L’expérience scolaire des descendants d’immigrés
Nord-Africains
Le décrochage scolaire : un risque encouru par les élèves dès l’école primaire La majorité des études abordant le décrochage scolaire concerne principalement l’enseignement secondaire, mais depuis quelques années, le primaire, dont les écoles scolarisaient 6 703 800 élèves à la rentrée 2019 (Repères Et Références Statistique, RERS, 202047), est devenu le centre d’intérêt de nombreux chercheurs qui ont mis en exergue la précocité de ce processus et l’intérêt d’accompagner la transition entre les différents degrés d’enseignement pouvant produire des ruptures dans les parcours scolaires de certains élèves (Balas, 2012 ; Blaya & Hayden, 2003 ; Douat, 2011 ; 2012 ; Duru-Bellat, 2002 ; Millet & Thin, 2005). En d’autres termes, le décrochage scolaire débuterait à l’école maternelle dès le 1er cycle avec l’apparition puis 46 Texte original : « …one of the clearest outcomes of research on student departure is the finding that individual experiences within college after entry are more important to persistence and departure than what has gone on before entry. » l’accroissement des difficultés et des retards et/ou des problèmes de comportement – facteurs de risque majeurs – que rencontrent les élèves tout au long des cycles 2 et 3 pour parvenir au point culminant lors de la transition primaire/collège. Comment le risque de décrocher se manifeste-t-il au primaire ? De quelle manière influence-t-il l’expérience scolaire des écoliers ?
Un constat préoccupant dès le Cours Préparatoire
À partir de la moyenne section de maternelle, les premières « traces » statistiques des inégalités sociales à l’école sont apparentes et les cumuls des difficultés observés se produisent distinctement dès le Cours Préparatoire (CP ; Duru-Bellat, 2002). Depuis 20 ans, la plus grande partie des enfants âgés de trois ans et plus est scolarisée. Mais qu’en est-il de la situation des enfants âgés de deux ans ? La Circulaire n° 2012-202 du 18 décembre 201248 stipule que : « La scolarisation d’un enfant avant ses trois ans est une chance pour lui et sa famille lorsqu’elle correspond à ses besoins et se déroule dans des conditions adaptées. Elle est la première étape de la scolarité et, pour beaucoup d’enfants, la première expérience éducative en collectivité. Il s’agit notamment d’un moyen efficace de favoriser sa réussite scolaire, en particulier lorsque, pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, sa famille est éloignée de la culture scolaire ». Cependant, l’analyse comparative des panels de 199749 et 201150 ne laisse apparaître aucune différence significative entre la scolarisation des enfants de deux ans et trois ans ce qui concorde avec les conclusions de l’étude menée par Caille et Rosenwald (2006). Ces auteurs ont notamment souligné des aptitudes plus élevées en moyenne en CP pour les premiers à celles des seconds, mais avec une dégradation de cet avantage tout au long de la scolarité élémentaire. Les enfants entrés à quatre ans à l’école maternelle accusent quant à eux un retard avéré. Le milieu semble quant à lui être un critère générateur de différences puisque 98,3% des élèves de cadres-enseignants parviennent en Cours Moyen 1 (CM1) sans avoir redoublé contre 88,4% des élèves d’ouvriers, soit un écart de 10 points. 48 Circulaire 2012-202 du 18 décembre 2012 relative à la favorisation du développement de l’accueil des élèves de moins de trois ans au sein des écoles maternelles, consultable en lignehttps://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=66627 49 Le panel 1997, représentatif au 1/81e de la population de France métropolitaine scolarisée en CP en septembre 1997, est composé de 9 200 élèves entrés au cours préparatoire pour la première fois en 1997. Il est issu d’un sondage à deux degrés. 