Morphologie haute résolution et processus sédimentaires actuels à la terminaison du chenal actuel
Evolution du système turbiditique du Congo au cours du temps
Bien qu’un seul chenal soit actuellement actif, une multitude de systèmes « chenaux-levées » fossiles (systèmes inactifs mais dont la morphologie est bien exprimée sur le fond) sont visibles à la surface de l’édifice turbiditique et sur les profils sismiques. Les courants peuvent en effet créer une rupture des levées. Cette brèche entraîne la bifurcation des écoulements en dehors du chenal et la construction d’un nouveau système chenal-levées ; l’abandon de chenal en amont de la brèche est appelé avulsion (Flood et al., 1991). Les systèmes fossiles appartiennent donc à d’anciens édifices, alimentés par le même canyon que le chenal actuel. Les migrations successives du chenal ont conduit à la mise en place de trois édifices au cours du Quaternaire 9 (Savoye et al., 2000 ; Droz et al., 2003) (Fig.2). L’édifice Nord (WNW-ESE), dont la surface est marquée par la présence de 23 systèmes chenaux-levées est le premier à s’être formé. L’édifice Sud (NNE-SSW) s’est ensuite mis en place dans le creux situé à l’avant du bourrelet compressif de la déformation salifère affectant la marge angolaise. Enfin, le système le plus jeune, l’édifice Axial, d’orientation E-W, s’est formé dans le creux topographique entre les deux édifices précédents. Figure 2 : (A) Carte des 80 paléochenaux identifiés à la surface de l’éventail turbiditique, numérotés du plus ancien (N1) au plus jeune (A38), regroupés dans les 3 édifices : Nord (N1-N23), Sud (S1-S19) et Axial (A1- A38); (B) Chronologie relative des 3 édifices (Droz et al., 2003). 5. Le dernier complexe de lobes distaux du système turbiditique du Congo Le dernier complexe de lobes distaux est situé vers 5000 m de profondeur et s’étend sur une cinquantaine de km, sur un fond relativement plat. Il est actif depuis moins de 7000 ans (Dennielou et al., 2002). Les données de réflectivité ont permis d’identifier cinq unités lobées (Fig.3), alimentées par des chenaux peu profonds dont la position change rapidement (Babonneau, 2002 ; Bonnel, 2005). Ces chenaux distributaires, caractérisés par une faible réflectivité (image acoustique claire), sont Drapage hémipélagique (équivalent à la période de fonctionnement de l’édifice Axial) Edifice Axial Drapage hémipélagique (équivalent à la période de fonctionnement de l’édifice Sud) Edifice Sud Drapage hémipélagique (équivalent à la période de fonctionnement de l’édifice Sud) Edifice Nord Séries turbiditiques hémipélagiques anciennes 10 constitués de dépôts sableux grossiers. La construction des lobes distaux au cours du temps se fait par progradation vers l’aval (Savoye et al., 2000) ; ceux qui se connectent le plus en amont au chenal principal sont donc les plus anciens, tandis que les plus récents se situent dans la partie distale du système. A l’exception du lobe 5 (le plus récent), localisé au débouché du chenal actuel (A38), ils se sont développés le long du flanc nord de ce chenal. Figure 3 : Interprétation de la carte d’imagerie sonar EM12 et localisation des 3 sites étudiés par rapport au dernier complexe de lobes, modifiée d’après Babonneau, 2002. Les lobes sont numérotés du plus ancien (1) au plus récent (5). Leur position par rapport à l’ensemble du système est indiquée par un encadré rouge sur la Fig.2. La carte d’imagerie sonar EM12 non interprétée est présente en annexe (Fig. A).
