Sources et transports d’humidité pour les évènements de pluies intenses en région méditerranéenne
La Méditerranée, une région soumise aux pluies intenses et aux crues rapides
La Méditerranée est une région du globe qui, du fait de sa situation géographique et de son relief particulier (cf. carte figure A.1 présentée en annexe A, page 151), bénéficie d’un climat bien spécifique, à la frontière entre les climats de moyennes latitudes et sub-tropicaux. Fortement influencé par la mer, le climat méditerranéen est protégé de l’empreinte de l’Atlantique et des plus hautes latitudes par le relief de la région. Ce climat est caractérisé par une forte variabilité avec de longues périodes de sécheresse en été et des hivers plus humides associés à des précipitations peu fréquentes mais intenses, notamment en inter-saison. Les phénomènes météorologiques extrêmes y sont importants. Sécheresse, vents violents, pluies intenses et crues rapides font régulièrement de lourds dégâts matériels et parfois humains. Le Sud-Est de la France est ainsi concerné plusieurs fois par an par des précipitations intenses (typiquement plus de 200 mm par jour comme montré sur la figure 1). Boudevillain et al. (2009) indiquent que l’on dénombre en moyenne chaque automne sur le pourtour méditerranéen français, 7 à 8 jours avec des précipitations quotidiennes de plus de 150 mm et 3 à 4 jours avec des précipitations supérieures à 200 mm. Les autres pays méditerranéens sont aussi affectés par ces phénomènes extrêmes, comme le montrent par exemple Romero et al. (1998a) ou Peñarrocha et al. (2002) pour l’Est de l’Espagne, Buzzi et al. (1998) et Davolio et al. (2009) pour le Nord-Ouest de l’Italie, Krichak et Alpert (1998) et Krichak et al. (2004) pour Israël, et Hamadache et al. (2002) pour le Nord de l’Algérie. Si l’on se focalise uniquement sur le Nord-Ouest du bassin méditerranéen, on peut par exemple citer des épisodes de pluies intenses particulièrement catastrophiques en Espagne (Catalogne, région de Valence ou Baléares), sur le Sud-Est de la France (Pyrénées-Orientales, Aude, Gard ou Var), en Corse ou encore sur le piémont italien et en Ligurie. Le tableau 1 en donne des exemples. De telles quantités de précipitations accumulées en peu de temps induisent des réponses hydrologiques rapides du fait de la petite taille des bassins versants du pourtour méditerranéen. Les épisodes de pluies intenses y provoquent ainsi souvent une montée des eaux soudaine induisant des inondations catastrophiques, appelées «crues éclair». Les intensités de précipitations observées lors d’épisodes causant des crues sont assez variables. Selon le contexte météorologique, on peut par exemple relever jusqu’à 300 mm en 6 h ou observer des pluies continues plus modérées persistant sur 24 h pour donner des cumuls quotidiens de 150 mm à 200 mm. Le seuil minimal de 150 mm en 24 h est souvent retenu pour définir les précipitations intenses (Ricard et al. (2011) par exemple). Il permet de sélectionner des épisodes météorologiques à fort impact susceptibles notamment de provoquer des crues éclair. Des inondations peuvent en effet se produire dès que les cumuls quotidiens dépassent ce seuil comme par exemple le 16 novembre 2003 à Narbonne avec 190 mm ou le 24 décembre 2000 dans l’extrême Sud-Est avec 178 mm. Une étude climatologique des épisodes fortement précipitants dans le Sud-Est de la France a montré qu’ils se localisent principalement sur les contreforts est et sud des reliefs des Pyrénées, du Massif Central et des Alpes (cf. figure 2), i.e. sur les flancs exposés au vent marin humide. L’orographie joue en effet un rôle majeur dans le déclenchement, le renforcement et la stationnarité des précipitations intenses. Comme l’ont montré de nombreuses études (Houze, 1993; Ramis et al., 1998; Chu et Lin, 2000; Romero et al., 2000; Lin et al., 2001; Ducrocq et al., 2008; Miglietta et Rotunno, 2009), lorsqu’un flux humide aborde une barrière orographique, des processus dynamiques et thermodynamiques entrent en jeu et soulèvent localement la masse d’air, l’amenant à condensation. Cela donne naissance et intensifie les précipitations sur une zone géographique bien précise.
