Etude de la bio-calcification des coccolithophoridés dans un contexte d’acidification des océans
Le carbone
Durant de nombreuses années, la concentration en dioxyde de carbone (CO2) a évolué stablement dans l’atmosphère autour de 180 à 280 parties par millions (ppm). Le carbone était jusque là stocké dans des réservoirs stables. L’utilisation des énergies fossiles, et notamment par combustion, a contribué à une augmentation brutale des concentrations de CO2 dans l’atmosphère. Depuis le début de la révolution industrielle, cette concentration ne cesse d’augmenter et a atteint en 2013 des valeurs de 400 ppm (Tans et Keeling 2014) (figure 1.1) soit presque 590 Giga tonnes de Carbone (GtC) dans l’atmosphère (Foster et Rae 2016). Figure 1.1 – Courbe de Keeling issue du site internet https ://scripps.ucsd.edu Les prédictions à l’horizon 2100 des teneurs en CO2 atmosphérique sont de l’ordre de 550 ppm dans le meilleur des scénarios et de 930 ppm dans le pire des scénarios. Cette augmentation avait été estimée à environ 1% par année, cependant depuis quelques années, elle se serait accélérée jusqu’à atteindre une valeur de 3.4% par an (Le Quéré et al. 2009). Durant les années 1980 et 1990 seulement 50% du CO2 rejeté par les activités humaines dans l’atmosphère a été piégé par les océans et la biosphère terrestre (Houghton 3 4 Chapitre 1. Le carbone JT et al. 2001, Kleypas et al. 2006, EPICA community members 2004, Siegenthaler et al. 2005). Le CO2 est l’un des gaz à effets de serre (GES) les plus abondants de l’atmosphère avec le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et la vapeur d’eau. Les GES absorbent le rayonnement infrarouge et contribuent ainsi au réchauffement de la planète. L’augmentation de la concentration en CO2 d’origine anthropique à laquelle s’ajoutent les émissions de composés fluorés (Chlorofluorocarbures, Hydrofluorocarbures, Hexafluorure de soufre,…) contribuent au processus de réchauffement au cours du dernier siècle. Ce dernier engendre des changements dans les gradients de températures entre les pôles et l’équateur. En effet, on observe une augmentation de la température plus importante aux niveaux des pôles. Cela se traduit par des modifications de l’albédo avec des rétroactions positives sur le bilan énergétique de la planète (Solomon 2007, Stocker 2014). Ce réchauffement n’est qu’une des manifestations du changement climatique. On retrouve dans l’océan une quantité importante de carbone (figure 1.2). Il constitue un puits important du CO2. Il y a environ 1020 GtC à la surface des océans sous forme dissoute. Environ 3 GtC sont utilisés par le phytoplancton, les macro-algues, les bactéries, le zooplancton et les poissons. Le carbone organique dissous (Dissolved Organic Carbon : DOC) représente environ 800 GtC excrété par le phytoplancton. L’océan profond contient plus de 38.000 GtC et le sédiment 150 GtC. L’océan profond constitue ainsi l’un des plus grands réservoirs de carbone de la planète. Au total, l’océan contient près le 40,000 GtC (océan et sédiments). L’atmosphère et la biosphère terrestre sont de petits réservoirs comparés à celui de l’océan (respectivement, 730 GtC sous la forme de CO2 gazeux et 2200 GtC (sols et végétations). Les échanges de carbone entre atmosphère/océan, atmosphère/biosphère et océan de surface/océan profond sont plus ou moins intenses (figure 1.2). Du fait de l’augmentation des émissions anthropiques, les flux d’échanges sont perturbés et le bilan des échanges entre l’atmosphère, la biosphère et l’océan est déséquilibré d’environ de 8 GtC/an. En outre la combustion des énergies fossiles, le développement des procédés industriels ou encore la déforestation (figure 1.3) contribuent au déséquilibre du bilan de carbone. La déforestation et l’industrialisation contribue à l’augmentation de 45% du CO2 atmosphérique et de 26% dans les océans. Les principaux puits du CO2, à court terme, sont la photosynthèse par la biomasse chlorophyllienne et les échanges océan/atmosphère notamment et par le transfert du carbone vers l’océan profond. Il existe d’autres sources qui 5 Figure 1.2 – Cycle du Carbone – Les chiffres en noir correspondent au stockage du carbone exprimés en GtC, ceux en violet correspondent au flux annuel exprimés en GtC/an. Image et données sont issues du site earthobservatory.nasa.gov 6 Chapitre 1. Le carbone sont, quant à elles, des sources naturelles du CO2 telles que le manteau terrestre par son activité volcanique à travers les sources hydrothermales, la respiration de la biosphère ou encore la combustion des énergies fossiles. L’océan absorbe plus de CO2 qu’il n’en émet en réponse à l’apport anthropique de CO2 (figure 1.2). Figure 1.3 – Sources et puits du CO2 – Issue de l’étude de Archer (2010)
