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La mortalité maternelle en Afrique sub-saharienne (ASS): causes et stratégies de réduction
Définition de la mortalité maternelle
La mortalité maternelle a été définie dans la 9ème édition de la Classification Internationale des Maladies et des problèmes de santé (CIM-9) [24], et reprise dans la 10eme édition (CIM-10) [25]. Elle se définit comme « tout décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours âpres sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle, ni fortuite.»
Evolution du ratio de mortalité maternelle dans le monde et en ASS
Le ratio de mortalité maternelle est défini comme le rapport de l’effectif des morts maternelles à la population à risque durant une période donnée. Ce ratio est une estimation du risque de mourir lorsque qu’une femme devient enceinte [26]. Le dénominateur c’est-à-dire la population à risque est difficile à déterminer. En effet, la non maitrise du nombre exact de conceptions, d’avortements, de fausses couches, etc. fait que la population à risque de mort maternelle est mal connue. Une approximation est alors faite en utilisant une population proche :
− soit les naissances vivantes, le RMM devient alors un rapport entre l’effectif de morts maternelles (DM) et celui des naissances vivantes (NV) durant une période donnée.
Globalement, on constate une baisse progressive de la mortalité maternelle à travers le monde [3]. Les dernières estimations faites par les agences de l’Organisation des Nations Unies (ONU) montrent qu’entre 1990 et 2010, on a enregistré une baisse globale de 45% du ratio de mortalité maternelle avec une réduction moyenne annuelle de -2,6% [27]. Tous les continents ont connu une baisse du ratio de mortalité maternelle, mais de grandes disparités existent encore entre les pays à l’image des niveaux de mortalité maternelle estimées en 2013 dans le monde (Figure 1) [27]. En ASS, on a observé une baisse relativement lente entre 1990 et 2010. Il est peu probable que les pays de cette région atteindront l’objectif 5 du Millénaire pour le développement d’une réduction de 75% du ratio de mortalité maternelle entre 1990 et 2015 [9].
Déterminants de la mortalité maternelle
Les causes biomédicales de décès maternels
Les décès maternels se répartissent en deux groupes causals [25]:
– Les décès par cause obstétricale directe : ce sont ceux qui résultent de complications obstétricales (grossesse, travail et suites de couches), d’interventions, d’omissions, d’un traitement incorrect ou d’un enchaînement d’événements résultant de l’un quelconque des facteurs ci-dessus. Dans la classification internationale des maladies CIM-9 repris dans CIM-10, les causes sont regroupées suivant cinq catégories pour les causes directes : les avortements, l’hémorragie de la grossesse/accouchement, la toxémie gravidique, les complications du post-partum et les autres causes directes [24, 25].
– Les décès par cause obstétricale indirecte : ce sont ceux qui résultent d’une maladie préexistante ou d’une affection apparue au cours de la grossesse sans qu’elle ne soit due à des causes obstétricales directes, mais qui a été aggravée par les effets physiologiques de la grossesse.
Les causes directes sont responsables de la grande majorité des décès maternels. Plusieurs études ont établi les principales causes de décès maternels en Afrique. Selon une récente étude, les hémorragies (24,5%), les troubles hypertensives (16,0%) et les infections (sont les trois principales causes directes de décès maternels dans les hôpitaux en Afrique subsaharienne (10,3%) [28]. Dans la plupart des études réalisées en Afrique sub-saharienne, l’anémie, les maladies cardiovasculaires, les maladies pulmonaires et le VIH/Sida sont les principales causes indirectes de décès maternel [5, 7, 29].
