Etude des Oscillations Quasi Périodiques dans les
systèmes binaires X de faible masse
Description et caractéristiques des kHz QPO
Dans la suite de cette section, je décris en détails les paramètres qui caractérisent les kHz QPO et les différents phénomènes observationnels qui leur sont associés. Forme spectrale d’un kHz QPO Dans le spectre de puissance, un kHz QPO apparaît comme un pic élargi. D’un point de vue mathématique, une telle signature dans l’espace des fréquences peut être celle de signaux purement aléatoires ne nécessitant pas d’horloge pour les générer (par exemple un processus d’auto-régression de second ordre). Cependant, aucun modèle physique générant des signaux purement aléatoires n’a été proposé. Les modèles de signal les plus populaires sont ceux faisant intervenir des trains d’ondes (Lamb et al., 1985). Dans ces modèles, le signal est constitué d’une superposition de trains d’ondes de durée de vie finie (durée où le signal conserve sa phase et sa fréquence), chacun ayant une phase et une fréquence distribuées aléatoirement. Au cours du temps, l’amplitude et la fréquence moyennes du signal varient. La largeur du pic dans le spectre de puissance est alors la somme de deux composantes distinctes. La première composante est intrinsèque au signal et est déterminée par la durée de vie des trains d’ondes. Elle traduit la variabilité apériodique du signal et justifie le nom d’oscillations quasi périodiques. La deuxième composante est due à la dérive en fréquence sur le temps d’intégration T utilisé pour calculer le spectre de puissance. Si T est grand, la fréquence moyenne du signal varie et provoque un élargissement du pic dans le spectre de puissance. La composante du spectre de puissance associée à ces signaux peut être modélisée par une lorentzienne centrée sur la fréquence moyenne des oscillations. La largeur à mi hauteur permet d’estimer la cohérence du signal. Si l’on est capable de calculer le spectre de puissance sur le temps de cohérence du signal, alors on mesure directement la cohérence du signal. Dans la pratique, les instruments dont on dispose n’ont pas une sensibilité suffisante pour détecter des kHz QPO dans des spectres de puissance intégrés sur le temps de cohérence des oscillations. Par conséquent, la cohérence de l’oscillation estimée par la largeur à mi hauteur de la lorentzienne est biaisée par la dérive en fréquence. Il existe des méthodes permettant de réduire le biais du à la variation temporelle de la fréquence. Elles ont été utilisées et améliorées dans cette thèse. Paramètres des kHz QPO Les kHz QPO sont caractérisés par trois paramètres. La fréquence centrale ν de la lorentzienne donne la fréquence moyenne de l’oscillation sur l’intervalle de temps T où le spectre de puissance est calculé. La largeur à mi hauteur δν ou encore le facteur de qualité Q ≡ ν/δν estime la cohérence du signal. L’amplitude RMS exprimée en pourcentage du taux de comptage de la source indique l’amplitude des oscillations par rapport au niveau moyen de la source. D’une manière générale, les kHz QPO observés présentent les caractéristiques suivantes : – une fréquence comprise entre ∼ 300 Hz et ∼ 1200 Hz – un facteur de qualité supérieur à 2 et pouvant atteindre 200 – une amplitude de quelques % de l’intensité totale (entre 1 et 20%) Par convention (van der Klis, 1989b), on utilise le terme d’oscillation quasi périodique pour les composantes du spectre de puissance ayant une largeur inférieure à leur fréquence caractéristique. Pour une lorentzienne, cela se traduit par un facteur de qualité supérieur à 2. Dans le cas contraire, on parle de composante de bruit. Dans ma thèse, je n’ai étudié que les kHz QPO. Phénomènes observationnels associés aux kHz QPO Dans les paragraphes qui suivent, je vais rappeler les propriétés des kHz QPO qui ont été observées dans les 10 dernières années. Tout d’abord, dans la plupart des sources, deux