Processus de dépôts
Les écoulements gravitaires
Le transport des sédiments vers le domaine marin profond s’effectue essentiellement sous l’action de la gravité sur la pente (Middleton et Hampton, 1973). On distingue trois types d’écoulement gravitaire en fonction de l’état de cohésion des sédiments transportés (Brown et al., 1989 ; Shanmugam, 2000; Mulder and Alexander, 2001) : les glissements en masse, les écoulements laminaires et les écoulements turbulents. Au cours d’un glissement en masse, des particules homogènes sont transportées par gravité le long d’une surface de cisaillement plane. Le dépôt conserve alors la structure d’origine des sédiments, mais il est affecté par des déformations (par exemple, les slumps). Les écoulements laminaires permettent le transport de particules hétérogènes (galets mous d’argiles, sable, galets, blocs rocheux) dans une matrice cohésive argilo-silteuse de forte viscosité (par exemple, les coulées de débris). Dans un écoulement turbulent, les particules transportées sont maintenues en suspension par des phénomènes turbulents. Les courants de turbidité sont des écoulements gravitaires turbulents issus d’une instabilité gravitaire initiale. Dans certains contextes où l’embouchure des fleuves aboutit directement sur une pente sousmarine (via un canyon sous-marin), ces courants turbulents peuvent bénéficier d’une alimentation continue et prolongée en sédiments lors des crues de fleuve. On parle alors de courants hyperpycnaux.
Les écoulements turbulents
Les sédiments sous-marins déposés par un seul et même courant de turbidité sont appelés « turbidites ». Figure 4 : Séquences de dépôts décrites dans les séries turbiditiques, d’après Shanmugam (2000) Lors du passage des courants de turbidité, les particules les plus grossières sont tractées sur le fond tandis que les particules fines sont transportées en suspension et se 12 déposent par décantation. Ces dépôts, organisés en séquences, se caractérisent par une base de séquence, ou de terme (T), nette ou érosive et un granoclassement normal. La séquence verticale de faciès, décrite par Bouma (1962), comprend de la base vers le sommet : (Ta) des sédiments grossiers sans structure interne ; (Tb) des sables fins et laminés ; (Tc) des sables très fins ou silts, à stratifications obliques ou entrecroisées, ou à convolutes ; (Td) une alternance de lamines silteuses et argileuses ; (Te) des argiles très finement laminées ou sans structures (Fig.4). La description des séquences de dépôts a été ensuite affinée pour les turbidites à grain fin (argileuses et silteuses) qui constituent les levées (Stow et Shanmugam, 1980) et les turbidites à grain grossier (sableuses et graveleuses) de fond de chenal (Lowe, 1982).
Données et méthodes d’analyse
Données et outils d’acquisition de la campagne CongoLobe
Les données mises à ma disposition au cours de ce stage étaient des données bathymétriques, des carottages et des vidéos de plongées de 3 sites situés le long du chenal actuel du Zaïre, dans les complexes de lobes distaux. Les données bathymétriques avaient déjà été traitées. J’ai créé un projet SIG sous ArcGIS dans lequel j’ai importé les grilles bathymétriques géoréférencées. J’ai localisé où s’étaient déroulés les prélèvements par carottages et les enregistrements des vidéos de plongées acquises au cours de la campagne CongoLobe sur les cartes. Ces données m’ont permis d’élaborer les cartes structurales et les profils bathymétriques des zones d’étude sous ArcGIS. J’ai également importé des données de bathymétrie et d’imagerie sonar de campagnes antérieures qui m’ont permis d’avoir un point de vue global sur la zone des lobes et de comprendre la transition entre mes zones d’étude. Ces données n’ont cependant pas été traitées au cours du stage. En ce qui concerne les carottages, j’ai participé à l’ouverture et la description de 5 carottes au Laboratoire Environnements Sédimentaires de l’IFREMER, deux des carottes ayant déjà été ouvertes et décrites antérieurement. J’ai réalisé les logs des 7 carottes prélevées pendant la campagne sous Adobe Illustrator. Enfin, j’ai réalisé le dépouillement des vidéos de plongées acquises par le ROV. 13 1) Le module mesure en route (MMR, acquisitions géophysiques