Les représentations traditionnelles de la maladie mentale
CONSTRUCTION DE L’OBJET
MODELE THEORIQUE : L’analyse des représentations traditionnelles des maladies mentales dans l’art ancestral de guérir peut mobiliser plusieurs théories socio-antropologiques. Toutefois, nous utiliserons un certain nombre de théories en usage en anthropologie de la santé. Dans cette perspective, nous mettrons en œuvre entre autres, l’approche émique telle que proposée par J. P. O. DE SARDAN. En effet, selon ce dernier, « l’emic est centré sur le recueil des significations culturelles autochtones liées au point de vue des acteurs (…) 27 ». Autrement dit, l’approche émique ne met en jeu que des valeurs culturelles à l’œuvre dans une société donnée. En effet, pour DE SARDAN, « la notion d’emic en anthropologie sous-entend un à quatre niveau superposés (…) qui sont alternativement ou simultanément mobilisés selon les contextes ou les acteurs » Toutefois , l’auteur considère « les niveaux un et deux comme le noyau dur du registre emic ». Ces deux niveaux se présentent ainsi : « 1 – emic peut renvoyer au discours et aux propos des sujets, des informations. Il s’agit alors des données discursives, produites par les interactions entre le chercheur et les acteurs sociaux qu’il étudie, et recueillies par lui , sous forme de corpus. Nous sommes dans le registre de l’exprimé ; 2 – emic peut renvoyer aux représentations des sujets dans un sens anthropologique finalement assez proche du sens que peut avoir le terme « représentations sociales » en psychologie sociale. Il s’agit alors de notions, concepts et conceptions autochtones, locales, populaires ; autrement dit d’ensembles , de configurations , de schémas , d’interprétations largement partagés par les sujets, au sein d’une culture donnée ou d’une sous-culture donnée. Nous sommes dans le domaine de l’exprimable. Bien sur, les représentations exprimables produisent en permanence des données exprimées convergentes (…) permettant de parler d’une « représentation partagée ». A la suite de cette présentation centrée sur les discours, les représentations des acteurs, nous tenterons de situer, de mettre en exergue l’élément culturel dans la conception traditionnelle des troubles mentaux au niveau des malades, des guérisseurs et des personnes proches des malades. Nous utiliserons également l’approche dégagée par M. AUGE. En effet M. AUGE a mis en œuvre une grille de logiques qui permet de rendre intelligible le phénomène de la maladie. Cette grille de logiques se présente ainsi : – La logique des différences qui porte sur la notion du symbolique et qui permet de rendre compte d’un certain nombre de pratiques, croyances et d’interdits autour de la maladie et surtout celle mentale ; – La logique des références qui, appliquée à la maladie, actualise fondamentalement le caractère social de la maladie ; – La logique de l’événement ou chronologique qui se réfère à l’histoire vécue. Ainsi, à travers la logique des différences, nous essaierons de cerner comment « les supports d’une symbolique traditionnelle » permettent la formation des conceptions traditionnelles des troubles mentaux. Ensuite, de par la logique des références, nous examinerons les mécanismes sociaux, les dimensions sociales qui permettent de mettre en exergue le lien entre les désordres mentaux et certains faits sociaux. 30 DE SARDAN op. cit. p 158 24 Enfin, la logique de l’événement nous permettra de voir comment la maladie est vécue en milieu urbain par le patient et son entourage.
OBJECTIFS ET HYPOTHESES
OBJECTIFS
Notre objectif principal à travers cette étude est d’étudier les représentations traditionnelles au niveau de la prise en charge traditionnelle de la santé mentale à Thiès ville.
OBJECTIFS SPECIFIQUES
– mettre en exergue les différents facteurs culturels, sociaux, religieux et symboliques qui sont mis en œuvre dans les interprétations traditionnelles des troubles mentaux ; – cerner les différentes représentations traditionnelles existantes au niveau des déséquilibrés mentaux ; – mettre en relief les thérapies utilisées par les tradipraticiens ; – analyser les itinéraires thérapeutiques des malades mentaux dans la ville de Thiès ; – étudier l’attitude des personnes en contact direct ( voisinage, famille) avec les malades mentaux ; – voir la relation entre la médecine moderne et le système de soins traditionnels.
HYPOTHESES : Beaucoup de théssois continuent à penser que la maladie mentale doit se traiter de façon traditionnelle.
