Construire une économie de la recherche sur projets
Décomposition de l’agence dans l’espace des arènes
Chaque année, l’ANR lance des dizaines d’opérations, finance des centaines de projets et suit ceux déjà engagés, ce qui représente plusieurs milliers de projets actifs. Toutefois, l’existence d’une unité d’action produit par la gestion interne donne la possibilité de considérer l’agence comme un acteur collectif. Dès lors, il est envisageable de le modéliser à un niveau intermédiaire entre la description des caractéristiques toujours particulières des 89. ANR4 Un modèle de l’ANR 42 appels à projets et son assimilation à un acteur indivisible stratégique ou structurellement déterminé par sa position. Une telle modélisation vise à rendre compte de la diversité des situations d’autonomie relative que peut occuper l’agence, et de là se doter d’une typologie pour analyser les différentes situations existantes. À partir de la revue de littérature précédente, on propose une théorie de moyenne portée de la structure d’une agence pour construire un espace des configurations dans lequel il est possible de situer les agences de financement particulières. Les configurations réalisées se différencient alors surtout par le contrôle de la définition des règles de production des politiques scientifiques. Dans les faits, une même agence peut occuper séquentiellement ces rôles dans son histoire 90 . L’inscription dans une perspective d’inspiration mertonienne de théorie à moyenne portée (R. K. Merton, 1949 ; Saint-Martin, 2013) vise à compléter les théorisations du fonctionnement des institutions scientifiques (Dubois, 1999) par des concepts permettant une meilleure intégration des données empiriques issues de l’enquête. La notion de théorie à moyenne portée est entendue comme un ensemble de concepts cohérents destinés à rendre compte d’une classe de phénomènes empiriques en identifiant les structures pertinentes. Le modèle proposé s’inspire largement de l’analyse développée dans (Braun, 1998) qui décompose les agences en trois arènes dans lesquelles l’action est produite : l’arène de sélection, l’arène de pilotage et l’arène de contrôle de l’agence. Différencier les trois arènes et préciser les conditions de fixation des règles de fonctionnement permet de sortir d’une conception unifiée de l’agence et d’apporter une analyse plus contextualisée de la signification de son autonomie relative. La notion d’arène utilisée ici renvoie à une conception pragmatique de la manière dont certaines actions sont cadrées par des dispositifs et des ressources qui imposent aux acteurs un certain régime d’action (Dodier, 1993). Chacune de ces arènes correspond à une fonction assurée par l’organisation pour remplir ses missions. La manière dont ces arènes se réalisent concrètement dans le cas de l’ANR est précisée dans la troisième partie. Ces arènes sont considérées comme le lieu d’application de certaines règles qui définissent qui sont les acteurs légitimes et la manière dont ils doivent interagir. Ainsi, deux types de pouvoirs existent : le pouvoir de fixer les règles d’une arène particulière, et le pouvoir possédé au sein d’une arène permis par ces règles. Pour donner un exemple, dans le cas du recrutement qui correspond à l’arène de contrôle de l’ANR, l’État confie à l’agence un pouvoir discrétionnaire de fixer les règles, et la direction confie le recrutement et ses conditions aux responsables de département. Ces deux formes de pouvoir – les règles du jeu et la lutte pour fixer les règles du jeu – ne sont généralement pas non plus indépendantes et un pouvoir délégué garde généralement la trace de l’autorité qui le délègue. La fixation de ces règles peut venir de quatre grandes catégories d’acteurs identifiées par la littérature : le pouvoir étatique, qui est le principal financeur de la recherche publique, les élites scientifiques, souvent associées à la République des Sciences, qui sont les destinataires des financements, les intérêts constitués, qu’il s’agisse des industriels mais aussi 90. Voir chapitre 2. Un modèle de l’ANR 43 de la société civile, et enfin l’administration, représentée ici par l’agence comme une organisation dotée d’un degré d’autonomie. La catégorie stakeholders agrège – mais pourrait être distinguée en sous-dimensions – toute forme de captation par un intérêt spécifique autre que scientifique et politique. Ce modèle abandonne donc l’idée d’une organisation unifiée pour s’intéresser à la manière dont l’action produite est toujours