Les barrières d’accès aux SONU comme facteurs de risque de mortalité maternelle
Un certain nombre de barrières entravent l’accès des femmes aux SONU. Ces barrières, décrites dans le model des trois délais de Thaddeus et Maine, contribuent majoritairement à la mortalité maternelle en ASS [30]. Le modèle des trois délais illustre les retards dans la prise en charge des complications obstétricales en fonction du temps pris pour décider d’aller consulter un professionnel de santé dans une formation sanitaire, du temps de transport entre le domicile et la formation sanitaire, et celui de recevoir des soins appropriés, une fois à l’hôpital. Le temps écoulé démarre à partir du moment où débute une complication obstétricale repérée à partir des signes d’alerte connus par la communauté. Les femmes et leur entourage en ASS tardent souvent à prendre la décision de se rendre dans une formation sanitaire parce qu’elles ne reconnaissent pas nécessairement la gravité de la situation ou parce qu’elles n’en perçoivent pas le bénéfice attendu. Elles éprouvent souvent des difficultés à arriver rapidement à l’hôpital à cause du mauvais état des routes, de l’absence de véhicule motorisé ou des distances parfois considérables à parcourir [13, 31, 32].
Une qualité des soins insuffisante pour améliorer le pronostic des femmes
En Afrique subsaharienne, la faible qualité de prise en charge des accouchements, surtout des complications obstétricales, est responsable d’une bonne partie des décès maternels [33]. L’amélioration de la qualité des soins obstétricaux est donc une des composantes clés de l’amélioration la santé maternelle. Dans le contexte des pays en développement, la qualité des soins dispensés est fortement reliée à la pénurie des ressources humaines qualifiées et matérielles [34]. La prise en charge des urgences obstétricales dépend de la qualification des prestataires de soins [35], mais aussi des dysfonctionnements des services de santé [36]. La prise en charge des complications obstétricales par un système de soins efficace et cohérent peut contribuer à réduire considérablement les décès maternels dans ces pays [23].
Stratégies de réduction de la mortalité maternelle
Les stratégies de réduction de la mortalité maternelle concernent des interventions dans les formations sanitaires pour améliorer la qualité des soins mais aussi des actions communautaires pour améliorer la disponibilité et l’utilisation (y compris l’accès) des services de SONU. Plusieurs pays ont adopté des « feuilles de route » qui constituent un cadre national structuré de la planification des programmes et des activités qui visent à améliorer l’accessibilité et la qualité des services obstétricaux.
Amélioration de l’accessibilité et de l’utilisation des services de santé
Les interventions visant à limiter les retards dans l’accès aux services de SONU consistent à mettre en place des moyens de communication tels que le téléphone, la radio et les véhicules de transport ou ambulances, à réduire la barrière financière (coût du transport) ou à développer des lignes directrices et protocoles des soins pour aider les professionnels de la santé à prendre des décisions en temps utile [31, 32]. Dans certains contextes où l’accessibilité géographique aux services de santé est très réduite, des services de santé intermédiaire comme les maisons d’attente ont été testés [37]. Il s’agit de structures non médicalisées proches de l’hôpital dans lesquelles les femmes enceintes ont été accueillies en fin de grossesse dans le but d’attendre le début de travail pour se rendre sans délais à la maternité. D’autres expériences de réorganisation du système de santé ont été décrites, telles que le renforcement de la collaboration entre les déférents niveaux de soins ou la mobilisation des membres de la communauté (y compris les accoucheuses traditionnelles) afin qu’ils participent activement aux activités de référence des urgences obstétricales (par exemple, accompagner les femmes pendant le transport ou mettre à disposition de la communauté des véhicules pour le transport urgent des femmes et/ou des nouveau-nés). Les interventions peuvent être simples (une seule composante) ou combiner plusieurs activités afin d’améliorer simultanément la communication, le transport et lever la barrière financière liée aux coûts de transport.
Les interventions à base communautaire ont été prouvées efficaces sur la mortalité néonatale, dans les pays en voie de développement, mais sans effets marquants sur la mortalité maternelle. [38-40]. Ce sont des interventions qui ciblent le premier délai. Elles concernent la formation et la supervision d’acteurs communautaires pour leur permettre d’offrir des soins maternels et néonataux à domicile (sensibilisation des populations, soins maternels pendant la grossesse, reconnaissance des signes de danger et orientation/accompagnement des femmes vers un centre de santé, soins néonataux essentiels à domicile, conseils pour l’allaitement, etc.).
