Optimisation des protocoles d’irathérapie de l’hyperthyroïdie
Rappels sur l’hyperthyroïdie
Les hyperthyroïdies désignent l’ensemble des hyperfonctionnements de la thyroïde. Leur conséquence est la thyrotoxicose, expression de l’inflation hormonale . Les hyperthyroïdies possèdent une forte individualité clinique et évolutive, en fonction de leurs nombreuses variétés étiopathogéniques. Celles-ci conditionnent beaucoup les modalités de leur prise en charge thérapeutique et leur pronostic.
Étiopathogénie
La thyroxine (T4) est produite en totalité par la glande thyroïde. Seuls 20 % de la T3 proviennent d’une sécrétion directe de la glande. La majorité de la T3 circulante est issue de la désiodation de T4 au niveau des tissus périphériques : dans le foie, le rein, le muscle squelettique (sous l’influence d’une désiodase de type 1, inhibée par le propylthio-uracile), mais aussi le système nerveux, l’antéhypophyse, le myocarde, la graisse brune (désiodase de type 2). Dans la majorité des hyperfonctionnements thyroïdiens, le contenu en iode se réduit et 40 % de la T3 provient alors d’une sécrétion directe par la thyroïde. C’est ce qu’on observe lorsque le parenchyme thyroïdien est stimulé en excès par des anticorps thyréostimulants dans la maladie de Basedow ou les goitres basedowifiés. Plus rarement l’hyperstimulation est le fait de la thyroid stimulating hormone ou TSH (adénomes thyréotropes, états de résistance pituitaire aux hormones thyroïdiennes), ou de l’hormone chorionique placentaire ou hCG (grossesses, tumeurs molaires…). Ce processus hyperfonctionnel peut résulter aussi de foyers d’autonomie acquis, responsables de nodules toxiques, le plus souvent liés à des mutations activatrices du récepteur de la TSH au moins dans les pays de carence iodée. Un processus 5 analogue d’activation constitutionnelle du récepteur de la TSH explique les rares hyperthyroïdies diffuses congénitales non auto-immunes, génétiquement transmises. Rarement l’hyperproduction hormonale trouve sa source hors de la thyroïde : goitres ovariens, métastases fonctionnelles des cancers thyroïdiens. Bien différents sont les mécanismes des hyperthyroïdies liées aux thyroïdites : infectieuses, auto-immunes, médicamenteuses, postradiques. L’altération lésionnelle du parenchyme thyroïdien dilacère la structure vésiculaire, et libère dans la circulation des hormones préformées dans la colloïde. Du fait de l’abondance relative en thyroxine, c’est une libération préférentielle de T4 qui caractérise ces processus d’« hyperthyroïdites ». Des situations de thyrotoxicose peuvent survenir du fait de la prise excessive d’hormones thyroïdiennes. Ces prises d’hormones sont médicalement proposées en traitement ou en prévention des récidives des tumeurs thyroïdiennes. Mais elles peuvent être clandestines (thyrotoxicoses factices) ou liées à l’environnement (contaminants alimentaires ou médicamenteux riches en hormones thyroïdiennes). Au sens propre, ces situations ne peuvent être qualifiées d’hyperthyroïdies, puisqu’elles déterminent une mise au repos des cellules thyroïdiennes. Mais les problèmes diagnostiques qu’elles soulèvent sont bien réels, et ne seront pas négligés dans cette mise au point. [4] II- Épidémiologie La prévalence de l’hyperthyroïdie clinique est traditionnellement estimée entre 0,5 et 2 % de la population adulte, avec une prédominance 10 fois plus élevée chez les femmes [5]. Les quelques enquêtes épidémiologiques publiées annoncent en réalité des chiffres très variables, évalués entre 0,1 et 4 % aux États-Unis et en Europe. Ces disparités procèdent de différents facteurs : prise en compte exclusive des hyperthyroïdies cliniques ou également des hyperthyroïdies subcliniques, âge et 6 sexe, environnement et statut iodé des populations étudiées, techniques de dosages et critères biologiques, faible nombre des études et des cohortes étudiées [3]. L’étude menée dans les années 1970 dans la communauté de Whickham en Grande-Bretagne avait concerné 2 779 sujets ; elle avait pour la première fois estimé la prévalence