Potentiel de l’utilisation du lidar vent scannant

Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)

Qu’est-ce qu’un épisode de pollution ?

Au sens littéral, la pollution représente la dégradation d’un écosystème par l’introduction de substances pouvant altérer son bon fonctionnement. On répertorie ainsi les polluants atmo-sphériques comme des substances en suspension dans l’air pouvant se trouver sous forme solide, liquide ou gazeuse. Les polluants les plus couramment rencontrés dans l’atmosphère sont :
• les composés gazeux qui regroupent de nombreuses familles : les oxydes d’azote (NOx), les composés organiques volatiles (COV) ou encore l’ozone (O3) ;
• les particules fines en suspension, référées par la suite comme particulate matter (PM). Ces particules se subdivisent en deux classes ; les particules primaires émises de manière directe et les particules secondaires formées suite à des réactions photochimiques.
La pollution de l’air est un enjeu sociétal d’actualité puisqu’elle affecte directement la santé humaine et animale, la biosphère et le climat. Afin de limiter ces effets, des régulations sont définies sous forme de normes et de seuils limites. Les épisodes de pollution correspondent aux périodes durant lesquelles les seuils réglementaires sont dépassés. Dans la suite de ce travail, ce sont les épisodes de pollution aux PM qui vont nous intéresser. Le temps de vie important de ces particules leur permet de s’accumuler dans l’atmosphère lorsque les conditions météorologiques sont favorables (Schnitzhofer et al. [2008]). Les PM sont classés en fonction de leur diamètre. On distingue les particules grossières dont le diamètre est inférieur à 10µm (PM10), les particules fines avec un diamètre inférieur à 2.5µm (PM25) et les particules ultra fines avec un diamètre inférieur à 1µm (PM1). Ces particules sont émises par diverses sources anthropiques à savoir les secteurs domestique (combustion de la biomasse pour le chauffage notamment), agricole (épandage d’engrais) et du transport et de l’industrie (combustion d’énergie fossile, résidu de production). En hiver, le secteur agricole représente sans doute une source mineure tandis que la contribution du secteur domestique augmente dans les vallées alpines avec le chauffage au bois (Aymoz et al. [2007]; Szidat et al. [2007]). A ces sources viennent s’ajouter les émissions natu-relles dont les aérosols organiques secondaires formés `a partir des émissions gazeuses (Seinfeld and Pandis [2012]). L’ensemble de ces composés en suspension dans l’air affecte directement la santé. Les PM, et plus généralement la pollution de l’air extérieur, ont et´ classés cancérogènes avérés pour l’Homme par l’Organisme Mondiale de la Santé (OMS) et l’Agence Internationale de Recherche contre le Cancer (IARC [2011]).
De nombreuses études ont mis en avant des corrélations entre la pollution de l’air et une détérioration de la santé humaine (Pope III and Dockery [2006]). En raison de leurs petites tailles, les PM sont capables de pénétrer en profondeur dans le système respiratoire (Miller et al. [1979]; Pope III and Dockery [2006]). Beard et al. [2012] montrent une augmentation de 42% des consultations médicales en raison de problème respiratoire durant les épisodes de pollution, par rapport aux périodes d’air pur. Des corrélations entre les niveaux de PM10 et les décès dus à des cancers du poumon ou des maladies cardiovasculaires ont également et´ démontrées (Dockery et al. [1993]).
Outre leur concentration dans l’air, la composition de ces particules est un facteur important à prendre en compte. En Argentine, L´opez et al. [2011] ont etudi´ la composition des PM et montrent que la fraction la plus fine des particules peut contenir une part importante de métaux toxiques. En particulier, les émissions issues de l’industrie peuvent contenir des traces de HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques) dont le benzo[a]pyrène, qui fait partie des substances cancérogènes avérées. Afin de prévenir et limiter ces effets néfastes, il est nécessaire d’identifier les situations propices à l’accumulation des polluants.