négociée. La notion d’autonomie relative qui caractérise l’agence se réalise concrètement dans le contrôle de ces arènes. Elles ne sont cependant pas situées sur un même plan. En effet, une relation d’autorité existe entre ces arènes. Dans le cas d’une agence qui doit fonctionner comme une organisation, et de ce fait être dotée d’une direction, l’arène de contrôle doit autoriser l’action des autres arènes car la fixation des règles se fait dans le respect d’une intégration collective. Les arènes de pilotage et d’évaluation sont subordonnées à l’arène de contrôle dans la définition des règles, ce qui n’empêche pas des situations de délégation. Ainsi, une direction peut déléguer à des représentants démocratiquement élus des chercheurs la décision de son action comme cela a souvent été réclamé par l’ANR Pour l’ANR, l’arène de sélection se trouve au niveau des comités scientifiques où des chercheurs recrutés par l’agence exercent une évaluation dans le cadre des procédures formalisées par l’agence 91, les arènes de pilotage sont les comités de pilotages 92 qui n’existent que pour les « programmes thématiques » dotés d’une politique 93 et l’arène de contrôle est la réunion de la direction et du conseil d’administration qui fonctionnent comme l’interface entre l’agence et son environnement. Braun identifie trois profils d’agence – l’autonomie, la captation par l’institution scientifique (le conseil de recherche) ou par l’institution politique (l’agence stratégique). S’il introduit une réflexion organisationnelle sur le découpage interne de l’agence, il ne mène pas à bout l’analyse de la variété des configurations qui peuvent exister en fonction des acteurs capables de fixer les règles de fonctionnement de telle ou telle arène. Pour une arène donnée – par exemple, l’arène d’évaluation – les règles peuvent être fixées et imposées par l’agence, correspondre aux normes académiques ou au contraire être intégralement alignées sur les intérêts de groupes industriels. Dans la mesure où les trois arènes sont liées par une relation de hiérarchie, il est probable que toutes les configurations ne soient pas possibles. Néanmoins, chaque arène peut potentiellement se situer dans un espace multi-dimensionnel construit sur les différentes formes d’autorités en présence. Cet espace multi-dimensionnel est appelé ici espace des arènes.. Chaque comité d’évaluation est doté de quelques dizaines de chercheurs dont les noms sont publics parmi lesquels est choisi un président ; chaque projet déposé reçoit entre deux et quatre évaluations par des reviewers anonymes et par deux membres du comités. Lors du comité de sélection chaque projet est classé entre A+ et C. Seuls les projets notés A sont potentiellement financés, suivant leur ordre et le budget disponible. Les discussions ont souvent lieu sur l’ordre de ce classement. 92. Les comités de pilotage sont un groupe d’acteurs constitués spécifiquement dans le cadre d’une action politique qui participent à la rédaction de l’appel à projet et qui interviennent (potentiellement) sur le classement fait par le comité d’évaluation. 93. Dans le cas des « programmes blancs », le comité d’évaluation tient aussi lieu de comité de pilotage. Un modèle de l’ANR 44 La proposition faite ici est de prolonger le cadre d’analyse de Braun en permettant à chacune des arènes d’être positionnée par rapport à ces dimensions de l’espace des arènes. Ce faisant, il est possible de définir des configurations d’agence. Le profil peut alors être représenté sur un schéma, comme celui de la figure 1.2. Les règles de fonctionnement d’une agence particulière peuvent être fixées soit par des décisions issues du ministère, soit par les élites scientifiques, ou encore par le personnel de l’agence 94. Un tel espace permet de retrouver les cas limites décrits dans la littérature : toutes les arènes sont situées du côté politique, cela correspond à l’agence étatique ; toutes les arènes sont du côté scientifique, cela correspond à l’agence scientifique ; toutes les arènes sont au centre, cela correspond à une agence autonome pour définir son action. Il faut s’empresser d’ajouter que certains cas sont improbables en raison de la position intermédiaire de l’agence : la sélection des projets nécessite la participation des chercheurs pour bénéficier d’une quelconque légitimité visà-vis des chercheurs académiques.L’espace proposé sur la figure 1.2 est schématisé comme continu, dans le sens où deux agences peuvent avoir une arène de sélection plus ou