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Modèles et paradigmes pour la modélisation des dynamiques spatiales
À l’heure actuelle, les systèmes complexes spatiaux peuvent être modélisés et simulés de beaucoup de façons. Nous distinguons entre deux types de méthodes en l’occurrence les méthodes statiques et les méthodes dynamiques [WQ13]. Les méthodes statiques permettent de rendre compte des changements intervenus sur une période définie. Parmi ces méthodes statiques on peut citer la cartographie qui consiste à établir des représentations des états successifs de l’espace. Elle constitue un des moyens privilégiés pour l’analyse de l’espace à un moment ou une date donnée.
Si les méthodes statiques se limitent à la reproduction de l’état de l’espace à un instant t choisi, l’objectif visé par les approches dynamiques notamment est de reproduire les formes spatiales et de prédire leur évolution [ElG07]. Dans ce sens, les méthodes dynamiques cherchent à décrire l’évolution des propriétés spatiales d’un espace en fonction de paramètres qui font l’objet de négociations entre acteurs et intervenants sur cet espace. Tout au long de cette section, nous allons nous focaliser sur certains modèles utilisés pour la modélisation des dynamiques spatiales.
Modèles mathématiques
La modélisation mathématique des dynamiques spatiales est une pratique qui a fait ses preuves dans beaucoup d’études antérieures [ElG07]. Les modèles mathématiques peuvent considérer la dynamique d’un espace de façon globale, avec ou sans la prise en considération de l’aspect spatialisation. Ceci se fait par la formation des concentrations spatiales urbaines ou à l’inverse étudier en détail la re-dispersion de ces concentrations spatiales ainsi que leurs interactions avec l’espace [PPK06]. Les premiers modèles à base de concepts mathématiques ont cherché au début à tester diverses hypothèses en utilisant la programmation linéaire et le calcul coût/avantage de différents scénarios d’évolution d’un système complexe spatial donné [PPK06] (exemple : modèle la Rand Corporation conçu pour la Philadelphie [Cor61] , le modèle de l’ingénieur Jay Forrester [For69]).
Ces premières méthodes se sont heurtées à la complexité des interactions et à la non linéarité des évolutions des systèmes complexes spatiaux. D’où une nouvelle génération de méthodes, est apparue en s’appuyant sur des équations différentielles, qui permettront de simuler la formation des concentrations spatiales ou leur re-dispersion [PPK06]. Ces équations différentielles décrivent le fonctionnement des dynamiques non linéaires du système étudié. Ils permettent d’évaluer les rôles et les effets de différents mécanismes introduits dans l’équation du changement de l’organisation spatiale [GMP+96] et dont la résolution débouche sur une situation d’équilibre [SC91].
Un des premiers modèles de base en matière d’analyse mathématique à base d’équations différentielles est le modèle de Miyata et Yamaguchi [MY90] qui est une version adaptée du modèle de P. Allen [AS79] dans le but de gérer ses problèmes socio-économiques de la ville de Hokkaido pour la période (1965-1985). Les équations différentielles non linéaires du modèle, décrivent les variations de deux variables, emploi et population, dans chaque zone de la ville. Le modèle mathématique constitue une continuité du modèle de Miyata et Yamaguchi [MY90] qui décrit la dynamique urbaine de la ville de Marrakech [ElG07] en y introduisant la notion de l’espace.
En revanche, les méthodes à base d’équations différentielles ne permettent pas de combiner un trop grand nombre de facteurs dans une même équation non linéaire sans perdre le contrôle sur les effets possibles de chacun de ces facteurs dans cette combinaison [GMP+96]. La prise en compte des interactions spatiales entre les éléments du système restent souvent limitées et relativement simples dans ce type d’équation [ElG07]. D’où l’apparition d’autres types de modèles mathématiques utilisés dans le cadre de la modélisation spatiale. Dans leurs travaux [GBAH04], [Hou06] proposent une classification des modèles mathématiques en :
– Modèles mécanistes : également appelés modèles déterministes, ils ont pour objectif de modéliser des relations causales entre différentes variables d’un système, permettant ainsi de simuler des processus (socio-économiques, physico-chimiques, etc) ;
– Modèles empiriques : un modèle est empirique (ou encore conceptuel) lorsqu’il est construit à partir de connaissances expérimentales ;
– Modèles statistiques : ils peuvent être utilisés indifféremment dans l’une des deux classes de modèles citées précédemment. Mais ils peuvent différer s’ils utilisent des fonctions de tirages aléatoires on parle dés lors de modèles stochastiques ou encore lorsqu’ils sont fondés sur une distribution de probabilités de transition d’un état à un autre telles que les chaînes de Markov [BDS+96] ;
– Modèles téléonomiques : il s’agit de modèles qui poursuivent un but défini, une situation idéale (réelle ou supposée) tels que les modèles dits d’optimisation en économie ou encore les modèles de maximisation de fonctions de buts ou de coût [TLAN01] telle que l’entropie [BBTLc00] ;
– Modèles hybrides : ces modèles sont issus du couplage de modèles appartenant aux types précédents. Ce couplage permet de profiter des avantages de plusieurs modèles. Il peut aller d’un simple transfert de données entre deux modèles au fonctionnement autonome, à une intégration plus poussée de modèles imbriqués avec un partage total des données [Eas03], [Hou06].
Plus généralement, ces méthodes mathématiques sont rarement accompagnées d’études théo-riques ce qui les rend purement numériques, dans un but essentiellement simulatoire [ElG07]. Ces limites ont incité donc les chercheurs à recourir à d’autres types de modèles comme les modèles à base de systèmes experts.
Modèles à base de systèmes experts et de réseaux de neurones
Un système expert met en œuvre un ensemble de connaissances déclaratives sur les objets sous la forme d’une base de règles et de faits [Fau01]. Ces bases permettent de traiter des connaissances peu structurées comme les connaissances à caractère flou ou heuristique [Hat91]. En effet, la force de ces systèmes à base de connaissances réside dans la séparation entre les connaissances nécessaires pour résoudre un problème et les mécanismes de raisonnement exploi-tant ces connaissances pour produire de nouvelles connaissances [Hat91]. En plus de ces deux bases le système expert dispose d’un moteur d’inférence qui traite les connaissances du système [Per06]. Ce moteur a pour rôle d’associer des méta-connaissances aux méta-règles traduisant les dispositifs réglementaires [Fau01]. Les règles de production sont très utilisées dans les sys-tèmes de raisonnement [Hat91] étant donné qu’elles contiennent toute l’expertise requise pour le domaine étudié [Fau01].
