ADSORPTION DE Cs+, Ni2+ ET DES LANTHANIDES SUR UNE KAOLINITE ET UNE SMECTITE JUSQU’A °C
Structures cristallines et sites de rétention de la kaolinite et de la montmorillonite.
Structures cristallines
La kaolinite et la montmorillonite sont des minéraux secondaires, c’est à dire des minéraux issus soit de l’altération de minéraux primaires (péridots, amphiboles, pyroxènes, feldspaths), soit de la transformation d’autres minéraux secondaires (illites, vermiculites). Kaolinite et montmorillonite se trouvent donc dans les sols et, plus particulièrement, dans la fraction fine des sols. Ces minéraux présentent, en effet, une surface spécifique relativement élevée. La kaolinite et la montmorillonite appartiennent à la famille des phyllosilicates ou silicates en feuillets. De manière générale, la structure cristalline des phyllosilicates est constituée par l’empilement de deux types de couches : • des couches tétraédriques (couches T). Les tétraèdres sont généralement occupés par des ions Si4+, mais ceux-ci peuvent parfois être substitués par des cations trivalents (Al3+, Fe3+ par exemple). • des couches octaédriques (couches O). Les couches octaédriques sont dites trioctaédriques lorsque tous les octaèdres sont occupés par des cations bivalents (Fe2+, Mg2+ par exemple) et dioctaédriques lorsque les cations sont trivalents (Al3+, Fe3+). Dans ce dernier cas, seulement 2/3 des octaèdres sont occupés. Différents modes d’association des couches T et O forment des feuillets. Il existe 3 grands types de feuillet : – le feuillet TO ou feuillet 1 : 1, où une couche T est liée à une couche O, – le feuillet TOT ou feuillet 2 : 1, où une couche O est insérée entre 2 couches T, – le feuillet TOTO ou feuillet 2 : 1 : 1, où une couche O est insérée entre 2 feuillets TOT. Les feuillets se superposent enfin pour former des tactoïdes. Les différents types de feuillet, associés à de nombreuses possibilités de substitutions des cations dans les tétraèdres et/ou les octaèdres, font qu’il existe de très nombreuses espèces de phyllosilicates. La kaolinite est un phyllosilicate à feuillet 1 :1, ou feuillet TO. Elle est donc formée par liaison d’une couche tétraédrique à une couche di-octaédrique essentiellement alumineuse 30 (figure 1.3). La formule structurale théorique de la demi maille de la kaolinite est donc Al2Si2O5(OH)4. Figure 1.3 : Représentation schématique de la structure d’une kaolinite. La montmorillonite appartient à la famille des smectites. C’est un phyllosilicate à feuillet 2 :1 ou feuillet TOT, dans lequel une couche di-octaédrique est insérée entre deux couches tétraédriques (figure 1.4). Les smectites présentent des substitutions isomorphes de Si4+ par Al3+ dans les couches tétraédriques et de Al3+ par Fe3+ et/ou Fe2+, Mg2+…, dans les couches octaédriques. Ces substitutions entraînent donc l’apparition d’une charge négative permanente au sein du réseau cristallin, qui est alors compensée par des cations compensateurs qui viennent se « fixer » sur les surfaces basales. La formule théorique de la demi maille de la montmorillonite s’écrit : + + + − − z z Si x Al x O Al y Ry OH M x y ( ) 2 2 4 10 2 [( ) ( )( ) ] où R2+ est un cation bivalent, Mz+ représente le cation compensateur de charge z et (x+y) est la charge négative structurale. 31 Cations échangeables nH O2 Oxygène Hydroxyl et et Silicium (éventuellement aluminium) Aluminium, fer, magnésium } } } } Couche O Feuillet Espace interfolliaire Couche T Couche T Figure 1.4 : Représentation schématique de la structure d’une montmorillonite. Dans les montmorillonites, les substitutions se localisent préférentiellement dans les couches octaédriques et à raison de 0,3 à 0,6 charge par demi maille (Caillère et al., 1982) . En conséquence, la charge n’est transmise que de façon diffuse aux surfaces basales. De ce fait, les cations compensateurs ne sont que faiblement liés et donc presque totalement échangeables avec les cations de la solution. De façon générale, plus la charge du feuillet est faible, plus les cations sont échangeables. Cette propriété est quantifiée par la capacité d’échange cationique ou CEC exprimée en cmole charge/kg de solide ou en meq/100g de solide. La CEC des montmorillonites est comprise entre 80 et 120 meq/100g (Bouchet et al., 2000). Théoriquement, la kaolinite ne présente pas de charge structurale. Il s’avère néanmoins, qu’une CEC de l’ordre de 5 à 15 meq/100g (Bouchet et al., 2000) peut être mesurée avec ces minéraux. L’origine de cette CEC n’est pas encore très claire : il peut s’agir d’un faible taux de substitution (Bolland et al., 1976), de défauts cristallins et/ou d’impuretés telles que la présence d’interstratifiés illite/smectite (Lim et al., 1980).