Origine des épisodes de pollution

La compréhension de l’origine des épisodes de pollution n’est pas triviale car plusieurs fac-teurs interviennent (Schafer¨ et al. [2008]; Steyn et al. [2013]). Au premier ordre, la pollution atmosphérique requiert la présence de particules en suspension dans l’air. Ces particules peuvent ˆetre émises localement (épisode d’origine locale) ou bien advectées par le vent sur de longues distances (épisode d’origine non locale) (Kukkonen et al. [2005]; Vardoulakis and Kassomenos [2008]).
Le type de pollution évolue au gré des saisons en réponse à l’évolution de l’ensoleillement et des taux d’émissions. En eté, l’ensoleillement favorise la photolyse et donc la formation de particules secondaires issues de composés gazeux (Seinfeld and Pandis [2012]). Ces processus donnent lieu à des épisodes de pollution estivaux pouvant ˆetre particulièrement intenses dans les villes du Sud de l’Europe (Kukkonen et al. [2005] ; Asimakopoulos et al. [2012]; Kassomenos et al. [2014]). L’hiver, les émissions locales associées aux secteurs domestique et du transport augmentent. Cette augmentation couplée au piégage par les inversions thermiques, favorise l’accumulation de particules dans les basses couches de la CLA (Malek et al. [2006] ; Harnisch et al. [2009] ; Silcox et al. [2012] ; Largeron and Staquet [2016], VanReken et al. [2017]). En zone de montagne, la barrière naturelle formée par le relief limite le transport horizontal favorisant encore davan-tage les concentrations elevées de polluant dans ces situations. Un pic journalier de PM2.5 à 132.5µg.m−3 a par exemple et´ enregistr´ en janvier 2014 dans le bassin urbanisé de Salt Lake City, le seuil d’alerte étant fixé à 65µg.m−3 (Malek et al. [2006]).
La pollution et la météorologie sont étroitement liées puisque cette dernière conditionne le temps de vie en suspension des particules présentes dans l’atmosphère. De nombreuses études se sont intéressées `a la caractérisation de ce lien. A grande échelle, la formation des épisodes de pollution s’effectue préférentiellement sous des conditions de haute pression (Finardi et al. [2002]; Kukkonen et al. [2005] ; Schnitzhofer et al. [2009] ; Largeron and Staquet [2016]) qui représentent un environnement favorable `a la formation d’inversion thermique (Reeves and Stensrud [2009]). La situation synoptique agit donc comme un précurseur `a la mise en place des épisodes de pollution locaux, mais aussi `a leur dissipation. En effet, les chutes de concentration en PM co¨ıncident souvent avec l’arrivée d’un système dépressionnaire synonyme de précipitations et de vent intense (Schafer¨ et al. [2008]). Plus localement, l’environnement géographique module le for¸cage synoptique, générant des écoulements locaux, intrinsèques `a la zone, qui conditionnent la ventilation des masses d’air polluées. Les fortes concentrations en polluant sont généralement observées sous des conditions de vent peu intense (Grivas et al. [2004]; Pernigotti et al. [2007] ; Harnisch et al. [2009]). Cependant, la réciproque n’est pas vraie puisque les rafales de vent peuvent générer une remise en suspension des particules et donc des augmentations locales de polluants (Triantafyllou [2001]). Ce lien étroit et complexe entre pollution et météorologie doit donc ˆetre pris en considération pour une prévision correcte de la qualité de l’air.

Prévision de la qualité de l’air

La prévision de la qualité de l’air peut s’effectuer via différentes approches impliquant le couplage entre plusieurs modèles numériques. Pour les prévisions à l’échelle locale, les modèles de Prévision Numérique du Temps (PNT) sont utilisés conjointement avec les modèles de Chi-mie, en prenant en compte la topographie, l’occupation des sols et les cadastres d’émissions. Ces modèles donnent accès à des cartes à résolution kilométrique qui peuvent ˆetre corrigées à l’aide des stations de mesures ponctuelles. A fine échelle, des modèles de dispersion plus sophis-tiqués prenant en considération la description des rues et des bˆatis, peuvent ˆetre utilisés. Cette étape représente toutefois un coˆut de calcul elevé et ne peut ˆetre utilisée de manière opération-nelle actuellement. Quelle que soit l’approche choisie, la prévision de la qualité de l’air requiert des données météorologiques fournies par les modèles de PNT et est donc dépendante de la performance de ces modèles (Seaman [2000]).

