Modélisation mathématique de la spéléogenèse

Modélisation mathématique de la spéléogenèse

Les principaux déterminismes de la spéléogenèse

 L’étude de la spéléogenèse vise à caractériser et comprendre la formation des réseaux spéléologiques. Cette question a été abordée depuis la seconde moitié du vingtième siècle selon trois angles distincts [White et al. 2000] : • Selon la perspective de la morphologie des cavités : une interprétation du développement des cavités est déduite de l’observation de la morphologie des cavités elles-mêmes. • Du point de vue de l’hydrogéologie karstique. Cette fois-ci, le développement des cavités est simplement considéré comme un composant parmi d’autres de l’évolution des aquifères karstiques et des bassins de drainage des karsts. • Enn, selon la perspective de la compréhension des facteurs physiques et chimiques régissant les processus de dissolution de la roche encaissante. Ces trois perspectives doivent être considérées pour arriver à une compréhension complète des processus de formation des karsts. A l’origine, le terme  karst  désignait une région particulière du globe (à l’ouest de la Slovénie) caractérisée par une terre nue et rocailleuse et des structures géomorphologiques particulières (dolines, poljes, vallées mortes…). Ainsi, durant de longues années, le karst n’était décrit que par ses caractéristiques de surface. Or, il est apparu que ces structures typiques de dissolution résultent le plus souvent de processus s’étant déroulés sous Terre : une édition spéléologique plus générale est donc apparue, dépourvue d’association stricte avec les formes rencontrées en surface [Ford et al. 2007]. Du point de vue de l’hydrogéologie, le système aquifère karstique se caractérise par des circulations rapides d’un ide au sein d’un réseau de drains. Ces drains karstiques se développent au cours du temps, au contact du guide favorisant la dissolution des roches encaissantes et le transport des matières dissoutes [Klimchuk & Ford 2000b]. La définition ne se limite pas à une lithologie particulière, ni à un seul processus de dissolution. La circulation guidée n’est pas non plus limitée à l’eau, même si elle reste très fortement majoritaire dans les systèmes connus. La définition est suffisamment large pour englober les systèmes de circulation en conditions géologiques connues ou non, près de la surface ou dans les profondeurs de la Terre. Ainsi, du point de vue de l’hydrogéologie :  On peut considérer que la spéléogenèse consiste en la création et l’évolution de structures de perméabilité organisées dans une roche, qui se sont développées au moyen de l’élargissement par dissolution d’une porosité pré-existante  [Klimchuk & Ford 2000b]. La variété des modalités de développement des réseaux karstiques empêche d’élaborer un modèle conceptuel spéléo génétique pouvant être appliqué à l’ensemble des contextes géologiques et hydrologiques existants [Klimchuk & Ford 2000b, Bakalowicz 2006]. Il est donc nécessaire d’établir une classification des configurations et modalités de mise en place des aquifères karstiques. Celle-ci peut se faire à partir de nombreux éléments divers, que ce soit des caractéristiques propres au réseau spéléologique (dimensions, organisation géométrique…) ou des facteurs externes (lithologie, géomorphologie, climat…). La spéléogenèse étant un phénomène dynamique toujours en évolution, une typologie évolutionnaire a été proposée par Klimchuk & Ford 2000b. Elle est basée sur l’évolution géologique et hydrogéologique de la formation sédimentaire au sein de laquelle se développe le réseau karstique (Figure 1.1). Les formations sédimentaires passent par différentes phases au cours de leur existence : la phase primordiale de dépôt est suivie par un enfouissement associé à une compaction, puis à un uplift pouvant entraîner une dénudation totale ou partielle de la formation, qui peut être colmatée et enfouie à nouveau au cours d’une transgression. Ces phases se succèdent et impliquent des conditions aux limites ainsi qu’une structure qui leur sont propres. Ainsi, par exemple, les différentes phases de la diagenèse des carbonates sont caractérisées par un mode différent de circulation des eaux : • Lors de l’orogenèse, de l’eau peut être piégée lors de la sédimentation et une altération peut se produire en cas d’exposition temporaire (fluctuations du niveau de l’eau). • Durant la mésogenèse, la compaction liée à la subsidence a tendance à forcer l’écoulement de l’eau vers les zones où la pression est moindre. • Le soulèvement (uplift) des sédiments enfouis à grande profondeur, couplé à l’érosion permet aux eaux météoriques d’envahir le réservoir (phase de vitellogenèse). La classification proposée par [Klimchuk & Ford 2000b] est la suivante (Figure 1.1) : Karst syngénétique à pénécontemporain : Une formation sédimentaire se dépose et, soumise aux variations du niveau marin, peut se retrouver temporairement émergée et soumise à l’action des eaux météoriques. Des mélanges entre eaux à la chimie variée peuvent également se produire. Karst intra strate / interstrate : La karstification se déroule sous une couverture peu soluble. On pense que le volume représenté par des formations karstiables sous couverture excède largement celui représenté par les zones de karst exposé ( la partie émergée de l’iceberg  [Palmer 1991]). Les sources d’écoulement (gravité, compaction, compression, dilatation, réchauffement…) comme les processus chimiques générant l’acidité nécessaire à la dissolution (maturation des hydrocarbonates, réduction des sulfates, métamorphisme…) sont variées. La continuité hydraulique et les communications verticales à travers les formations sont de toute première importance pour la karstification intra strate : ceci permet l’activation de différents mécanismes chimiques et renforce les effets de  mixing corrosion  (dissolution renforcée par les mélanges d’eaux différentes). La karstification intra strate profonde tend à être plus diffuse et moins sélective que celle ayant lieu à de faibles profondeurs (contrôles hydrauliques et structuraux). Par les processus continentaux d’uplift et de dénudation progressive, les roches profondes remontent petit à petit. Ces roches parviennent au niveau hydro géodynamique supérieur où les eaux météoriques suivent les différences de charge hydraulique d’origine topographique. Les processus d’érosion peuvent par endroit inciser la couverture, le karst se trouvant alors localement en connexion hydraulique directe avec la surface. Des incisions ultérieures peuvent causer des inversions de système de circulation, d’importantes variations des concentrations recharge / drainage, l’apparition d’une zone non saturée. A ce moment, le karst est encore en grande partie recouvert par la couche imperméable. La dénudation progressive nuira par exposer la roche entière. Karst exposé : La surface exposée de roche soluble est supérieure à celle de la couverture résiduelle. Différentes situations sont alors possibles. On parle de karst ouvert lorsque la roche karstique n’a jamais été  enfouie  sous une autre formation rocheuse, ou lorsqu’elle a été enfouie, mais sans avoir connu de développement karstique avant son exposition à la surface. Le karst dénudé par contre, a connu un développement spéléologique en phase intra strate. Il montre une coexistence de structures karstiques formées pendant l’exposition et de structures héritées des phases précédentes (structures complexes et polyphasées).  Mantled Karst  (mantelé) : Le karst est recouvert par une épaisseur significative de sédiment non consolidé qui s’accumule en même temps que le karst se développe. Le  manteau  en question est souvent composé des résidus insolubles de calcaires et dolomies impures (dépôt autochtone).  Buried Karst  (inhumé, colmaté) : Le karst subit un colmatage complet par des roches plus récentes, tels que des sédiments marins transgressifs. C’est un karst qui a été exposé, puis inhumé et colmaté. Lorsqu’il se retrouve à nouveau à la surface, on parle de karst exhumé. En général, un système karstique ne présente pas à lui seul des structures issues de l’ensemble de ces phases, mais il peut en avoir connu plusieurs au cours de son évolution. Il n’est pas nécessaire qu’une karstification ait commencé de manière syngénétique, elle peut même parfois attendre la dénudation. On se rend bien compte qu’il s’agit d’un phénomène complexe, fortement lié au contexte géologique et hydrogéologique. Chaque phase, et chaque contexte, implique des caractéristiques géologiques et hydrogéologiques qui vont déterminer la façon dont le réseau karstique va se développer. Ces contrôles sont décrits dans les sections 1.1.2 et 1.1.3. 

