Migrations forcees dans le Sud du Bresil: les atingidos
Une fois le barrage installé sur un fleuve, les espaces de vie des populations sont forcément modifiés. L’étude de cette modification s’appréhende par la connaissance des espaces de vie précédents (cf. Partie II – Chapitre 3 et 4) et par l’étude des nouveaux espaces de vie. Quels sont les changements pour les atingidos après leur migration ? Les espaces agricoles, les liens familiaux, les structures communautaires, etc. sont des éléments qui peuvent évoluer. Il est donc intéressant de connaître dans quelle mesure change la vie des atingidos et comment ils réussissent à s’adapter. La question de l’adaptation peut aussi se poser au niveau des structures administratives qui reçoivent les usines hydroélectriques, avec des conséquences, négatives et positives dans les municipes. Éléments d’adaptation Les espaces de vie des futurs atingidos de Foz do Chapecó, permettent d’avoir une idée précise du déroulement de la vie des populations proches du fleuve Uruguay. Pour mettre en lumière les différences de vie entre les deux moments de la migration (départ-arrivée), il faut aborder l’espace de vie des populations après leur réinstallation. Grâce à l’étude des atingidos de Machadinho nous observerons les modifications concrètes, les difficultés rencontrées et les adaptations nécessaires. Pour de nombreux aspects, des différences existent en bord de fleuve, entre les espaces de vie précédents et les nouveaux. Les bouleversements sont importants et les acclimatations plus ou moins aisées. Si les modifications apportées par le barrage ne sont pas perçues par tous les atingidos, après la migration, chaque famille doit construire un nouvel espace de vie et doit s’adapter au nouveau contexte. Nous avons pu observer les modifications rapides et impressionnantes du paysage avec la construction d’un barrage. Les familles atingidas subissent une modification paysagère avec leur changement de lieu de vie. À travers quelques exemples iconographiques, observons les modifications entre le précédent lieu de vie et l’actuel. La première grande différence entre les deux paysages est morphologique. D’un paysage de pentes, en bord de fleuve, les atingidos passent à un paysage de plateaux. Les lieux de réinstallations des atingidos varient bien sûr selon leur choix d’indemnisation75, mais majoritairement ce territoire reste très différent du précédent d’un point de vue morphologique, climatique, pédologique. Les différences structurelles influencent d’autres aspects constituant le lieu et le mode de vie, tels que : l’agriculture, la végétation, le point de vue, les déplacements, les loisirs, etc. Sur la photo suivante, nous constatons le relief plat observé par les atingidos du reassentamento collectif 2 de Barracão/RS, déterminant pour l’évolution de leur agriculture hier manuelle et vivrière vers une agriculture plus orientée vers la productivité et la mécanisation. Les atingidos sont habitués à vivre en bord de fleuve, mais ne connaissent qu’approximativement le plateau qui se situe à quelques kilomètres en arrière. Ils doivent maintenant s’approprier leur nouveau milieu. L’adaptation au nouveau paysage, passe pour ces familles d’agriculteurs, par l’accoutumance à la nouvelle terre et aux nouvelles conditions pédoclimatiques de son exploitation. De la bonne adaptation et donc de l’utilisation de la terre dépend l’avenir des familles dans leur nouveau lieu de vie. Les agriculteurs atingidos avaient l’habitude d’exploiter de petites parcelles, souvent en pente et peu productives. Ils habitent maintenant sur un plateau, souvent sur des terres d’une ancienne fazenda et doivent modifier leurs pratiques agricoles pour utiliser aux mieux les nouvelles conditions du milieu physique. Pour faciliter la phase de transition entre ces deux milieux si distincts, l’entreprise (MAESA dans notre cas) offre aux atingidos, habitant les reassentamentos collectifs, une assistance technique. La MAESA délègue à l’entreprise LRP76 le soin de cette assistance sur une période de cinq ans. L’entreprise, fixée à Barracão/RS, a pour mission d’accompagner et d’aider les familles à améliorer leur production agricole. Elle guide 213 familles dans les reassentamentos collectifs et individuels. Elle aide à l’obtention de crédits pour l’achat de machines ou de tracteurs. Il y a quelques exemples de tracteurs achetés à sept ou huit familles, mais il n’est pas toujours facile de partager investissements et crédits. L’entreprise assiste aussi