L’estimation et l’analyse de la couverture des coûts des services d’alimentation en eau potable

L’estimation et l’analyse de la couverture des coûts des services d’alimentation en eau potable

INTRODUCTION GENERALE

A l’échelle mondiale, la gestion de l’eau est largement entachée par le gaspillage, la pollution et l’inégalité face à l’accès à l’eau potable. Cette situation fragilise la pérennité de la ressource et met en danger la santé de l’homme. En France, les dégradations physiques infligées aux cours d’eau au fil du temps ont entraîné un appauvrissement biologique de ces milieux aboutissant à une perte de qualité de l’eau. La pollution par les nitrates, phosphates, pesticides et divers produits chimiques aggrave encore cette situation ; presque tous les cours d’eau sont pollués, de même que les nappes d’eau souterraines, qui sont de surcroît souvent surexploitées. Pour lutter contre ce constat alarmant et, avec l’objectif de conduire une gestion de l’eau dans la perspective du développement durable (c’est-à-dire conciliant à la fois les aspects économique, social et environnemental), l’Europe a adoptée en 2000, une directive cadre sur l’eau (DCE). Celle-ci incite les pays Européens à faire un effort dès aujourd’hui pour qu’en 2015, nous puissions retrouver des rivières où la vie se développe et dont l’eau sera facilement potabilisable et utilisable par tous. L’atteinte du « bon état » des milieux aquatiques nécessitent alors une prise de conscience générale de la part des utilisateurs de l’eau, qui doivent s’efforcer de limiter les dommages qu’ils causent à l’environnement. En effet, chacun d’entre nous dégrade la qualité de l’eau : que ce soit les ménages (par les rejets de dioxyde de carbone de leurs voitures dans l’environnement par exemple), le secteur agricole (à cause des pesticides et engrais s’infiltrant dans les sols et contaminant les nappes phréatiques) ou le secteur industriel (les rejets de l’industrie pharmaceutique ont empoisonné les eaux en Inde par exemple). Tous ces usagers de l’eau provoquent donc des externalités négatives environnementales pour les services d’alimentation en eau potable (AEP) qui devront alors financer la dépollution de l’eau. C’est pour cela que la Directive Cadre Européenne demande aux Etats membres de veiller à ce que d’ici 2010 : « les différents secteurs économiques décomposés en distinguant au moins le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole, (…) contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l’eau (…) compte tenu du principe pollueur-payeur » (article 9. de la DCE). Le mécanisme incitatif pour une gestion plus efficace de la ressource nécessite donc l’internalisation par les usagers de l’eau, via la facture d’eau, de tous les coûts générés par les services d’alimentation en eau potable : à partir du moment où ces usagers de l’eau  Les coûts générés par les services d’alimentation en eau potable sont les coûts d’exploitation et de maintenance, les coûts du capital, les coûts administratifs, les autres coûts directs et les coûts pour l’environnement et pour la ressource. supportent eux-mêmes les coûts environnementaux qu’ils induisent, ils seront incités à faire plus attention à l’environnement. L’eau doit donc payer l’eau c’est-à-dire que les recettes liées à la facturation des services d’alimentation en eau potable doivent couvrir tous les coûts que ces services génèrent, sans subventions extérieures. Il faut donc analyser, à travers le taux de recouvrement des coûts des services AEP, si la tarification adoptée pour chaque service d’alimentation en eau potable est incitative à la préservation de l’environnement par les utilisateurs d’eau. Les aides publiques seront alors davantage orientées vers les services AEP recouvrant leurs coûts afin de pousser les autres (les services qui ne recouvrent pas leurs coûts) à augmenter le prix de l’eau qu’ils distribuent aux abonnés. Plusieurs études macroéconomiques sur le taux de recouvrement des services d’alimentation en eau potable en France ont déjà vu le jour. La première d’entre elle a été réalisée par le cabinet d’audit Ernst&Young, qui a évalué pour l’année 2004, un taux de recouvrement moyen pondéré des coûts comptables à 71% pour les services d’alimentation en eau potable français. Cependant, le calcul de ce taux n’inclus pas tous les coûts qui devraient être pris en compte au sens de la Directive Cadre Européenne. Afin de s’en approcher, ils ont alors évalué la partie manquante de la consommation de capital fixe (non retranscrite dans les différentes comptabilités) devant entrer dans le calcul du taux de recouvrement des coûts. Conjointement, une méthode d’évaluation des coûts d’opportunité du capital a également été proposée par le Cemagref ce qui a permis d’approximer le coût du capital total de tous les services d’alimentation en eau potable en France, en 2004. La prise en compte de ce dernier conduit alors à une estimation d’un taux de recouvrement moyen pondéré des coûts de l’ordre de 44%. Encore une fois, le calcul de ce taux ne reflète pas la définition du recouvrement des coûts selon la DCE puisqu’il reste encore à évaluer les coûts pour l’environnement et pour la ressource et, les autres coûts directs. La seconde étude du taux de recouvrement des coûts des services d’alimentation en eau potable a été réalisé à l’aide du rapport BIPE 2008 rassemblant les données économiques, sociales et environnementales relatives aux services d’eau potable et d’assainissement en 2006 (Guérin-Schneider). Elle consiste à estimer le taux de recouvrement moyen pondéré des coûts comptables des services AEP, à partir du schéma des flux financiers globaux des services AEP en France en 2006. En effet, en considérant que les subventions publiques (des départements et des régions) et les transferts du budget global vers le budget annexe « eau » viennent équilibrer en moyenne les comptes des services d’eau sur l’année, on obtient alors un taux de recouvrement moyen pondéré des coûts comptables de 95% pour les services AEP français en 200.