Par ailleurs, des initiatives locales ou nationales ont permis de réduire ou supprimer la barrière financière de l’accès au SOU. Ce sont des systèmes de partage de coût des urgences obstétricales qui mutualisent le risque obstétrical à l’échelle d’un district sanitaire. Ces initiatives mutualistes se veulent une alternative de réduction des dépenses catastrophiques des ménages dans les contextes des pays à faibles ressources [12, 41].
Amélioration de la qualité des soins
Pour améliorer la qualité des soins obstétricaux et prévenir les décès maternels et périnatals dans les structures de soins, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a préconisé la revue des cas de mortalité ou de morbidité sévère [42]. Développées en Angleterre il y a cinquante ans, les réunions de morbidité ou mortalité maternelle ou périnatale sont devenues une pratique courante dans de nombreux hôpitaux des pays industrialisés et quelques pays en développement [43]. L’audit des décès maternels est une procédure de contrôle de l’offre des soins de qualité pour l’atteinte de l’objectif de réduction de la mortalité maternelle dans nos formations sanitaires ; il permet au prestataire de soins de s’interroger sur les causes de décès maternels évitables. Ces causes peuvent se situer à trois niveaux, à savoir : la prise de décision au niveau communautaire, la logistique permettant la référence de la patiente vers la formation sanitaire la plus appropriée et les délais de prise en charge adéquate dans la formation sanitaire de référence.
La méthode consiste à collecter, traiter et analyser les informations relatives aux décès des suites d’une grossesse, d’un accouchement ou dans le post-partum qui surviennent dans nos structures de soins pour répondre à la question simple : ce décès pouvait-il être évité ? Si oui comment faire pour qu’un autre décès ne survienne plus pour les mêmes causes ? (figure 2).
Outre la revue des décès maternel, le renforcement des compétences des prestataires a permis d’obtenir des résultats positifs en matière de santé maternelle et néonatale. Les formations continues basées sur les simulations sur mannequins en particulier ont permis d’améliorer les pratiques cliniques et les résultats des soins [44, 45]. Aussi, la formation continue du personnel est une stratégie de choix d’amélioration de la qualité des soins obstétricaux et néonataux particulièrement dans les PVD [46, 47]
La césarienne de qualité
Définition du concept et cadre d’analyse de la qualité de la césarienne
La qualité des soins est une notion complexe comprenant de multiples dimensions [48, 49]. Pour certains auteurs, notamment ceux qui s’intéressent à la production industrielle, le terme «qualité» est une appréciation globale, équivalente d’«excellence», «conformité aux attentes», «zéro défauts» ou «satisfaction du client» [48]. D’autres estiment que la qualité des soins implique des notions d’équité, d’accessibilité, de sécurité, d’efficacité, d’efficience, «patient centeredness» (être centré sur le patient), continuité. Plusieurs modèles ont été développés : celui de Donabedian à trois composantes (ressources, processus, résultats) [50, 51], le modèle à six dimensions de l’Institute of Medicine aux Etats-Unis (sécurité du patient, efficacité, soins centrés sur le patient, rapidité de la prise en charge, efficience, équité) [48] ou celui développé par EngenderHealth pour les pays à faibles ressources, le modèle COPE© (Client Oriented, Provider-Efficient) qui évalue les droits de la patiente (droit à l’accès aux services, droit à des soins efficaces et sûrs, droit à l’information et au choix éclairé, droit à l’intimité, la confidentialité, la dignité, le confort et l’expression d’opinion) et les besoins du personnel (besoin en supervision et management, besoin en information, formation et développement personnel, besoins en consommables, équipements et infrastructures) [52, 53].