D’autres systèmes de raisonnement comme les réseaux de neurones fonctionnent grâce au principe de l’apprentissage en s’inspirant de l’architecture neuronale biologique du cerveau hu-main. En effet, cet apprentissage se fait à partir d’une base d’exemples, puis par assimilation de nouvelles situations à partir de situations déjà apprises. Les informations circulent à tra-vers les neurones connectés appelés aussi centres de calcul et disposés dans une architecture en couches opérant en parallèle [RCG06]. Ces neurones réalisent des transformations (souvent non-linéaires), sur la somme pondérée de la sortie des neurones qui lui sont connectés (neurones d’une même couche ou de couches différentes) [RCG06]. Les réseaux neuronaux sont également fréquemment utilisés pour aborder la question de l’émergence dans les systèmes artificiels car ils permettent bien de réaliser une fonction globale à partir de comportements locaux [CGGG02].
Les systèmes experts et les réseaux de neurones ont souvent été utilisés dans la modélisa-tion des dynamiques spatiales. En effet, les connaissances relatives au système complexe spatial sont bien structurées dans les systèmes experts [Fau01]. Les réseaux de neurones sont aussi efficaces pour reconnaître, apprendre et percevoir des structures spatiales. D’une façon géné-rale, les réseaux neuronaux sont particulièrement performants pour détecter ou représenter des changements qui ne répondent pas à une loi normale ou linéaire.
Parmi les systèmes experts qui traitent de la modélisation spatiale on peut citer le projet SEREBA qui a pour objectif de systématiser l’application de la règlementaire en matière de morphologie urbaine [DT97] [APD88]. Les règles urbaines alimentent la base de connaissances qui structure ainsi les connaissances de l’environnement urbain [Fau01] (îlots, les alignements des emprises publiques, les réseaux routiers, etc). Le but est de déterminer les volumes maximum bâtis en se basant sur le règlement urbain de la ville de Liège. Une partition d’objets informés est ainsi construite [Fau01]. Le système SYGRIPOS [Elm85] constitue aussi un exemple de système expert dont l’objectif est l’assistance à la rédaction de règles d’urbanisme. Il s’agit simplement d’appliquer à travers un ensemble restreint de règles, un raisonnement géométrique déterminant la forme de volumes bâtis [Fau01].
Notons cependant que l’utilisation de telles techniques dans la modélisation des dynamiques spatiales [Bae92], implique la nécessité de gérer les énormes difficultés pour incorporer des connaissances préalables sur le domaine ou les processus de résolution et de gérer les capacités limitées d’interprétation de ce qui se produit au niveau de l’espace considéré. En effet, l’assis-tance des systèmes experts s’arrête à la simulation des effets d’un ensemble restreint de règles sur l’évolution d’un espace [TDZ08] et restent limités en terme d’interprétation [Hat91]. En revanche, pour les réseaux de neurones l’énorme masse de données à traiter et la phase coûteuse d’apprentissage de ces réseaux de neurones rendent ces outils limités quand il s’agit de traiter des systèmes à caractère complexe [CGGG03]. Ceci explique le recours à de nouveaux mécanismes afin de modéliser les systèmes complexes spatiaux comme les automates cellulaires.
Modèles à base d’automates cellulaires
Dans ce type de modèles à base d’automates cellulaire, l’espace (ou domaine) est représenté sous forme d’une grille de cellules composée par la juxtaposition immédiate de « cellules » triangu-laires, carrées ou hexagonales ayant un ensemble d’états discrets et finis [Hou06]. Pour chaque cellule, le changement d’un état à un autre se fait à chaque avancement dans le temps [Sil10] (par exemple : à chaque pas de temps discret). Quand il s’agit de modéliser des dynamiques spa-tiales, l’état des cellules peut représenter un paramètre relatif à l’espace. Les interactions entre les cellules voisines, résultent de la pratique effectuée sur l’espace [PCGR10b]. Ainsi les états des cellules changent à travers un ensemble de règles de transitions [GMP+96] qui prennent en compte à la fois l’état précédent de la cellule concernée à t-1 ainsi que celui de ses cellules voisines au temps t [AM97]. Notons que ces règles sont appliquées de la même façon simultané-ment à toutes les cellules de la grille à chaque unité de temps [OT00]. Ainsi le fonctionnement de l’ensemble des cellules permet de reproduire des phénomènes spatiaux d’auto-reproduction, de diffusion ou encore d’émergence de structures spatiales [Sil10].
Les automates cellulaires constituent donc un outil intéressant pour la simulation des sys-tèmes complexes spatiaux grâce aux règles spatiales formulées à partir de connaissances empi-riques sur la dynamique spatiale [dpgl03]. En plus de la visualisation rapide des résultats, la nature « raster » des automates cellulaires facilite le couplage avec les systèmes SIG et rend ces outils encore plus adaptés à la modélisation spatiale [OT00]. Comme exemple de modèles basés sur les automates cellulaires on peut citer le modèle SLEUTH, élaboré par Clarke [CG98], qui a pour but de modéliser la croissance urbaine. Ce modèle a été affiné et étendu dans le cadre du projet Gigapolis ou encore le modèle SPACELLE [dpgl03] basé sur les individus cellulaires en concurrence spatiale. Ce modèle modélise les processus géographiques, par des règles spa-tiales simples, formulées à partir de connaissances sur la concurrence spatiale. Ce concept de concurrence est introduit au sein de l’automate cellulaire SpaCelle, où chaque individu cellu-laire utilise sa force vitale qui varie de sa naissance jusqu’à sa mort pour résister aux forces environnementales résultant des individus voisins (Fig. 1.2).
Malgré une amélioration de la prise en compte du voisinage et du calibrage des modèles par automates cellulaires, il subsiste un inconvénient majeur à ces méthodes. Il est en effet particulièrement difficile de représenter à l’aide des grilles [PCGR10b] certaines caractéristiques importantes des objets spatiaux qui interagissent entre eux de manière complexe, non-linéaire et parfois surprenante [HMWF03] (tels que les réseaux de transports, les rivières, etc). L’approche basée uniquement sur les automates cellulaires atteint des limites techniques lorsqu’il s’agit de [GMP+96] simuler des processus de changement à la fois quantitatifs et qualitatifs et de gérer l’évolution de stocks de données de nature différente comme le nombre d’habitants, d’emplois de différentes catégories économiques, etc. D’autres limitations ont été citées par certains auteurs concernant le voisinage [OT00] où il est difficile de prendre en compte l’état des cellules éloignées. Dans le prolongement de ces travaux, d’autres chercheurs ont eu recourt à d’autres approches pour modéliser les dynamiques spatiales comme les agents cellulaires [JG02], ou les systèmes multi-agents qui feront l’objet de la section suivante.