Sensibilité des zones de montagne

Les zones de montagne sont considérées comme des zones « à enjeux » en raison de leur vulnérabilit´ aux épisodes de pollution mais également aux températures minimales extrˆemes (Clements et al. [2003]; Steinacker et al. [2007]), aux épisodes de brouillard (Hang et al. [2016] ; Price et al. [2018]), aux précipitations orographiques (Colle et al. [2013]) et au changement climatique (Barnett et al. [2005]; L´opez-Moreno et al. [2017]).
Figure 1.4 – Décomposition schématique des compartiments atmosphériques en zone de relief. Source :
Arduini [2017], adapté de Ekhart [1948].
La sensibilit´ des zones de montagne à la pollution s’explique par la combinaison de deux facteurs : (i) une forte restriction des zones aménageables et donc une concentration des axes routiers et des zones urbanisées dans des couloirs fermés que forment les vallées et (ii) une dynamique locale spécifique `a l’environnement montagneux. A cause de la topographie qui la borde, l’atmosphère montagneuse devient un environnement en partie isolé de la dynamique de grande échelle. La Figure 1.4 représente une vue schématique des différents « compartiments atmosphériques » proposés par Ekhart [1948] avec une distinction entre les atmosphères de pente, de vallée, de montagne et l’atmosphère libre. Lorsque les conditions sont favorables, l’atmosphère de vallée est découplée des conditions de grande échelle laissant alors les processus locaux piloter la dynamique. En hiver, ces conditions sont propices `a la mise en place et `a la persistance de fortes inversions thermiques qui favorisent le piégeage des polluants dans les basses couches de l’atmosphère (Gohm et al. [2009]; Pernigotti et al. [2007]; Perrino et al. [2014]; VanReken et al. [2017]).
La prévision des situations stables représente un challenge actuel en raison de la difficulté des modèles de PNT à reproduire les inversions thermiques en basses couches (Sandu et al. [2013]). De par leur vocation opérationnelle, ces modèles doivent avoir des temps de calcul inférieurs à la durée de l’évolution réelle qu’ils cherchent à simuler. Malgré l’augmentation des capacités de calcul, des restrictions existent encore et les modèles de PNT utilisent des résolutions horizontales de l’ordre du kilomètre. A ces résolutions, les processus importants en situations stables ont des échelles caractéristiques inférieures `a la taille de la maille et doivent ˆetre paramétrés. Le développement de paramétrisations robustes s’avère ˆetre un défi `a cause de la multiplicité de processus et de leurs interactions (Steeneveld [2014]). Il est aujourdui reconnu que les modèles de PNT ont tendance `a surestimer les températures `a 2m et donc `a sous-estimer l’intensit´ des inversions thermiques (Sandu et al. [2013]; Zhong and Chow [2013]). Atlaskin and Vihma [2012] montrent que ce biais chaud augmente rapidement avec la stabilité.
Les zones de relief représentent une difficulté supplémentaire pour les modèles de PNT pour plusieurs raisons. Premièrement, la dynamique en zone de montagne est pilotée par divers proces-sus associés à une large gamme d’échelles (Whiteman [2000]). De nombreux tests de sensibilit´ à la résolution ont montré que les résolutions kilométriques actuellement utilisées dans les modèles de PNT étaient insuffisantes pour rendre compte des processus locaux (Whiteman et al. [2001] ; Billings et al. [2006]; Wagner et al. [2014]). Les modèles de PNT reposent donc sur des paramé-trisations physiques pour la représentation des processus sous maille. Or, ces paramétrisations sont basées sur des approximations et des concepts théoriques valables en terrain plat homogène mais pas nécessairement en terrain à l’orographie complexe (Rotach and Zardi [2007]; Zhong and Chow [2013]). Par ailleurs, les champs topographiques sont généralement lissés par rapport à l’orographie réelle. Ce lissage tend à aplatir les reliefs et à sous-estimer les inversions thermiques (Arnold et al. [2012]; Leukauf et al. [2015]; Schmidli et al. [2018]) mais également à gommer les détails orographiques qui laissent pourtant une empreinte importante sur la dynamique locale. Les circulations complexes observées dans les vallées ne peuvent alors ˆetre correctement repro-duites. Enfin, les bases de données utilisées pour l’initialisation des champs de surface ne sont pas toujours disponibles à des résolutions suffisamment fines pour reproduire les fortes variations des couverts de sol observées en zone de relief (Zhong and Chow [2013]).
La prévision météorologique en zone de montagne est donc associée à de nombreuses erreurs qui se répercutent dans la prévision de la qualité de l’air. L’amélioration de l’ensemble de la chaˆıne de prévision passe par une adaptation des paramétrisations des processus sous maille qui requiert une meilleure compréhension de la dynamique locale. Pour répondre à ce besoin, de nombreuses campagnes de mesures se sont déroulées lors des dernières décennies. Le Tableau 1.1 regroupe un échantillon de ces campagnes, en particulier celles visant à améliorer la compréhen-sion de la dynamique en terrain montagneux et/ou la dynamique en conditions stables. Cette compréhension nouvelle a permis d’étayer les premiers concepts théoriques apparus au milieu du siècle dernier.