de l’hyperthyroïdie à 2,7 % chez la femme et à 0,23 % chez l’homme [6]. La maladie de Basedow représente l’étiologie la plus fréquente de l’hyperthyroïdie en Europe (45 à 60 %) et s’observe avec prédilection chez l’adulte jeune ; elle se rencontre aussi à l’adolescence ou après la cinquantaine. Le nodule toxique et le goitre multinodulaire toxique prédominent chez les sujets âgés. Les études estimant le risque de progression de l’hyperthyroïdie subclinique vers l’hyperthyroïdie clinique sont peu nombreuses. Dans l’étude de Birmingham, sur 50 sujets présentant initialement une TSH isolément diminuée, un seul a évolué vers une hyperthyroïdie clinique sur une période de 1 an [7]. Dans d’autres études, l’incidence a été évaluée à 5 % par an [18]. La réversibilité ou l’évolutivité sont plus élevées en cas de formes subcliniques de maladie de Basedow, alors que la stabilité du statut hormonal est habituelle au cours des goitres nodulaires
Syndrome de thyrotoxicose
Formes typiques
La symptomatologie est éloquente : Amaigrissement rapide contrastant avec un appétit conservé pouvant conduire à une véritable cachexie ; Asthénie musculaire avec amyotrophie, notamment des ceintures, responsable dans les formes sévères d’un handicap moteur (signe du 7 tabouret de froment) et de modifications du timbre de la voix (assourdie et voilée) ; Signes de dysrégulation thermique : thermophobie, hypersudation, élévation thermique discrète, polydipsie. L’aspect de la « main basedowienne » chaude et moite, avec chaleur Irradiée, est très évocateur ; Eréthisme cardiovasculaire : tachycardie permanente, avec pouls vibrant, palpitations, dyspnée d’effort, Diarrhée ou disparition d’une constipation ancienne ; Tremblement fin, rapide, régulier des extrémités, apparaissant au maintien des attitudes, parfois accompagné d’une impression de trémulation intérieure ; Nervosité, agitation, instabilité de l’humeur ; Parfois : troubles trophiques (ongles, cheveux), troubles génitaux (irrégularité menstruelle, hypoménorrhée, anovulation), gynécomastie.
Formes frustes
La symptomatologie thyrotoxique est dissociée, réduite à quelques signes diversement associés : tachycardie, petit tremblement, thermophobie, sudations, diarrhée, amaigrissement discret… 3- Formes trompeuses La symptomatologie prend le masque : D’une affection cardiovasculaire (cardiothyréose) : extrasystoles, crises de tachycardie paroxystique, accès de flutter ou de fibrillation auriculaire, tachyarythmie complète par fibrillation auriculaire, asystolie (particulière par l’absence de cardiopathie, la coexistence de l’arythmie complète, la relative rareté des accidents thromboemboliques [ce qui ne doit pas dispenser du traitement anticoagulant], les valeurs paradoxalement normales de la vitesse circulatoire et du débit cardiaque, la résistance au 8 traitement digitalique et la sensibilité élective au traitement antithyroïdien), exceptionnellement angor et bloc auriculoventriculaire ; De signes paradoxaux : prise de poids souvent avec aménorrhée chez la femme jeune, anorexie chez le sujet âgé ; D’une anomalie cutanée : prurit ; D’une affection digestive en raison de la diarrhée et de l’amaigrissement ; D’une affection musculaire ou neuropsychiatrique : myopathie pseudoparalytique ou pseudomyasthénique, troubles paresthésiques ou paralytiques, modifications du comportement, états anxiodépressifs, délirants ou confusionnels ; D’une affection osseuse : fractures et tassements vertébraux liés à l’ostéopénie ; D’une infection sévère : crise aiguë thyrotoxique avec hyperthermie et déshydratation.
Évaluations paracliniques
Confirmation diagnostique
Elle est le fait des dosages hormonaux qui ont pris le pas sur la détermination des marqueurs périphériques. Ceux-ci sont divers, peu sensibles et peu spécifiques, mais leur connaissance est précieuse : d’une part les modifications de ces paramètres doivent conduire à évoquer l’hyperthyroïdie, d’autre part leur mesure est utile pour l’évaluation de certains états d’hypersensibilité ou de résistance hormonale.
Mesure des hormones thyroïdiennes
Les dosages des formes libres de T3 et de T4 sont préférés. Dans l’hyperthyroïdie, les deux formes libres sont accrues avec augmentation du rapport T3/T4. L’élévation de la production thyroïdienne est plus importante dans les maladies de Basedow que dans les goitres nodulaires. 9 La corrélation entre les taux hormonaux et la symptomatologie de l’hyperthyroïdie est bonne chez les sujets jeunes, moins franche chez les sujets âgés. Dans les premiers mois du traitement antithyroïdien, le dosage sérique de T4 libre est un meilleur indicateur de la production thyroïdienne que celui de TSH. Parfois seule l’élévation de la T3 libre existe (2 à 4 % des thyrotoxicoses), on parle d’hyperthyroïdie à T3 rencontrées surtout dans les formes débutantes ou récurrentes de la maladie, chez les sujets jeunes, et en situation de carence iodée. Les hyperthyroïdies à T4 sont constatées plus volontiers en cas de surcharge iodée et chez les sujets âgés. Les formes frustes de thyrotoxicose se caractérisent seulement par un abaissement du taux de TSH, alors que les taux d’hormones thyroïdiennes sont normaux
Mesure de la thyrotropine
La mesure de la TSH sérique constitue le test le plus sensible et le plus spécifique des dysfonctions primitivement thyroïdiennes. Ce dosage doit être réalisé en première intention. Dans les formes typiques d’hyperthyroïdie, la concentration de TSH est inférieure à 0,02 mU/l, et s’associe dans 95 % des cas à une élévation de T3 et de T4 libres. Malgré tout, le dosage de la TSH méconnaît les hyperthyroïdies centrales (adénome thyréotrope, résistance aux hormones thyroïdiennes) : elles se caractérisent par un taux de TSH normal ou légèrement augmenté, inapproprié à l’hyperhormonémie thyroïdienne. De plus, la baisse de TSH n’est pas spécifique de l’hyperthyroïdie.
Évaluation étiologique
Biologique Anticorps antithyroïdiens
On dispose des dosages des anticorps antithyroglobuline , antithyroperoxydase et antirécepteur de la TSH (anticorps antiRTSH). Leur utilité est controversée. La mise en évidence d’anticorps antithyroperoxydase oriente vers un contexte d’auto-immunité, mais ne précise pas l’étiologie de l’hyperthyroïdie, n’a pas d’intérêt dans la stratégie thérapeutique et la définition du pronostic. Le dosage des anticorps anti-Tg n’est pas recommandé [11]. Les concentrations d’anticorps se réduisent sous antithyroïdiens de synthèse, s’accroissent transitoirement après une irathérapie. La présence de titres élevés d’anticorps anti-RTSH à la fin du traitement par antithyroïdiens de synthèse possède une valeur prédictive de rechute de 98 %, mais une modeste valeur prédictive de guérison (47 %)
Thyroglobuline
Le taux de Tg circulant est lié à la masse thyroïdienne, à l’état de stimulation et d’inflammation de la glande. Il est un peu plus élevé chez les femmes que chez les hommes La concentration de Tg est donc accrue non spécifiquement dans toutes les variétés d’hyperfonctionnement thyroïdien. Sous traitement, la Tg se réduit parallèlement aux anticorps anti-RTSH. L’indication majeure du dosage de Tg réside dans la détection des états de thyrotoxicose factice par prise d’hormone thyroïdienne. La concentration de Tg est alors basse [13]. Iodurie, iodémie Les dosages de l’iodémie et/ou de l’iodurie peuvent être utilisés pour la détection d’une surcharge iodée actuelle.
Scintigraphique
Différents traceurs sont disponibles. L’iode radioactif se comporte comme l’iodure froid, il est organifié, se lie à la Tg et constitue un excellent marqueur de l’hormonogenèse thyroïdienne. Il permet d’obtenir une cartographie thyroïdienne et une quantification de la radioactivité fixée. La détermination de la fixation thyroïdienne est utile au diagnostic étiologique et au calcul de la dose thérapeutique d’iode 131. Dans l’évaluation diagnostique de l’hyperthyroïdie, seul l’iode 123 est utilisé, l’iode 131 étant trop irradiant. Il n’y a pas d’allergie à l’iode dans ce contexte, les phénomènes allergiques concernant essentiellement les produits radiologiques de contraste iodés. La cellule thyroïdienne transporte aussi de façon active le pertechnétate 99mTcO4-. Celui-ci n’est pas organifié mais sa faible irradiation et son faible coût justifient que certaines équipes l’utilisent en première intention. La scintigraphie reste l’examen le plus utile pour déterminer le mécanisme des hyperthyroïdies de diagnostic difficile.
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