moins intégralement contrôlée par des communautés scientifiques. La limite d’un tel espace est l’absence de mesure évidente qui permettrait de positionner de manière univoque une agence. À défaut d’avoir une métrique évidente, une proposition dans le cas de procédures formalisées est de s’intéresser à la production des textes qui régissent le comportement des acteurs. Quels sont les acteurs qui y ont participé, et dans quelle proportion ? Deux cas limites sont la rédaction interne par l’agence de ses règlements sans consultation, et l’adoption de règles proposées par un tiers. Une métrique alternative peut être de caractériser la proportion des différents acteurs (ministériels, chercheurs, administratifs) au sein des comités, pondérée par leur degré d’autonomie par rapport à un règlement. Une telle analyse nécessite cependant une méthodologie d’enquête dédiée. Dans tous les cas, un effort de formalisation d’une métrique devrait être entreprise pour une comparaison fine. Dans le cadre de cette analyse qui porte sur des configurations et non pas des comparaisons, on se contente de diviser chaque dimension en trois niveaux : intervention faible ; intervention quasi-totale ; intervention mixte. Il est probable que l’utilisation de ce type d’espace doive passer par une interprétation qualitative de la genèse des procédures et des rapports de pouvoir à l’œuvre lors des décisions à chaque niveau, à partir d’une étude empirique dédiée. Comme la fonction de sélection est souvent organisée en accord avec les normes en usage dans la communauté scientifique, les agences de financement sont généralement comparables sur ce point. Une variation est introduite par la formalisation des procédures – et donc par l’imposition de critères fixés par d’autres acteurs, en particulier par la direction. Les quatre configurations présentées dans la figure 1.2 renvoient à quatre manières d’organiser l’action pour une agence. La configuration 1 est celle d’une agence dont l’ensemble des arènes sont en lien direct avec l’institution scientifique – généralement à travers ses élites. Cela est par exemple le cas de l’agence suisse (Benninghoff, 2004) au moment de sa création, ou encore, dans une certaine mesure, le cas de la DGRST (Aust & Picard, 2014). La configuration 2 est celle de l’absence d’autonomie de l’agence en tant qu’organisation dont le fonctionnement est fixé par le ministère mais au service d’une politique produite par des parties prenantes, un groupe d’industriels ou encore la société civile. L’agence de la bioéthique française, fortement encadrée par la loi et dotée d’un comité réunissant associations de patients et chercheurs, pourraient idéalement correspondre (Brunet & Dubois, 2012). La configuration 3 correspond à une agence qui met en œuvre une politique scientifique imposée par le haut, ce qui correspond largement aux agences stratégiques mentionnées dans (Braun, 1998). Enfin, la configuration 4 est celle d’une agence qui mène une politique scientifique selon ses règles propres, dotée d’une autonomie, mais déléguant globalement l’évaluation à la communauté scientifique, comme l’ANR le faisait à ses débuts.
Les arènes de l’ANR
Le modèle présenté précédemment propose de rendre compte de l’action des agences de financement considérées comme une catégorie d’organisations intermédiaires qui remplissent une fonction spécifique, l’allocation de financement organisée à travers la sélection de propositions. Les instruments déployés par chaque agence diffèrent et peuvent donner lieu à une caractérisation 98. Cependant la situation d’interdépendance avec des acteurs politiques et des acteurs scientifiques se réalise par l’existence de trois arènes : l’arène de contrôle, l’arène de pilotage, et l’arène de sélection. Ces arènes associées à un régime d’action se résument rarement au monopole de telle ou telle catégorie d’acteur. Le régime d’action est défini de manière large comme la régulation effectivement réalisée entre les acteurs, qui peut se réaliser dans des dispositifs plus ou moins objectivés. Ces arènes sont rarement homogènes ou délimitées par les catégories administratives de l’agence. Le modèle générique présenté dans la partie précédente est donc une théorie à moyenne portée qui permet de poser la question empirique de la forme prise par ces régimes d’action et leurs inter-relations spécifiques. Par la suite, on documente la configuration de l’ANR sur la période 2007-2010 99 pour décrire le type de métier que remplissait cette agence.