pics séparés de ∼ 300 Hz sont détectés dans le spectre de puissance. Ces deux pics sont appelés kHz QPO jumeaux et dans la suite du manuscrit, j’utilise les notations suivantes : le kHz QPO ayant la fréquence la moins élevée est noté QPOkHz,1 (« lower QPO ») et les paramètres le décrivant ont l’indice ’1’, l’autre est noté QPOkHz,2 (« upper QPO ») et est associé à l’indice ’2’ (voir figure 1.5). Alors que la fréquence de ces pics varie de plusieurs centaines de Hertz, la séparation en fréquence reste toujours proche de ∼ 300 Hz. Ensuite, les kHz QPO sont détectés dans les données du PCA de RXTE uniquement quand la source est dans un état spectral particulier qui est repéré par sa position dans un diagramme couleur-couleur (Ford et al., 2000; van Straaten et al., 2000; Di Salvo et al., 2003; van der Klis, 2004). Par exemple pour les sources Atoll, les kHz QPO sont détectés uniquement quand la source se trouve dans le coin inférieur gauche du diagramme couleur-couleur (voir figure 1.1). On observe également une très bonne corrélation entre la position dans le diagramme couleurcouleur et la fréquence des kHz QPO (Méndez et al., 1999). De plus, dans le cas des sources de type « Atoll » si on étudie la fréquence des kHz QPO en fonction de l’intensité de la source (son taux de comptage), on observe une corrélation particulière baptisée « parallel tracks » qui est montrée sur la figure 1.6 pour la source 4U 1608-52. Les « parallel tracks » indiquent qu’il y a une corrélation entre la fréquence du QPOkHz,1 et la luminosité sur une échelle de temps de l’ordre de l’heure qui disparaît sur des échelles de temps plus grande. Les « parallel tracks » sont responsables d’un biais dans l’analyse des kHz QPO. Comme le montre l’équation 1.22, la significativité statistique du kHz QPO dépend explicitement du taux de comptage. Par conséquent, à facteur de qualité Q et amplitude RMS constant, on détecte plus facilement les kHz QPO associés à un fort taux de comptage, c’est-àdire, d’après la figure 1.6, les kHz QPO à plus haute fréquence. Dans notre étude nous avons pris en compte ce biais. Les fréquences des kHz QPO sont également corrélées avec les fréquences des composantes basses fréquences présentes simultanément dans le spectre de puissance (van der Klis, 2006a). Il semble donc que les kHz QPO soient liés aux variabilités plus lentes du disque d’accrétion. Enfin, il faut noter que l’amplitude RMS des kHz QPO augmente avec l’énergie (voir figure 1.10 pour la source 4U 1608-52, Mendez et al., 1997). Ces propriétés ont permis l’élaboration de différents modèles qui sont décrits dans la section suivante.
LES KHZ QPO, OUTILS DE LA PHYSIQUE EXTRÊME
Les kHz QPO, outils de la physique extrême
Le satellite RXTE Dans les paragraphes qui suivent, je présente le satellite RXTE dont l’instrument PCA est dédié à l’étude de la variabilité dans l’émission X. Figure 1.5 – Spectre de puissance de la source Scorpius X1 obtenu par le PCA de RXTE en 1996 (van der Klis et al., 1997). Deux kHz QPO sont présents simultanément. Celui de plus basse fréquence est noté QPOkHz,1 et l’autre QPOkHz,2 . Figure 1.6 – Evolution de la fréquence du QPOkHz,1 en fonction du taux de comptage pour la source 4U 1608-52 (Méndez et al., 1999).On observe des lignes parallèles montrant la corrélation si particulière entre la fréquence et le taux de comptage dans les sources « Atoll ». Caractéristiques techniques du satellite RXTE Le satellite américain Rossi X-ray Timing Explorer (RXTE, Bradt et al., 1993) est lancé le 30 décembre 1995 et placé sur une orbite de type LEO (Low Earth Orbit) à une altitude de 600 km. Il est conçu pour étudier la variabilité rapide des binaires X. Sa charge utile est composée de trois instruments : le Proportional Counter Array (PCA, Jahoda et al., 1996), le High Energy X-ray Timing Experiment (HEXTE, Gruber et al., 1996) et le All Sky Monitor (ASM, Levine et al., 1996).
LES MODÈLES DE KHZ QPO
Le PCA est un détecteur de type compteur proportionnel composé de 5 unités (PCU, Proportional Counter Unit) sensibles dans la gamme 2-60 keV. Cet instrument est dédié à l’étude de la variabilité rapide des systèmes binaires X. Il allie une grande surface collectrice (de l’ordre de 7000 cm2 à 6 keV) a une très grande résolution temporelle (de l’ordre de la micro seconde). Ces deux caractéristiques impliquent de stocker et transférer une grande quantité de données. Cette gestion des données est assurée à bord du satellite par le microprocesseur Experimental Data System (EDS, Bradt et al., 1993). Il permet l’enregistrement simultané de 6 modes différents sélectionnés par l’observateur. Parmis ces 6 modes, 2 modes standards sont enregistrés avec des paramètres spectraux et temporels constants au cours de la mission constituant une banque de données homogènes sur la durée de la mission. Dans ma thèse, j’ai utilisé exclusivement les données provenant de l’instrument PCA. Effet du temps mort Le PCA, comme tous les compteurs proportionnels, possède un temps mort lié au temps de conversion analogique numérique. Cette composante est de l’ordre de 1-3% pour des sources peu brillantes. Dans le cas des sources brillantes, une deuxième composante vient s’additionner due aux photons qui sont rejetés de façon accidentelle (effets de pile up). Qualitativement, le temps mort des détecteurs élimine toutes corrélations sur les échelles de temps inférieures au temps mort. En présence de temps mort, le spectre de puissance d’un processus poissonnien n’est plus constant avec la fréquence. Les modifications apportées au spectre dépendent du type de temps mort. Cet effet de temps mort à une conséquence directe sur l’amplitude RMS calculée des composantes du spectre de puissance. Dans certains cas particuliers de temps mort, on peut évaluer un coefficient de correction à appliquer à l’amplitude (van der Klis, 1989a; Zhang et al., 1995). Cependant, dans la plupart des cas, on ne connaît pas suffisamment bien le temps mort pour en évaluer les effets. Ces effets sont importants uniquement quand le taux de comptage devient élevé, c’est-à-dire dans les sursauts X ou encore pour les sources Z (van der Klis et al., 1996). Dans ma thèse, j’ai étudié principalement des sources « Atoll » hors sursaut pour lesquelles les effets de temps morts sont négligeables. Les découvertes majeures de RXTE Le satellite RXTE a révélé la variabilité rapide dans les binaires X. Trois résultats majeures concernent les systèmes binaires X de faible masse contenant une étoile à neutrons. En utilisant des observations du PCA, Wijnands & van der Klis (1998) découvrent le premier pulsar milliseconde accrétant SAX J1808.4-3658. Cet objet est dans la phase de transition entre binaire X et pulsar milliseconde . Il confirme la théorie de la formation des pulsars radio milliseconde. Selon cette théorie largement acceptée, ces objets sont initialement des pulsars radio ordinaires. Au cours du temps, le champ magnétique décroît. Si l’étoile à neutrons se trouve au coeur d’un système binaire, elle peut être accélérée jusqu’à des périodes de l’ordre de la milliseconde par l’accrétion de matière. Très récemment, Archibald et al. (2009) ont observé un pulsar radio milliseconde au coeur d’un système binaire X et des traces d’un disque d’accrétion qui était encore présent dans la dernière décennie. C’est la première fois que l’on observe la naissance d’un pulsar radio milliseconde. Le PCA a également permis de découvrir les oscillations pendant les sursauts X (Strohmayer et al., 1996). Lors d’un sursaut X, l’émission produite par l’explosion thermonucléaire est anisotrope (Bildsten, 1998). Dans l’hypothèse où le sursaut se développe dans une région limitée de la surface de l’étoile à neutrons, la rotation de l’objet compact module alors l’émission X à la fréquence νspin ou 2νspin s’il y a deux régions brillantes antipodales (Miller, 1999). A la suite de cette découverte, plusieurs autres sources ont montré des oscillations lors des sursauts X, ce qui a permis d’évaluer la fréquence de rotation de l’objet compact. Enfin, le PCA a permis d’observer une variabilité temporelle structurée à des fréquences de l’ordre du kilo Hertz dans un grand nombre de systèmes binaires X, les kHz QPO. Les hautes fréquences des signaux détectés pourraient être liées aux mouvements orbitaux dans les régions internes du disque, à ∼ 20 km de l’objet compact. On dispose ainsi de signaux qui proviennent directement de l’intérieur du disque où le champ de gravité est très important. Ces signaux sont très probablement générés par des processus physiques faisant intervenir la relativité générale. Cette découverte majeure de RXTE est un nouvel outil d’étude des objets compacts.
Modélisation des kHz QPO et prédictions sur les observables
Plusieurs modèles faisant intervenir une physique différente ont été développés ces 10 dernières années pour expliquer les propriétés des kHz QPO. Ces modèles permettent d’expliquer la plupart des corrélations qui existent entre les paramètres des kHz QPO mais on manque toujours d’un modèle standard qui serait capable d’expliquer intégralement la phénoménologie des kHz QPO. Quatre modèles représentent l’état des connaissances pour les kHz QPO et se distinguent par des prédictions différentes sur les observables. Pour trois modèles, la fréquence du QPOkHz,2 est associée à la fréquence orbitale keplerienne dans le disque. Pour le quatrième, c’est la fréquence du QPOkHz,1 qui est associée à la fréquence orbitale. Dans la suite de cette section, je vais décrire brièvement ces quatre modèles et mettre en évidence leurs prédictions sur les observables.
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