Déterminisme environnemental de la fécondité du chêne vert

Déterminisme environnemental de la fécondité du chêne vert

Fécondité et changements climatiques 

La réussite de la reproduction des arbres forestiers est un facteur essentiel de la démographie de leurs populations, en particulier dans les forêts en régénération naturelle. Or, les changements climatiques actuels et futurs exercent une pression croissante sur les forêts du monde entier (Bonan, 2008; Lindner et al., 2010) et leurs impacts potentiels sur le recrutement d’individus à partir de graines sont mal compris (Morin et al., 2007; Clark et al., 2011). Ces incertitudes sont génératrices d’inquiétudes sur l’avenir des forêts. Elles appellent à développer notre connaissance des processus impliqués et à adapter tant que possible les pratiques de gestion (Plan recherche et innovation 2025 filière forêt-bois, 2016; Programme national de la forêt et du bois 2016-2026, 2017). En contexte méditerranéen, les modèles climatiques prévoient une augmentation des températures et de la fréquence des sécheresses (Meehl & Tebaldi, 2004; Lémond et al., 2011; IPCC, 2013; Ruffault et al., 2014). Or, prévoir les conséquences des changements climatiques actuels et futurs sur le renouvellement des forêts nécessite d’avoir une compréhension des déterminants environnementaux de l’ensemble du processus de production et de recrutement des graines, depuis la floraison jusqu’à la germination des graines (Crone & Rapp, 2014; Pearse et al., 2016; Allen et al., 2017). On entend ici déterminant environnemental au sens de tout déterminant qui ne soit pas lié au déterminisme génétique, qui peut donc être externe à l’individu, comme les conditions météorologiques, ou interne, comme ses réserves en nutriments. Historiquement, la majorité de la recherche scientifique portant sur l’impact des changements climatiques sur les arbres s’est concentrée sur la croissance, la survie et la phénologie foliaire des individus en réponse à la hausse des températures et aux changements de composition de l’atmosphère (CO2, polluants) (Pastor & Post, 1988; Menzel et al., 2006; Thomas et al., 2010; Keenan et al., 2014; Fernández-de-Uña et al., 2016; Fernández-Martínez et al., 2017b). La compréhension du fonctionnement et du déterminisme de la fécondité des arbres, en particulier en contexte de changements climatiques, a fait l’objet d’un intérêt plus récemment, comme en témoignent les quatre thèses publiées en trois ans en France sur différents aspects de la fécondité des arbres forestiers (Caignard, 2018; Schermer, 2019; Journé, 2020; Touzot, 2020). L’anticipation des impacts potentiels des changements climatiques sur la fécondité des arbres forestiers peut être compliquée par le fait que les dynamiques de fructification des arbres forestiers – la plupart pollinisés par le vent – sont souvent caractérisées par des fructifications massives, intermittentes et synchronisées à l’échelle d’une population (Silvertown, 1980; Kelly, 1994; Koenig & Knops, 2000). Ce patron de fructification, dit de « masting », est une stratégie de reproduction répandue parmi de nombreux groupes taxonomiques de plantes en milieu tempéré et méditerranéen. Les effets des changements climatiques, soit déjà présents, soit simulés Introduction générale 10 expérimentalement, montrent que les différentes facettes des changements climatiques (hausse des températures, réduction des précipitations, enrichissement de l’atmosphère en CO2, dépôts d’azote atmosphérique, etc.) impactent déjà ou sont très susceptibles d’impacter la quantité de graines produites par les essences forestières et la fréquence des épisodes de masting. En effet, certains travaux observent ou prédisent un effet favorable des changements climatiques sur la production de graines (Overgaard et al., 2007; Hedhly et al., 2009; Buechling et al., 2016; Caignard et al., 2017), d’autres un effet défavorable, parfois du fait d’une réduction de la variabilité de la fécondité (Mckone et al., 1998; Hedhly et al., 2009; Pérez-Ramos et al., 2010; Sánchez-Humanes & Espelta, 2011; Iler & Inouye, 2013; Bogdziewicz et al., 2020c), d’autres des effets contrastés selon la variable étudiée (Pearse et al., 2017; Shibata et al., 2020) et enfin un dernier groupe d’études prédisent une absence d’effet (Kelly et al., 2013). Aucun consensus fort ne se dégage et l’effet attendu des changements climatiques sur la fécondité des arbres reste donc relativement flou. Ce flou est certainement lié aux fluctuations très fortes de la fécondité des arbres forestiers et à la diversité des déterminants susceptibles d’avoir un effet sur la fécondité et d’interagir entre eux. Il y a donc aujourd’hui un fort enjeu à explorer davantage les mécanismes de la fécondité des arbres forestiers pour mieux comprendre notamment l’impact des changements climatiques sur les plantes se reproduisant par masting (Lindner et al., 2010). 

Déterminisme de la dynamique de reproduction des arbres forestiers 

Causes du masting et déterminants du cycle reproducteur 

Les causes évolutives, ou distales, qui ont permis l’émergence du masting font l’objet de nombreuses hypothèses qui expliquent comment, paradoxalement, ne pas produire de graines tous les ans permet de maximiser le succès reproducteur des individus (Kelly & Sullivan, 1997; Tachiki & Iwasa, 2010). Les deux principales hypothèses chez les arbres sont la satiation des prédateurs les années de forte production de graines et l’augmentation de l’efficacité de la pollinisation les années de forte floraison (Janzen, 1971; Silvertown, 1980; Kelly, 1994; Pearse et al., 2016). Les déterminants environnementaux induisant une reproduction réussie sont au cœur de ce travail, et sont encore très controversés chez les arbres forestiers (Crone & Rapp, 2014; Pearse et al., 2016; Allen et al., 2017; Vacchiano et al., 2018), notamment par opposition aux arbres fruitiers qui ont fait l’objet d’études plus poussées (Monselise & Goldschmidt, 1982; Samach & Smith, 2013; Smith & Samach, 2013; Sharma et al., 2019). Ces déterminants peuvent également être appelés causes proximales, par opposition aux causes distales. Avant de détailler les principaux déterminants environnementaux de la reproduction sexuelle des arbres forestiers, je ferai un rappel des principales étapes du cycle reproducteur sur Introduction générale 11 lesquelles ils sont susceptibles d’agir. Je présente ici le cycle de reproduction des chênes, un des genres dont la dynamique de fécondité est la plus étudiée, et en particulier celui du chêne vert (Quercus ilex L.), une espèce de chêne méditerranéen au feuillage persistant très répandue autour du bassin méditerranéen et qui est l’espèce modèle de cette thèse. Figure 1 : Grandes étapes des cycles des fonctions de reproduction mâle (en bleu) et femelle (en orange) du chêne vert de l’initiation florale à la dispersion des graines. Les périodes données sont indicatives. Figure inspirée de (Schermer et al., 2016). Le cycle reproducteur chez les chênes commence par l’initiation florale, qui se fait au cours de la conversion irréversible de méristèmes végétatifs en des méristèmes reproducteurs (contenant uniquement des fleurs, ou un ensemble de fleurs et de feuilles) (Johnson et al., 2009; Allen et al., 2017). Chez le chêne vert, il semblerait que cette étape ait lieu pendant l’été de l’année t-1 (i.e. année précédant la fructification) pour les fleurs mâles, alors que l’initiation des fleurs femelles pourrait avoir lieu juste avant ou pendant le débourrement ((Sobral et al., 2020) chez Quercus suber), Fig. 1). Les inflorescences mâles, ou chatons, apparaissent les premières dès le débourrement de l’année t, le plus souvent à la base des nouveaux rameaux, et les inflorescences femelles s’observent plus tardivement et à l’aisselle des nouvelles feuilles de l’année (Yacine & Bouras, 1997). La pollinisation intervient au moment de l’anthèse en avril-mai, tandis que la fécondation a lieu fin juin-début juillet, soit 55 à 60 jours après la fixation du pollen sur le stigmate (Yacine & Bouras, 1997; Pulido & Díaz, 2005). Cette période est appelée la phase progamique (Sogo & Tobe, 2006), et induit la formation du fruit, appelée nouaison (Fig. 1). Pendant l’été et l’automne, les fruits (glands) se développent et achèvent leur maturation en novembre ou décembre en France (Yacine & Bouras, 1997), un peu plus tôt en Espagne (Perez-Izquierdo & Pulido, 2013). Chez le chêne vert comme chez les autres espèces du groupe des chênes blancs (sous-genre Lepidobalanus), la floraison et la fructification ont lieu au cours de la même année, alors qu’elles s’étalent sur 2 ans dans le groupe des chênes rouges (sous-genre Erythrobalanus) au sein desquels la phase progamique dure un an (Johnson et al., 2009). Introduction générale 12 Différents facteurs sont susceptibles d’impacter chaque étape du cycle reproducteur et sont liés à l’environnement biotique et abiotique des arbres et à leur état physiologique, lui-même produit de l’interaction entre l’environnement et leurs gènes. Ces facteurs, que l’on appellera des déterminants (drivers en anglais) dans le cadre de ce travail, vont conditionner le nombre potentiel d’organes reproducteurs au début du cycle reproducteur et leur développement avant et après fécondation pour aboutir à un nombre de fruits prêts à être dispersés à la fin du cycle. Ces déterminants du nombre de graines, ou de fruits, produits par un arbre appartiennent à deux grandes familles : les déterminants liés à la disponibilité en ressources et à leur allocation aux différents organes et fonctions de l’arbre, et les déterminants liés aux conditions météorologiques qui vont également déterminer la phénologie de la reproduction (Pearse et al., 2016; Allen et al., 2017). Ces deux grandes familles ne sont bien sûr pas indépendantes, les conditions météorologiques ayant un impact sur l’acquisition et l’allocation des ressources (Smaill et al., 2011; Tanentzap et al., 2012; Allen et al., 2017; Gavinet et al., 2019; Bogdziewicz et al., 2020b). L’environnement biotique impacte également la dynamique de fécondité des individus en modulant l’acquisition des ressources comme peuvent le faire les mycorhizes (Newbery, 2005; Koide, 2010), en impactant l’état sanitaire de l’arbre comme le font les herbivores et les pathogènes (Crawley, 1985; Thomas et al., 2002; Hochwender et al., 2003; Pearse et al., 2015a; Nakajima, 2015; Canelo et al., 2018) ou en consommant directement les organes reproducteurs (florivorie, consommateurs de glands pré-dispersion) (Johnson et al., 2009; Pulido et al., 2010). Ces aspects ne seront qu’indirectement abordés dans le cadre de ce travail, mais peuvent avoir un impact fort sur le succès reproducteur des individus. Enfin, l’efficacité de la pollinisation, qui dépend de la disponibilité en pollen et des conditions météorologiques, est également un facteur impactant fortement le succès reproducteur chez certaines espèces (Crone & Rapp, 2014; Koenig et al., 2015; Schermer et al., 2019). Cependant, chez le chêne vert, la disponibilité en pollen semble être peu limitante en forêt dense (Fernández-Martínez et al., 2012; Bogdziewicz et al., 2017b). Elle est, au contraire, limitante chez les chênes tempérés. La comparaison entre ces deux groupes de chênes a été le sujet d’un travail en collaboration avec Eliane Schermer au LBBE (Lyon) présenté en Annexe 1 (Schermer et al., 2020). Différentes variables ont été identifiées comme ayant un impact sur le succès reproducteur du chêne vert, et sont résumées en Table 1. Cependant, les contributions respectives des conditions météorologiques et des ressources des individus à la fécondité ont été peu étudiées conjointement, en particulier aux différentes étapes du cycle reproducteur entre lesquelles les besoins de l’arbres peuvent varier (Fig. 2, page 18). Introduction générale 13 Très peu de travaux portent notamment sur les déterminants de la floraison chez les arbres forestiers, comparativement aux arbres fruitiers (Samach & Smith, 2013). Par ailleurs, si les chênes ont généralement un ratio fruits/fleurs relativement bas (Sharp & Sprague, 1967; Kanazashi & Kanazashi, 2003; Johnson et al., 2009; Tsuruta et al., 2011), les études corrélatives travaillant sur des données de productions de biomasses de fruits ne permettent pas de discerner si les échecs de reproduction ont lieu avant la nouaison (du fait par exemple d’une faible production de fleurs femelles, d’échecs de pollinisation, ou de conditions défavorables à la fécondation) ou après la nouaison pendant le développement des fruits (Fukumoto & Kajimura, 2005; Tsuruta et al., 2011). Les rares études qui différencient les étapes du cycle reproducteur chez les chênes montrent qu’une majeure partie de l’avortement des organes femelles a lieu entre l’anthèse et la fécondation des fleurs (Masaka & Sato, 2002; Fukumoto & Kajimura, 2005). Si la quantité en pollen est limitante dans certains cas, deux études sur Quercus lobata et Quercus ilex ont montré que la majorité de l’avortement des fleurs était causée par des facteurs indépendants de la limitation en pollen (Pulido & Díaz, 2005; Pearse et al., 2015b). Cependant, chez le chêne vert, la littérature montre que l’étape de développement des fruits noués peut également être particulièrement limitante (Pulido & Díaz, 2005; Espelta et al., 2008; Pérez-Ramos et al., 2010). La physiologie de la reproduction des arbres forestiers et ses déterminants méritent donc d’être davantage étudiés. 

 Déterminisme par les conditions météorologiques 

Le lien entre dynamiques de fructifications et conditions météorologiques a fait l’objet de nombreuses publications, pour la plupart corrélatives et basées sur des biomasses de fruits sans distinction de leur succès de développement, et souvent sur un nombre restreint de sites. Elles ont fait l’objet d’une revue de la littérature chez les chênes (Koenig & Knops, 2014) et d’une autre sur les chênes méditerranéens (Pérez-Ramos et al., 2015). Il ressort de ces revues que dans la majorité des études, au moins une variable environnementale est identifiée comme corrélée aux dynamiques de fructification, et que dans le cas des chênes méditerranéens, 70 % des études identifient au moins une variable reliée au risque de déficit hydrique au printemps et en été (Koenig & Knops, 2014; Pérez-Ramos et al., 2015). Cependant, aucune variable météorologique ne permet de prédire de façon récurrente les patrons de fructification chez les chênes d’espèces différentes, voire même également entre populations différentes d’une même espèce. De plus, compte tenu de la grande diversité de conditions météorologiques possibles, il existe un risque que les corrélations détectées ne soient que des artefacts (Crone & Rapp, 2014).

Les déterminants liés aux conditions météorologiques peuvent être favorables à l’état physiologique de l’arbre de façon générale, comme les précipitations limitant le stress hydrique estival ou l’absence de gel au moment du débourrement. D’autres variables météorologiques sont favorables à certains processus spécifiques de la reproduction comme l’absence d’humidité ou de précipitations lessivant le pollen au printemps (García-Mozo et al., 2007) ou comme les températures favorisant la croissance du tube pollinique avant la fécondation (Hedhly et al., 2009). Certaines des variables peuvent avoir un effet négatif sur les processus permettant la reproduction et être très limitantes, comme un fort gel ou une forte sécheresse pendant le développement des fruits (Alejano et al., 2008; Carevic et al., 2010; Pérez-Ramos et al., 2010). Nous désignerons ces déterminants dans le cadre de ce travail comme des vétos (vetos en anglais, concept développé en particulier par Pearse et al. (2016) et par Bogdziewicz et al. (2018). 

Déterminisme par les ressources de l’arbre

 L’hypothèse avancée dans la littérature d’un déterminisme de la fécondité par les ressources découle de plusieurs constats. La reproduction est une fonction coûteuse pour les plantes en général (Obeso, 2002), en particulier chez les chênes dont les graines sont relativement grosses et riches en nutriments (Ishida et al., 2005). La production de fruits pendant une année de masting peut représenter une part conséquente de la biomasse totale produite par l’arbre (Janzen, 1971; Kelly, 1994; Kelly & Sork, 2002). Par exemple, la biomasse de fruits peut correspondre à jusqu’à 79 % et 52 % de la biomasse de bois produite une année chez le hêtre et le chêne sessile respectivement (Mund et al., 2010; Delpierre et al., 2016). La reproduction risque par conséquent d’être en compétition avec les autres fonctions essentielles telles que la croissance, la survie ou la résistance à des stress biotiques ou abiotiques (Jösson & Tuomi, 1994; Obeso, 2002; Barringer et al., 2013; Redmond et al., 2019), voire le stockage actif de réserves (Wiley & Helliker, 2012). Par ailleurs, une année de masting n’est pratiquement jamais suivie d’une autre année de masting, mais est au contraire souvent suivie d’une année de faible fructification chez de nombreuses espèces (autocorrélation négative, (Koenig & Knops, 2000; Koenig et al., 2016)). Cette caractéristique du masting a amené plusieurs auteurs à supposer qu’une fructification exceptionnelle ne peut avoir lieu que lorsque la plante a atteint un certain seuil de ressources après plusieurs années d’accumulation. Ces ressources, qui s’épuisent suite au masting, seraient ensuite insuffisantes pour produire une grande quantité de fleurs à nouveau l’année suivante. Cette hypothèse constitue la base des « resource budget models » (RBM) qui modélisent les patrons de fructification à l’échelle individuelle et populationnelles (Sork et al., 1993; Isagi et al., 1997; Crone & Rapp, 2014; Venner et al., 2016) et qui sont développés plus bas dans cette introduction. Enfin, certains auteurs ayant fait le constat que les conditions météorologiques étaient en général bien moins variables entre années que l’intensité de fructification des espèces se Introduction générale 16 reproduisant par masting en ont déduit que les conditions météorologiques ne pouvaient être le seul déterminant du masting, et que d’autres déterminants devaient être impliqués (Koenig & Knops, 2000, 2005; Kelly & Sork, 2002; Monks & Kelly, 2006). Cet argument est en revanche plus discutable, car rien ne garantit que la production de fruits et les variables météorologiques limitantes soient liées de façon linéaire ou logarithmique, comme l’ont montré d’autres auteurs récemment (Fernández-Martínez et al., 2017a). Tout comme il semble y avoir une compétition entre la reproduction d’une année donnée et celle de l’année suivante, la compétition pour l’allocation des ressources entre la reproduction et les autres fonctions, en particulier entre la reproduction et la croissance, ont fait l’objet de nombreuses études corrélatives. Certaines de ces études montrent une relation négative entre fonctions ou biomasses d’organes produites qui est interprétée comme une compétition (trade-off en anglais) (Sánchez-Humanes et al., 2011; Han et al., 2011; Martín et al., 2015; Vergotti et al., 2019). Toutefois, ces corrélations négatives ne sont pas universelles (Dick et al., 1990; Yasumura et al., 2006; Knops et al., 2007; Alla et al., 2012; Redmond et al., 2019; Vergotti et al., 2019). Si compétition entre fonctions il y a, les différentes fonctions de la plante sont certainement soumises à des règles de priorité d’allocation (Suzuki, 2001; Obeso, 2004; Wiley & Helliker, 2012), qui peuvent varier au cours des saisons. Ces règles d’allocation sont souvent étudiées à l’échelle de l’arbre ou de la parcelle, mais devraient être étudiées en considérant les arbres comme des organismes modulaires. En effet, les « modules » qui composent la couronne d’un arbre peuvent être plus ou moins indépendants, notamment en termes de carbone (Watson & Casper, 1984; Sprugel et al., 1991), et l’échelle de l’arbre à laquelle sont étudiées les règles d’allocation peut considérablement affecter les résultats (Sánchez-Humanes et al., 2011; Sala et al., 2012; Santos-del-Blanco & Climent, 2014; Funk, 2017). Ce sera l’objet d’un des chapitres de ce travail d’étudier les règles d’allocation de ressources à différentes fonctions au sein du chêne vert à différentes échelles, ainsi que de tester l’autonomie en carbone des branches. Bien que les RBM aient été proposés il y a plus de vingt ans et aient acquis une certaine finesse dans leur capacité à reproduire les patrons du masting, encore peu d’études ont permis de valider de façon expérimentale les bases physiologiques des hypothèses qui les sous-tendent, à savoir notamment l’hypothèse d’une accumulation jusqu’à un certain seuil de ressources en prévision d’un évènement de fructification important, la consommation des ressources limitantes lors d’un épisode de masting et la réduction de la floraison l’année suivante. En particulier, l’identité des éléments dont l’accumulation serait nécessaire est encore mal connue, et varie certainement entre espèces (Han & Kabeya, 2017). L’azote (N), le phosphore (P) et les glucides non structuraux ont déjà été identifiés comme potentiellement impliqués dans les dynamiques de fructification. Ces Introduction générale 17 constats ont pu être menés par l’observation d’une diminution des réserves post-masting (Sala et al., 2012; Pearse et al., 2016; Han & Kabeya, 2017) et par des approches expérimentales révélant le lien entre l’abondance d’un nutriment et l’intensité de l’induction florale (Miyazaki et al., 2014; Satake et al., 2019). L’objet d’un de ces chapitres de cette thèse sera donc d’étudier de façon expérimentale l’effet du développement et de la maturation des fruits sur les réserves de l’arbre et sur la floraison femelle de l’année suivante. Par ailleurs, les RBM sont des modèles individus-centrés. Il se peut cependant que la régulation de la reproduction par ce cycle d’accumulation et de consommation de réserves ait lieu à une échelle plus locale, à l’échelle de la branche voire du rameau, ce que très peu d’études explorent (Sala et al., 2012). Nous veillerons donc dans le cadre de notre travail à tester à quelle échelle les potentielles consommations des réserves et inhibitions de l’induction florale pourraient avoir lieu. 

 Quels effets des changements climatiques sur les déterminants de la reproduction ? 

Les changements globaux peuvent être de nature multiple : modification des températures et des régimes de précipitations, la hausse des concentrations en CO2 atmosphérique, changement de fréquence des évènements extrêmes de sécheresse ou de chaleur, etc. Tous ces facteurs sont susceptibles d’affecter différents processus pouvant impacter la reproduction tels que la phénologie (Ogaya & Peñuelas, 2004; Menzel et al., 2006; Fu et al., 2014), l’acquisition des ressources par les individus (Kreuzwieser & Gessler, 2010; Lukac et al., 2010), l’allocation de ressources à la reproduction (Gavinet et al., 2019; Bogdziewicz et al., 2020b), la pollinisation (Schermer et al., 2019) et la survie des fruits (Hedhly et al., 2009; Misson et al., 2011; Nussbaumer et al., 2020). Pour mieux prévoir les effets potentiels des changements climatiques sur la reproduction, les scientifiques disposent notamment de quatre approches. La première est celle des suivis à long terme de la fécondité pour tester si les changements climatiques présents ont déjà un impact sur les dynamiques de fécondité (Pearse et al., 2017; Shibata et al., 2020; Bogdziewicz et al., 2020c). La deuxième est celle de l’expérimentation manipulant l’arbre pour comprendre les déterminants physiologiques de la reproduction (Bogdziewicz et al., 2020c). La troisième est celle d’expérimentations de type manipulations d’écosystèmes ou de climat simulant les évolutions du climat prévues à long terme par des réchauffements, des enrichissements en CO2 ou des réductions de précipitations (LaDeau & Clark, 2001; Pérez-Ramos et al., 2013; Chung et al., 2013; Bykova et al., 2018; Bogdziewicz et al., 2020a). La dernière approche possible est celle de la modélisation, qui implique d’avoir une compréhension fine des mécanismes de la reproduction pour pouvoir les simuler correctement (Monks et al., 2016; Vacchiano et al., 2018). Actuellement, aucun modèle ne Introduction générale 18 permet de faire des prédictions fiables de la fréquence et de l’intensité des fructifications des arbres dans les conditions climatiques futures (Schermer, 2019).

 Objectifs de la thèse

 L’objectif général de cette thèse est d’approfondir notre connaissance des déterminants de la fécondité des arbres forestiers, et de leurs interactions, afin de mieux comprendre comment la fécondité pourrait être impactée par le changement climatique. Figure 2 : Résumé schématique des grandes questions abordées dans le cadre de cette thèse et des chapitres qui les traitent. Ce travail a été décliné en quatre parties : Dans les trois premières parties, nous avons utilisé trois approches expérimentales, et dans la quatrième partie nous avons commencé à intégrer les résultats issus de ces expérimentations dans un modèle basé sur les processus, le modèle PHENOFIT (Chuine & Beaubien, 2001). Nous nous sommes particulièrement concentrés sur les déterminants liés aux conditions météorologiques et à la gestion des ressources par les individus au travers des quatre chapitres présentés ci-dessous et résumés dans la Fig. 2 Dans le cadre de ce travail, j’ai donc abordé les quatre questions suivantes : Question 1 : La limitation des ressources des branches suite à une défoliation entraîne-telle des changements d’allocations entre différentes fonctions (reproduction actuelle, croissance, production de feuilles et reproduction futures) ? Dans le Chapitre 1, nous avons manipulé la relation source-puit en imposant différentes intensités de défoliation à des branches de chêne vert portant des fruits noués. Nous avons ensuite observé l’effet de cette défoliation sur la survie, la croissance et la germination des fruits, ainsi que sur la production d’organes (fleurs, feuilles, rameaux) l’année suivante. L’objectif était de tester si les relations d’allocations entre différentes fonctions étaient impactées par la limitation en ressources à l’échelle du rameau et de la branche, et de tester le niveau d’autonomie en carbone des branches. Ce chapitre fait l’objet d’un article publié dans le journal Annals of Botany. Question 2 : Le développement et la maturation des fruits impactent-ils les réserves de l’arbre et limitent-ils la floraison femelle de l’année suivante ? L’objectif du Chapitre 2 était de tester les mécanismes qui sous-tendent l’autocorrélation négative dans la fécondité des arbres, et qui sont dans une certaine mesure une des hypothèses fondamentales des RBM en étudiant l’impact de la reproduction sur les réserves en différents éléments et sur la floraison future. Dans ce chapitre, nous avons retiré tous les fruits noués de neuf chênes verts et observé si ce traitement augmentait les réserves des arbres après la maturité des fruits par rapport à un groupe témoin. Nous avons également regardé l’effet du retrait de fruits sur la floraison de l’année suivante, à l’échelle du rameau et de l’arbre. Ce chapitre fait l’objet d’un article à soumettre. Question 3 : La diminution des précipitations modifie-t-elle la fécondité du chêne vert et ses déterminants physiologiques et climatiques ? L’impact des changements climatiques sur la fécondité des arbres reste encore mal connu. L’objectif de ce Chapitre était de déterminer comment une augmentation de l’aridité simulée par une diminution des précipitations, une des facettes potentielles du changement climatique en milieu Méditerranéen, pouvait affecter la fécondité des arbres. Pour cela, nous avons analysé les données de suivi à long terme du site expérimental de Puéchabon qui comprend un dispositif d’exclusion des précipitations depuis 2003 afin de déterminer si la réduction des précipitations affectait la reproduction des arbres et si elle modifiait l’effet des déterminants de la fécondité sur la variabilité interannuelle de fécondité. Enfin, cette étude nous a permis de tester si les arbres soumis à une réduction des précipitations sur le long terme étaient plus résistants aux épisodes de sécheresse en Introduction générale 20 contexte Méditerranéen. Ce chapitre fait l’objet d’un article en révision dans le journal New phytologist. Question 4 : Les déterminants de la reproduction du chêne vert identifiés dans les précédentes parties permettent-ils de simuler les patrons de fructification en réponse au climat ? Peu de modèles sont actuellement capables de prédire à la fois les dynamiques de production de graines des arbres forestiers et l’impact qu’auraient les changements climatiques sur ces dynamiques (Schermer, 2019; Journé, 2020). L’objectif du Chapitre 4 est donc de développer un modèle mécaniste de fécondité permettant d’intégrer l’impact des conditions météorologiques sur les processus impliqués dans la variabilité interannuelle de la reproduction des arbres. Pour cela, nous avons intégré dans le modèle PHENOFIT (Chuine & Beaubien, 2001) les résultats des trois chapitres précédents, en particulier ceux du Chapitre 3, avant de modéliser de façon quantitative la production de fleurs et de fruits, notamment chez le chêne vert. Le modèle PHENOFIT est un modèle basé sur les processus qui modélise la réponse quotidienne des processus physiologiques des arbres aux facteurs environnementaux tels que les conditions météorologiques et les conditions de sol. Ce chapitre est rédigé en français dans un format libre.

Table des matières

Avant-propos
Remerciements
Introduction générale
1. Fécondité et changements climatiques
2. Déterminisme de la dynamique de reproduction des arbres forestiers
3. Objectifs de la thèse
Matériel et méthodes général
1. Le chêne vert
2. Terrain d’expérience du CEFE
3. Le site expérimental de Puéchabon
Chapitre 1 : Impact de la limitation en ressources induite par une défoliation expérimentale sur l’allocation à la reproduction Chapeau
Le Roncé et al. 2020
Chapitre 2 : Le développement des fruits du chêne vert inhibe la production de fleurs femelles, modifie l’architecture des rameaux et impacte les dynamiques des réserves en azote et en zinc
Introduction
Materials and methods
Results
Discussion
References
Chapitre 3 : La réduction des précipitations à long terme induit une diminution du nombre de fruits
qui s’ajoute à l’effet des autres déterminants de la fécondité du chêne vert
Introduction
Materials and methods
Results
Discussion
References
Chapitre 4 : Modélisation de la production de fleurs et de fruits grâce au modèle PHENOFIT, un modèle basé sur les processus
1. Introduction
2. Modèle PHENOFIT et concepts généraux
3. Variables liées à la fonction mâle
4. Variables liées à la fonction femelle
5. Paramétrage du modèle pour le chêne vert
6. Résultats
7. Discussion et perspectives
Discussion générale
1. De la nécessité de clarifier la notion de déterminant
2. Une fécondité dessinée par les vétos
3. De l’importance d’étudier l’allocation entre puits avec une chronologie fine et à différentes échelles
4. Des déterminants dont la connaissance reste à affiner
5. Impact des changements globaux sur la fécondité des arbres forestiers
6. Enseignements de cette thèse
Références bibliographiques
Annexes
Annexe 1 : Schermer et al. 2020
Annexe 2 : Matériels supplémentaires du Chapitre 1
Annexe 3 : Matériels supplémentaires du Chapitre 2
Annexe 4 : Matériels supplémentaires du Chapitre 3
Résumé
Abstract

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