L’arène de contrôle : fixer des procédures
Dans l’arène de contrôle, « la majorité des agences de financement publique ont mis en place un comité (politique) qui fonctionne comme une interface entre l’agence de financement et son environnement […] à travers ces comités les financeurs, mais surtout les représentants publics, ont une place […] C’est en particulier dans cette arène que les acteurs politiques peuvent interférer avec les décisions politiques de financement » (Braun, 1998, p. 814). Cette arène de contrôle contribue à fixer les conditions de l’action collective qui va ensuite se traduire en distribution de ressources et procédures internes. Dans le cas de l’ANR, cette arène de contrôle est double. La première est constituée par la relation 98. Voir chapitre 3. 99. L’agence a en fait évolué entre 2005 et 2015, analysé dans le chapitre 2 : la période 2007-2010 correspond le plus à ce qu’il est possible de considérer la « période nominale » du modèle initial de l’agence. Un modèle de l’ANR 48 entre le Conseil d’Administration et la direction de l’agence ; la seconde entre la direction de l’agence et les responsables de départements. La direction contrôle des règles de l’organisation. Elle est en mesure de définir les procédures et de les inscrire durablement dans des normes techniques. Si formellement les tutelles – et en dernier lieu le ministère de la Recherche – ont le pouvoir de décider, la forme agence et l’expertise développée sur la mise en place des programmes restreint la prise des ministères. Le degré de délégation aux autres catégories d’acteurs, comme les organismes de recherche, se fait à la discrétion de l’agence. Cependant, à partir de 2010, certaines évolutions tendent à remettre en cause cette autonomie de contrôle 100 . Le Conseil d’Administration est l’arène dans laquelle les décisions stratégiques, qui concernent l’agence comme opérateur de l’État, sont prises. Sa composition est définie par le décret de fonctionnement de l’agence, qui marque le contrôle à distance de la tutelle. Celui-ci a vu sa composition évoluer 101 et permet des échanges avec les tutelles et les différents secteurs concernés comme les ministères techniques 102. «Le CA était vraiment la courroie de transmission entre le ministère et la direction de l’agence. Mais pas que : il y a les personnalités qualifiées qui peuvent s’exprimer. Donc quand même sont présents des chercheurs, il y a d’autres ministères, il y avait le Budget en particulier qui pesait lourd, dans les débats» 103. De manière similaire aux autres opérateurs de l’État, la direction exécutive doit valider ses actions externes. Dans les faits, les enjeux importants sont le vote du budget, la mise en place de nouveaux instruments ou d’actions spécifiques. Deux interlocuteurs semblent jouer un rôle privilégié dans les délibérations : le ministère de la Recherche, la tutelle, et le ministère du Budget, Bercy. Dans les faits, cela se traduit par la multiplication des interactions informelles en dehors des moments d’arbitrage : les interactions dans l’arène sont très peu formalisées. « C’est pas formalisé du tout. Je veux dire, j’étais reçu dans les ministères techniques, j’étais reçu évidemment au ministère de la recherche, j’étais reçu à Matignon, ils suivaient vraiment ce qu’on faisait. À chaque fois j’arrivais avec un jeu de slides en expliquant ce qu’on avait fait, où on en était, nos objectifs, nos perspectives […] moi j’ai souvent été plancher à Bercy. Comme j’allais plancher dans les ministères techniques, mais là c’était pour discuter du budget et répartition : qu’est-ce qu’on donnait aux entreprises, et pourquoi, et ce qu’on disait, et qu’est ce qui partait à l’international, etc » 104. Sans surprise, il peut devenir le lieu d’expression de désaccords entre l’agence revendiquant une certaine autonomie et les sollicitations politiques. La direction a ainsi été largement opposée à la croissance progressive du programme non-thématique qui résulte d’une demande des communautés scientifiques d’une plus grande liberté dans la fixation de leurs axes de recherche. Néanmoins, le CA ne représente qu’un moment formel de validation et la majorité des arrangements sont pris en amont. 100. Voir chapitre 2. 