Principes généraux de la dynamique atmosphérique en zone de relief

Dans un cadre totalement idéalisé, la dynamique atmosphérique en terrain de montagne paraˆıt assez intuitive. En conditions de ciel clair, elle se caractérise par la mise en place d’écou-lements en réponse à des gradients de densit´ locaux. Ces écoulements remontent le long des pentes en journée ce qui génère du transport vertical et un brassage de l’atmosphère. La nuit, l’air froid s’écoule le long des pentes et s’accumule en fond de vallée pour former un bassin d’air froid, qui sera nommé Cold Air Pool (CAP) par la suite. Ces CAP sont associées à de fortes inversions thermiques et à des vents de faible intensit´ (Reeves and Stensrud [2009]; Whiteman et al. [2001]). La complexit´ de la dynamique atmosphérique en zone de montagne réside dans la multitude d’interactions ayant lieu sur une large gamme d’échelles spatiales et temporelles (Fernando [2010]; Schmidli et al. [2018]; Serafin et al. [2018]). L’objectif de cette partie est de présenter les phénomènes principaux pris individuellement avant de pouvoir discuter de la dynamique dans son ensemble.

Dynamique des écoulements

Les écoulements en zone de relief résultent d’interactions entre des processus mécaniques (forcés par l’orographie) et thermiques (variations de densité) qui sont en plus modulés par le flux de grande échelle (Whiteman [2000]). Cette partie propose une description des processus à l’œuvre à l’échelle d’une pente puis d’une vallée. L’influence de l’écoulement de grande échelle est ensuite discutée.
A l’échelle d’une pente
La circulation de pente résulte du chauffage ou du refroidissement différentiel entre l’air à proximité des pentes et l’air ambiant à la mˆeme altitude se trouvant au centre de la vallée. Ceci entraˆıne des variations de densit´ qui se traduisent par des vents remontant la pente en journée (les anabatiques) et des vents descendant la pente la nuit (les catabatiques) (Zardi and Whiteman [2013]).
En journée et en conditions de ciel clair, le chauffage radiatif de la surface permet le ré-chauffement de l’atmosphère proche via le flux de chaleur sensible. L’air au contact de la surface devient rapidement plus chaud et moins dense que l’air ambiant, les écoulements anabatiques se forment. Ces écoulements peuvent atteindre quelques centaines de mètres d’épaisseur mais res-tent plaqués contre les pentes en raison de la pression appliquée par les masses d’air sus-jacentes plus froides (Sturman [1987]). Le maximum d’intensit´ de l’ordre de 5m.s−1 se situe générale-ment une dizaine de mètres au-dessus du sol (Figure 1.5-b). Les vents anabatiques représentent un moyen de transport efficace puisqu’ils peuvent brasser entre 3 et 5 fois le volume d’air d’une vallée sous des conditions estivales (Henne et al. [2004]; Leukauf et al. [2015]).
La nuit, la circulation le long des pentes s’inverse suite au refroidissement radiatif de la surface. L’air au contact de la surface devient plus dense et s’écoule le long de la pente sous les effets de la gravité, formant les vents catabatiques. Ces écoulements perdurent tant que la flottabilité de leur masse d’air est supérieure à celle de l’air ambiant. Ils sont caractérisés par une structure en jet avec un maximum d’intensit´ de l’ordre de 1-4m.s−1 situé quelques mètres au-dessus du sol (Figure 1.5-a). Les écoulements catabatiques les plus intenses sont généralement observés sur des pentes d’inclinaison intermédiaire (Zardi and Whiteman [2013]), bien qu’ils se développent également sur des pentes de faible inclinaison (1° pour Whiteman and Zhong [2008]) ou de fortes inclinaisons (30° pour Nadeau et al. [2013]). Ces écoulements possèdent souvent un caractère intermittent (Monti et al. [2002]; Whiteman and Zhong [2008]) et sont associés à des oscillations de vitesse et de température avec des périodes variant entre 5 et 90 minutes (Zardi and Whiteman [2013]). McNider [1982] suggère que ces oscillations résultent de l’équilibre fragile entre le refroidissement radiatif imposé par la surface et le réchauffement de la masse d’air dicté par le gradient thermique adiabatique. De par leur proximité directe avec la surface, les écoulements catabatiques sont sensibles aux aspérités de fine échelle qui la composent. Une augmentation locale de la rugosité peut par exemple augmenter l’altitude du jet (Zhong and Whiteman [2008]). Les caractéristiques de ces écoulements résultent donc d’une combinaison complexe entre l’inclinaison de la pente, la stabilité thermique et la friction.
A l’échelle d’une vallée