et caméra haute résolution OTUS) est utilisé à 60 m du fond pour la cartographie haute résolution des fonds avec le sondeur multi-faisceaux (SMF) (cf. ci-dessous), et à 8 m du fond pour la cartographie très haute résolution, permettant également l’acquisition de films et photographies à la verticale du fond. La cartographie à haute résolution des lobes a été réalisée à partir du sondeur multi-faisceaux (SMF) du ROV, le SMF Seabat 7125. Le sondeur fournit des données bathymétriques pour l’étude de la morphologie des fonds et des données d’imagerie acoustique pour l’étude de la réflectivité, dont les variations sont interprétées comme des changements de la nature des sédiments et/ou de la morphologie. Durant la campagne CongoLobe, les paramètres d’acquisition SMF étaient : a) une altitude de 60 m ; b) une largeur de fauchée de 200 m ; c) un espacement entre les transects de 180 m, avec 20 m de recouvrement ; d) une vitesse de 0.4 m/s ; e) une fréquence de 400 kHz ; f) un angle d’ouverture de 120° dans la direction perpendiculaire au ROV et 0,5° parallèlement au ROV. Au total, 3 sites (correspondant à 4 plongées) ont été cartographiés par le SMF du ROV (sites A, F et C analysés pendant ce stage). Des photographies et vidéos de plongées ont été réalisées par une caméra OTUS très haute définition. Au cours des plongées à 8 m, le ROV pouvait descendre à 3 m afin de faire des observations ponctuelles autour d’objets remarquables. L’acquisition des données cartographiques était alors interrompue. Les vidéos ont été enregistrées simultanément sur deux caméras avec des angles de vue différents ; en vue plongeante vers l’avant et en vue verticale, au-dessus du fond.
Les acquisitions du ROV
L’acquisition des données bathymétriques de hauterésolution et des vidéos a été réalisée par le ROV (Remotely-Operated Vehicle). Le ROV Victor 6000 (Fig.5) est un véhicule sous-marin téléopéré dédié à la recherche scientifique. Sa partie inférieure est constituée d’un module scientifique qui peut être interchangé selon la nature de la mission. Deux modules ont été utilisés pour l’acquisition des données exploitées au cours du stage : le module de mesure en route et le module de base. Figure 5 : Mise à l’eau du robot télé-opéré Victor 6000 (Source : IFREMER) 14 2) Le module de base (MDB, module d’échantillonnage et de mesures in situ) est utilisé pour les observations (films et photographies), les prélèvements d’échantillons (sédiments, eau, organismes…), les mesures in situ… Durant la campagne CongoLobe, sept carottages ont été réalisés sur les différents sites par un carottier Calypso. Ils ont permis de recueillir au total environs 57 m de sédiments, dont environs 40 m ont été ouverts au cours de ce stage (Tableau 1). Tableau 1 : Liste des carottes acquises durant la campagne Congolobe. La longueur est celle mesurée avant l’ouverture des carottes. En bleu, les carottes que j’ai étudiées. La carotte CoL-C-CS 06, prélevée au même endroit que CoL-C-CS 05 n’a pas été décrite. La carotte CoL-B-CS 07 a été décrite pour la comparer à CoL-ACS 01, mais je ne disposais pas d’autres données sur le site B (bathymétrie, plongées).
Les carottages
Le but d’un carottage est de récupérer une colonne de sédiments en conservant la position et la structure de ses couches. Cela permet d’obtenir une information verticale sur les variations de la nature des sédiments en profondeur. Les carottiers permettent de remonter des carottes de quelques dizaines de mètres au maximum. Le sédiment de surface, souvent très fluide, est généralement mal préservé dans les carottes prélevées au moyen des carottiers à piston (type Calypso ; Fig.6). Figure 6 : Mise à l’eau du carottier Calypso (Source : Centre de Carottage et de Forage National) 15 Les carottes, conditionnées en tronçons de 1 m, avaient fait l’objet d’échantillonnages à bord (avant l’ouverture), en vue d’analyses chimiques et microbiologiques (mesures de pH, de température, d’eau interstitielle, échantillonnages pour les analyses microbiologiques, caractérisation des acides gras et des éléments traces). Les propriétés physiques des sédiments ont été mesurées au banc MSCL (MultiSensor Core Logger, banc Geotek) de l’Ifremer avant l’ouverture.
I. Introduction |