101. Ainsi, les représentants des organismes de recherche comme l’INRA ou le CNRS, sortis lors du passage au statut d’EPA, ont été réincorporés à partir de 2013. 102. ministère de l’Agriculture, de la Santé, de l’Industrie, etc. 103. ANR2 104. ANR2 Un modèle de l’ANR 49 Un épisode particulièrement éclairant prend place en 2010. Suite aux résultats de l’European Research Council, Valérie Pécresse déclare publiquement que les jeunes chercheurs sur liste complémentaire de l’ERC seront financés par l’ANR sans avoir à subir une nouvelle évaluation scientifique 105. Cependant, après avoir envoyé leurs projets comme demandé par la ministre, 80% de ces chercheurs s’est vu signifier le non-financement des projets par une lettre rappelant les standards de l’agence. « Les candidats français à l’ ERC admis en 2009 à se présenter à la deuxième étape du processus de sélection « Starting grants » et qui, à l’issue de cette deuxième étape, n’ont finalement pas été retenus dans la liste des lauréats financés, ont été contactés par l’ANR. Leur dossier a été examiné par le comité d’évaluation du programme « Jeunes chercheurs » de l’agence. En effet, les financements qui pouvaient leur être attribués étaient à prendre sur l’enveloppe du programme « Jeunes chercheurs ». Le comité a travaillé en toute transparence conformément aux règles de sélection ANR certifiées ISO9001. Je précise que l’ANR ne finance en aucun cas une deuxième fois un jeune chercheur qu’elle a déjà financé sur le même thème. Cordialement J. Lecourtier » 106 . Cet écart entre l’annonce publique par un acteur politique et la réponse de l’agence suscite une vive réaction de la part des chercheurs concernés 107 qui envoient une lettre ouverte à la ministre 108. L’explication de cet épisode est à chercher dans la défense par la directrice de l’agence des procédures mises en place : la qualité de la sélection et de l’évaluation est assurée par le respect des règles. L’intervention du politique se fait au niveau des politiques scientifiques, pas dans les détails opérationnels qui sont l’objet 105. Communiqué – 5.02.2008 : « Valérie Pécresse a reçu les chercheurs lauréats de l’appel à projets «Starting grants» lancé par l’European Research Council (E.R.C.). La liste des lauréats publiée par l’E.R.C. témoigne des bons résultats de la recherche française au niveau européen. La ministre a demandé à l’Agence Nationale de la Recherche de soutenir les jeunes chercheurs inscrits sur la liste complémentaire. L’Agence dégagera ainsi un budget de 10 millions d’euros pour appuyer la quinzaine de candidats se trouvant dans cette situation.» Mail aux candidats du 5 juillet 2010. 107. Echange de mail entre les jeunes chercheurs concernés, réaction de l’un d’entre eux : « Ok, what’s next ? I think we should insist on the fact that, a secure funding being promised, most of us chose not to apply to any other funding during this 8 months period (especially because as stated in this mail, double funding is not possible). Also, an ANR JCJC application is totally different in its form that an ERC one : I don’t see how you can rank the two together. I still have in the back of my mind Valerie Pécresse saying something like “we trust the referees of the ERC, and won’t evaluate you again”. The last point is, have we or not been evaluated by the committees ? It is obvious to me that all of this was very badly managed, but we should not have to pay for it. Anyway, the list of ANR/ERC funded projects has to be public.» 108. « Huit mois plus tard, la majorité de ces candidats a reçu un courrier de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) leur annonçant qu’ils n’auraient droit à aucun financement. Les motifs de rejet semblent aller d’incompatibilité administrative (lorsque le lauréat a déjà reçu un financement ANR, aussi modeste soit-il, par le passé) à une remise en cause extrêmement véhémente des qualités scientifiques du projet et du candidat (en totale contradiction avec les conclusions de l’ERC). Il est à noter que lors de votre discours, Mme la Ministre, vous aviez déclaré que cette attribution ne serait pas sujette à une nouvelle évaluation étant donné le haut niveau de sélection déjà effectué par les experts européens.» Extrait de la lettre ouverte à Valérie Pécresse du 8 juillet 2010. Un modèle de l’ANR 50 d’une réflexion et de compétences spécifiques. Le contrôle est alors divisé en deux niveaux assez distincts, celui qui relève de la décision des politiques scientifiques et celui qui relève de ses mises en œuvre. Tandis que l’agence intervient aux côtés des ministères techniques et représentants des organismes pour produire une politique scientifique (le processus de programmation), elle contrôle sa mise en œuvre. « On a été très content d’avoir pris cette position. Mais c’est vrai que d’un point de vue ministériel, on comprenait la position qu’ils pouvaient avoir. Ils étaient trop loin du terrain pour se rendre compte de ce qui se passait réellement. Dans les gens qui ne sont pas pris à l’ERC il y a de tout : ça ne suffit pas de candidater pour être bon. […] L’évaluation c’est quelque chose de compliqué. Quand on voit ça d’un peu loin, qu’on essaye de prendre des mesures populaires… Nous on était les gardiens du temple : et là dessus on était très soutenu par Bercy. […] Moi j’estime que c’est à l’ANR de savoir, de connaître son métier et de le mettre en œuvre. Après, les décisions budgétaires, évidemment, ça relève d’un gouvernement. Mais chacun doit faire son métier. » 109 L’arène de contrôle en interne échappe en partie aux relations avec le Conseil d’Administration. Ainsi, la certification ISO 9001 a été une décision interne : « Enfin, la certification ISO9001, je les avais informés, ça c’était le fonctionnement, ça ne les regardait pas, eux ils étaient là pour juger de résultats. Mais ils étaient pas là pour savoir comment on les obtenait» 110. S’il intervient, le CA peut être une chambre de validation des décisions. La direction est responsable du recrutement des personnels qui participent au fonctionnement quotidien. Elle exerce ce faisant un contrôle assez proche des personnalités en place. L’interconnaissance apparaît assez forte entre celle-ci et les responsables des départements scientifiques, auxquels sont délégués les choix substantiels. Ainsi, que ce soit sur la proposition faite au CA sur le découpage budgétaire pour l’année à venir ou sur la gestion des marges de manœuvre autour du cadre initialement voté, les arbitrages se font en relation directe avec les départements. Cela ne va pas sans son lot de tensions, avec des désaccords qui peuvent se solder par le départ de certains responsables. « On faisait une proposition sur la base des idées qu’on avait, sur les programmes qu’on voulait pousser, sur ce qu’on sentait dans la communauté, sur ce qui allait répondre, moins répondre, qui était urgent, qui l’était moins, et on faisait ça d’un commun accord avec les responsables de département. Et puis on proposait au conseil d’administration […] Ce n’est pas moi qui décidait [les découpages budgétaires]. Après c’est vrai que quand il y avait de l’argent, si les projets déposés n’étaient pas bon, ou qu’il n’y en avait pas assez, il fallait quand même qu’il y ait un certain niveau, il y a eu des appels à projets où on n’a pas eu les projets qu’on escomptait. Bon, dans ce cas, on mettait l’argent sur des appels où on avait d’excellents projets, et donc là on faisait confiance aux comités, qui nous disaient : ça c’est excellent, on a vraiment pas assez d’argent, etc. Après, en fin d’année, on essayait de rééquilibrer si on pouvait. Mais ça on le faisait après avoir expliqué en détail avec des justifications scientifiques, au conseil d’administration. »
L’arène de sélection : respecter les bonnes pratiques
L’arène de sélection est la fonction de sélection des projets, à laquelle participe des membres de la communauté scientifique et des administrateurs de l’agence. Braun souligne que toutes les décisions faites sont entièrement l’affaire des scientifiques :« il n’y a aucune ambiguïté que la qualité scientifique demeure le critère principal pour la sélection des projets » (Braun, 1998, p. 814). Cette arène de sélection dans le cas de l’ANR est représentée par le comité d’évaluation de chaque programme, qui désigne non seulement le regroupement de ses membres mais aussi les moments d’interaction qui conduisent à produire une évaluation scientifique des projets. Une observation préliminaire, qui vaut autant pour l’évaluation que pour le pilotage, est la diversité des situations, conséquence directe du schéma d’organisation. En effet, la diversité des programmes, des segments de communautés scientifiques, des profils des responsables au niveau de l’ANR conduit sans surprise à côtoyer des configurations jugées dysfonctionnelles – soit par les acteurs de l’agence, soit par les chercheurs qui y participent. Dans certaines configurations, les clivages disciplinaires ou le poids de certains industriels ont été dénoncés, conduisant les années s au renouvellement des membres. Inversement, d’autres comités 114 semblent avoir fonctionné de manière peu problématique pour les acteurs. L’analyse présentée ici insiste surtout sur le fonctionnement souhaité par l’agence et objectivé dans des règlements, des pratiques et des catégories de classement. Le comité d’évaluation est un des moments du processus de sélection 115. Il correspond à un dispositif de qualification des projets au regard de certains critères (Vatin, 2009). « L’objectif de l’ANR est que soient sélectionnés les meilleurs projets en regard de critères préalablement rendus publics dans le respect de l’égalité de traitement » : à l’entrée du comité d’évaluation (qui intègre aussi l’ensemble des expertises extérieures) se trouve un ensemble de dossiers, et à la sortie est obtenu un classement qui hiérarchise relativement (la liste classée) et absolument (avec des avis circonstanciés – certains projets sont définis en tant que tels comme excellents ou au contraire de qualité insuffisante).Ce dispositif de qualification des projets fonctionne de manière similaire sur l’ensemble de l’agence, avec des règles fixées par un règlement, rappelées régulièrement lors des délibérations. Il s’articule autour d’un comité de dix à vingt cinq membres, dont la liste est publique, nommés par le responsable de programme. Celui-ci s’appuie sur des sources diverses : connaissance personnelle du domaine, conseil des autres comités, etc. Un des membres est président avec la charge d’organiser le déroulement des opérations, et la composition des comités a pour vocation d’intégrer des membres étrangers et issus du privé. Le déroulement du comité et les règles à suivre sont explicités dans différents documents : par exemple, la gestion des conflits d’intérêts fait l’objet d’une charte de déontologie de l’ANR. Ils sont rappelés par le responsable de programme au début du comité, et le président a aussi pour mission de les faire respecter. Il existe des variations de comités en comités qui affectent la dynamique d’évaluation, comme la proportion de partenaires industriels, ou encore l’homogénéité disciplinaire des membres. Cependant, les responsables de programmes qui suivent le déroulement des comités développent une connaissance de leur comportement et procèdent si besoin à des ajustements, qu’il s’agisse de recourir à de nouveaux experts ou de ne pas reconduire un membre de comité. Plusieurs témoignages de responsables de programme soulignent que certains grands noms scientifiques ont ainsi pu être écartés en raison de leur trop forte partialité dans le processus. De même que pour la NSF (Cole et al., 1981), les responsables de programme dans les ajustements sont importants. Cependant, l’agir stratégique que l’on pourrait leur prêter – orienter un comité vers leurs thématiques, etc. – est à tempérer par l’existence de règles et puis aussi les contraintes concrètes de construire des comités qui « fonctionnent ». Dans le fonctionnement concret du comité, le président a la charge de créer la dynamique collective et de générer les règles ad hoc pour permettre un fonctionnement efficace, tandis que le responsable de programme est le garant des règles. Suivant leur personnalité, des variations peuvent avoir lieu. Le responsable de programme peut avoir une philosophie plus ou moins interventionniste de son action, tandis que le président peut proposer des règles de sélection dans la mesure où il respecte les critères fixés par les procédures, et que le comité accepte. Ainsi, certains comités procèdent à des votes, d’autres fonctionnent par consensus, etc.
Résumé |