Modèles orientés agents
Les systèmes multi-agents (SMA), sont définis par [FER95] comme « constitués d’un ensemble d’agents autonomes et indépendants en interaction, qui coordonnent leurs actions dans un environnement et forment une organisation artificielle ». L’environnement constitue quant à lui l’espace de simulation. Ce dernier « peut ainsi être un support, c’est-à-dire un simple espace d’évolution pour les agents ; une ressource, l’environnement se caractérise alors par les attributs qui sont à l’origine de l’action des agents ; un champ de communication entre agents » [FER95]. Pour avoir sa propre dynamique spatiale, l’environnement peut être couplé à un automate cel-lulaire [Dau02].
Si les interactions entre les cellules des automates cellulaires se font le plus souvent par un ensemble de relations de voisinage spatiales, les interactions entre agents dans un SMA se font par échange de messages. Cet échange de messages peut se faire entre agents ou entre agents et environnement. L’intérêt majeur du paradigme agent est d’associer à chaque type d’agents, un ensemble de propriétés, de tâches et de règles qui définissent ses interactions avec les autres agents [GMP+96]. Comme les agents sont utilisés pour formaliser des composants autonomes ayant des interactions avec les autres agents et une représentation de leur environnement, ils sont naturellement utilisés pour représenter des êtres sociaux en s’appuyant sur des métaphores sociales [SM08].
L’intêret des SMA pour la modélisation des systèmes complexes spatiaux se renforce parti-culièrement quand le phénomène global ne peut être appréhendé complètement sans considérer les formes en émergence (auto-organisation) résultantes des interactions multi-échelles [BG09]. Ainsi dans les modélisations spatiales, l’approche SMA est souvent utilisée pour représenter la mobilité des piétons et/ou des conducteurs dans les villes [HMFB01], [DMPE08] , les dyna-miques de peuplement de villes [QGHL10] ou encore la localisation de fonctions urbaines dans la ville [SM08].
Parmi ces modèles nous citons le modèle SIMPOPNANO [Lou09] basé sur les systèmes multi-agents pour assurer l’aménagement urbain. Le modèle attribue des scores aux quartiers par un ensemble de fonctions capables d’ordonner leurs quartiers par ordre de désirabilité. Toutes les fonctions non résidentielles ont en commun de rechercher une accessibilité maximale, les deux fonctions résidentielles ajoutent en plus leurs possibilités budgétaires. Le modèle encapsule des agents, objets et processus géographiques et peut être exécuté sur des géométries-supports différentes [Lou09]. Un protocole de communication a été utilisé pour formaliser les interactions entre agents [San06].
Dans cette section nous avons fait le tour des méthodes et des paradigmes utilisés pour modéliser les systèmes complexes spatiaux. Nous présentons dans la figure suivante (Fig. 1.3) un comparatif des différents modèles présentés précédemment basé sur certaines caractéristiques qui nous paraissent intéressantes pour la modélisation des systèmes complexes spatiaux.
Les SMA dans les phénomènes spatiaux complexes
Ce travail de comparaison (Fig. 1.3) a pour but de nous faciliter le choix du paradigme à adopter en se basant sur ces critères de classement relatifs à notre problématique de modélisation des systèmes complexes spatiaux à savoir les représentations des objets spatiaux, l’adoption des règles de voisinage, l’utilisation des bases de connaissances avec des règles d’apprentissage, l’éva-luation de l’organisation spatiale obtenue ainsi que les interactions avec l’espace. On remarque d’après la figure (Fig. 1.3) que seuls les systèmes multi-agents couvrent de façon transversale toutes les caractéristiques des autres paradigmes utilisés pour la modélisation spatiale. Ce qui fait des SMA des outils bien adaptés à la modélisation des dynamiques spatiales. Nous nous focalisons donc dans ce qui suit sur l’utilisation des SMA pour la modélisation des dynamiques spatiales.
Les SMA dans les phénomènes spatiaux complexes
La montée en puissance des systèmes multi-agents pour la modélisation des systèmes com-plexes spatiaux est dûe au fait qu’ils reposent sur les mêmes principes d’auto-organisation et d’émergence et non sur une approche analytique et réductionniste [Sch11]. Ceci se traduit sur le plan informatique par la distribution de la résolution d’un problème entre plusieurs programmes indépendants et autonomes qui interagissent, collaborent et négocient ensemble pour résoudre une tâche ou établir un diagnostic [BJL01]. Ces programmes qui traduisent les savoirs distri-bués entre plusieurs individus et qui évoluent par échanges d’informations et de connaissances spécifiques sont appelés des « agents » [Sch11].
Ainsi, la modélisation multi-agents offre des concepts caractérisés par un haut niveau d’abs-traction et une grande malléabilité [Lou09]. Cette modélisation assure donc un bon compromis entre expressivité et simplicité. Nous établirons dans cette section tout d’abord une présentation des propriétés inhérentes au concept d’agent ainsi que des caractéristiques des systèmes multi-agents. Nous verrons ensuite à travers un bref historique des travaux effectués dans les domaines des systèmes complexes spatiaux à base d’agents, les défis auxquels les chercheurs ont eu à faire face dans le domaine de la technologie agent.
Des agents autonomes aux systèmes multi-agents
L’une des premières définitions de l’agent dûe à [Fer97] est « Un agent est une entité auto-nome, réelle ou abstraite, qui est capable d’agir sur elle-même et sur son environnement, qui, dans un univers multi-agents, peut communiquer avec d’autres agents, et dont le comportement est la conséquence de ses observations, de ses connaissances et des interactions avec les autres agents ». Des propriétés clés ressortent de cette définition telle que la perception, la motricité, la réflexion, l’autonomie, l’action, la réactivité, la rationalité, l’engagement, l’intention, la définition de buts, et la construction de stratégies [BBMW97].
La notion de but constitue pour certains théoriciens la caractéristique qui distingue expli-citement l’agent de l’objet. En effet, les agents constituent des entités disposant, en plus des capacités de réaliser un travail à faire, de possibilités de réagir aux évènements qui affectent leurs buts sans pour autant interférer avec les buts d’un autre agent. Ainsi Jacques Ferber [Fer97] précise dans sa définition des agents, qu’un agent est une entité disposant de capacités de spécifier son comportement qui tend à satisfaire ses objectifs, en fonction des compétences et des ressources dont elle dispose, et en tenant compte des communications qu’elle reçoit ainsi que de ses représentations et de sa perception de son environnement.