Les premiers modèles conceptuels proposés par Defant [1949] s’appliquent aux écoulements mis en place entre une vallée et sa plaine adjacente. Ces concepts peuvent ˆetre étendus aux écou-lements développés au sein mˆeme d’une vallée, dès lors que les caractéristiques morphologiques de cette vallée varient selon son axe (Rampanelli et al. [2004]). Les mécanismes à l’origine des vents de vallée diffèrent de ceux à l’origine des vents de pente en termes d’échelles spatiale et temporelle. Les vents de vallée se forment en réponse à des gradients de pression horizontaux (Figure 1.6) et peuvent donc apparaˆıtre mˆeme si le fond de vallée est plat (Whiteman [2000] ; Rampanelli et al. [2004]). Ces gradients naissent des variations de température entre la vallée et la plaine (ou au sein mˆeme de la vallée). En journée, l’atmosphère de vallée est plus chaude que celle de la plaine ce qui crée un gradient de pression négatif et un vent orient´ de la plaine vers la vallée (Figure 1.6-a). La nuit, l’ensemble du processus s’inverse, le vent s’écoule de la vallée vers la plaine (Figure 1.6-b). Par la suite, les acronymes up-valley wind (UVW) et down-valley wind (DVW) seront utilisés pour caractériser ces écoulements thermiques développés à l’échelle de la vallée.
Figure 1.6 – Représentation schématique des différences de température (entre une vallée et sa plaine adjacente) qui pilotent les écoulements de vallée développés (a) en journée et (b) la nuit. Source : Serafin et al. [2018].
Les mécanismes `a l’origine des différences de température ont et´ largement etudiés par la communauté scientifique mais leurs importances relatives restent incertaines. En journée, les mé-canismes principaux permettant d’expliquer l’augmentation de la température de l’atmosphère de vallée sont :
• la théorie du volume (Topographic Amplificator Factor (TAF)), initialement proposée par Wenger [1923] ; Steinacker [1984] puis Whiteman [1990]. Celle-ci suggère que pour un apport d’énergie donné, les effets de réchauffement ou de refroidissement sont amplifiés à mesure que le volume d’air est réduit. A volume d’air équivalent, la surface d’une vallée est supérieure `a la surface d’une plaine, générant une augmentation du cycle diurne de température dans la vallée ;
• la subsidence d’air au centre de la vallée en situation d’inversion persistante. Celle-ci ap-paraˆıt en réponse à la divergence des flux engendrée par les écoulements anabatiques qui s’échappent par les deux versants. Lorsque l’atmosphère est stratifiée, cette subsidence représente une advection d’air plus chaud qui permet le réchauffement de l’air par des processus adiabatiques (Serafin and Zardi [2010].)
L’argument du TAF basé sur des considérations purement géométriques permet d’expliquer pourquoi l’atmosphère de vallée dans son ensemble est généralement plus chaude que l’atmo-sphère de plaine (Arduini et al. [2017]). Cependant, cet argument suppose que l’atmosphère de vallée est totalement isolée de l’atmosphère libre, négligeant ainsi l’ensemble des échanges ayant lieu par le biais des vents de pente (Schmidli and Rotunno [2010] ; Arduini et al. [2017]). Cette hypothèse représente une limitation importante, c’est pourquoi les études récentes privilégient le mécanisme de subsidence pour expliquer le réchauffement de l’atmosphère de vallée (Rampanelli et al. [2004]; Serafin and Zardi [2010]).
La nuit, le refroidissement de la vallée est particulièrement intense dans les premières cen-taines de mètres au-dessus du sol. Ce refroidissement résulte de la combinaison des effets de volume, des effets radiatifs et de l’advection d’air froid par les vents catabatiques. La conver-gence d’air froid en fond de bassin permet le renforcement de la CAP et/ou la formation du DVW qui évacue cet apport de masse vers la plaine. L’équilibre entre ces deux processus dépend des caratéristiques morphologiques de la vallée (Arduini et al. [2017]). La couche de DVW est généralement moins épaisse que son analogue journalière (Schmidli and Rotunno [2010]) et sou-vent caractérisée par une structure en forme de jet avec un maximum d’intensit´ situé quelques dizaines de mètres au-dessus du sol (Gudiksen and Shearer [1989]; Pinto et al. [2006]). Sturman [1987] explique cette structure en jet par le découplage entre la couche d’inversion de surface fortement stratifiée et l’atmosphère sus-jacent. Ce découplage permet d’isoler le jet des aspérités de la surface et donc de réduire la friction.
Les transitions entre les régimes de UVW et DVW sont décalées par rapport aux transitions des écoulements de pente (Stewart et al. [2002]). Ces derniers réagissent très rapidement (de l’ordre de la dizaine de minutes) aux variations dans le bilan d’énergie puisque les volumes mis en jeu sont limités (Serafin et al. [2018]). A l’inverse, les vents de vallée ont une inertie plus im-portante car les transitions nécessitent la modification (chauffage/refroidissement) de l’ensemble de l’atmosphère de vallée (Schmidli and Rotunno [2010]). Une fois établis, les vents de vallée ont tendance `a surpasser les écoulements de pente, comme l’ont montré de nombreuses campagnes de mesures (Weigel and Rotach [2004] ; De Wekker and Kossmann [2015]).