les paysans pour le choix de la culture, des semences, du semis, la mise en place de la production de lait, etc. Dans les reassentamentos, on produit surtout du soja et du maïs. La production de soja est d’environ trente sacs par hectare et cent dix sacs par hectare . pour le maïs. Ces deux grandes productions ne suffisant pas, elles sont complétées par des cultures et élevages annexes : lait, tabac, cochons, bovins, avoine, etc. Les cultures sont produites par un système en semis direct la plupart du temps. Toutes les familles n’adoptent pas les productions nécessitant une mécanisation et des connaissances nouvelles. Certaines s’adaptent mal aux nouvelles techniques et n’arrivent pas à produire sur leurs terres. José Carlos Michalowski79 explique que l’adaptation diffère beaucoup selon les familles et leurs origines. Les reassentamentos de Barracão/RS sont composés de beaucoup de caboclos, d’italiens et de quelques allemands. Les familles d’origine allemande et italienne s’adaptent plus rapidement à ses yeux. Il explique aussi que la production agricole est plus fructueuse dans le Santa Catarina car le réseau de collecte des marchandises y est plus important. Le réseau de villes étant plus dense, il pense qu’il y est plus facile de commercialiser les produits. L’accueil, par les atingidos, de l’entreprise (LRP) et de ses employés est mitigé. Certains, notamment ceux de Barracão/RS, jugent parfaite l’aide fournie par la LRP, alors que d’autres familles, plus souvent du Santa Catarina en attendent davantage ou ne souhaitent même plus en entendre parler. Des familles pensent que la présence de l’entreprise n’est que politique et n’a pas vraiment d’utilité. Les avis semblent donc partagés et on peut imaginer que l’entreprise est plus disponible pour les atingidos habitant à proximité de son siège.
Reassentamento, une structure idéale pour les familles ?
Les indemnisations disponibles pour les familles atingidas sont nombreuses et parmi elles se trouvent les reassentamentos collectifs. Pour la famille, cela veut dire la décision d’avoir un lopin de terre, dont elle sera propriétaire, et de vivre dans une communauté nouvelle. Le reassentamento collectif est une structure particulière dans le paysage agraire brésilien. Il s’agit de l’addition de petits lopins de terre, sur une ancienne grande propriété, pour tenter d’y faire une communauté. Le système est comparable pour certains points aux assentamentos90 des paysans sans terre. Les reassentamentos collectifs ne sont pas les choix d’indemnisations majoritaires. Les entreprises trouvent cette structure coûteuse et les familles sont parfois réticentes à vivre entourées d’autres familles atingidas. Pour le barrage de Machadinho, moins de 12 % des familles officiellement victimes du barrage optent pour cette solution, soit 246 familles sur les 2 076. Nous allons étudier sept reassentamentos collectifs de Machadinho : trois se situent à Barracão/RS (dont deux sont voisins), deux à Campos Novos/SC et deux à Curitibanos/SC. Ils regroupent un total de 183 familles91. L’analyse de leur fonctionnement se fait à partir des trois cadres de vie qui entourent les familles : la maison et la terre, l’espace communautaire et collectif, l’espace extérieur (ville et voisinage). Le reassentamento collectif Novo Amanhecer peut illustrer les difficultés parfois rencontrées et les volontés de s’installer durablement. L’espace personnel des familles se constitue de leur maison et de leurs terres. La superficie moyenne d’une propriété est de dix-sept hectares, dont dix hectares de champs. Sur cette propriété, la famille possède une maison dont la taille dépend du nombre de personnes. L’entreprise recense certains critères, dont le nombre de personnes dans la famille, avant de faire construire les résidences. Sur les photos 2.61 et 2.62, nous observons l’intérieur d’une maison d’une famille d’origine italienne.Les maisons disposent le plus souvent d’une salle d’eau, d’une grande salle (faisant office decuisine, salle à manger et salon) et d’une ou deux chambres. Les maisons sont identiques en terme d’architecture au début du reassentamento, ensuite chaque famille est libre de la modifier à sa convenance. Les résidences sont le reflet de l’adaptation de la famille dans le reassentamento. On trouve des maisons totalement abandonnées, résultant des départs de familles, des maisons moins bien entretenues lorsque les familles n’arrivent pas à vivre dans ce contexte et des maisons améliorées et décorées avec une