Les systèmes précipitants méditerranéens de grande échelle
Le premier type de systèmes précipitants donnant de forts cumuls sur le pourtour méditerranéen est produit par des perturbations dynamiques des moyennes latitudes. Ces systèmes de grande échelle peuvent prendre, au moins localement et temporairement, un caractère convectif avec le développement, notamment au niveau du front froid, de cellules de convection profonde noyées dans la masse de la perturbation dynamique.
Les systèmes précipitants persistants de grande échelle
Ces systèmes fortement précipitants de grande échelle se développent au sein d’une masse d’air perturbée, dans un environnement très dynamique. Le cyclonisme de l’environnement génère des ascendances qui produisent des formations nuageuses et précipitantes, notamment dans le secteur chaud de la perturbation dont le contenu en vapeur d’eau est plus élevé. Ces ascendances sont renforcées au niveau des zones frontales qui soulèvent l’air chaud de la perturbation. Ces systèmes précipitants de grande échelle ne couvrent généralement pas toute la hauteur de la troposphère. Houze (1993) précise qu’ils se limitent dans les zones directement affectées par le forçage dynamique et frontal, essentiellement dans la moitié basse de la troposphère. Les précipitations associées sont principalement stratiformes, avec éventuellement quelques cellules convectives peu profondes noyées dans la masse. Ces précipitations couvrent une large zone géographique mais ne sont pas très intenses. Aussi, pour donner de forts cumuls ces systèmes précipitants de grande échelle doivent persister sur la même zone pendant de nombreuses heures. Du fait de la large zone couverte par les pluies, ces systèmes persistants ne sont pas nécessairement stationnaires, mais évoluent lentement en lien avec une perturbation active peu mobile et un système frontal associé quasi-stationnaire. Un exemple important de ce type de précipitations persistantes de grande échelle est donné par l’épisode du 1er au 3 décembre 2003 qui engendra une crue historique du Rhône. Lors de cet épisode, des précipitations ont perduré pendant 3 jours sur un région allant des Bouches-du-Rhône à l’Hérault. Ces précipitations se sont produites au sein d’un système nuageux très étendu spatialement (cf.figure 1.1), qui s’est développé au niveau d’un front dynamique ondulant et quasi-stationnaire, comme le montre l’analyse synoptique établie à Météo-France pour le 1er décembre 2003 (cf. figure 1.2). Sur ces 3 jours, les cumuls de précipitations atteignent 300 mm dans la vallée du Rhône avec des cumuls quotidiens allant jusqu’à 200 mm vers Marseille pour la journée du 1er et 170 mm vers Montpellier pour la journée du 3. Sur cette dernière journée, la perturbation prend un caractère convectif plus marqué. Cet épisode illustre que les systèmes précipitants de grande échelle se combinent ponctuellement à des cellules convectives profondes noyées dans la masse de la perturbation lorsque le contexte devient plus instable. L’intensité des précipitations s’en trouve alors localement augmentée. FIG. 1.1 – Image infrarouge du système de grande échelle du 01/12/2003 à 15 UTC. L’image vient de l’instrument imageur MVIRI (Meteosat Visible and InfraRed Imager) du satellite METEOSAT-7.
Contexte synoptique favorable
Les systèmes précipitants persistants de grande échelle donnant de forts cumuls sur le pourtour méditerranéen se développent dans un contexte synoptique qui maintient une perturbation fortement dynamique et faiblement mobile près des côtes. La perturbation dirige la masse d’air perturbée et humide de son secteur chaud selon une «bande transporteuse chaude» (ou «warm conveyor belt» en anglais) vers les côtes méditerranéennes et y advecte des systèmes précipitants de grande échelle. Cette perturbation peut s’être formée par cyclogénèse sur la Méditerranée ou résulter de la réactivation d’une perturbation atlantique.
Introduction |