Sites de rétention
Les phyllosilicates de type kaolinite et montmorillonite présentent deux types de sites pouvant éventuellement interagir avec les cations présents en solution. Le premier type correspond aux sites d’échange, présents sur les surfaces basales, que nous avons décrits précédemment (5 à 15 meq/100g pour la kaolinite ; 80 à 120 meq/100g pour la montmorillonite). Le second type de sites est situé sur les bordures des cristaux, là où les liaisons sont rompues. Il s’agit de groupements hydroxylés de type silanol (≡SiOH) et aluminol (≡AlOH). Pour la kaolinite, la densité de sites de bordure est généralement comprise entre 2 sites/nm2 (Brady, 1996) et 5 sites/nm2 (Huertas et al., 1998). Pour la montmorillonite, la densité de sites de bordure est du même ordre de grandeur que pour la kaolinite (Bradbury et Baeyens, 1997 ; Avena et De Pauli, 1998 ; Tombacz et al., 2004). Signalons que pour les montmorillonites, les densités de sites de bordure sont environ 10 à 20 fois infèrieures à celles des sites d’échange (Avena et De Pauli, 1998). La figure 1.5 présente schématiquement les deux principaux types de sites d’adsorption présents à la surface d’un phyllosilicate présentant une charge structurale négative permanente (montmorillonite dans notre cas). Figure 1.5 : Sites d’adsorption présents à la surface de minéraux argileux présentant une charge structurale. Dans notre étude, en raison de leurs différences contrastées de capacité d’échange cationique, nous avons fait le choix de travailler avec une kaolinite et une montmorillonite. En effet, l’absence ou la quasi absence de charge structurale négative de la kaolinite nous permettra de Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Surface basale Sites d’échange Sites de bordure (AlOH et SiOH) Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Surface basale Sites d’échange Sites de bordure (AlOH et SiOH) Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Cat Surface basale Sites d’échange Sites de bordure (AlOH et SiOH) Cat Cat 33 se focaliser majoritairement sur les propriétés d’adsorption des sites de bordure. En revanche, les expériences réalisées avec la montmorillonite permettront d’étudier l’effet combiné des sites de bordure et d’échange sur l’adsorption.
Rétention de Cs+ , Ni2+ et Ln3+ sur les matériaux argileux
Les termes de « matériaux argileux » sont utilisés ici au sens large dans la mesure où les travaux antérieurs ne concernent pas uniquement la montmorillonite et la kaolinite, mais des phases telles que des sols, des mélanges illite/smectite, des bentonites et parfois même des oxydes. La plupart des données antérieures ont été obtenues à 25°C (ou température ambiante). Pour les rares études menées à plus haute température, des données thermodynamiques sont parfois déduites d’isothermes d’adsorption ou de valeurs de log (Kd) en fonction de 1/T (K-1). Lorsque les données sur les matériaux argileux sont modélisées, les auteurs prennent en compte un ou plusieurs sites d’échange, un ou plusieurs sites de complexation de surface ou plusieurs sites d’échange et de complexation.