attention particulière. L’apparence extérieure de la maison traduit l’appropriation du lieu. De manière générale, les maisons dans les reassentamentos collectifs semblent bien entretenues avec des décorations, des plantes et un soin particulier aux entrées et terrasses. Finalement, peu de maisons sont délaissées car peu de familles les abandonnent, préférant les vendre Autour de la maison, quasiment toutes les familles ont l’habitude de cultiver un potager grâce auquel elles produisent des fruits et légumes pour l’alimentation quotidienne. Cela leur permet d’éviter d’aller les acheter à l’extérieur. Ce procédé est très répandu et s’avère différent selon les familles. Certaines réalisent parfois un potager assez grand pour vendre des légumes aux autres familles du reassentamento. Les potagers sont plus ou moins étoffés, mais les choix culturaux restent souvent les mêmes. Autour de la maison, se situe l’espace cultivé par la famille. La propriété se compose aussi d’un espace pour les animaux, d’un hangar et d’une zone de préservation environnementale. Les éléments agricoles sont importants et là encore, selon les familles visitées les différences sont notables. On note des niveaux de production disparates au sein d’un reassentamento, en observant les infrastructures et les champs de chacune des familles. On remarque une hétérogénéité dans les infrastructures et outils qu’utilisent les familles. Certaines ne disposent de quasiment aucun équipement et exploitent la terre manuellement. A contrario, d’autres utilisent des tracteurs, des moissonneuses-batteuses, etc. Ces équipements sont parfois individuels et plus souvent le résultat d’un achat commun à trois ou quatre familles. Outre les achats individuels, aujourd’hui, tous les reassentamentos sont équipés d’un tracteur ou d’autres équipements mécanisés D’une situation de départ quasiment similaire, les familles évoluent différemment, avec des distinctions dans: l’agencement et l’entretien des maisons, l’utilisation des terres agricoles, les pratiques employées et les aménagements secondaires. Les familles n’ont pas les mêmes capacités d’adaptation et de fait suivent des évolutions différentes. En dehors du lopin de terre, c’est aussi l’espace de vie des familles qui diffère. La composition d’un reassentamento est l’addition de multiples espaces familiaux (maison et terres). Le reassentamento, coupé par des routes, se structure à partir des parcelles des atingidos. Avant les reassentamentos étaient de grandes fazendas composées de très grandes parcelles. Pour y installer le reassentamento, il a fallu aménager et prévoir des voies de circulation. Sur les deux images satellites ci-dessous nous observons la structure de deux reassentamentos. À l’ouest des deux images, les paires de points blancs que l’on distingue sont les maisons accompagnées d’un hangar. Les distances sont relativement importantes entre les propriétés car ce sont les terres agricoles qui séparent les maisons. Pour relier les maisons entre elles et avec le centre, on aperçoit les chemins tracés entre les champs. Certains, particulièrement rectilignes, rejoignent les anciennes routes qui desservent le plus souvent le centre du municipe. Enfin, on distingue les zones de forêt (vert foncé) servant à la préservation environnementale. Elles sont petites et dispersées entre les terres agricoles, ou plus importantes au milieu du reassentamento Des écoles sont aussi construites, à côté des églises, pour les enfants de six à quatorze ans. En plus des enfants des reassentamentos, elles accueillent ceux de la zone rurale qui n’habitent pas la structure collective. L’école de Barracão 1 admet 160 élèves. À Barracão/RS, la municipalité a mis en place un transport scolaire pour les enfants des zones rurales proches pour ainsi aller à l’école du reassentamento, ainsi que pour y amener les instituteurs. Ces derniers n’habitent que très rarement dans le reassentamento et vivent au centre du municipe. D’après les dires des professeurs, le système fonctionne très bien et aide à l’intégration des populations. Dans certains cas particuliers, l’école ne compte pas assez d’enfants et se trouve dans l’obligation de fermer. Cette situation est rencontrée par l’école du reassentamento de Bela Visa, Curitibanos/SC. Pour la municipalité l’école n’est pas viable en terme d’effectifs et de gestion des professeurs, parce que le reassentamento est situé à environ dix kilomètres du centre du municipe.
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