La théorie des agents [FER95] vise à comprendre la coordination de processus autonomes en concurrence (les agents), pour formaliser dans un premier temps ce que Gasser [BG88] appelle les aspects macro (sociabilité) des agents : distribution de tâches, interaction et coordination entre agents ainsi que la résolution de conflits par la négociation. Par la suite, la communauté multi-agents s’est penchée sur l’aspect micro de l’agent comme son architecture interne, sa constitution [Mü97] ou ses nombreuses propriétés à savoir l’autonomie, la réactivité, la pro-activité, la sociabilité, etc. En plus de ces propriétés, les modelisateurs utilisent l’agent comme un outil conceptuel [Fia01] situé capable d’agir sur son environnement à partir des entrées sensorielles qu’il reçoit de ce même environnement [CdIM01].
Selon Wooldridge et Jennings [WJ95] la construction d’un agent dans un modèle doit passer par trois étapes clés :
– Utiliser un formalisme précis pour définir ce que représente un agent et raisonner sur ses différentes propriétés ;
– Implanter les concepts définis par la théorie de l’agent dans une architecture qui représente le modèle informatique de l’agent ;
– Formaliser un protocole de communication entre agents, qui constitue un langage infor-matique facilitant la programmation des applications multi-agents.
Il existe différents critères de classement des agents, dont on pourrait citer : la mobilité (statique ou mobile) [AS94] , l’espace de propriétés à exhiber (autonomie, apprentissage, coopération) [NN96] , la fonction de l’agent (interface, traitement), le processus de prise de décision (réactif, cognitif) [Bro91].
L’association de ces agents constitue ce que les théoriciens appellent un système multi-agents [BBMW97]. Ils sont programmés pour agir sur et réagir à leur environnement [AP06a] et aux autres agents, en sous-ensembles pour la résolution distribuée d’un problème et la satisfaction d’un but commun. Plus particulièrement, d’un point de vue déclaratif, un système multi-agents est composé d’un ensemble d’agents, qui évoluent dans un environnement, suivant un protocole d’interactions et une structure organisationnelle explicite ou pas [Bae92].
La dimension temporelle d’un SMA est quant à elle généralement intégrée sous forme d’une horloge qui rythme les interactions entre les divers agents du système et définit dans quel ordre vont être exécutés les agents [BJL01]. Notons que les interactions entre agents dans les SMA suivent des schémas d’interaction particuliers qu’on peut classer en trois grands types d’inter-actions [BBMW97] :
– Coopération : dans ce type d’interactions les agents travaillent ensemble pour la résolution d’un but commun ;
– Coordination : on parle de relation de coordination entre agents lorsque celle-ci cherche à organiser la résolution d’un problème en exploitant les interactions bénéfiques et en évitant les interactions nuisibles ;
– Négociation : dans une interaction à base de négociation les agents cherchent à parvenir à un accord acceptable pour toutes les parties concernées.
La coordination de l’activité des agents, la hiérarchisation des relations et la synchronisation des échanges entre agents [BBMW97] leur permet de réaliser leurs propres buts ainsi que les buts situés au niveau supérieur puisqu’aucun agent ne possède toutes les compétences requises pour résoudre le problème entier [Jen93]. Ceci dit, les interactions entre agents peuvent entraîner des conflits. Comme chaque agent percoit son environnement et agit sur celui-ci, donc si deux agents se déplacent et parviennent au même endroit simultanément, il est nécessaire de définir si les deux agents peuvent co-exister au même endroit ou si l’un ou l’autre peut prendre la place [Sie11].
Pour donner corps à ces concepts et aux comportements des entités correspondantes aux modèles d’origine, la modélisation orientée agent se base sur le principe de compréhension mu-tuelle entre experts du domaine et informaticiens à travers des modèles [PMKP10]. Notons que le manque de spécification peut remettre en cause les résultats de simulation obtenus par le modèle multi-agents [Mic04] [Meu04]. Ainsi pour développer de bons modèles multi-agents, il est essentiel qu’un questionnement général dans une matière soit affiné jusqu’à être réduit à une question précise avant que la conception ne commence [GT00]. Pour cela, le concepteur doit traduire le problème global à résoudre au niveau local des agents [Bae92]. Ceci permet de réduire la complexité du système étudié [Bae92]. La notion de méta-modèle est importante aussi dans le domaine de la modélisation multi-agents. En effet, « un méta-modèle multi-agents définit l’ensemble des concepts qui composent un système multi-agents, leurs relations et leurs rôles » [Sie11].
A partir delà, plusieurs méthodes de conception ont été proposés pour construire un SMA. Si certaines d’entre elles sont centrée-agent d’autre privilégient l’aspect organisationnel du SMA [BHS08]. Dans un premier temps, on va s’intéresser à quelques méthodes de conception des SMA centrée agent à savoir l’approche BDI [Mü96] et l’approche voyelle [FDB97].
Approche BDI
L’idée de base de cette approche proposée par [Mü96] est de décrire l’état interne de l’agent selon trois attitudes mentales de base à savoir : la croyance (Belief), le désir (Desire) et l’inten-tion (Intention). Le choix de chaque attitude mentale se fait conformément à une architecture de contrôle qui sera définie pour chaque agent. En effet, la perception de l’agent de son envi-ronnement lui permet de mettre à jour ses croyances qui constituent ses connaissances sur cet environnement. Comme cet agent est muni de désirs qui constituent des buts explicites, ceci lui confère une grande autonomie [Mü96]. En utilisant ses capacités de raisonnement, l’agent devient capable de raisonner sur ses connaissances et ses buts pour en déduire ses intentions qui constituent l’expression des plans d’actions sélectionnés. L’agent met en œuvre ainsi des alternatives d’actions de façon à satisfaire ses buts.
Approche Voyelle
Cette approche incite à penser à la conception du système simultanément en termes de quatre dimensions à savoir : agent, environnement, interaction et organisation [FDB97]. En partant de ce principe, chacune de ces dimensions sera symbolisée par une voyelle distincte [FDB97] :
– A qui constitue l’ensemble d’agents, qui représentent les entités actives du système ;
– E pour désigner un environnement qui constitue un espace disposant généralement d’une métrique ;
– I qui désignent les interactions qui relient les agents entre eux. Ils concernent les infra-structures, les langages et les protocoles d’interaction entre agents ;
– O qui signifie les organisations, qui structurent les agents en groupes, hiérarchies, relations, etc. Les approches organisationnelles, quant à elles, ont vu le jour grâce à la constatation du critère social des agents qui existent dans le contexte d’un Système multi-agents. Elles se basent sur des concepts de plus haut niveau d’abstraction tel que les groupes, les rôles, les protocoles d’interactions, etc. Nous présentons dans ce qui suit les approches AGR [FGM04], MOISE+ et GAIA qui s’inscrivent dans le cadre de ces démarches organisationnelles.
Approche AGR
Dans leurs travaux [FGM04] ont présenté un métamodèle générique appelé AALAADIN pour décrire une organisation qui s’articule autour de trois notions : agent, groupe, et rôle. En effet, comme pour toutes les autres approches l’Agent représente une entité capable de communiquer et d’agir en jouant un ou plusieurs rôles dans un ou plusieurs groupes. Le concept de Rôle signifie une représentation abstraite de la fonction d’un agent au sein d’un ensemble d’agents qui partagent des caractéristiques appelé Groupe. AGR [FGM04] a été étendue par l’approche AGRE [FB05] qui intègre les aspects sociaux et physiques des agents. Ainsi dans AGRE, les agents possèdent un ensemble de corps considérés comme des interfaces sociales qui agissent dans l’environnement.
Approche MOISE+
Cette approche développée par [HSB02] s’appuie sur une spécification structurelle (structure du SMA) et une spécification fonctionnelle (buts à atteindre). Elle se base sur trois concepts principaux, rôles, relations entre rôles, et groupes qui permettent de structurer un SMA en trois niveaux : individuel, social et collectif. Dans le niveau individuel, chaque agent dispose d’un ensemble de comportements qu’il doit avoir lorsqu’il joue un rôle spécifique. Le niveau social permet de spécifier les relations entre les rôles spécifiés. Finalement, l’agrégation de rôles dans des structures (sous groupes) fera l’objet du dernier niveau collectif [HSB02].
Méthode GAIA
La méthode GAIA (Graphical Analysis for Interactive Assistance) développée par [WJK00] apparaît pour compléter des notions propres aux objets afin de les appliquer aux agents. Cette structure organisationnelle du Système se base sur des concepts abstraits ( rôle, responsabilité, protocole, activité, et d’interaction), aboutissant progressivement vers des concepts concrets (modèle d’agent, le modèle de service, le modèle d’accointance, etc). Ces modèles seront utilisés dans deux phases distinctes : la phase d’analyse dont l’objectif est de comprendre la structure du système sans faire référence au détail de l’implémentation et la phase de conception qui correspond au niveau concret qui permet de spécifier les types d’agents et les services qui lui sont associés [WJK00].
En adoptant une approche centrée agent, il s’avère souvent difficile de prévoir le comporte-ment global du système en se basant sur les comportements individuels des agents [BHS08]. D’autant plus que la possibilité de communication entre tous les agents sans contrôle global affaiblit la sécurité des applications agents développer. Pour cela l’approche organisationnelle est apparue pour remédier entre autres à certains de ces problèmes en diminuant le nombre d’interactions entre les agents grâce aux contraintes d’interactions imposées dans les structures sociales, et en réduisant également l’interdépendance entre les composants hétérogènes avec l’in-troduction de concepts d’abstraction de haut niveau [BHS08]. Ainsi en diminuant le nombre d’interaction et l’interdépendance entre les composants, l’approche organisationnelle permet à la fois de diminuer la complexité de la conception des systèmes SMA et la complexité du système étudié [BHS08]. Ce qui fait des approches SMA en général un outil intéressant pour la mo-délisation des systèmes complexes spatiaux. On détaillera davantage cet aspect dans la section suivante.
Le paradigme multi-agents dans la modélisation de la complexité spa-tiale
On parle de modélisation spatiale dés lors qu’il s’agit d’étudier l’effet de certaines dynamiques sur la structure de l’espace étudié [BG99b] sous forme cartographique (approche descriptive) ou même de trouver les causalités derrière la vitesse et la forme des évolutions observées (ap-proche explicative) [San01]. Les méthodes de simulation de type SMA (Simulation multi-agents) assurent donc ce passage de la description des objets géographiques à la simulation de leurs in-teractions et la formalisation des hypothèses [BG99b]. Dans leurs travaux [BG99b] distinguent deux approches de modélisation orientées agent des dynamiques spatiales : les approches « spa-tiales » et les approches « acteurs ».
Pour [Sil10], dans le cas de l’approche acteur, l’agencement de l’espace dépend de choix successifs d’un ensemble d’acteurs qui tendent à répondre au besoin de la maîtrise de l’espace et des facteurs d’organisation selon une logique de gouvernance [Sil10]. Ces acteurs peuvent collaborer ensemble lors de l’intervention sur une opération en partageant par exemple des documents extrêmement variés dans leur contenu ou support [TDZ08]. Cette collaboration peut amener souvent à des conflits. Dans une telle situation, les acteurs vont devoir négocier pour trouver un compromis ménageant au mieux les intérêts des différents groupes impliqués [TDZ08]. Cependant, les acteurs ont une perception limitée de leur environnement à la différence de l’approche spatiale où les entités spatiales connaissent toutes leurs composantes (avec leur emplacement et leurs qualités) [BG99b]. Les réflexions suscitées par la comparaison des deux approches permettent de stipuler que si dans la première approche à base d’acteurs la part d’aléatoire est plus grande, la deuxième catégorie de résolution spatiale dispose d’une plus grande capacité à trouver des solutions aux problématiques posées aux agents.
De ce fait, pour trouver une bonne correspondance entre les deux approches, les modélisateurs vont vers la conception d’acteurs ayant une plus grande connaissance de l’espace dans lequel ils évoluent, ou vers des entités spatiales ayant une plus grande diversité dans leurs natures respectives, avec plus d’agents, d’interactions et d’aléatoire [BG99b].
Nous nous intéressons dans ce qui suit aux approches dites spatiales qui offrent plus de fiabilité et de capacités pour la résolution de problèmes spatialisés. Dans ses travaux [FDB97] définit un Problème Spatialisé (PS) par :
– Une Carte C, espace métrique de référence spatiale ;
– Un ensemble de Valeurs V, qui constitue les attributs des points de l’espace ;
– Un Environnement E, le Paysage sur tout C, qui à tout point de l’espace associe des attributs parmi les Valeurs possibles ;
– Les Descripteurs D, regroupant les attributs de la solution ;
– Un système noté M de Contraintes Internes, défini par un prédicat opérant sur l’ensemble des Formes (on appelle forme toute description sur C) ;
– Un système noté T de Contraintes Externes, défini par un prédicat opérant sur l’ensemble des couples (Paysage, Forme) localisés sur C.