Le césium (Cs+ )
Le comportement du césium (Cs+ ) au contact de matériaux argileux, en conditions expérimentales ou naturelles, est très largement documenté, particulièrement dans la littérature nucléaire (radio césium). Il est admis que l’adsorption du césium augmente clairement lorsque la force ionique du milieu diminue et est peu sensible au pH (Bar-Yosef et al., 1988 ; Satmark et Albinsson, 1993 ; Gutierrez et Fuentes, 1996 ; Ly, 1998). Les débats se situent actuellement sur les spéciations de surface (sites d’échange et/ou de bordure) et les modèles d’interfaces les mieux adaptés pour décrire le comportement de cet élément. L’effet thermique n’est que très rarement étudié (Komarneni, 1979 ; Komarneni et Roy, 1980 ; Liu et al., 2003). Le travail de Liu et al. (2003), mené sur les sédiments d’Hanford (comportant 80% de matériaux argileux de type smectite, illite et interstratifiés) porte sur l’adsorption du césium entre 30 et 65°C. Cette étude, réalisée à une force ionique de 0,5 M (NaNO3) et à des pH proches de 7, montre une diminution des Kd d’un facteur 2 lorsque la température s’élève de 30 à 45°C et d’un facteur 5 lorsque celle-ci passe de 30 à 65°C. Un modèle à 2 sites d’échange (site fort et site faible) est proposé et des données thermodynamiques en sont extraites. Pour les sites de forte et faible affinité respectivement, des enthalpies de –17,87 ± 2,01 kJ.mol-1 et –4,82 ± 0,44 kJ.mol-1 sont reportées. Pour Komarneni (1979), l’adsorption du césium sur des minéraux argileux (montmorillonite, illite, mica et kaolinite) décroît également lorsque la température augmente. Dans des suspensions de montmorillonite de faible force ionique (0,02 M) et à des pH proches de 6, cet auteur mesure, en effet, une diminution de la 38 quantité totale de césium adsorbé lorsque la température s’élève de 25 à 80°C (1 meq/100g à 25°C ; 0,7 meq/100g à 80°C). Par ailleurs, une étude menée de 25 à 80°C a également été réalisée avec K+ (considéré comme un analogue chimique du césium) sur une montmorillonite (Gaucher et al., 1998). Pour interpréter les données, ces auteurs proposent un modèle d’échange d’ions basé sur deux sites d’échange (site fort et site faible). Par simple ajustement mathématique des valeurs de densité de sites aux données expérimentales, Gaucher et al. (1998) montrent que les densités des deux types de sites ne sont pas affectées par la température alors que les coefficients de sélectivité correspondants (K* K/H) le sont modérément. En effet, le coefficient de sélectivité pour le site de forte affinité n’est pas affecté par la température, alors que celui du site de faible affinité décroît d’un facteur 2 lorsque la température s’élève de 25 à 80°C. En conclusion, malgré le peu d’études réalisées à différentes températures, une légère diminution de l’adsorption du césium lorsque la température augmente tend à être mise en évidence.
Le nickel (Ni2+)
Les travaux menés essentiellement au Paul Scherrer Institut (Suisse) par Bradbury et Baeyens (1997 et 1999) et Baeyens et Bradbury (1997) ont permis d’établir une description mécanistique de la sorption du nickel (Ni2+) sur la montmorillonite, à 25°C. Les données sont issues de titrages acide-base et d’isothermes d’adsorption, réalisés à des forces ioniques comprises entre 0,001 et 0,5 M environ. Ces auteurs établissent que l’adsorption du nickel augmente fortement quand la force ionique diminue et lorsque le pH du milieu augmente. Ils montrent, par exemple, qu’à un pH de 6 le log Kd (Kd en ml/g) qui est d’environ 2,5 pour I=0,1 M (NaClO4) est de 4 pour I=0,01 M (NaClO4). Pour un pH de 8, le log Kd augmente de 4 à 4,5 lorsque la force ionique décroît de 0,1 à 0,01 M. L’échange cationique et la complexation de surface sont pris en compte dans la modélisation. Trois sites de bordure sont considérés (un site fort et deux sites faibles), et des coefficients de sélectivité Ni-Na et Ni-Ca sont proposés. A notre connaissance, aucune étude antérieure ne concerne l’effet de la température sur l’adsorption du nickel sur une montmorillonite. En revanche, Echeverria et al. (2003) étudient l’adsorption du nickel sur une illite entre 5 et 45°C par des isothermes d’adsorption obtenues à des pH proches de la neutralité. Ces auteurs observent une légère augmentation de la 39 rétention lorsque la température augmente et calculent une enthalpie d’adsorption proche de 17 kJ/mol. De plus, si on élargit cette revue bibliographique à l’adsorption de cations bivalents (Cd2+, Pb2+, Co2+ …) sur d’autres matériaux argileux ou sur des oxydes simples, nous pouvons citer les travaux de Brady (1992 et 1994), Angove et al. (1998) et Karasyova et al. (1999). Angove et al. (1998) réalisent des isothermes d’adsorption de Cd2+ et Co2+ sur une kaolinite entre 10 et 70°C et montrent une augmentation significative de l’adsorption lorsque la température augmente. Par un modèle de complexation de surface prenant en compte sites d’échange et sites de bordure, ils calculent ainsi pour l’adsorption des deux cations, des enthalpies endothermiques d’environ 10 kJ/mol pour l’adsorption sur les sites d’échange et 70kJ/mol pour celles sur les sites de bordure. Les études de Brady (1992 et 1994) portent, quant à elles, sur l’adsorption du plomb et du cadmium, entre 25 et 60°C, sur une silice et une alumine. Lorsque la température s’élève de 25 à 60°C, l’auteur observe, pour les 2 éléments, une augmentation des log Kd d’un facteur 0,3 pour SiO2 et 2 pour Al2O3. A titre d’exemple, les enthalpies d’adsorption déterminées avec l’alumine sont de 21,3 kJ/mol et 81,3 kJ/mol pour Pb2+ et Cd2+ respectivement. Cet auteur met enfin en parallèle les valeurs d’enthalpies qu’il détermine pour les réactions d’adsorption avec celles proposées pour les réactions d’hydrolyse, elles aussi endothermiques et du même ordre de grandeur. D’après cette brève revue bibliographique, ces études, menées avec différents matériaux (argileux ou non), tendent à mettre en évidence une augmentation de l’adsorption des cations des éléments de transition lorsque la température augmente. Les réactions d’adsorption apparaissent donc endothermiques avec des valeurs d’enthalpies de réaction généralement inférieures à 100kJ/mol.