DEFINITION DES CONCEPTS
Cette partie est réservée , en plus , de la définition des concepts , de notions relatives à notre sujet d’étude. La persécution : Elle est définie par les chercheurs de l’Ecole de Fann comme « étant ce qui trouble l’ordre, désorganise les relations, atteint l’individu dans son bien être physique, mental ou spirituel ». Pour ces chercheurs de l’Ecole de Fann, la persécution est vécue par l’homme malade, proposée par la famille et mise en forme par le guérisseur. La persécution est véhiculée par des systèmes représentatifs que sont : le maraboutage, la sorcellerie anthropologie, les esprits ancestraux ( rab, tuur ) et les génies (jinne, seytaane). La maladie mentale : Nous essaierons de définir la maladie mentale telle qu’élaborée en médecine traditionnelle. Mais avant d’entreprendre cette définition, nous donnerons la définition biomédicale de la maladie en général. Ainsi en biomédecine, la maladie est définie comme un état physiologique dans lequel la santé et le bon fonctionnement de l’organisme sont affectés. En médecine traditionnelle, la maladie mentale « apparaît dans bien des cas comme un trouble de la raison qui influence la souffrance ( et ses différentes formes d’expressions ) individuelle ou qui fait souffrir les autres. L’individu, dans sa recherche du bien-être , se trouve bien dès fois, dans une situation différente de celle que la société, (…) considère comme normale c’est-à-dire la santé mentale ». En fait, nous pouvons ajouter que : « dans l’acceptation traditionnelle, le trouble mental traduit la rupture d’un équilibre de la personne dont les constituants non matériels sont multiples ; la maladie est le résultat d’un conflit entre le sujet et les autres personnes décédées, ou entre le sujet et l’autorité établie. Cette autorité doit être comprise comme une norme sociale reconnue et transmise au travers des générations (par exemple l’interdit sur la relation incestueuse qui étendu jusqu’aux derniers relatifs du sujet connu), une divinité, le pouvoir religieux ». Le symbole : Les définitions concernant le symbole sont nombreuses mais nous pouvons retenir que : « le symbole (du grec sumballo, mettre ensemble) est un signe, une marque de reconnaissance ; il est constitué de deux parties d’un tout pouvant être rassemblées intellectuellement, émotivement. Il est une chose, un mot, un acte, un objet, un être… considéré dans un contexte particulier comme significatif, représentatif, complémentaire de quelque chose d’autres, en raison de qualités analogues, ou d’une association de fait ou de pensées. Les symboles sont des signes de reconnaissance des « signifiants ». Ils tendent à permettre d’exprimer d’une manière visuelle, sensible, l’inexprimable. Ils constituent un langage à caractère ésotérique ( non pas arbitraire ), compris par les initiés ». « ( … ) On peut dire du symbole qu’il est une forme de représentation qui ne peut être opératoire que parce qu’il est investi d’un ensemble de représentations sociales. Convenons qu’un symbole est une image ayant du sens. C’est quelque chose qui remplace et évoque quelque chose d’autre »*. Représentations : « les représentations , se présenter à l’esprit, s’expliquer l’environnement, les autres, le monde , sont analysées sous l’angle des sciences cognitives ( stimulus, sensation et perception neurosensorielle ) ,de la psychologie versus psychologie sociale (interprétation par rapport à l’histoire . familiale et individuelle et des rapports inter individuels ), de la sociologie (interprétations socialement élaborées et partagées) et anthropologie/ethnologie (interprétations culturellement élaborées et partagées) . Cette dimension multiple qui va du plus biologique au plus symbolique en passant par le social c’est-à-dire les hommes en collectivité s’expriment dans les travaux pluri disciplinaires. Ces représentations permettent à la personne en société de mettre du connu , du sens , dans l’événement , la chose « à venir » , de vivre avec d’autres personnes en partageant des visions communes avec la réalité et en s’identifiant au groupe. C’est à l’histoire, aux historiens travaillant dans les sociétés de l’écrit , que l’on doit aussi une grande part des travaux sur les modes de pensée et de faire dans le domaine de la maladie , la variété étant analysée sous l’angle diachronique et évolutive d’une même société : représentations historiques et sociales. Les représentations culturelles et les représentations sociales se déclinent de concert et reproduisent ce qui a été dit entre « culture » et « société ».On décode ces représentations à partir du terrain sociologique et ethnologique, des entretiens auprès des personnes, en observant les comportements et en les contextualisant ( ils peuvent être contradictoires par rapport aux discours tenus ) grâce à ce qui est propre aux méthodes de ces disciplines » . De son coté J. M. SECA définit les représentations comme « des phénomènes durables structurés mais aussi susceptibles d’émerger face à des événements extraordinaires, des objets nouveaux, étrangers, ou sources d’enjeux vitaux ou polémiques. Elles sont liées à la vie mentale des foules , au développement des aptitudes enfantines, aux cultures orales traditionnelles, comme à celles plus proches de la modernité. Les modes de communications modernes et la démultiplication des savoirs tant scientifiques, techniques que culturels , influencent de façon déterminante leur évolution et leurs contenus. Le but des systèmes représentatifs est d’intégrer le mouvement des pratiques et des appropriations mentales et sociales multiples qui altèrent progressivement leurs formes quasi stables d’interprétation du réel » . Toutefois J. M. SECA soutient que la définition de la représentation dépend de la logique dans laquelle s’est inscrit le chercheur . Par là, il nous présente un certain nombre de définition provenant de divers chercheurs. Ainsi J.C. ABRIC cité par J.M. SECA définit les représentations comme étant « le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue un réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique. Et pour ABRIC l’association du qualificatif sociale à « représentation » implique la prise en considération des « forces et contraintes » émanant de la société ou d’un ensemble numériquement consistant et leur équilibration ou médiation avec les « mécanismes psychologiques »
Introduction |