Les contrôles géologiques intervenant dans le développement des réseaux karstiques

 La géologie impose un contrôle important sur la genèse des réseaux karstiques par l’intermédiaire de la lithologie (nature et pureté de la roche, porosité primaire) et des différentes discontinuités fournissant différents types de porosité initiale (fractures, plans de stratification, failles) [Klimchuk & Ford 2000a, Ford et al. 2007, Bakalowicz 2005]. Les conditions lithologiques et structurales pour la spéléogenèse subissent d’importants changements au cours des différentes phases d’évolution de la formation rocheuse sédimentaire karstique. Au cours du développement, l’héritage des différents types de porosité pré spéléo génétique entraîne un accroissement de l’hétérogénéité de leur distribution et de leurs paramètres, hétérogénéité à son paroxysme lorsque la roche atteint la surface ou subsurface. Lors de chaque phase du développement de la spéléogenèse, les structures de porosité héritées voient leur hétérogénéité en termes de distribution et de propriétés se renforcer. Ainsi, cette hétérogénéité atteint son paroxysme lorsque la roche atteint la surface ou subsurface. 10 Chapitre 1. Concepts et modèles spéléo génétiques 

Le rôle de la lithologie 

Les caractéristiques lithologiques de la roche contrôlent le développement de la karstification par sa nature, sa pureté, et la présence d’éléments étrangers présents au sein de la roche même.