La solution finale d’un problème de type PS [FDB98] consiste à définir les attributs attachés à chaque point appelés « les Descripteurs » tout en vérifiant les contraintes morphologiques de forme intrinsèque et topologiques c’est à dire relatives à l’environnement (dites aussi Internes et Externes) [FDB97]. Les prédicats de ces contraintes peuvent être valués pour permettre de quantifier la proximité d’une Description à la Solution recherchée [FDB97]. Formellement, pour pouvoir aborder tout problème « spatialisable » de l’intelligence artificielle, il est nécessaire d’accepter un ensemble d’espaces métriques quelconques dans C [NS71]. Cette résolution peut devenir dynamique puisque la Carte C peut inclure la dimension temporelle tout en gardant les contraintes fixes dans le temps. Ainsi dans les problèmes spatiaux la solution s’adapte pour suivre l’évolution de l’environnement.
L’originalité de cette approche introduite par [Dem91] se situe dans le fait que l’agent contrôle lui-même ses trois champs : champ de communication (ses interactions avec les autres agents), son champ de perception (ses interactions avec son environnement) et son champ d’ac-tion (ses déplacements dans l’environnement). Comme exemple de modèle basé sur l’approche PS, nous pouvons citer le modèle SMARRPS qui a été développé dans le prolongement de PACO (pour « Cooperative Pattern ») initialement développé par Demazeau [Dem91]. Ce modèle réunit l’utilisation des Systèmes multi-agents Réactifs (SMAR) dans un contexte de résolution de type PS.
D’un autre côté, d’autres travaux de la modélisation spatiale optent plutôt pour les agents cognitifs [Sil10]. Ces agents cognitifs peuvent représenter des entités spatiales (de toutes sortes de fonctions), des groupes d’entités et la commune toute entière. Pour ce type d’agents les décisions prises sont motivées par des buts précis. Ces buts dépendent étroitement de la perception de l’agent et de sa représentation logique de son environnement [Sil10].
Ces agents basés sur une architecture BDI [RG95] agissent en fonction de trois composantes : croyances, désirs et intentions. Dans cette catégorie de modèles nous pouvons citer le prototype de simulation de la morphogenèse urbaine [Sil10]. Dans ce modèle [Sil10] les croyances des agents sont issues de sa perception de son environnement, leurs désirs (agents bâtiments) est de maximiser leur degré de satisfaction par rapport à leur localisation dans l’espace, leurs intentions sont liées à leurs règles comportementales (comportement définis par les architectes des agents bâtiment, commune et groupe d’habitat). Ceci dit, en plus de ces règles les agents décisionnels doivent pouvoir évoluer en étant capables d’apprendre, d’influencer d’autres agents et d’évaluer leurs propres décisions en activant des réseaux neuronaux [Sch11].
Cette dynamique des agents décisionnels se base à la fois sur un régime de croyances, d’in-tentions, de désirs et sur un ensemble de contraintes sociales, institutionnelles et normatives de la société dans laquelle ils évoluent [Sch11]. D’autres travaux abordent la modélisation des dynamiques spatiales par l’utilisation d’agents cellulaires, combinant agents avec automates cel-lulaires dont on pourrait citer le modèle UrbanLab [CGM06]. Ce modèle se base sur les agents cellulaires. Un agent cellulaire occupe une position dans la grille de cellules et a un objectif à remplir à caractère spatial [Sil10]. Dans cette configuration, la distance entre les cellules va influencer les interactions entre agents [Ber01]. Le résultat de la simulation est une visualisation 3D modifiable en fonction des feedbacks des personnes consultées.
Quand il s’agit d’un système spatial complexe, on note également que la modélisation multi-agents permet de saisir la complexité des phénomènes étudiés [Sie11]. La vision basée sur l’entité agent offre un puissant répertoire d’outils, de techniques, et de métaphores qui ont le potentiel d’améliorer considérablement l’étude des systèmes complexes. En effet, la dynamique globale du système multi-agents émerge des interactions au niveau local entre les différents agents [HRR98]. Ceci confirme donc que « la définition d’un système complexe et celle d’un système multi-agents sont très proches. Mais au delà de leur seule ressemblance, systèmes multi-agents et systèmes complexes désignent en fait la même chose » [BBMW97].
Ainsi la conception de simulations multi-agents appliquées aux systèmes complexes spatiaux offre une souplesse plus grande pour gérer les interactions entre les objets de différents niveaux du système complexe [San01]. Ce type de modélisation semble être plus intuitif que les approches traditionnelles car le concepteur se place à un haut niveau d’abstraction [MGG05]. L’approche multi-agents décompose ainsi la dynamique d’un phénomène donné en plusieurs niveaux d’abs-traction : le niveau microscopique des agents et le niveau macroscopique du système multi-agents représentant la dynamique globale qui résulte des interactions entre toutes ces parties et leur environnement. Cet aspect multu-échelles peut être également observé lors de l’encapsulation d’un environnement au sein d’un agent, lui-même situé dans un autre environnement encapsulé par un autre agent et ainsi de suite.
Ce type de programmation émergente est souvent abordé concrètement par un système multi-agent adaptatif, basé sur les mécanismes d’auto-organisation coopératifs décrits par la théorie AMAS (Adaptive Multi-Agent System) [Geo04]. Ces mécanismes permettent aux agents de progresser vers une organisation à atteindre, sans pour autant la connaître d’avance [Geo04]. L’émergence de la fonction du système est produite par l’organisation entre les agents qui sont programmés pour être en situation coopérative avec les autres agents du système [Geo04]. Cela se traduit par le fait qu’à tout instant, un agent peut localement décider s’il est en situation coopérative dans le cas où il reçoit des informations pertinentes pour réaliser sa fonction et qu’il transmet des informations utiles à d’autres [Geo04]. Par ailleurs, ces agents peuvent communi-quer soit directement par envoi de messages soit indirectement par l’environnement [Geo04].
Dans la section suivante nous nous intéressons à l’utilisation des agents dans les sciences sociales et urbaines étant donné que notre cas d’étude porte sur la modélisation des systèmes urbains.