Dujardin & Delvaux proposent un cadre d’analyse de la qualité des césariennes présenté dans la figure 3 [54]. Ce modèle s’inspire principalement de celui de Donabédian et du Modèle COPE. Les auteurs ont défini « la césarienne de qualité comme étant une intervention qui profite à toutes les patientes qui en ont réellement besoin, avec un risque minimum pour le devenir du couple mère enfant et à un coût abordable pour la patiente et pour le système de santé ». Le modèle reprend des critères classiques de qualité concernant le diagnostic, l’acte technique et les soins postopératoires que l’on peut retrouver dans les guides cliniques de l’Organisation Mondiale de la Santé [55]. En plus de ces critères de l’OMS, Dujardin & Delvaux ont introduit la notion d’accessibilité des services.
Ce modèle nous semble intéressant en ce sens qu’au-delà de la qualité de l’acte technique, il prend en compte d’autres déterminants tels que l’accessibilité de la césarienne (financière, géographique, culturelle) et semble très adapté aux systèmes de soins dans les pays à faibles ressources.
Plusieurs auteurs ont étudié les déterminants de la césarienne de qualité en termes d’accessibilité aux services de SONU, de pertinence des indications et des conditions de réalisation de l’acte technique.
Le faible niveau de compétence des agents de santé travaillant dans les formations sanitaires de première ligne est souvent en cause dans le manque de pertinence concernant le motif d’évacuation vers un hôpital de référence et le retard éventuel à décider d’évacuer lorsque la situation obstétricale l’exige [13]. Le personnel de santé tarde souvent à détecter les signes cliniques d’anomalie du travail ou de l’accouchement [35] et les patientes arrivent à l’hôpital à un stade parfois trop avancé de la complication .
Le coût de la césarienne représente également une barrière importante à l’accès aux soins en ASS. Les politiques de gratuité appliquées ces dernières années au Sénégal et au Mali ont permis d’augmenter l’utilisation des services en général et de la césarienne en particulier [11, 15]. En réduisant les recours tardifs aux services de santé pour des raisons financières, les politiques de subvention ou de gratuité des SONU, permettent une prise en charge prompte des parturientes et une amélioration du pronostic maternel [23]. Cependant, la gratuité peut être source d’abus et à l’origine de césarienne non justifiées médicalement [56]. Ces pratiques ne sont pas sans conséquences dommageables pour la santé de la mère et du nouveau-né [22]. La césarienne n’est pas toujours bien perçue par les femmes et leur famille [57-59]. En effet, du côté des familles, la césarienne peut être vécue comme un échec pour la femme qui est « incapable » d’accoucher par voie basse [57] et comme une menace pour l’équilibre financier de la famille [60, 61]. La peur de mourir au cours d’une césarienne est réelle dans beaucoup de pays africains [21, 59]. Cette perception est souvent à l’origine des retards ou des refus au transfert des parturientes vers les structures de référence. Il est important de comprendre comment les femmes et les familles perçoivent la césarienne pour pouvoir analyser le premier retard qui est un des facteurs importants de décès maternels.
Les patientes qui nécessitent une césarienne arrivent souvent à l’hôpital dans un état de santé défavorable qui hypothèque leur survie et celle du fœtus. Il est donc nécessaire de prendre des mesures idoines pour réduire le temps d’attente en maternité pour améliorer la survie de la femme et de son bébé. Cela passe par une organisation optimale des soins qui permet une prise en charge des complications obstétricales 24h/24, en temps utiles, et par du personnel qualifié [23, 62]. La qualité de la césarienne est conditionnée par un diagnostic précoce et correct des complications obstétricales nécessitant une prise en charge chirurgicale. Ce diagnostic passe par un examen d’entrée de qualité, une surveillance correcte du travail et un respect des indications opératoires. Toute parturiente référée ou évacuée devrait bénéficier d’une évaluation initiale rigoureuse dès leur admission. Cette étape est cruciale pour la prise en charge de la parturiente car elle permettra d’évaluer la situation et le degré d’urgence de la césarienne. L’utilisation correcte du partographe devrait être généralisée et rigoureuse, pour identifier à temps toute dystocie et mettre en œuvre les interventions médicales recommandées [63].