 Roches carbonatées (calcaire et dolomie)

Les carbonates se distinguent par leur origine autochtone ou allochtone ainsi que par leurs profils de dépôt. Les dolomies moins solubles se forment surtout près de la surface de sédimentation en phase de genèse, mais aussi parfois durant les autres phases (mésogenèse, télogène) lorsqu’il y a présence d’eaux thermales traversant le calcaire. Ces types de roches peuvent également contenir des nodules, ou autres éléments composés de silice, beaucoup moins solubles. La composition, les conditions de dépôt et la diagenèse des roches carbonatées sont d’une grande variété et ont une incidence sur la spéléogenèse Ford et al. 2007]. 

 Roches évaporitiques (gypse, anhydrite, sels) 

Elles se forment par accumulation ou précipitation, dans un milieu soumis à une forte évaporation, favorisant une concentration élevée d’éléments chimiques d’origine saline. Ce sont par construction des dépôts très stratifiés. Les altérations diagénétiques peuvent être profondes [Klimchuk 2000a]. 

Pureté de la roche

 C’est un facteur très important impactant le développement des karsts et cavités [Klimchouk & Ford 2000a, Ford et al. 2007]. Les différences de résistance mécanique et de porosité induites par la présence de dolomite impliquent des cinétiques de dissolution contrastées. Dans certaines zones, la présence de dolomies inhibe ou même empêche la karstification. Mais tout dépend des conditions (fracturation avec importantes ouvertures, gradients hydrauliques élevés ou longues périodes de dissolution peuvent permettre l’établissement de réseau karstiques dans la dolomie). Les minéraux argileux et les silicates sont les impuretés insolubles les plus communes dans les roches carbonatées. Les calcaires argileux (qui recèlent de 20 à 30 % d’argile) ne peuvent former que des karsts de faible dimension. La présence de grains de sable permet la création de vides significatifs favorisant l’écoulement de l’eau et la karstification. Des cavités bien développées peuvent ainsi se trouver dans des grès calcaires. Toutefois, la plupart des cavités se développent dans des calcaires ou dolomies présentant une pureté globale d’au moins 90% [Klimchuk & Ford 2000a]. 

 Roches clastiques intercalées 

 Les plus importants développements karstiques se font en général dans des formations sédimentaires dont les strates sont dépourvues de interlits classiques (argiles, schistes argileux, grès) d’épaisseur significative. Mais ce n’est évidemment pas le cas de toutes les formations géologiques, qui présentent souvent des successions de couches composées de roches clastiques 

 Les principaux déterminismes de la spéléogenèse 

 Ces éléments intercalés peuvent intervenir de différentes manières. Ainsi les contacts entre calcaire et argile peuvent être des lieux de pénétration de l’eau plus aisés (effets diagénétiques ou glissement) que des joints de stratification au sein de couches calcaires. Les interlits gréseux constituent même initialement des cheminements d’écoulement plus e caces. On peut prendre l’exemple de l’alternance de séquences intercalées de carbonates et de sulfates qui influence l’écoulement uide et la spéléogenèse : • Les carbonates possèdent une plus forte porosité primaire, et peuvent ainsi fournir de l’eau aux sulfates adjacents plus solubles mais également plus compacts. Les joints de stratification sont alors particulièrement importants. • Les sulfates sont plus facilement dissous en profondeur que les carbonates : la dissolution et la spéléogenèse au sein des strates sulfatées fournissent un accès à l’eau pour les strates carbonatées voisines. L’effondrement de certaines de ces cavités précoces peut provoquer déformation et fracturation dans les couches calcaires supérieures et donc favoriser le développement d’un écoulement à travers les formations.