Les SMA, les sciences sociales et les dynamiques urbaines
Les modèles multi-agents peuvent s’avérer d’une grande valeur en sciences sociales, et leur potentiel commence à peine à être reconnu [AP06a]. Ces modèles sont particulièrement adaptés à la simulation de phénomènes sociaux intrinsèquement complexes et dynamiques [AP06a]. De ce fait, la théorie des univers multi-agents constitue souvent l’approche de choix en simulation des phénomènes sociaux [Len94], [Hav94], où l’individu singulier est considéré comme l’unité élémentaire [WB71]. Plusieurs chercheurs considèrent même que les modèles orientés agents se sont largement inspirés des concepts des sciences sociales qui leur ont donné naissance [Lou09]. En effet, dans ces modèles il peut y avoir une correspondance directe entre les agents et les individus (ou les organisations, ou encore les acteurs) qui existent dans le monde social réel. Les interactions entre agents peuvent de la même manière correspondre aux interactions entre les acteurs du monde réel [AP06a]. Avec un tel modèle, il est possible d’initialiser le monde virtuel à un état préétabli, de laisser le modèle s’exécuter et d’observer son comportement [AP06a]. Ce qui les place dans la catégorie des sciences cognitives, sociales et naturelles qui ont tendance à modéliser des phénomènes naturels à travers les concepts d’auto-organisation [PMKP10]. Ces modèles sont également aptes à démontrer l’émergence d’institutions sociales à partir d’actions individuelles, qui peuvent apparaitre en observant la simulation [AP06a].
L’intersection individu-espace et l’intersection individu-société offertes par les SMA facilitent la modélisation des dynamiques urbaines qui intègrent une très forte composante spatiale et so-ciale [BJL01]. Selon plusieurs approches la ville est considérée comme un assemblage social et spatial qui se crée à partir des interactions répétées entre individus. Dés lors les dynamiques ur-baines constituent un des meilleurs domaines où cette caractéristique d’auto-organisation émer-gente observée dans les systèmes multi-agents peut être particulièrement efficace [BG09]. Les agents décisionnels basés sur des règles de « croyance-désir-intention » (Belief-Desire-Intention Agents) se prêtent particulièrement bien selon DeLanda [DeL06] à la modélisation des phénomènes d’émergence urbaine. En effet, les agents qui constituent ces systèmes sont capables d’éva-luer leurs propres décisions et d’influencer d’autres agents, et, en se basant sur leurs croyances et désirs. Notons que les comportements des agents doivent prendre en considération les contraintes sociales, institutionnelles et normatives de la société dans laquelle ils évoluent.
Les systèmes multi-agents constituent donc un paradigme bien adapté à la modélisation urbaine [GMP+96]. Les SMA ont été utilisés en géographie urbaine pour simuler des proces-sus de diffusion [Dau02] de flux de population [MB98], d’organisations socio-spatiales pour la gestion concertée en environnement d’évolutions paysagères [PM00], et d’émergence de struc-tures urbaines [SM08]. Par exemple, SWARM Intelligence [GBD09] constitue un des modèles qui illustre le mieux l’émergence des organisations spatiales. En effet, ce modèle combine la prise en compte des organisations émergentes en respectant les contraintes spatiales. Il se base sur les effets de rétroaction des organisations émergentes sur les constituants du système et de son environnement. Il s’agit d’un processus d’auto-organisation multi-critères [GBD09] où apparaît une nouvelle population émergente à l’intérieur des zones urbaines ou territoriales en fonction d’un ensemble de critères. Cette nouvelle population attirée tout d’abord par certains critères d’attraction, apporte de nouvelles caractéristiques au système urbain qui sont capables elles-mêmes de modifier l’environnement. Les algorithmes de SWARM Intelligence [GBD09] qui décrivent les processus d’émergence et de retroaction sont inspirés des théories des colonies de fourmis (concept de la phéromone, formation des clusters, etc) et sont implémentés de façon décentralisée dans plusieurs centres (Fig. 1.4).
Figure 1.4 – (a) Complexité de l’espace géographique par rapport aux organisations émergentes (b) Mo-délisation de la détection de l’organisation sur les environnements dynamiques en utilisant SWARM Intelligence [GBD09]
Ce court exposé sur l’utilisation des SMA dans le domaine de la modélisation spatiale nous permet de conclure que l’approche orientée agent a fait ses preuves dans la gestion de situations complexes [FER95], [AP06a], à différentes échelles et niveaux d’abstraction. Ce qui explique les raisons du succès de ce paradigme dans ce domaine et nous permet de saisir les possibilités qu’il offre pour notre approche de modélisation des systèmes complexes spatiaux.
Positionnement et critiques
Pour conclure, nous pourrons dire que plusieurs théories, paradigmes, modèles et outils de spécification formelle [AP06a] permettent d’étudier le système complexe spatial comme une unité globale formée d’interconnexions entre éléments, actions ou individus qui évoluent sur un même environnement [Mor90]. Dans ce chapitre nous avons défini les concepts de base qui font l’objet de notre travail de recherche. Nous avons introduit la notion de complexité des systèmes comme étant une propriété qui caractérise les systèmes ayant des entités en interrelation dont la dynamique émergente permet de comprendre le fonctionnement global du système. Par la suite, comme nous travaillons sur une approche de modélisation des systèmes complexes dans le domaine spatial, nous nous sommes penchés sur les spécificités des systèmes complexes spatiaux.
Nous avons également fait le tour des modèles qui ont traité la problématique de la modélisa-tion spatiale dans le but de déterminer les techniques et les paradigmes les plus appropriés pour notre approche de modélisation des systèmes complexes spatiaux. Nous nous sommes penchés particulièrement sur l’utilisation des SMA dans les traitements complexes des informations spa-tiales. En effet, suite à cette analyse nous constatons que les systèmes multi-agents représentent un outil prometteur pour modéliser des dynamiques spatiales complexes [BG99b]. Ceci revient au fait qu’ils offrent une riche boîte à outils de formalisation systémique, décentralisée, adap-tée et puissante en matière de stratégies et de représentations individuelles avec des capacités à aborder des questions complexes de modélisation en particulier celles inhérentes aux dynamiques spatiales.
Nous nous focaliserons dans le chapitre suivant sur un système complexe spatial particulier à savoir la ville. De part l’intérêt que peut constituer la ville pour notre travail qui porte sur la modélisation spatiale, nous mettons l’accent sur les spécificités du système urbain étant donné qu’il s’agit du notre cas d’études choisi dans le cadre de cette thèse.