La césarienne est reconnue comme une intervention chirurgicale efficace, si elle est pratiquée judicieusement, pour réduire la mortalité maternelle et périnatale [64-66]. Cependant les césariennes non justifiées médicalement présentent des risques dommageables pour la mère et le nouveau-né [22]. Les efforts visant à réduire l’utilisation inutile de césarienne devraient donc se concentrer sur l’identification des indications cliniques pertinentes et la formation du personnel aux bonnes pratiques cliniques [67].
Pour réaliser une césarienne, un minimum de conditions techniques devraient être réunies. Ces conditions essentielles sont exprimées sous la forme d’un score de complexité développées par Shah [21]. Ce score est basé sur le principe de la disponibilité 24h/24 des différents services et ressources essentielles : médicaments d’urgence, équipe d’urgence, bloc opératoire, unités post-partum et post-opératoire, laboratoire/banque de sang, unité de stérilisation, anesthésie, protocoles, etc [21, 23]. Souvent un délai moyen de plusieurs heures se passe entre la décision et l’acte technique proprement dit. La non disponibilité des services ou des ressources médicales (par exemple : stock de kit de césarienne épuisé, bloc opératoire occupé, l’anesthésiste ou le chirurgien absent, matériels non stérilisés, manque de blouses ou de champs stériles, laboratoire peu fonctionnel), sont les facteurs le plus souvent incriminés pour expliquer les césariennes réalisées tardivement [68].
La qualité de la césarienne dépend également de la qualification du personnel. En ASS, pour faire face au manque de personnel qualifié, certaines catégories de prestataires (médecins généralistes, infirmiers et sages-femmes) ont été formées à la pratique de la césarienne [69, 70]. Si ce type de personnel réalise correctement l’acte technique, il n’a pas toujours toutes les connaissances nécessaires pour en poser l’indication. Au Burkina Faso, Kouanda et al. ont montré que le type de prestataire pouvait influencer le taux de césarienne médicalement non justifiée [18].
Interventions visant à réduire l’accouchement par césarienne
La césarienne, bien qu’elle permette de sauver la vie de la mère et de l’enfant devrait cependant être pratiquée avec précaution. Devant l’augmentation inquiétante des taux de césariennes dans les pays du Nord mais aussi dans certains pays du Sud, plusieurs stratégies sont mises en œuvre à travers le monde pour améliorer la pratique de la césarienne. L’objectif de ces stratégies est de juger de l’opportunité et de la pertinence des indications, proposer des alternatives et éviter ainsi des césariennes non médicalement justifiées.
Selon la forme et la nature de l’intervention, il peut s’agir d’un audit clinique qui consiste en un examen approfondi des indications des césariennes réalisés ou d’une opinion secondaire de personne de gradient de compétence supérieur sur l’indication donnée.
Une intervention basée sur l’audit des indications de césarienne et la formation du personnel impliqué dans les accouchements dans des maternités au Québec a permis de réduire significativement le taux d’accouchement par césarienne chez les femmes à bas risque (p=0,03) [71]. Aux USA, entre 1993 et 1994, une intervention basée sur l’amélioration continue de la qualité des soins (ACQ) a permis de réduire en toute sécurité les taux d’accouchement par césarienne de 26,0% à 20,5% [72]. En Amérique Latine, une seconde opinion d’un autre collègue médecin devant l’indication de césarienne posé par un premier médecin a permis de réduire légèrement le taux de césarienne dans les hôpitaux où cette politique a été mise en œuvre [73].
