RELATIONS ENTRE BASSINS VERSANTS ET
CELLULES SEDIMENTAIRES LITTORALES
Le “Source-to-sink”
L’approche « Source-to-sink », qui étudie les transferts sédimentaires depuis leurs sites de production, les bassins versants, jusqu’aux zones de stokage final (les « puits»), en passant par les lieux intermédiaires de transfert, a été élaborée et affinée par de nombreux auteurs (Schumm, 1977 ; Anthony, 1999 ; Carter, 2010 ; …). Celle-ci comporte: Une source de sédiments (crédit) composée d’un ou plusieurs processus d’apport telles que le transport sédimentaire en suspension effectué par les fleuves, le transport long-shore entrant, l’érosion de falaises, le transport on-shore, les dépôts biogènes et éoliens entrant, des apports externes de sables faits par l’homme. Un puits de sédiments (débit) pouvant être caractérisé par le transport long-shore sortant, le transport off-shore, la dissolution de particules abrasées, le transport éolien sortant, les extractions de sédiments … 3 En lien avec les cellules littorales, les apports continentaux par les fleuves définissent le concept de « Source-to-sink » qui a animé cette thèse. Figure I.1 : Approche « Source-to-sink » (d’après Rosati, 2005). Les budgets sédimentaires peuvent être appliqués aux cellules littorales pour l’étude des environnements côtiers à différentes échelles temporelles, du court terme (généralement la saison), jusqu’au long terme (les périodes historiques). L’équation générale d’un budget sédimentaire (Fig. I.1) est de la forme : Σ Qsource – Σ Qsink – ΔV + P – R = Résidu avec : Qsource et Qsink : les sources et les puits contrôlant les volumes. ΔV : le changement net en volume { l’intérieur de la cellule sédimentaire. P et R : respectivement la quantité de matériaux ajoutés et enlevés de la cellule littorale. Résidu : représente le degré d’équilibre de la cellule littorale (Résidu = 0 si la cellule est totalement équilibrée) (Rosati, 2005).
Cellule littorale
C’est en 1960 qu’Inman et Chamberlain ont effectué les premiers travaux sur le concept de cellule littorale, leurs études ayant été menées sur la côte Sud de la Californie. Ils mirent en avant le fait que la côte peut être découpée en plusieurs secteurs, chacun d’eux ayant un fonctionnement propre, « la cellule littorale » (Fig. I.2). Pour chaque cellule, on peut déterminer un cycle complet de transport sédimentaire littoral comportant : Les fleuves comme sources principales d’apport de matériaux sédimentaires. Les canyons sous-marins qui eux sont les principaux puits de sédiments. 4 Les limites principales des cellules sont composées de promontoires rocheux ou de grandes jetées s’avançant dans la mer (pour les littoraux anthropisés), ne permettant théoriquement que très peu de transit sédimentaire entre cellules adjacentes. Figure I.2 : Cellules littorales (d’après Komar, 1976). Dans chaque cellule, les zones de transit, en érosion ou en accrétion, sont principalement déterminées par les courants de dérive littorale (aussi appelés courant long-shore, transit littoral ou courant longitudinal), selon que les sédiments déplacés soient retirés ou déposés. Six ans plus tard, Bowen et Inman ont affiné ce concept en introduisant les termes de crédits et débits pour nommer les entrées et les sorties sédimentaires dans la cellule, ainsi que la balance sédimentaire qui elle, donne les gains ou pertes nettes d’une cellule littorale donnée (Komar, 1976). On a dès lors une première tentative de quantification des processus globaux { l’intérieur de la cellule. En 1974, Davis développait un concept très proche de celui de cellules littorales : les compartiments côtiers sédimentaires, stipulant que la dérive littorale était sévèrement entravée par les avancées rocheuses en mer, qu’elles soient d’origines naturelles ou anthropiques (Davidson-Arnott, 2010). Mais le concept de cellule littorale sera repris et développé, plus de vingt ans après les premiers travaux, par Carter (1988) et Komar (1996), en détaillant réellement les processus actifs pour chaque secteur { l’intérieur de la cellule sédimentaire, partant de la source d’apport des sédiments et continuant par les mécanismes de transport en milieu liquide ou éolien, pour finir aux zones « puits », véritables pièges sédimentaires 5 quasi permanents, ce modèle rejoignant celui de « modèle en boite » de Jimenéz et al., (1993) où l’on retrouve un système comportant des zones d’entrées de sédiments, des zones de transits et des zones de sorties. En régime méso et surtout macro tidal, les estuaires sont aussi d’importants pièges { sédiments (Kulm et Byrne, 1966). Après plus d’un demi-siècle de développement, le concept de cellule littorale est actuellement largement admis et très souvent utilisé en géomorphologie littorale. Ce concept de la cellule littorale s’est avéré important en termes d’aménagement littoral et de comptabilité sédimentaire budgétaire importante à la gestion des littoraux meubles (e.g., van Rijn, 2010). En étendant et précisant les flux d’entrée et de sortie sédimentaires, en prenant en compte des zones de transit, en admettant une certaine porosité entre cellules voisines avec des limites pouvant être soit divergentes, soit convergentes, soit encore interruptives, ce concept sert actuellement de cadre général et est devenu le préambule indispensable dans la détermination des budgets sédimentaires lors d’analyses de l’évolution spatio-temporelle du littoral.