Table des matières
Introduction générale
1 Contexte de la thèse : Modélisation des systèmes complexes spatiaux, approche par couplage
2 Problématique, enjeux et contribution de la thèse
3 Plan du manuscrit
Partie I : Fondements de la modélisation des systèmes complexes spatiaux par le couplage de modèles
Chapitre 1 Systèmes complexes spatiaux
1.1 Introduction
1.2 Théorie des systèmes complexes
1.2.1 Qu’est-ce qu’un système complexe spatial ?
1.2.2 Modélisation multi-échelles des systèmes complexes spatiaux
1.3 Modèles et paradigmes pour la modélisation des dynamiques spatiales
1.3.1 Modèles mathématiques
1.3.2 Modèles à base de systèmes experts et de réseaux de neurones
1.3.3 Modèles à base d’automates cellulaires
1.3.4 Modèles orientés agents
1.4 Les SMA dans les phénomènes spatiaux complexes
1.4.1 Des agents autonomes aux systèmes multi-agents
1.4.2 Le paradigme multi-agents dans la modélisation de la complexité spatiale
1.4.3 Les SMA, les sciences sociales et les dynamiques urbaines
1.5 Positionnement et critiques
Chapitre 2 La ville comme un système complexe spatial, social, émergent et multi-échelles
2.1 Introduction
2.2 La complexité des systèmes urbains
2.2.1 Le milieu urbain, un organisme vivant complexe qui s’auto-organise
2.2.2 Les échelles de la ville
2.3 Des approches de planification pour comprendre le système urbain
2.3.1 L’analyse multi-critères de décision (AMCD)
2.3.2 La prospective
2.4 Des outils d’aide à la décision pour la planification urbaine
2.5 Composants et modèles du système urbain
2.5.1 La dynamique démographique
2.5.2 La dynamique économique
2.5.3 La dynamique de la mobilité urbaine
2.5.4 La dynamique d’occupation du sol
2.6 Intégrer des processus pour étudier une question spatiale complexe
2.7 Positionnement et critiques
Chapitre 3 Le couplage pour modéliser des systèmes complexes spatiaux
3.1 Introduction
3.2 Définitions et utilités du couplage
3.2.1 Définitions du couplage
3.2.2 Avantages du couplage
3.3 Éléments de couplage
3.3.1 Types de couplage
3.3.2 Difficultés de couplage
3.3.3 Niveaux de couplage dans le processus de modélisation-simulation
3.4 Facteurs spatio-temporels dans le processus de couplage
3.4.1 Des méthodes de changement des échelles spatiales
3.4.2 Des méthodes de changement des échelles temporelles
3.5 Approches et plateformes de couplage des modèles
3.5.1 Utilisation des agents comme médiateurs de couplage
3.5.2 Couplage par intégration des modèles
3.5.3 Formalismes de couplage
3.5.4 Plateformes de couplage
3.6 Positionnement et critiques
Partie II : L’approche de couplage Coupling4modeling
Chapitre 4 Élever l’espace comme facteur de couplage
4.1 Introduction
4.2 Synthèse de l’état de l’art
4.3 Critiques et positionnement
4.3.1 Classification des approches de couplage
4.3.2 Positionnement par rapport aux solutions de couplage existantes
4.3.3 Limites des approches de couplage existantes
4.4 La modélisation des systèmes complexes spatiaux par le couplage des modèles
4.4.1 Enjeux du couplage dans le cadre de la modélisation des systèmes complexes spatiaux
4.4.2 Utiliser l’espace comme facteur de couplage
4.4.3 Un système multi-agents pour faire interagir les modèles
4.4.4 Un outil méthodologique et conceptuel pour une intervention pluridisciplinaire sur l’espace
4.5 Un exemple fil rouge
4.5.1 Les modèles à coupler
4.5.2 Justification du choix des modèles
4.6 Synthèse et discussion
Chapitre 5 Coupling modeling : une approche de couplage pour la modélisation des systèmes complexes spatiaux
5.1 Introduction
5.2 Fondements de l’approche proposée
5.2.1 Notre système de couplage selon l’approche VOYELLES
5.2.2 La théorie de la stigmergie pour la coordination via l’environnement
5.2.3 Une architecture organisationnelle hiérarchique
5.3 Coupling4modeling : structure et fonctionnement
5.3.1 L’hétérogénéité des échelles spatiales
5.3.2 Les temporalités des modèles à coupler
5.3.3 Le métamodèle de couplage
5.3.4 Du métamodèle à la méthodologie de couplage
5.4 Une méthodologie de couplage de modèles
5.4.1 Analyse des modèles et de l’espace
5.4.2 Construction de la base de connaissances spatiales
5.4.3 Corrélation des modèles via l’espace
5.4.4 Conception du modèle couplé
5.4.5 Encapsulation des modèles
5.4.6 Implantation des agents en charge du couplage
5.4.7 La démarche de couplage appliquée à l’exemple fil rouge
5.5 Synthèse et analyse de l’approche adoptée
Chapitre 6 De la problématique du couplage à la problématique algorithmique : application à l’exemple fil rouge
6.1 Introduction
6.2 Les algorithmes de gestion des échelles temporelles
6.2.1 L’algorithme principal de la gestion temporelle
6.2.2 Calcul de la future date d’exécution des modèles
6.2.3 Ordonnancement des dates d’exécution des modèles
6.3 Les algorithmes de gestion des échelles spatiales
6.3.1 L’algorithme principal de la gestion spatiale
6.3.2 Exécution des modèles
6.3.3 Collecte des données des modèles
6.3.4 Spatialisation des données des modèles
6.4 Synthèse et discussion
Chapitre 7 Coupling modeling dans un environnement réel
7.1 Introduction
7.2 Contexte du projet
7.3 Analyse des modèles et de l’environnement de la ville de Métouia
7.3.1 Modèle de croissance démographique
7.3.2 Modèle d’occupation du sol
7.3.3 Modèle économique
7.3.4 L’espace urbain de la ville
7.4 Construction de la base de connaissances spatiales de Métouia
7.5 Corrélation des modèles de la ville de Métouia via l’espace
7.6 Conception du modèle couplé pour la problématique d’aménagement de Métouia1
7.6.1 Architecture du modèle couplé
7.6.2 Les classes du modèle de Métouia
7.7 Encapsulation des modèles
7.8 Implantation des agents en charge du couplage dans la plateforme GAMA
7.8.1 Présentation de la plateforme de simulation GAMA
7.8.2 Application du modèle de ville de Christaller sur une grille de cellules
7.8.3 Couplage des trois modèles hétérogènes multi-échelles de la ville de Métouia sur la plateforme GAMA
7.9 Synthèse et discussion
Conclusion générale
1 Bilan
1.1 Synthèse et positionnement
1.2 Contributions scientifiques
2 Discussion
3 Coupling4modeling et directions futures
Bibliographie