50 Le panel 2011, représentatif au 1/50e de la population de France métropolitaine scolarisée pour la première fois en CP en septembre 2011, est composé de 15 200 élèves entrés au cours préparatoire pour la première fois à cette date. Il a été constitué par tirage au sort dans les bases académiques du premier degré stratifié par le critère « secteur d’enseignement croisé avec l’appartenance au réseau ambition réussite ». Il est issu d’un sondage à deux degrés avec quatre variables de contrôle : la taille de l’école, la taille d’unité urbaine de la commune de scolarisation, le type de structure pédagogique, et le nombre de classes. Chapitre 1 : Comprendre le décrochage scolaire ou comment tenter de saisir l’insaisissable Iman BEN LAKHDHAR Thèse en Sciences de l’éducation 33 Les analyses quantitatives conduites par Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP, RERS, 2020) sur le devenir des écoliers français sept ans après leur entrée au CP, indiquent que le taux de redoublement a chuté sur cet empan temporel comparativement au panel de 1997. En effet, 99,7% des écoliers entrés pour la première fois au cours préparatoire en 2011, sont parvenus au CM2 contre 97,1% quatorze ans auparavant. La baisse la plus notable concerne la classe de 6ème puisque le taux de redoublement est passé de 7,8% pour le panel de 1997 à 0,5% pour celui de 2011. Un écart est perceptible selon le sexe de l’élève. Quel que soit le niveau étudié, les filles sont moins en retard que les garçons : 3,2% des filles et 4,6% des garçons sont en retard à l’entrée en CE1, et 7,4% et 9,5% en CM1. De plus, cet écart se creuse selon l’avancée dans la scolarité : la différence est de 0,5 point en CP et de 2,6 points en Cours Moyen 2 (CM2). En outre, les disparités sociales de réussite restent fortes puisque le redoublement touche davantage les enfants d’ouvriers et d’inactifs que ceux de professions libérales, cadres ou enseignants. À la rentrée 2019, 820 800 élèves étaient entrés en sixième, dont 5,4% avec au moins un an de retard contre 17,2%, 15 ans auparavant, soit une différence de 12 points. Le nombre d’élèves arrivant en 6ème avec deux ans de retard ou plus reste faible à l’échelle nationale (moins de 0,1%). Parmi les études menées sur le redoublement, plusieurs ont montré que cette pratique était dans la plupart des cas inefficace, pénalisante et inéquitable (Jackson, 1975 ; Holmes & Matthews, 1984 ; Holmes, 1989 ; Jimerson, 2001) et qu’elle produisait des effets nocifs pour la réussite scolaire des élèves, pour le développement de leur estime de soi et leurs capacités non cognitives (Crahay, 2003 ; 2004). Un redoublement survenu dans l’enseignement primaire peut générer un profit positif ou nul à court terme sur les performances en mathématiques et en lecture, essentiellement pour les élèves à la limite des exigences de performances attendues (Cosnefroy & Rocher, 2005 ; Goos, 2013 ; Jacob & Lefgren, 2004, 2007 ; Schwerd & West, 2012 ; Roderick & Nagaoka, 2005). Dans ce cas, il n’est généralement pas la seule remédiation dont les élèves peuvent bénéficier. Il arrive qu’ils soient placés dans des classes moins nombreuses, avec des enseignants expérimentés et/ou suivent des cours d’été. Ces éléments indiquent donc qu’en associant le redoublement au primaire avec certains dispositifs pour lutter contre les difficultés, des effets positifs à court terme peuvent survenir. Cependant, ils s’estompent là aussi très rapidement : trois ans après environ. Redoubler une année serait associé à un risque de décrochage plus élevé. Les politiques éducatives ont largement contribué à la baisse du redoublement qui se confirme depuis une vingtaine d’années à commencer par la Loi d’orientation sur l’Éducation du 10 juillet 1989, dite aussi Loi Jospin, qui a modifié le fonctionnement du système éducatif français en faisant de la lutte contre le décrochage scolaire dans le primaire sa priorité par l’instauration de la scolarité dès deux ans des enfants issus de milieux défavorisés, la