En plus des écoulements se développant dans l’axe de la vallée, un second type de circula-tion peut se mettre en place perpendiculairement à l’axe de la vallée, en réponse au chauffage différentiel entre les versants (Bader and Whiteman [1989]). Ces écoulements sont généralement observés lors des phases de transition, durant lesquelles les différences de température inter-versants sont les plus marquées (Sturman [1987]).
Ainsi, les écoulements thermiques se développent à plusieurs échelles avec les vent anaba-tiques et catabatiques le long des pentes, les vents de vallée qui s’écoulent dans l’axe de celle-ci et les circulations perpendiculaires à l’axe de la vallée. L’ensemble de ces systèmes peuvent ˆetre associés à une branche de circulation retour, observée en altitude (Whiteman [2000]). La com-plexit´ dans l’analyse de ces systèmes réside dans leur capacité à interagir les uns avec les autres (Porch et al. [1989]). En outre, l’ensemble des écoulements thermiques développ´ au sein d’une vallée peut ˆetre modulé par l’écoulement de grande échelle.
Influence de l’échelle synoptique
La capacité de l’écoulement de grande échelle à pénétrer dans les vallées est fonction du degr´ de stabilité, des caractéristiques propres de l’écoulement de grande échelle telles que son intensit´ et sa direction relative par rapport à l’axe de la vallée, et enfin du degr´ de couplage entre l’atmosphère de vallée et l’atmosphère libre qui en découle.
Le degr´ de corrélation entre l’écoulement en fond de vallée et le flux de grande échelle a et´ etudi´ par Whiteman and Doran [1993]. Ces travaux ont permis d’établir quatre signatures associées à différents mécanismes, et des niveaux de corrélation divers entre les écoulements locaux et grande-échelle. Ces signatures sont représentées sur la Figure 1.7 avec sur chaque panel la direction de l’écoulement de vallée en fonction de la direction de l’écoulement de grande échelle (pour une vallée orientée NE-SO). Les mécanismes associés sont :
• les vents thermiques correspondant à un découplage total entre l’atmosphère de vallée et la troposphère libre. Le vent de vallée est piloté par les processus locaux précédemment présentés et se caractérise par deux directions associées aux régimes de vent montant et descendant. Ces régimes sont représentés par les deux segments horizontaux du panel 1.7-a. Ce premier mécanisme est favorisé dans les conditions de ciel clair avec un faible for¸cage synoptique (Kossmann and Sturman [2003]) ;
• le transfert vertical de quantité de mouvement qui implique un couplage total entre le vent de vallée et le vent de grande échelle (panel 1.7-b). Ce mécanisme génère des directions de vent totalement indépendantes des axes locaux de la vallée. De tels écoulements ont plus de chance d’ˆetre observés dans les couches de l’atmosphère proches des sommets, sous des conditions instables ou neutres (Zardi and Whiteman [2013]) ;
• les effets de canalisation forcée qui représentent une déviation de l’écoulement de grande échelle selon l’axe de la vallée (panel 1.7-c). La direction des vents locaux devient dépen-dante de la direction relative du vent de grande échelle par rapport à l’axe local de la vallée. Les vents de vallée montant sont attendus lorsque la direction de l’écoulement de grande échelle se trouve dans le cadran -90 :+90° par rapport à l’axe local de la vallée. Bien que toujours alignés sur l’axe de la vallée, ces vents se distinguent des vents thermiques par l’absence du changement de direction quotidien du vent ;
• les écoulements forcés par le gradient de pression synoptique, qui prévaut sur le gradient de pression local. L’intensit´ du vent de vallée devient proportionnelle à la valeur du gra-dient de pression synoptique. Une distribution bimodale dans la direction du vent de vallée est à nouveau observée mais ne montre pas de dépendance temporelle (panel 1.7-d). En fonction de la forme de la vallée, ce mécanisme peut générer des mouvements compensa-toires d’ascendance à la confluence des écoulements aux directions opposées (Kossmann and Sturman [2003]).
Si ces signatures sont bien définies théoriquement, en réalit´ les mécanismes peuvent se super-poser. Par exemple, l’intensit´ et l’épaisseur des écoulements d’origine thermique peuvent ˆetre modulées par la direction et l’intensit´ du vent de grande échelle (Doran [1991] ; Weigel and Ro-tach [2004]). De la mˆeme manière, le gradient de pression synoptique peut perturber les heures de transition en favorisant l’écoulement dans une direction donnée. Ces effets ont et´ observés dans le bassin de Salt Lake City o`u la transition nocturne du vent de vallée peut ˆetre décalée de plusieurs heures en fonction de l’intensit´ et du signe du gradient de pression de grande échelle (Banta et al. [2004]; Pinto et al. [2006]).
Figure 1.7 – Représentation conceptuelle des signatures associées aux mécanismes de (a) vents ther-miques ; (b) transfert vertical de quantité de mouvement ; (c) canalisation forcée de l’écoulement de grande échelle et (d) écoulement forcé par le gradient de pression synoptique. Ces signatures sont déterminées pour une vallée linéaire orientée NE-SO. Adapté de Whiteman and Doran [1993].

