombreuses interrogations du fait qu’elle représente une entrée de matière organique dans le sol qui constitue le deuxième réservoir de carbone avec 1,5.1012 t C juste après les océans avec 3,8.1013 t C. La quantité annuelle de carbone qui retourne dans l’atmosphère via la respiration du sol est estimée à 7,5 x1010 tonnes. Ainsi dans le contexte actuel de l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère, le processus de rhizodéposition est d’une importance particulière dans la perspective de séquestration de carbone dans le sol. Mais son intérêt réside aussi dans le fait qu’elle représente une perte d’énergie pour la plante. Ainsi à première vue, la libération de composés organiques de racines dans le sol pourrait être perçue comme une perte de carbone réduit au détriment de la production de biomasse. Toutefois, il est bien établi que ces rhizodépôts stimulent l’activité microbienne dans la rhizosphère entrainant ainsi diverses effets positifs sur les plantes comme l’augmentation de la disponibilité des nutriments, la croissance, la réduction de la susceptibilité face aux pathogènes, la résistance aux métaux lourds et la dégradation des germes xénobiotiques (Barea et al., 2005). Cependant, aucune étude ne s’est encore penchée sur l’efficacité réelle de la rhizodéposition pour les plantes en faisant le bilan entre les pertes en carbone et les gains de croissance liés à la stimulation de l’activité microbienne. Les rhizodépôts sont composés des exsudats racinaires issus des photosynthétats (sucres, acides organiques, acides aminés, hormones, vitamines), de sécrétions de mucilage (sucres polymérisés, enzymes) et de cellules sénescentes (cellules de la coiffe racinaire, cellules corticales et épidermiques). Mais aussi à ces diverses substances s’ajoutent les débris racinaires qui restent dans le sol à la mort de la plante (Lynch and Whipps, 1990; Nguyen, 2003).
Les différents types d’exsudats racinaires
Ces composés libérés par les racines peuvent être classés en deux groupes en fonction de leur mode d’utilisation par les micro-organismes. En effet, on distingue les composés organiques de faibles masses moléculaires (tels que les sucres, les acides aminés, les acides organiques, les composés phénoliques et divers autres métabolites secondaires) qui peuvent être facilement assimilés par des micro-organismes du sol et les exsudats organiques de fortes masses moléculaires (tels que les protéines, les pigments, les mucilages et diverses autres substances) qui nécessitent une activité enzymatique extracellulaire pour les décomposer avant leur assimilation (Meharg, 1994). En plus, des composés inorganiques (ions inorganiques, H+ , eau et électrons) sont également libérés par les racines des plantes dans la rhizosphère (Bertin et al.,). Les composés organiques de faible poids moléculaire représentent la majorité des composés exsudés par les racines des plantes (Bais et al., 2006; Bertin et al., 2003). Les acides organiques sont encore appelés anions organiques puisqu’ils sont partiellement ou complètement dissociés dans la plupart des conditions du sol (Jones et al., 2003). En fonction de leur mode de libération dans le sol, Nguyen (2003) distingue 4 catégories de rhizodépôts: Les cellules de la coiffe racinaire : les méristèmes apicaux des racines sont couverts par des cellules disposées en couches formant la coiffe. Une partie ou la totalité de cette coiffe peut être perdue en cas d’attaque de pathogène ou bien même spontanément comme cela a été observé chez le maïs cultivé au champ (Brigham et al., 1995). Les sécrétions de mucilage : Une couche mucilagineuse a été observée fréquemment sur la surface de nombreuse racines de plantes (Oades, 1978) et plus particulièrement au niveau de la zone apicale où elle forme de petites gouttelettes en présence d’eau. Ce mucilage est composé de protéines et de différents sucres polymérisés dont les principaux identifiés sont l’arabinose, le galactose, le fructose, le glucose et le xylose (Bacic et al., 1987). Pour la plupart des plantes examinées, le mucilage est secrété par les cellules de la couche externe de la coiffe (Paul and Jones, 1975). Les cellules épidermiques sénescentes : Juste derrière la coiffe, certaines cellules épidermiques se différencient en poils absorbants ou trichoblastes (qui forment le chevelu racinaire), impliqués dans l’encrage au sol, la nutrition en eau et en minéraux et également dans les symbioses avec les micro-organismes (Peterson and Farquhar, 1996). La durée de vie de ces cellules a été estimée entre 2 et 3 semaines chez le blé l’orge et le maïs (Fusseder, 1987; Holden, 1975) et ainsi, elles entrent de façon continue dans le pool de carbone du sol. L’exsudation sensu stricto : Elle est constituée des molécules de faible masse moléculaire diffusant de manière passive des cellules vivantes de la racine vers la solution du sol (Rovira et al, 1979). Les principales molécules libérées de manière passive à partir des racines sont les sucres, les acides aminés et les acides organiques. Généralement ces substances sont 3 fois plus concentrées dans le cytoplasme que dans le sol (Neumann et al, 2000). Il existe également une variabilité de l’intensité de cette exsudation le long de la racine. Ceci est dû à l’existence d’un gradient faisant que ces diverses substances (sucres et acides aminés) sont beaucoup plus abondantes du côté de l’apex racinaire qu’au niveau de la partie basale (Jones, 1998).
Le rôle de l’exsudation racinaire
L’exsudation racinaire représente un coût important en carbone pour la plante. De ce fait, il est tout à fait concevable qu’elle ait des fonctions importantes dans la régulation de la croissance de la plante en agissant directement et/ou indirectement. Certains exsudats racinaires comme les phytoalexines peuvent être secrétés dans le sol dans les mécanismes de défense contre les agents pathogènes et peuvent stimuler ou inhiber les interactions avec d’autres organismes du sol (Bais et al., 2004; Bertin et al., 2003; Rengel, 2002). Les composés carbonés rapidement assimilables (composées de faibles poids moléculaires tels que les sucres et les acides organiques) constituent des sources de carbone pour les micro-organismes du sol et stimulent leur croissance et leurs activités (Lynch and Whipps, 1990). En outre, ces exsudats peuvent agir comme un stimulus pour la dégradation de la matière organique intrinsèque du sol (Dormaar, 1990). Certains composés comme les malates interviennent dans la chélation des cations qui peuvent être phyto-toxiques pour les plantes (Exemple Al3+) (Delhaize et al., 1993; Rengel, 2002; Ryan et al., 2001). D’autres composés peuvent intervenir dans la mise à disponibilité des micronutriments comme le fer, le manganèse, le cuivre et le zinc en agissant également comme des chélateurs (Dakora and Phillips, 2002). Par ailleurs, les exsudats racinaires jouent un rôle important dans les interactions plante-plante. En effet, ces interactions peuvent être positives comme négatives (allélopathie). Dans le premier cas, on peut citer l’induction de la défense des plantes par sécrétion d’exsudats racinaire (agissant comme signal) par une autre plante voisine (Bais et al., 2006). Quant au phénomène d’allélopathie, elle peut se produire par l’intermédiaire de différentes phytotoxines qui peuvent affecter la production de métabolites, la photosynthèse, la respiration, le transport membranaire, la germination, la croissance racinaire la lyse cellulaire chez les plantes sensibles (Einhellig, 1994; Weir et al., 2004).
Les facteurs affectant l’exsudation racinaire
Le carbone alloué au compartiment souterrain est partagé entre 3 pools : un premier est destiné à former les tissus racinaires, un deuxième est utilisé par la respiration rhizosphérique (respiration racinaire + respiration des rhizobactéries) et le troisième constitue les résidus qui entrent dans la matière organique du sol. Les facteurs affectant l’exsudation de carbone dans le sol sont nombreux. De manière globale, tous les facteurs agissant sur l’écophysiologie de la plante sont à prendre en compte. Un des facteurs les plus importants qui intervient dans ce mécanisme est l’âge de la plante. D’après Nguyen (2003) l’exsudation est intense au stade jeune plante et décroit ensuite au Chapitre I : Revue Bibliographique Papa Mamadou Sitor NDOUR, 2017 18 fur et à mesure du développement de la plante. Ainsi, au cours de la croissance, la réduction de l’allocation du carbone (issu de la photosynthèse) au sol, estimée par traçage au 14C, peut aller jusqu’à -43% entre plantes âgées et jeunes plantes. Ensuite les micro-organismes du sol peuvent moduler cette allocation de carbone des plantes vers le sol (Nguyen, 2003). En effet, la part du carbone provenant de la photosynthèse sous atmosphère enrichie en 14CO2 radioactif augmente de 249% dans la respiration rhizosphérique des plantes qui poussent dans un sol non stérile (avec des microorganismes), comparée à celle des plantes qui poussent sur un sol stérile. Quant au carbone entrant dans les résidus de matières organiques du sol, il augmente de 37 %. Ceci est compréhensible dans la mesure où certains micro-organismes tels que les champignons peuvent établir des symbioses avec les racines et développant du coup des réseaux d’hyphes qui ont un coût en carbone pour la plante. En outre, les caractéristiques génétiques de la plante peuvent modifier la quantité et/ou la qualité des exsudats racinaires. Cela a été démontré chez Arabidopsis thaliana par la technique HPLC (High Performance Liquide Chromatographie). En effet, Micallef et al (2009) ont mis en évidence différents profils d’exsudats racinaires à partir de 8 accessions de la plante modèle. De même, chez le riz et chez le sorgho, une variabilité génétique des profils de l’exsudation racinaire a été démontrée sur plusieurs accessions (Aulakh et al., 2001; Czarnota et al., 2003). Par ailleurs, il a été rapporté l’effet de divers autres facteurs environnementaux sur cette exsudation racinaire. On peut citer entre autres : la texture du sol, le pH, la teneur en Azote, le taux de CO2 dans l’atmosphère etc… (Neumann et al., 2014; Nguyen, 2003). En somme plusieurs déterminants peuvent agir sur la qualité ou bien la quantité des substances carbonées transférées de la plante vers le compartiment souterrain. Dans la mesure où une grande part des micro-organismes du sol tel que les bactéries sont hétérotrophes pour le carbone, ce pool de carbone organique représente un gain énorme qui fait que cette zone est une niche écologique privilégiée. Ainsi, toute modification de ce flux pourrait avoir des répercussions sur la diversité, la structure ou l’activité de ces populations microbiennes.
INTRODUCTION GENERALE |