limitation au maximum des redoublements ou encore l’évaluation des acquis en français et en calcul à la fin de chaque année. Dix ans plus tard, en septembre 1998, Jean Ferrier, Inspecteur Général de l’Éducation Nationale (IGEN), a remis un rapport sur l’école primaire sur le thème : « Améliorer l’efficacité de l’école primaire ». Bien qu’il ait reconnu une amélioration des moyens de fonctionnement, l’IGEN a fait état d’une situation alarmante de l’école primaire : entre 21 et 42 % des élèves du Cours Élémentaire 2 (CE2) ne maitrisaient pas le niveau minimal des compétences de base en lecture et/ou en calcul. Face à un public plus hétérogène et une augmentation des exigences scolaires, il a préconisé de revoir l’organisation pédagogique ainsi que le pilotage du système. S’appuyant sur ces conclusions, Claude Allègre, Ministre de l’Éducation Nationale, a présenté en janvier 1999, la « Charte pour bâtir l’école du XXIème siècle » avec la volonté de construire une école plus efficace, contre l’échec scolaire, pour l’égalité des chances, plus ouverte, plus créative. Étaient entre autres prévus : un recentrage des programmes sur les acquisitions fondamentales51, un développement de l’aide personnalisée ainsi qu’un aménagement des rythmes scolaires. Le Rapport Thélot « Pour la réussite de tous les élèves », remis le 12 octobre 2004 à Jean-Pierre Raffarin qui était Premier Ministre, a mis l’accent principalement sur les missions prioritaires que se devait de remplir l’école52 et a proposé sur cette base, huit programmes d’action pour dessiner « l’École du futur » allant de la maitrise par chacun du socle des indispensables à la formation des partenaires. Suite à cela, la Loi d’orientation et de programmation pour l’avenir de l’école s’est substitué à la Loi d’orientation de 1989 par promulgation le 23 avril 2005. L’objectif de cette réforme a été notamment d’imposer l’acquisition d’un ensemble de connaissances et compétences indispensables par tous les enfants à l’issue de la scolarité obligatoire.
Un temps scolaire marqué par l’apparition de difficultés d’apprentissage et de problèmes de comportement
Le niveau de développement d’un enfant à son entrée à l’école conditionnerait en bonne partie les premières étapes de sa scolarisation. Selon le MELS (200055) du Québec, l’entrée en primaire serait un moment « névralgique », conclusions consolidées par Potvin et Lapointe (2010) qui soulignent que « des difficultés scolaires non résolues au primaire peuvent devenir un important facteur de risque de décrochage au secondaire » (p.7). Selon ces chercheurs, la décision d’arrêter de fréquenter l’école ne se prendrait pas sous le coup d’une impulsion, mais serait la résultante d’un long cheminement pouvant débuter dès la maternelle. Ce processus peut être décrit en deux étapes – apparaissant et s’imbriquant progressivement avant que ne survienne la situation ultime de décrochage scolaire – qui se matérialisent par des difficultés d’apprentissage précoces et des problèmes de comportement (Raymond, 2000). Bien avant des signes de rupture de la relation pédagogique, les dossiers scolaires de certains écoliers reflètent en premier lieu de grandes difficultés dans les apprentissages (Bonnéry, 2003 ; Joshua, 1999). La nature de ce concept est difficile à cerner parce qu’elle correspond à un ensemble de problèmes très variés et qu’elle touche un public diversifié : les « Élèves à Besoins Éducatifs Particuliers » (EBEP). Cette appellation apparaît pour la première fois en 1978, dans le rapport Warnock qui propose une généralisation de la prise en compte de la difficulté scolaire quelle qu’en soit l’origine, temporaire ou non, en introduisant la notion de Special Educational Needs, traduite par l’expression « Besoins Éducatifs Spéciaux » (BES). Bien qu’elle apparaisse de plus en plus dans le champ éducatif, il n’existe pas de définition consensuelle et précise de cette notion, « les élèves à besoins éducatifs particuliers pouvant présenter des profils singulièrement différents selon les pays » (Ebersold & Detraux, 2012, p.104). Pour certains, elle fait référence à une déficience ou une maladie, pour d’autres, elle désigne également les élèves présentant des difficultés d’apprentissages et depuis peu sont également inclus les Enfants Nouvellement Arrivés en France (ENAF), les Enfants Allophones Nouvellement Arrivés en France (EANA), les enfants du voyage tout comme les enfants mineurs en milieu carcéral (OCDE, 2009 ; Ebersold, Schmitt & Priestley, 2010) Malgré la volonté de ne plus « médicaliser » les difficultés scolaires des enfants, le système éducatif français tel qu’organisé aujourd’hui reste cloisonné et répond principalement aux élèves en situation de handicap par le biais de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La France qui adhère aux valeurs qui sous-tendent la Déclaration de Salamanque de 1994 ainsi qu’aux recommandations de la Conférence de Genève de 2008 sur l’éducation pour l’inclusion, n’a pas fait le choix de les adopter comme principe d’organisation du système éducatif (Caraglio & Delaubier, 2012). Elle a néanmoins pour missions d’adapter l’offre éducative à la diversité des élèves, d’individualiser leur parcours scolaire, d’adapter leur programme, leur enseignement et leur organisation, de fournir des ressources humaines et des ressources matérielles supplémentaires. La prise en charge des EBEP nécessite de porter une attention aux normes, codes et pratiques scolaires, générateurs potentiels d’obstacles pour ces élèves ce qui suggère la mise en place d’une pédagogique adaptée par les enseignants, acteurs principaux dans la transmission des savoirs puis dans un second temps par la communauté éducative pour venir en aide aux enseignants dont les compétences présentes logiquement des limites, dans le champ médical par exemple. Parmi les processus fondateurs de difficultés précoces peuvent être mentionnés les malentendus sociocognitifs, objet de nombreuses recherches ces dernières années (Bautier & Rochex, 2007 ; Bautier & Rayou, 2009 ; Bonnéry, 2007). Il s’agit de situations scolaires d’apprentissage pour lesquelles apparaissent des confusions d’ordre cognitif, social et relationnel qui conduisent Chapitre 1 : Comprendre le décrochage scolaire ou comment tenter de saisir l’insaisissable certains élèves à passer « à côté » des enjeux cognitifs des tâches à effectuer telles que les exercices, les devoirs ou encore les leçons. Cette réalité est parfaitement imperceptible à leurs yeux, car ils pensent avoir répondu aux attentes de l’enseignant à partir de leur seule compréhension des consignes. Il est capital de préciser que la réciprocité est au cœur même de ce malentendu : en effet, les enseignants, voyant les élèves engagés dans la tâche, pensent qu’ils construisent de fait les savoirs. Secondariser une tâche relève de l’évidence pour les enseignants qui n’hésitent pas à tenir les familles responsables de ce travail non acquis par les élèves (Bonnéry, 2007). Ces élèves, rapidement placés dans une case étiquetée « en difficulté », subissent un traitement différencié de la part des enseignants, mais aussi des parents et des pairs ce qui aboutit à une véritable dévalorisation de soi (Millet & Thin, 2005) et au découragement appris (Deci & Ryan, 2002 ; Florin, 2011). Le peu voire l’absence de reconnaissance par l’école de la simple application des consignes peut générer un sentiment d’injustice chez ces élèves, perceptible notamment lors de la transition primaire-collège, quand l’évaluation scolaire porte davantage sur l’appropriation de savoirs et moins sur les efforts fournis en termes d’application des consignes (Bonnéry, 2007). Ce cumul de frustrations peut ouvrir la voie à une seconde étape : les problèmes de comportement .
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