Les lanthanides
A température ambiante, les études menées sur l’interaction des lanthanides avec des minéraux argileux sont très hétérogènes. Elles ont été réalisées soit avec une seule terre rare (Miller et al., 1983 ; Laufer et al., 1984 ; Aja, 1998), soit avec plusieurs d’entre elles (Bruque et al., 1980; Bonnot-Courtois et Jaffrezic-Renault, 1982; Miller et al., 1982; Maza-Rodriguez et al., 1992; Nagasaki et al., 1997; Coppin et al., 2002). De plus, les argiles utilisées diffèrent d’une étude à l’autre. Miller et al. (1982 et 1983), Maza-Rodriguez et al. (1992), Nagasaki et al. (1997) et Coppin et al. (2002) ont utilisé une montmorillonite, Laufer et al. (1984) et Aja (1998) une kaolinite et Bonnot-Courtois et Jaffrezic-Renault (1982) une illite et une kaolinite. 40 Enfin, les conditions expérimentales varient d’une étude à l’autre, en particulier en ce qui concerne la force ionique de la solution, le pH et les concentrations en terres rares. De cet ensemble d’études, réalisées dans des conditions opératoires très variables, il est difficile d’extraire des règles claires concernant les mécanismes des réactions d’adsorption des terres rares sur les argiles. Néanmoins, le comportement des lanthanides semble comparable à celui du nickel avec une forte augmentation des Kd lorsque la force ionique diminue et que le pH augmente. Ainsi, pour une montmorillonite-Na, à I=0,1 M (NaClO4), le log Kd varie de 4 à 6 entre pH=6 et 8 (Bradbury et Baeyens, 2002). Une étude récente réalisée par Coppin et al. (2002), a fait intervenir simultanément, et compétitivement, les 14 éléments du groupe dans la même solution expérimentale. Ces auteurs ont testé, de façon systématique, l’effet du pH et de la force ionique de la solution sur l’adsorption des terres rares sur deux argiles aux caractères cristallochimiques contrastés: une kaolinite et une montmorillonite. L’analyse des paramètres physico-chimiques et cristallochimiques qui contrôlent la sorption des lanthanides a été complétée par une détermination plus précise de la nature et de la stabilité des complexes formés, à l’aide de la spectroscopie laser et d’une étude sur la réversibilité de l’adsorption utilisant des marqueurs isotopiques. Ce travail a montré que l’adsorption sur les sites amphotères était faiblement réversible et impliquait des complexes de sphère interne. En revanche, l’échange interfoliaire, qui met en jeu des complexes de sphère externe, semble totalement réversible. En revanche, l’effet de la température sur l’adsorption des lanthanides a été peu étudié. Les seules données dont nous disposons actuellement sont celles proposées par Guillaud et al. (2003) et concernent la sorption de l’europium sur une alumine et une silice. A partir de mesures micro-calorimétriques réalisées entre 25 et 70°C, et à I=0,1 M, ces auteurs déterminent des enthalpies d’adsorption de Eu3+ de 21 et 130 kJ/mol pour Al2O3 et SiO2 respectivement. De plus, cette équipe mentionne que les valeurs d’enthalpies obtenues ne reflètent rien d’autre que les variations des pKa des groupements aluminols et silanols avec la température.
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