Une intervention basée sur la formation du personnel, la sensibilisation des patients et l’audit des pratiques des chirurgiens dans un hôpital de 3è ligne en Chine a permis de réduire significativement le taux d’accouchement par césarienne de 54,8% à 40,3% entre 2005 et 2011 (OR: 0,56; IC 95% : 0,52 à 0,59; p <0,001) sans augmentation des admissions en soins intensifs néonataux mais avec une augmentation des complications obstétricales au cours de la même période [74].
Au regard de ce qui précède, nous pouvons dire que, la césarienne bien qu’elle permette de sauver des vies, ne devrait être réalisée que lorsqu’il existe un bénéfice clair qui compense le surcoût et les risques de morbidité associés à ce mode d’accouchement. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte des pays sub-sahariens où les conditions techniques ne permettent pas toujours de pratiquer avec sécurité la chirurgie. C’est pourquoi, les stratégies visant à limiter les accouchements par césarienne, surtout non justifiés, devrait être vulgarisées.
Classification des césariennes
La comparaison des taux de césarienne est souvent difficile à faire entre hôpitaux ou entre pays en raison des différences intrinsèques qui existent en ce qui concerne les caractéristiques des hôpitaux et des patientes (case-mix), mais aussi les pratiques cliniques et directives de soins en vigueur dans les différents sites. L’absence d’un système de classification internationalement acceptée et suffisamment fiable pour comparer les taux de césarienne entre différents hôpitaux ou pour suivre l’évolution des taux de césarienne au sein d’un même établissement a contribué à alimenter des controverses sur l’existence d’un taux optimal de césarienne et sur les risques et avantages éventuels de l’augmentation récente des taux de césarienne partout dans le monde [75]. Au cours des dernières décennies, plusieurs systèmes de classification ont été développés et proposés à des fins différentes. Trois types de classification se dégagent avec chacun ses avantages et ses limites: les systèmes de classification basés sur l’indication, ceux basés sur le degré d’urgence et ceux basés sur les caractéristiques de la patiente (Tableau 2) [76].
Classification basée sur les indications
Althabe et Anderson et coll. ont le plus travaillé sur la classification des césariennes basée sur les indications [76]. Althabe et al. ont proposé une classification avec une directive contenant des définitions claires et précises pour des indications telles que la dystocie, la souffrance fœtale intrapartum aiguë et plusieurs indications maternelles [73]. Anderson a également utilisé ces mêmes termes, mais n’a pas fourni de détails ou de paramètres sur la façon de décider de l’indication [77]. Par ailleurs, la classification d’Althabe a été jugée plus claire dans sa définition des catégories que celle d’Anderson. Un des problèmes de la classification par indications médicales est qu’il y a souvent plusieurs indications en même temps (par exemple pour une même patiente on peut retrouver une présentation du siège, une pré-éclampsie et une souffrance foetale). Anderson a fourni des règles hiérarchiques beaucoup plus claires sur la façon de classer ces femmes rendant ainsi les indications mutuellement exclusives.
De Brouwere et Van Lerberghe ont proposé de classer les césariennes en indications maternelles absolues et en non absolues [64, 78]. Les indications maternelles absolues correspondent aux indications pour lesquelles l’absence de césarienne peut conduire le plus souvent au décès de la femme. Il s’agit des situations où la tête du fœtus n’est pas adaptée au bassin maternel ou disproportion foeto-pelvienne (fœtus macrosome ou malformé et/ou bassin rétréci), des présentations vicieuses (transverse, épaule négligée, front, face enclavée) et des hémorragies pre-partum (placenta prævia et hématome retro-placentaire) [79]. Cette distinction en indications maternelles absolues ou non est très utile dans les pays à faibles ressources pour vérifier que les césariennes faites auront un impact ou pas sur la mortalité maternelle [64]. En ASS, trois quart des césariennes sont réalisées pour une indication maternelle, mais la part des indications absolues est très variable selon les pays et les hôpitaux [21, 80, 81].