Le carbone dans l’océan
Le carbone inorganique
L’océan couvre les deux tiers de la surface du globe. Depuis l’ère industrielle, il joue un rôle clé dans le cycle du carbone, en absorbant près du tiers du CO2 atmosphérique d’origine anthropique (Khatiwala et al. 2013). Le carbone existe dans l’eau de mer sous 3 formes inorganique principales : le CO2 aqueux dissous, les ions bicarbonates (HCO− 3 ) et les ions carbonates (CO2− 3 ). La distribution de ces espèces varie en fonction notamment de la profondeur. La distribution du CO2 dissous dans les océans résulte de processus biologiques et de processus physico-chimiques qui contrôlent les échanges de CO2 entre l’atmosphère et l’océan puis l’export (figure 1.4) (Bopp et al. 2015). La photosynthèse réalisée par le phytoplancton se déroule essentiellement dans la zone euphotique. Les organismes autotrophes utilisent en effet la lumière, les nutriments et le carbone inorganique dissous pour synthétiser la matière organique particulaire (POC) selon la réaction : 16CO2 +16NO− 3 + H2PO− 4 +17H + +122H2O ⌦ (CH2O)106(NH3)16H3PO4 +138O2 (2.1) Cette production primaire génère aussi une quantité de carbone organique dissous. Une partie de ce carbone organique est transférée plus profondément dans la colonne d’eau par le biais des réseaux trophiques qui permettent ainsi à une partie du DOC d’être séquestrée dans les eaux profondes (seulement 0,1%, d’après Feely et al. (2009)). Associé à la pompe biologique, il existe une autre pompe nommée la contre-pompe des carbonates. Cette contre-pompe résulte de la production des carbonates de calcium par les réactions Figure 1.4 – Cycle du carbone dans l’océan : pompes physiques et biologiques (d’après Bopp et al., 2002) suivantes : CaCO3 ⌦ Ca2+ + CO2− 3 (2.2) Ca2+ + 2HCO− 3 ⌦ CaCO3 + CO2 + H2O (2.3) L’existence de cette contre-pompe est liée à l’activité des organismes calcifiants tels que les coccolithophoridés, les foraminifères ou les coraux (Denman et al. 2007) (voir partie 2.3). Les mécanismes physico-chimiques interviennent aussi dans le cycle océanique du carbone. Ils sont liés aux échanges directs entre l’océan et l’atmosphère par processus thermodynamiques et à la circulation océanique (Sabine et al. 2004) (figure 1.6a). C’est le cas par exemple des zones d’upwellings, qui par la remontée d’eaux profondes chargées en carbone inorganique dissous contribuent au relargage de CO2 dans l’atmosphère. Les zones de convection au contraire, comme la mer du Labrador en Atlantique Nord, sont des régions de piégeage du CO2 atmosphérique dans l’océan profond. L’équilibre thermodynamique entre la forme gazeuse et la forme aqueuse du CO2 est décrit par la loi de Henry : CO2(gaz) ⌦ CO2(aq) K0 (2.4) La constante K0 correspond au coefficient de solubilité du CO2 dans l’eau de mer (Weiss 1974). Elle dépend de la température et de la salinité. Le CO2 est plus soluble à basse température. Une fois dissous dans l’eau il donne lieu à plusieurs formes libres (eq. (2.5)) : le CO2(aq), les ions bicarbonates HCO− 3 , les ions carbonates CO2− 3 et l’acide carbonique H2CO3, mais ce dernier ne représente que 0.3% du CO2. CO2(gaz) = CO2(aq) + H2CO3 + HCO− 3 + CO2− 3 (2.5) Les différentes espèces inorganiques du carbone dissous (figure 1.5) réagissent avec l’eau de mer selon les équilibres suivants : CO2 + H2O ⌦ HCO− 3 + H + K ⇤ 1 (2.6) HCO− 3 ⌦ CO2− 3 + H + K ⇤ 2 (2.7) Les constantes K ⇤ 1 et K ⇤ 2 sont les constantes d’équilibres stoechiométriques et de dissociations du dioxyde de carbone dans l’eau de mer. Elles sont exprimées en fonction des concentrations des différentes formes dans l’eau de mer. Avec pK⇤ S = – log(K ⇤ ), on a : K ⇤ 1 = [HCO− 3 ][H+] [CO2] (2.8) K ⇤ 2 = [CO2− 3 ][H+] [HCO− 3 ] (2.9) K ⇤ 1 et K ⇤ 2 sont fonction de la température, de la pression et la salinité. On définit le carbone inorganique dissous (Dissolved Inorganic Carbon : DIC) comme étant la somme des formes inorganiques du carbone inorganique : DIC = [CO2]+[HCO− 3 ]+[CO2− 3 ]+[H2CO3] (2.10) La proportion de chacune des espèces dépend des constantes de dissociation qui varient en fonction du pH (figure 1.5). Dans les conditions actuelles, le pH à la surface des océans est d’environ 8.1, les ions HCO− 3 sont majoritaires (environ 91%), les ions CO2− 3 ne représentent que 8% du carbone dissous total (Raven et al. 2005). Pour décrire le système des carbonates dans l’eau de mer il existe un autre paramètre essentiel : l’alcalinité totale (Total Alkalinity : TA). Ce paramètre rend compte de l’équilibre des charges ioniques dans l’eau de mer. Il est défini comme l’excès de base c’est à dire la somme des charges positives non compensées par les acides forts, ou bien l’ensemble des charges des acides faibles. L’alcalinité totale est donnée par l’équation suivante : TA = [HCO− 3 ] + 2[CO2− 3 ]+[B(OH) − 4 ]+[HO−] − [H +] + autres (2.11) Le terme « autres » correspond aux ions mineurs présents dans l’eau de mer. Les travaux de Broecker et al. 1982 ont montré que l’alcalinité associée aux ions CO2− 3 , HCO− 3 mais 10 Chapitre 2. Le carbone dans l’océan Figure 1.5 – Spéciation et abondance du carbone inorganique dissous dans l’eau en fonction du pH mesuré aussi associée aux ions B(OH) − 4 permettaient de contrebalancer la majeure partie de l’excès de charges des cations conservatifs (Na+, Mg2+, Ca2+, PO4) et des anions (chlorures et sulfates). TA avec le DIC sont des paramètres dont les quantités sont conservatives (Zeebe 2012). Les concentrations sont exprimées en µmol.kg−1 et sont affectées par les variations de pressions et de températures (Zeebe 2012).
L’acidification des océans
L’augmentation des teneurs en CO2 atmosphérique et sa dissolution en quantités croissantes dans les océans induisent le phénomène d’acidification des océans (Ocean Acidification : OA) qui se traduit par une diminution du pH dont l’expression est donnée par la formule suivante : pH = −log[H +] (2.12) L’OA fait donc référence au changement de pH dans l’océan résultant de l’augmentation du CO2 dissous dans l’océan et au déplacement d’équilibre du système des carbonates (figure 1.6). Les variations de pH peuvent être liées à d’autres processus tels que la photosynthèse 2.2. L’acidification des océans 11 Atmosphere Ocean CO2 (gaz) CO2 (aq) + H2O H2CO3 HCO3 – + H+ CO3 2-+ H+ Pre-industrial condition : pCO2 = 280 ppm pHsw 8.25 Atmosphere Ocean CO2 (gaz) CO2 (aq) + H2O H2CO3 HCO3 – + H+ CO3 2-+ H+ Ocean Acidification condition : pCO2 pHsw Figure 1.6 – Système des carbonates avant l’ère industrielle (gauche) et dans le contexte de l’acidification des océans (droite), les flèches rouges indiquent le flux de carbone d’origine anthropique modifiant l’équilibre du système des carbonates. et la minéralisation (EPOCA et Union 2010). Avant l’ère industrielle, le pH de l’eau de mer était de l’ordre de 8.2 (EPOCA et Union 2010). Il a diminué de 0.1 unité au cours du dernier siècle, ce qui correspond à une augmentation de 26% du CO2 absorbé par l’océan au cours de cette période. Actuellement, le pH actuel de l’océan est donc en moyenne de 8.1 et diminue d’environ 0.001 unité par année, ce qui a ce taux, amènerait à un pH des océans à 7.8 d’ici 2100 (Gattuso et Lavigne 2009, Caldeira et Wickett 2003, Zeebe 2012, Solomon 2007, Zeebe et Caldeira 2008). Les suivis temporels du pH de l’eau de mer ont montré qu’en quelques décennies, les valeurs ont variés plus fortement qu’au cours des ères géologiques (Hönisch et al. 2012). L’impact de l’OA sur la biodiversité et sur les capacités d’adaptation des organismes sont à l’heure actuelle largement étudiés mais encore mal compris. Ces travaux menés jusqu’ici ont révélés des réponses négatives sur les organismes carbonatés notamment chez les coraux et certains organismes phytoplanctoniques. Il apparaît que certains organismes exercent à des degrés variables un contrôle sur les processus de biominéralisation
Table des figures |