Cycle de vie des CAP et interaction avec les écoulements

Cette partie propose une approche plus orientée sur la thermodynamique des processus dé-veloppés au sein d’une vallée. Pour cela, les mécanismes à l’origine de la formation et de la destruction des CAP sont présentés dans un premier temps. Les interactions entre la CAP et les écoulements locaux sont discutées par la suite.
Mécanismes de formation
Les mécanismes menant `a la formation d’une CAP sont multiples et peuvent se produire simultanément. Comme en terrain plat, suite au coucher du soleil, la surface se refroidit radia-tivement entraˆınant la formation d’inversions thermiques de surface. En terrain complexe, ces inversions sont alimentées et renforcées par le drainage d’air froid des écoulements catabatiques. McNider and Pielke [1984] et Leukauf et al. [2015] suggèrent que ce mécanisme d’advection est la cause principale du refroidissement nocturne en zone de montagne. Cette affirmation est plus nuancée par Mahrt et al. [2010] et Bodine et al. [2009] ce qui laisse supposer que la contribu-tion des écoulements catabatiques au refroidissement est fonction du caractère « plus ou moins réceptacle » de la vallée.
La convergence d’air froid en fond de bassin génère un mouvement vertical ascendant qui permet `a l’inversion thermique de se construire verticalement depuis sa base (McNider and Pielke [1984] ; Arduini et al. [2016]). Un second mécanisme permet `a l’inversion de se former par son sommet grˆace `a l’advection d’une masse d’air chaud en altitude. L’inversion d’altitude isole l’atmosphère de vallée des conditions de grande échelle, ce qui représente une condition favorable `a la mise en place de la dynamique locale. La formation et le renforcement des CAP apparaissent largement dictés par les variations de température de mi-niveau, c’est-`a-dire les températures `a proximité des sommets (Reeves and Stensrud [2009]). Ces variations sont induites par les mouvements des centres de haute et de basse pression. La dynamique `a l’échelle synoptique apparaˆıt donc comme l’un des facteurs dominant sur le cycle de vie des CAP.