La gestion des services d’eau en France

En France, l’organisation des services d’alimentation en eau potable incombe à la commune (ou groupement de communes). Le maire a le choix entre gérer son service d’alimentation en eau potable (AEP) directement (gestion en régie) ou déléguer celui-ci à une entreprise privée (gestion déléguée). Actuellement, en raison des savoir-faire et des financements qu’exigent l’exploitation d’un réseau d’AEP, une majorité des collectivités locales ont choisi de déléguer la gestion de leurs services d’eau à des entreprises privées. Ces dernières sont surtout représentées par 3 grands groupes qui se partagent environ 97% des parts de marché : la SAUR, VIVENDI et SUEZ (Lyonnaise des Eaux). Les 3% de parts de marché restant relèvent d’opérateurs privés indépendants. Plus précisément, il existe diverses formes de contrats dans le cadre de la gestion déléguée : le plus courant est l’affermage c’est-à-dire que la collectivité finance les grandes infrastructures nécessaire à la distribution de l’eau aux abonnés et au contrôle de sa qualité (canalisations, structures de prélèvement de l’eau …) mais, en délègue l’exploitation à une entreprise privée, qui se rémunère directement auprès des consommateurs via la facture d’eau. Dans ce cadre, une partie des produits de la facture d’eau est alors redistribuée à la collectivité pour couvrir ses frais d’investissements. D’autres contrats de délégation existent comme la gérance ou la régie intéressée (les équipements sont également à la charge de la collectivité et l’exploitation à la charge de l’entreprise, mais la facturation est effectuée par la seule collectivité qui reverse à l’entreprise un certain pourcentage) ou encore la concession (les équipements sont cette fois à la charge de l’entreprise qui les exploite). Pour tous les types de contrats, la collectivité reste propriétaire des infrastructures et conserve la responsabilité du service d’eau et le contrôle du délégataire. Lorsqu’une collectivité opte pour une gestion déléguée pour son service d’AEP, la loi Sapin de 1993 clarifie la procédure de délégation. Concrètement, lorsque le contrat précédent arrive à échéance et si la collectivité décide de commencer ou de poursuivre dans la délégation, plusieurs entreprises privées pourront entrer sur le marché via un appel d’offres de la collectivité .L’objectif pour la collectivité étant de trouver grâce à la concurrence entres délégataires, celui qui garantira les prix les plus bas aux usagers tout en maintenant un niveau maximal de qualité de l’eau et du service. Lorsque le délégataire a été choisi, il devra faire part de ses comptes rendus techniques et financiers (CRT et CRF) chaque année à la collectivité qui pourra éventuellement lui infliger des pénalités en cas de mauvaise gestion. L’approche économique souligne qu’en raison de l’asymétrie d’information entre la collectivité et l’entreprise déléguée, la surestimation des coûts de l’entreprise privée conduira l’autorité publique à choisir un prix trop élevé, pouvant entrainer des marges importantes pour le délégataire. En revanche dans le cadre d’une gestion en régie, l’objectif de la collectivité reste d’équilibrer son budget « eau » et donc de ne pas réaliser de profit (l’eau sera facturée de façon à rembourser les coûts de l’activité).Cependant, les responsables n’étant pas soumis à la pression d’actionnaires, ils ne seront pas incités à minimiser leurs coûts de fonctionnement. C’est pour cela que l’on aura des services délégués plutôt bénéficiaire et des services en régie plutôt déficitaire et maintenu « en vie » par les subventions des départements et des régions. La couverture des coûts sera donc certainement plus importante pour les services délégués qui chercheront à minimiser leurs coûts et à faire des gains de productivité. 

Les coûts générés par les services d’alimentation en eau potable 

Les services d’AEP génèrent 6 types de coûts : Les coûts d’exploitation et de maintenance qui correspondent aux dépenses de fonctionnement des ouvrages et équipements (salaire du personnel, matériel…) et aux dépenses d’entretien des installations (réparation des fuites…). Les coûts administratifs qui sont tous les coûts des services d’appui liés au service d’eau. Les coûts du capital qui comprennent: Les investissements nouveaux. La consommation du capital fixe (CCF) c’est-à-dire les coûts annualisés représentant la consommation de capital fixe et permettant le renouvellement des infrastructures arrivées en fin de vie. Au fil de leurs utilisations, les équipements perdent de la valeur et, à la fin de leurs durées de vie ils devront être remplacés : le financeur doit donc être en mesure de reconstituer son capital soit par des emprunts, soit par des provisions faite chaque année. Le coût d’opportunité du capital (COC) c’est-à-dire les bénéfices qui auraient pus être retirés d’un emploi alternatif du capital investi.

  • Les autres coûts directs qui sont principalement liés aux externalités négatives dû à d’autres activités et subies par les services AEP. • Le coût pour l’environnement qui correspond aux coûts des dommages causés à l’environnement. La dégradation des nappes phréatiques et des écosystèmes par les usagers de l’eau entraînera des coûts supplémentaires pour les services AEP exploitant ces nappes. • Le coût pour la ressource qui vise à quantifier les coûts supportés par les autres services liés à la sur-utilisation de la ressource par le service considéré12 . Parmi ces différents types de coûts, seuls les coûts d’exploitation & de maintenance, les coûts administratifs, les coûts des investissements nouveaux ainsi qu’une partie des coûts environnementaux internalisés  sont pris en compte dans le compte annuel de résultat de l’exploitation du délégataire (CARE (ex CRF)) et dans les comptes M49 des collectivités. La consommation du capital fixe totale (CCF) pourra être évaluée par des méthodes comptables (amortissement sur la valeur historique, ou sur la valeur actualisée ou encore sur la valeur de remplacement). Les autres coûts directs, les coûts d’opportunité du capital ainsi que les coûts pour l’environnement et la ressource pourront quant à eux être évalués par des méthodes d’estimations économiques. 

La Directive Cadre Européenne et ses objectifs en termes de recouvrement des coûts

 La DCE adoptée le 23 octobre 2000 par le Parlement Européen et entrée en vigueur le 22 décembre de la même année, établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. Elle impose trois grands principes pour une politique de développement durable dans le domaine de l’eau : la participation du public, la prise en compte des considérations socioéconomiques et l’obligation de résultats environnementaux, avec la définition du « bon état » des milieux aquatiques à atteindre d’ici 2015,2021 ou 2027. Pour cela, la DCE demande aux Etats membres de veiller à ce que d’ici 2010 : « les différents secteurs économiques décomposés en distinguant au moins le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole, (…) contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l’eau (…) compte tenu du principe pollueur-payeur. » . Le but étant d’inciter les consommateurs, par le biais de la facture d’eau, à une gestion efficace de la ressource. A noter que le recouvrement des coûts pour un service AEP est atteint lorsque la recette (hors TVA) liée à la facturation de l’eau aux abonnés couvre tous les coûts (y compris les coûts pour l’environnement et la ressource) du service considéré. Le ratio  de la DCE. représente alors le taux de couverture des coûts du service AEP en question. Notre étude qui concerne l’application de la récupération des coûts des services AEP en lien avec la DCE va s’orienter en deux temps. Dans un premier temps, nous constaterons le taux de couverture moyen pondéré15 des services AEP au niveau national au travers de deux études (Ernst & Young et le rapport BIPE). Puis dans un second temps, nous construirons, grâce à notre base de données SISPEA, 2 types de modèles économétriques : le premier plus juste mais plus contraignant à mettre en œuvre nous permettra ou non de valider le deuxième modèle qui sera plus facile à utiliser pour des applications futures sur d’autres bases de données des services d’eau plus importantes et plus fiable.   Dans ce chapitre, nous évoquerons deux études précédentes (Ernst & Young sur des données sur l’eau de 2004 et le rapport BIPE sur des données de 2006) qui ont déjà traité de la reconstitution des coûts de l’eau potable. 

 Méthode Ernst&Young 2007 sur les données de 2004 

La méthode Ernst&Young a été élaborée pour le Ministère de l’Ecologie. A partir de données de 2004, le cabinet d’audit a proposé un calcul de recouvrement des coûts au niveau national et par bassin. Les sources utilisées sont comptables : comptes sociaux des entreprises et consolidation des M4916 des collectivités, avec des retraitements éventuels. Certes, ce document s’appuie sur des données qui ont 5 ans mais il permettra de nous donner un aperçu du taux de recouvrement des coûts des services AEP + assainissements17 en France. A partir des comptes des collectivités et des comptes des délégataires, le cabinet Ernst et Young nous fournit un bilan des estimations des composantes du coût financier des services d’eau et d’assainissement .

Table des matières

EMERCIEMENTS
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : LES SERVICES D’EAU EN FRANCE
1.1 La gestion des services d’eau en France
1.2 Les coûts générés par les services d’alimentation en eau potable
1.3 La Directive Cadre Européenne et ses objectifs en termes de recouvrement des coûts
CHAPITRE 2 : SITUATION MACROECONOMIQUE DU RECOUVREMENT DES COUTS EN FRANCE
2.1 Méthode Ernst&Young 2007 sur les données de 2004
2.2 Estimation du taux de recouvrement des coûts comptables par le rapport BIPE 2008 sur les
données de 200616
2.3 Conclusion de la mise en commun des approches Ernst&Young etBIPE
CHAPITRE 3 : ANALYSE MICRO-ECONOMETRIQUE DU RECOUVREMENT DES COUTS DES SERVICES AEP EN FRANCE POUR L’ANNEE 2007
3.1 Présentation de la base de données SISPEA
3.2 Première méthode d’estimation des coûts des services AEP
3.2.1 Présentation générale de laméthode
3.2.2 Théorie Néoclassique du producteur : minimisation des coûts des services AEP
3.2.3 De la base Aube-Gironde
Présentation de la base de données Aube-Gironde
* Spécification du modèle : la fonction « transcendantal logarithmique »
* Le modèle à régime « switching model
3.2.4 à la base SISPEA
3.3 Deuxième méthode d’estimation des coûts des services AEP
3.3.1 Présentation générale de la méthode
3.3.2 Théorie Néoclassique du producteur : maximisation du profit des services AEP
3.3.3 Estimation des recettes par « switching model »
CHAPITRE 4 : VALIDATION DE LA DEUXIEME METHODE ET TYPOLOGIE DES SERVICES RECOUVRANT OU NON LEURS COUTS
CONCLUSION

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