Table des matières

Introduction
1 Concepts et modèles spéléogénétiques
1.1 Les principaux déterminismes de la spéléogenèse
1.1.1 Introduction
1.1.2 Les contrôles géologiques de la spéléogenèse
1.1.2.1 Le rôle de la lithologie .
1.1.2.2 Le rôle des structures de discontinuités géologiques
1.1.2.3 Des horizons préférentiels d’inception
1.1.3 Les contrôles hydrogéologiques de la spéléogenèse .
1.1.3.1 Le développement spéléogénétique en zone vadose et en zone phréatique
1.1.3.2 Le contrôle exercé par les modalités de recharge sur
la morphologie du réseau karstique
1.1.3.3 Influence des variations du niveau de base
1.1.4 Synthèse
1.2 Spéléogenèse en Méditerranée
1.2.1 Les grandes lignes de l’histoire géologique du bassin méditerranéen
1.2.1.1 Secondaire
1.2.1.2 Tertiaire
1.2.1.3 Quaternaire
1.2.2 Revue des travaux existants portant sur la genèse des karsts méditerranéens
1.2.2.1 L’influence du mégacycle eustatique messino-pliocène
1.2.2.2 L’influence de la tectonique sur le développement des drains karstiques languedociens
1.2.3 L’exemple du système karstique de la Fontaine de Nîmes
1.2.3.1 L’aquifère karstique de la Fontaine de Nîmes
1.2.3.2 Caractérisation de la fracturation
1.2.3.3 Caractérisation du réseau spéléologique
1.2.3.4 Synthèse
1.3 Approches existantes de modélisation
1.3.1 Les approches de modélisations numériques déterministes
1.3.1.1 Chronologie d’apparition des différentes approches .
1.3.1.2 Exemples marquants
1.3.2 D’autres approches de modélisation
1.4 Proposition d’une approche originale
2 Méthodologie de modélisation et calage
2.1 Présentation générale de l’approche proposée
2.2 Pré-traitement : REZO3D et maillage
2.2.1 Le modèle structural REZO3D
2.2.1.1 Les modèles discrets de fracturation
2.2.1.2 Théorie et hypothèses de base
2.2.1.3 Le processus séquentiel de génération des réseaux
fracturés
2.2.1.4 Exemples de réalisation
2.2.2 Description de l’écriture d’un maillage élément fini à partir
des réseaux de fractures générés .
2.3 Le simulateur Ground Water
2.3.1 Simulation de l’écoulement
2.3.2 Simulation du transport : calcul de l’âge de l’eau souterraine
2.4 Loi empirique d’élargissement
2.4.1 Introduction
2.4.2 Article WRR : calage et validation
2.4.2.1 Introduction
2.4.2.2 Modeling Concepts
2.4.2.3 Simulation settings and results
2.4.2.4 Discussion
2.4.2.5 Acknowledgments
2.4.3 Synthèse et enseignements tirés des résultats présentés
3 Scenarii de modélisation
3.1 Systèmes à une fracture unique
3.1.1 Effet des perméabilités matricielles
3.1.1.1 Initialisation des paramètres
3.1.1.2 Résultats : évolution temporelle de la distribution de la charge hydraulique
3.1.1.3 Résultats : évolution temporelle de la distribution de l’âge de l’eau souterraine .
3.1.1.4 Résultats : évolution temporelle des profils d’ouverture des fractures et des débits
3.1.2 Application de conditions aux limites de flux
3.2 Systèmes à une strate
3.2.1 Simulation d’une strate unique : effets de différentes densités de fracturation
3.2.1.1 Initialisation des paramètres
3.2.1.2 Résultats : évolution temporelle de la distribution de la charge hydraulique
3.2.1.3 Résultats : évolution temporelle de la distribution de l’âge de l’eau souterraine
3.2.1.4 Résultats : évolution temporelle de la moyenne des
ouvertures des fractures et des débits
3.2.2 Simulation d’une strate unique : influence de la conductivité hydraulique de la matrice carbonatée
3.2.2.1 Initialisation des paramètres
3.2.2.2 Résultats : évolution temporelle de la distribution de la charge hydraulique
3.2.2.3 Résultats : évolution temporelle de la distribution de l’âge de l’eau souterraine
3.2.2.4 Résultats : évolution temporelle de la moyenne des
ouvertures des fractures et des débits
3.2.3 Simulation d’une strate unique : influence d’un gradient hydraulique perpendiculaire à la principale famille de fracture
3.2.3.1 Initialisation des paramètres
3.2.3.2 Résultats : évolution temporelle de la distribution de la charge hydraulique
3.2.3.3 Résultats : évolution temporelle de la distribution de l’âge de l’eau souterraine
3.2.3.4 Résultats : évolution temporelle de la moyenne des
ouvertures des fractures et des débits
3.2.4 Simulation d’une strate unique : influence de différentes conditions de recharge
3.2.4.1 Initialisation des paramètres
3.2.4.2 Recharge diffuse et concentrée
3.2.4.3 Deux types de re

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