Les dystocies restent la première cause de césarienne pendant le travail en ASS [82]. La dystocie est définie comme la progression anormalement lente du travail [83]. Classiquement, la dystocie est classée en dystocie dynamique, conséquence d’une activité contractile utérine insuffisante, et dystocie mécanique, liée à l’impossibilité du fœtus de traverser le bassin maternel. Les anomalies de contractilité utérine, de dilatation cervicale et de progression de la présentation sont étroitement associées, et apparaissent sous la forme des dystocies du travail avec défaut de progression de la dilatation cervicale ou défaut de progression de la présentation fœtale à dilatation complète. En pratique, le terme de dystocie réfère à une terminologie très hétérogène, comme la dilatation cervicale lente, l’arrêt de la dilatation cervicale, l’absence d’engagement de la présentation fœtale, ou l’échec de l’épreuve du travail. Afin de permettre une reprise normale du travail et éviter le recours à la césarienne, l’apparition d’une dystocie entraîne la mise en place de plusieurs actes techniques et médicaux comme l’administration de l’ocytocine, la rupture artificielle des membranes (amniotomie), le contrôle de la douleur (par une analgésie péridurale ou des antalgiques), et les manœuvres de rotation de la présentation. L’allongement de la durée du travail dû à la dystocie est associé à une fréquence augmenté des signes de souffrance fœtale intra-partum (anomalies du rythme cardiaque fœtal, diminution du pH fœtal et du score d’Apgar à la naissance), des gestes de réanimation néonatale et des transferts en unité de soins intensifs néonatals [84, 85]. L’arrêt ou la stagnation de la dilatation cervicale est une dystocie qui survient lors de la phase active du travail. La fréquence des arrêts de la dilatation varie avec la durée d’attente que les obstétriciens s’autorisent avant de décider une césarienne: la fréquence estimée est de 14% pour les arrêts d’une heure et plus, et de 5,5% pour ceux de 2 h et plus [86]. L’arrêt de la dilatation cervicale durant la phase active du travail est associé à l’âge maternel au-delà de 35 ans, à la nulliparité, à l’existence des antécédents médicaux (morts périnatales, traitement d’infertilité), aux pathologies obstétricales (diabète, hypertension artérielle), à la rupture prématurée des membranes, à la macrosomie foetale, à la présentation céphalique en variété postérieure, et à la pratique d’une anesthésie péridurale [87]. Plusieurs facteurs de risque de dystocie mécanique ont été identifiés : le rétrécissement ou les anomalies du bassin maternel, la petite taille de la mère [88], la macrosomie fœtale, les présentations céphaliques postérieures ou défléchies. Le taux d’accouchement par césarienne a continuellement augmenté au cours des trois dernières décennies en ASS [89]. Il en résulte une augmentation progressive de la proportion des femmes enceintes porteuses d’un utérus cicatriciel, avec souvent des conséquences sur le mode d’accouchement d’une grossesse ultérieure même si il n’est pas toujours nécessaire de faire usage à la césarienne [90].
Les signes de souffrance fœtale aigüe (SFA) sont diagnostiqués dans environ 7% des femmes en travail et sont responsables d’environ 20-40% des césariennes intrapartum [91]. Un tracé anormal du rythme cardiaque fœtal anormal à l’auscultation (anomalies du rythme de base, des oscillations ou de la période), évoquent la possibilité d’une SFA. Mais il existe de nombreux faux positifs. C’est pourquoi il est recommandé d’avoir recours à une autre méthode diagnostique en cas de tracé ou rythme cardiaque anormal. La mesure du pH sur un échantillon de sang prélevé à partir du crâne du fœtus (pH au scalp) permet d’augmenter la fiabilité du diagnostic de SFA [92]. En pratique, ce geste diagnostic est rarement réalisé et très peu d’hôpitaux dans les pays à faibles revenus disposent de la technologie appropriée pour réaliser un pH au scalp. C’est pourquoi le diagnostic de SFA reste encore très imprécis dans la plupart des pays et il est fort probable qu’une proportion importante de césariennes pour SFA soit injustifiée. Toutefois, la SFA correspond à une altération sévère des échanges gazeux utéro-placentaires, conduisant dans un premier temps à une hypoxie foetale sévère et à une acidose gazeuse. Suite aux altérations du métabolisme cellulaire foetal, l’évolution se fait vers une acidose métabolique et une hyperlactacidémie. La SFA peut donc aboutir à une défaillance de plusieurs organes et à une encéphalopathie anoxo-ischémique, dont les complications les plus graves sont le décès foetal, l’infirmité motrice cérébrale et les handicaps neurosensoriels du nouveau-né. Une acidose métabolique avec un pH à la naissance inférieur à 7,0 et un déficit de base supérieur ou égal à 12 mmol/l est susceptible d’entraîner des séquelles neurologiques du nouveau-né [93]. Il est donc légitime de vouloir diagnostiquer une SFA sans délai, afin de permettre l’extraction en urgence du fœtus avant les conséquences graves. En l’absence de technologie diagnostique fiable à 100%, le contexte clinique et l’auscultation ou le tracé cardiaque fœtal restent donc les seuls éléments de décision dans de nombreux pays.
Table des matières
I- INTRODUCTION GENERALE ET OBJETCTIFS
II- REVUE DE LA LITTERATURE
2.1. La mortalité maternelle en Afrique sub-saharienne causes et stratégies de réduction
2.1.1. Définition de la mortalité maternelle
2.1.2. Evolution du ratio de mortalité maternelle dans le monde et en ASS
2.1.3. Déterminants de la mortalité maternelle
2.1.3.1. Les causes biomédicales de décès maternels
2.1.3.2. Les barrières d’accès aux SONU comme facteurs favorisant la mortalité maternelle
2.1.3.3. Une qualité des soins insuffisante pour améliorer le pronostic des femmes
2.1.4. Stratégies de réduction de la mortalité maternelle
2.1.4.1. Amélioration de l’accessibilité et de l’utilisation des services de santé
2.1.4.2. Amélioration de la qualité des soins
2.2. La césarienne de qualité
2.2.1. Définition du concept et cadre d’analyse de la qualité de la césarienne
2.2.2. Interventions visant à réduire l’accouchement par césarienne
2.3. Classification des césariennes
2.3.1. Classification basée sur les indications
2.3.2. Classification basée sur l’urgence
2.3.3. Classification basée sur les caractéristiques des patientes
2.4. Evolution des taux de césarienne en ASS
2.4.1. Généralité
2.4.2. L’augmentation des taux de césariennes est-elle accompagnée d’une diminution de la mortalité ?
III- METHODOLOGIE GENERALE
3.1. Contexte de l’étude
3.1.1. Généralités sur le Mali
3.1.2. Généralités sur le Sénégal
3.1.3. Synthèse de la situation de la santé maternelle et infantile des deux pays
3.2. L’essai QUARITE
3.2.1. Population d’étude et critères d’inclusion/exclusion
3.2.2. Devis de l’étude et estimation de la taille de l’échantillon
3.2.3. Description détaillée de l’intervention
3.2.3.1 Groupe d’intervention : le programme GESTA international
3.2.3.2. Groupe contrôle
3.2.4. Collecte des données
3.2.5. Critères de jugement
3.2.5.1. Critère de jugement principal
3.2.5.2. Critères de jugement secondaires
3.2.6. Unités d’analyse et méthodes statistiques
IV- RESULTAS
4.1. Effet du PGI sur l’évolution des taux institutionnels de césarienne
4.1.1. Problématique et objectifs
4.1.2. Note méthodologique
4.1.3. Les principaux résultats
4.2. De l’efficacité du PGI sur les issues materno-foetales des césariennes
4.2.1. Contexte et objectifs
4.2.2. Note méthodologique
4.2.3. Les principaux résultats
V- CONCLUSION GENERALE
5.1. Synthèse
5.2. Recommandations
5.3. Perspectives
REFERENCES