Le Transport
Sédimentaire en Suspension (TSS) Elément essentiel pour évaluer l’érosion { l’échelle des bassins versants, la quantification du transport sédimentaire en suspension (TSS) par les fleuves permet également d’établir les bilans sédimentaires du domaine marin jusqu’aux cellules littorales concernées (Albergel et al., 2003 ; Syvitski et al., 2003 ; Achite et al., 2006 ;…). Si, depuis plus de 50 ans, les études s’accordent toutes sur la sensibilité du Maghreb { l’érosion hydrique, elles divergent sur les valeurs moyennes à adopter, les différentes méthodes et modèles utilisés donnant souvent des résultats disparates (Fournier, 1960 ; Strakhov, 1967 ; Heusch et Millies-Lacroix, 1971 ; Milliman et Meade, 1983 ; Walling, 1984 ; Snoussi, 1988 ; Probst et Amiotte Suchet, 1992).
Exemplarité des cours d’eau d’Afrique du Nord
Les cours d’eau { écoulement souvent temporaire (oueds) retenus dans cette étude peuvent être considérés comme étant exemplaires pour établir le type de relation évoqué ci-dessus car ils sont situés en zone semi-aride. Si leurs débits annuels moyens sont assez faibles, ils se trouvent décuplés en périodes de pluies, ayant alors un potentiel de transport sédimentaire élevé. Toutefois, les contraintes de développement ont imposé l’édification de nombreux barrages venant entraver l’acheminement des sédiments vers le littoral. Bien que ces particularités ne soient pas spécifiquement prises en compte dans l’un des modèles retenu (celui de Syvitski et al., 2003), il nous est apparu intéressant de voir comment un tel modèle pouvait se comporter lorsqu’il était utilisé dans cet environnement bioclimatique particulier.
Intétêt d’une approche combinant télédétection et modélisation
Quant { l’approche méthodologique utilisée dans ce travail, elle nous a été dictée par plusieurs éléments tels que : – L’étendue spatiale du terrain d’étude (2200 km de côte) qui se prête de façon idéale à une analyse menée à la fois par télédétection et par modélisation. – L’approche diachronique retenue, qui s’étend sur une centaine d’années, est elle aussi parfaitement adaptée { ces techniques d’étude. Cela concourrait de fait pour que les méthodes de télédétection combinées à celles de la modélisation soient retenues dans cette thèse afin d’essayer de préciser les liens existants entre les bassins versants et les cellules littorales associées.
Plan de la thèse
La première partie sera classiquement consacrée à la présentation des sites. Dans la deuxième partie, « Apports sédimentaires des oueds à la mer », nous comparerons le modèle semi-empirique de Probst et Amiotte Suchet (1992) à 5 paramètres avec le modèle zonal de Syvitski et al., (2003) pour calculer le transport sédimentaire des oueds afin de quantifier les apports de matériaux réalisés par ceux-ci jusqu’{ la mer. Nous proposerons également une nouvelle formulation du modèle de Syvitski et al., (2003), (appelée SYVmod), nous paraissant être plus adaptée au contexte maghrébin. Le rôle des barrages sera lui aussi examiné, principalement au niveau des retenues sédimentaires qu’ils occasionnent, afin d’évaluer les déficits sédimentaires se répercutant sur le littoral. Dans la troisième partie, « Morphologie et évolution du littoral », une classification des plages sera réalisée en fonction des paramètres géomorphologiques et hydrodynamiques { l’échelle de la cellule littorale. Après avoir cartographié la position des traits de côte, une analyse diachronique basée sur la comparaison de cartes anciennes et de photos satellites actuelles est proposée afin de déterminer si, { l’échelle séculaire, les organismes fluviaux ont charrié à la mer suffisamment de sédiments pour compenser ou limiter l’érosion marine et influencer l’évolution du rivage. Nous évaluerons le taux de dérive littorale annuelle à proximité des différentes embouchures pour apporter des éléments de compréhension sur la répartition des sédiments le long du linéaire côtier. Même si la méthode de calcul utilisée ne prend pas en compte explicitement la réflexion et la diffraction de la houle, elle propose une estimation à long terme de la dérive littorale. Puis, une redéfinition des cellules littorales hydrosédimentaires sera réalisée en fonction de la perméabilité que nous aurons déterminée entre les cellules adjacentes. Enfin, nous examinerons les relations qui existent entre les apports sédimentaires et les paramètres relatifs au trait de côte et aux barres littorales.En effet, l’étude morphodynamique des plages montrent que les barres (1) constituent des formes majeures de stockage de sédiments en transit le long du littoral et agissent donc comme des réservoirs, mais aussi des (2) tampons d’énergie. Leur typologie renseigne bien sur l’état morphodynamique modal d’une plage, et donc sur sa susceptibilité { l’érosion ou { l’accrétion, notamment vu { travers le prisme du modèle conceptuel très utilisé d’états de plage, développé par Wright et Short. La dernière partie regroupera la conclusion générale, la synthèse des résultats de cette thèse ainsi que la liste des thèmes qu’il serait certainement utile d’approfondir pour prolonger mon travail.
1 Introduction |