Table des matières

Introduction 
1 Dynamique atmosphérique en zone de relief
1.1 Quelques notions à propos de la couche limite
1.1.1 Comment décrire l’état de l’atmosphère ?
1.1.2 Echelles spatiale et temporelle
1.1.3 La Couche Limite Atmosphérique et ses trois états
1.2 La pollution en terrain montagneux
1.2.1 Qu’est-ce qu’un épisode de pollution ?
1.2.2 Sensibilité des zones de montagne
1.3 Principes généraux de la dynamique atmosphérique en zone de relief
1.3.1 Dynamique des écoulements
1.3.2 Cycle de vie des CAP et interaction avec les écoulements
1.3.3 Cas particulier de la dynamique en bassin
1.4 Dépendance des écoulements aux spécificités locales
1.4.1 Dépendance orographique
1.4.2 Effets des couverts de sol
1.4.3 Effets des perturbations météorologiques
1.5 Conclusion
2 Cas d’étude : la vallée de l’Arve 
2.1 Présentation de la zone
2.1.1 Spécificités géographiques
2.1.2 Anthropisation de la vallée
2.2 Qualité de l’air
2.2.1 Normes
2.2.2 La situation dans la vallée de l’Arve
2.3 Une volonté d’amélioration
2.4 Motivations scientifiques du projet Passy-2015
2.4.1 Bilan des travaux eectués
2.4.2 Motivations et objectifs de la thèse
3 Moyens d’observation et outils numériques 
3.1 Moyens d’observation
3.1.1 Avant-propos : qu’est-ce qu’une observation ?
3.1.2 La campagne de mesures Passy-2015
3.1.3 Réseaux opérationnels
3.1.4 Limitations de la mesure en condition stable
3.2 Outils numériques
3.2.1 Préambule : modélisation de l’atmosphère
3.2.2 Le modèle Méso-NH
3.2.3 Exemples d’utilisation en terrain complexe
3.3 Conclusion
4 Potentiel de l’utilisation du lidar vent scannant 
4.1 Le principe de mesure
4.2 Traitement et validation des données de Vlos
4.3 Traitement du CNR
4.3.1 Détermination de la fonction instrumentale
4.3.2 Limitations
4.4 Informations dérivées du CNR
4.4.1 Structure verticale
4.4.2 Evolution temporelle du CNR et concentrations en PM10
4.4.3 Variations spatiales du CNR : un traceur de la dynamique
4.5 Conclusions
5 écoulements locaux à partir des observations 
5.1 Conditions sur l’hiver 2014-2015
5.2 Influence des écoulements de grande échelle
5.3 Restitution des écoulements locaux lors d’un épisode stable persistant et pollué
5.3.1 Contexte grande-échelle
5.3.2 Circulations dans la couche intermédiaire : Article
5.3.3 Circulations dans la couche de proche-surface
5.4 Restitution des écoulements lors d’un épisode d’inversion nocturne pré-printanier 120
5.4.1 Caractéristiques des circulations par rapport à POI1
5.4.2 Conséquences sur la pollution
5.5 Conclusion
6 écoulements locaux à partir de la simulation de référence 
6.1 Configuration de la simulation de référence
6.1.1 Domaine de simulation
6.1.2 Caractéristiques numériques
6.1.3 Initialisation
6.2 Evaluation de la simulation de référence
6.3 Vers une meilleure compréhension de la dynamique
6.3.1 Dynamique des écoulements de pente
6.3.2 Dynamique des écoulements de vallée
6.3.3 Structure nocturne des écoulements
6.3.4 Oscillations nocturnes
6.3.5 Indices de stagnation et de recirculation
6.4 Conclusion
7 Analyse de phénomènes clés pour la qualité de l’air 
7.1 Description des jeux de simulations
7.2 Impacts de la dissymétrie du bilan d’énergie des versants Nord et Sud et du manteau neigeux
7.2.1 Impacts sur le transport des traceurs
7.2.2 Impacts sur la dynamique proche de la surface
7.2.3 Impacts sur la structure des écoulements dans le bassin
7.2.4 Impacts sur le transport dans les vallées tributaires en journée
7.3 Echanges entre le bassin de Passy et les vallées voisines
7.3.1 Evolution de la structure thermique
7.3.2 Impacts sur le transport des traceurs
7.3.3 Impacts sur la dynamique des écoulements de pente
7.3.4 Impacts sur la structure des écoulements dans le bassin
7.3.5 Impacts sur le transport dans les vallées tributaires en journée
7.4 Conclusions
Conclusions et Perspectives 
Annexe A Acronymes
Annexe B Instrumentation Campagne Passy-2015
Annexe C Dynamique de l’épisode pré-printanier
Annexe D Caractéristiques des champs de surface
Annexe E Analyses de sensibilité
Bibliographie 

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *