Etude empirique d’une assignation catégorielle incertaine
Un usage constant, des définitions et des significations sociales fluctuantes
La classe moyenne est une notion particulièrement controversée des sciences humaines et sociales. Il n’existe pas de consensus, ni sur sa définition, ni sur l’identité collective de ses membres. Qualifiée de notion ambivalente, ambiguë, fourre-tout, son caractère polysémique est sujet à controverses depuis ses origines et l’histoire de la notion est caractérisée par de nombreux glissements sémantiques. Rassemblant, par définition, des agents en situation intermédiaire dans la hiérarchie sociale, sa composition et ses significations sociales dépendent étroitement de l’époque et du pays étudié, mais aussi des influences idéologiques et des représentations/attentes des différents auteurs sur ce qu’elles sont censées produire sur la société. Nous proposons une revue de la littérature des usages de cette notion polysémique et contingente (1.1) dont l’histoire des usages est traversée par des tensions permanentes entre unité de la catégorie et diversité des groupes qui la composent (1.2).
Une notion polysémique et contingente
Les significations sociales de la notion de classe moyenne sont contingentes, liées à la fois à l’époque et au lieu concerné, aux rapports de domination et à la composition des groupes supérieurs et inférieurs de la période étudiée. De son apparition à aujourd’hui, les différentes utilisations et significations de la notion sont fortement tributaires des différents enjeux sociaux qu’elle revêt. La notion NALLET Clélie Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 59 traduit des sens, représentations et réalités sociales diverses, voire contradictoires. Nous verrons que la controverse sur les définitions et significations sociales est constante dès l’apparition de la notion de classe moyenne (1.1.1) et s’alimente par la diversité des critères utilisés afin de définir la catégorie et la diversité des sens que le terme recouvre selon les contextes (1.1.2).
Une notion controversée dès son apparition : des bourgeois aux petits bourgeois, à une nouvelle classe
Les appellations « classe moyenne » et « classes moyennes » ont désigné successivement la bourgeoisie, la petite bourgeoisie indépendante, puis la réunion de cette dernière et des catégories salariées non manuelles. Dans la littérature de la première moitié du 19ème siècle, une équivalence est formulée entre classe moyenne et bourgeoisie (Charle, 2003; Daumard, 1991; Sick, 1993). L’expression oscille alors entre deux interprétations, une sociale évoquant une bourgeoisie disposant de la propriété, qui veut exercer ses talents et s’enrichir par ses activités, l’autre politique, qui découle de l’aspiration de cette classe émergente à accéder aux affaires publiques et à promouvoir un nouvel ordre politique et social. Le poids considérable de l’aristocratie, sa domination politique et sociale, expliquent cette double acceptation de la bourgeoisie comme classe moyenne. C’est aussi le cas dans l’Angleterre du 19ème siècle où la middle class est associée à la nouvelle classe émergente (voir Thompson, 1991; Briggs, 1959). En France, parallèlement au déclin de l’emprise de l’aristocratie et à l’affirmation de la bourgeoisie comme classe dominante, le terme classe moyenne va connaître son premier glissement sémantique et va incarner la petite bourgeoisie, constituée par les petits entrepreneurs ou encore la petite bourgeoisie indépendante. Dans le discours politique, on parle alors de couches nouvelles48 qui, dotées d’un minimum 48Nouvelle couche composée de petits propriétaires terriens, petits commerçants, petits industriels, artisans et employés: toutes ces catégories ont en commun d’avoir dû construire leur position plutôt que d’en hériter, en s’appuyant davantage sur leur éducation que sur leur modeste patrimoine (Molénat, 2007:1). NALLET Clélie Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 60 de capital, s’éloignent des conditions de vie du prolétaire, sans pour autant pouvoir se permettre l’oisiveté du bourgeois (Molénat, 2007). Les transformations économiques et structurelles des années 1930 vont engendrer une recomposition de l’analyse de l’espace social ainsi qu’une nouvelle reconfiguration sémantique du terme de classe moyenne. La modernisation de la structure de production industrielle engendre la question de la dénomination des nouvelles catégories de salariés qui lui sont liées. Ces nouvelles catégories profitent du développement progressif de vastes bureaucraties, de la grande industrie et du secteur public, en particulier pendant les 30 glorieuses. C’est l’époque où C.W. Mills décrit le nouveau monde des cols blancs49, figures de proue de la nouvelle société capitaliste américaine (Mills, 1951). Les premières analyses prenant en compte l’essor des couches moyennes salariées datent de l’entre-deuxguerres (voir Lederer et Marschak, 1926 et la Neuer Mittelstand50 en Allemagne, et Halbwachs et les classes moyennes salariées en France). Les travaux sociologiques des années 1980 ont porté presque exclusivement sur les « nouvelles couches moyennes salariées » en expansion51 (Cartier, 2008). Si ces études ont un commun le constat de l’émergence de situations sociales qui ne correspondaient ni à la position de prolétaire, ni au statut de bourgeois, la sociologie française a eu tendance à définir ces situations sans sortir du cadre d’une vision bipolaire, alors qu’au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis, une approche en terme de nouvelle classe sociale a été privilégiée. Tantôt « groupe gélatineux » (Bidou, 2004:120), tantôt nouvelle classe sociale, les interprétations de l’identité de ces émergents ne sont pas unanimes. La notion de classe moyenne naît ainsi dans la controverse, dans une tension unité/diversité qui va parcourir l’histoire de la notion. 49 C. W. Mills (1951) dépeint le profil du groupe des cols blancs (white collars). Situé dans le secteur tertiaire de l’économie, le groupe se distingue de ceux des ouvriers (blue collars) et des dirigeants (ruling class) tant par son statut que par son attitude politique, son mode de vie et la perception qu’il a de lui-même. 50Littéralement « nouvel état moyen ». 51Les nouvelles couches salariées correspondent aux fonctionnaires de la catégorie B, personnels paramédicaux et sociaux, instituteurs et, du côté du secteur privé, techniciens et « cadres maison » (Cartier, 2008). De la fin d’une vision bipolaire à une nouvelle classe ? Le constat de désuétude d’une analyse bipolaire de la société a légitimé l’objet d’étude classe moyenne dans la littérature des sciences humaines et sociales. Par exemple, en France, dans les années 1970-1980, différents travaux mettent l’accent sur la caducité d’une structure sociale exclusivement constituée de prolétaires et de bourgeois et l’émergence de nouveaux groupes sociaux (voir Mallet, 1969; Tourraine, 1969; Baudelot, Establet et Malemort, 1974; Poulantzas, 1974; Bourdieu, 1979). Cependant, ces derniers ne sont pas considérés comme constitutifs d’une classe sociale à part entière, notamment parce qu’ils ne disposent pas d’une conscience de classe et dépendent étroitement des autres groupes sociaux. Leur définition ne leur attribue pas d’identité spécifique, mais les situe par rapport à ce qui est considéré comme de vraies classes sociales : prolétaires et bourgeois. La première version sociologique du groupe classe moyenne est ainsi une définition par défaut liée à ce qui existe déjà. Les auteurs définissent le groupe moyen, ni prolétaire ni bourgeois, soit comme de nouveaux ouvriers (voir Mallet, 1969; Tourraine, 1969), soit comme de nouveaux bourgeois (voir Baudelot, Establet et Malemort, 1974; Poulantzas, 1974; Bourdieu, 1979). Au-delà des nuances et des variantes, ces études ont en commun de dénier à ces couches sociales un statut de classe à part entière, par leur dépendance au conflit majeur entre classe ouvrière et bourgeoisie: le point de vue stratégique reste ainsi fondamentalement bipolaire, et la terminologie traditionnelle. D’un autre côté, c’est une littérature spécifique sur les cadres qui a pris en considération la question des nouvelles classes moyennes salariées au tournant des années 1980 (voir Boltanski, 1982; Benguigui et Montjardet, 1978). En Grande-Bretagne, la littérature en sciences humaines et sociales des classes moyennes a connu un essor important dans les années 1980 et 1990, considérant les « ni aristocrates, ni prolétaires » comme un groupe social nouveau: les « nouvelles classes moyennes salariées ». Les travaux, fussent-ils inscrits dans la continuité d’une approche centrée sur la working class, ouvrent des débats sur la montée de nouvelles classes moyennes salariées et leur rôle dans le changement économique et social des sociétés industrielles et postindustrielles. Une NALLET Clélie Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 62 terminologie spécifique, celle de la service class52 a progressivement émergé (voir Goldthorpe, 1995). D’autre part, la littérature scientifique allemande occupe une place pionnière dans la prise en compte des cols blancs avec la Neuer Mittelstand, emblème de la modernité et du nouveau capitalisme (voir Lederer et Marschak, 1926; Geiger, 1932). A la même époque aux États-Unis, des auteurs ont porté leur attention sur ces nouvelles couches et ont vu en elles une « nouvelle classe », très liée aux mouvements de contestation culturelle des années 1960 (voir Gouldner, 1979; Ehrenreich, 1977). Ces auteurs remettent en cause la vision bipolaire en montrant l’identité spécifique de cette nouvelle classe, ses spécificités culturelles, son idéologie contestataire ainsi que ses propres aspirations. Cette lecture des nouvelles couches moyennes salariées comme groupe se constituant autour de ses propres intérêts a trouvé écho parmi quelques chercheurs français au début des années 1980. Des spécificités des nouvelles couches salariées dans leurs comportements électoraux ont été mises en exergue (voir Schweisguth, 1983) ainsi que les spécificités des nouvelles couches moyennes à partir du champ urbain (voir Bidou et al., 1983). Ces classes moyennes salariées seront désignées sous le terme de « nouvelles classes moyennes ». Cependant, si dans les années 1980, la thématique des classes moyennes finit par acquérir une légitimité en France, parallèlement, la grille de lecture de dilution des frontières entre classes se fait dominante. En effet, le modèle de la moyennisation (voir Mendras, 1988) qui correspond à une dilution de l’idée même de classe sociale va concurrencer et dominer la lecture des nouvelles couches salariées comme entité indépendante. Mendras (1980) défend l’idée que l’ « individualisation des modes de différenciation sociale » est si avancée que « la notion de classe sociale, voire de catégorie sociale, a perdu toute sa pertinence pour décrire et comprendre les faits sociaux ». La thèse de la moyennisation se base sur les transformations de la société française des années 1990 : baisse des inégalités économiques et éducatives, effacement des frontières sociales en terme d’accès à la consommation et de références culturelles, mais aussi croissance de la mobilité, 52 Terme adopté par J. H. Goldthorpe afin de désigner ceux dont la relation de travail se base sur un « code » plutôt que sur un « contrat ». Il définit ainsi la service class : ״professional, senior administrative, and senior managerial employees, for whom autonomy and discretion are a necessary part of the work situation״. NALLET Clélie Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 63 moindre structuration des classes en groupes hiérarchiques distincts, repérables, identifiés et opposés, moindre degré d’intellectualité des classes et de conscience de classe (Chauvel, 2001). Les transformations sociales qui en résultent correspondent à la dissolution des différences de classes dans l’expansion d’une vaste classe moyenne formalisée ici en « constellation centrale », ainsi qu’à l’homogénéisation des styles de vie dans la société française. Dans la thèse de la moyennisation, la classe moyenne a finalement pour identité le fait de ne pas former une classe sociale à identité forte mais une masse qui englobe la société et uniformise les spécificités. La thèse de la moyennisation au sens de H. Mendras a présentement perdu de son influence, les auteurs s’accordent pour dire qu’il n’existe actuellement pas de théorie dominante concernant la composition sociale de la société française et chacun a un avis différent sur ce qu’est ou devrait être l’analyse sur les classes moyennes aujourd’hui (voir Bidou, 2004; Chauvel, 2001; Cartier, 2008; Charle, 2003). Les classes sociales ont perdu leur statut dominant dans les représentations et dans l’analyse de la structure sociale. Si l’article de L. Chauvel (2001), Le retour des classes sociales?, relance le débat sur la pertinence des catégories de classe pour décrire les sociétés contemporaines. Les séminaires auxquels nous avons assisté lors de ces années de thèse confortent le point de vue exprimé par L. Boltanski : « Les ouvrages sur le retour des classes sociales en France ont surtout une valeur de manifeste mais n’ont pas replacé les classes sociales comme un outil d’analyse de première importance »53. Il existe bien un renouveau de la réflexion sur les classes sociales et une volonté de les replacer au cœur des études des structures sociales, mais qui n’aboutit pas à la conclusion (souvent souhaitée) d’un retour en force de la pertinence d’une analyse en terme de classe sociale. Le colloque Où [en] sont les classes sociales ?54 (2013) est à cet égard équivoque. Dans les interventions, la classe sociale est rarement un objet d’étude ou une approche a priori, la démarche des intervenants consistait plutôt, à partir de leur objet d’étude (par exemple les multinationales, les « bandes de jeunes », les enfants 53 Extrait de l’intervention de L. Boltanski Croissance des inégalités ; effacement des classes sociales ? Trente années d’embarras sociologiques, lors de la conférence Inégalités et justice sociale, le vendredi d’immigrés, les entrepreneurs, les conseillers financiers), à s’interroger a posteriori sur la pertinence d’une analyse en terme de classe sociale par rapport à leur objet. Lors de la session Les classes sociales : un mode de catégorisation en concurrence ?55 les intervenants ont tous conclu sur l’importance et l’apport d’une réflexion en terme de groupes sociaux, tout en mettant l’accent sur les articulations entre différents modes de catégorisation et d’identification, dans lesquels les classes sociales constituent une variable significative, souvent implicite, mais moins déterminante que d’autres facteurs de catégorisation et d’altérisation (par exemple la religion, la nationalité, la couleur de peau, le genre). L’accent est alors mis sur l’idée d’un « éventail des ressources identitaires » et sur la pluralisation des modes d’identification, de catégorisation et d’altérisation.
La nébuleuse classe moyenne : effets de critères, effets linguistiques
La diversité des situations sociales qui sont intégrées dans la catégorie classe moyenne est frappante. Décrivant des situations d’aisance matérielle aussi bien que de précarité relative, cette appellation d ‘ « origine non contrôlée » (Chauvel, 2006: 17) est avant tout marquée par son ambivalence. L. Chauvel dénonce un « manque de cohérence intellectuelle » des travaux sur ce sujet et précise que « le même mot tend à définir des groupes sociaux dont le niveau de revenu peut varier du simple au quadruple » (Chauvel, 2006:17). « Expression fourre-tout » (Molénat, 2007:2), image de la garniture d’un sandwich entre une classe supérieure et une classe populaire (Chauvel, 2006:1): s’il n’existe pas de cohérence des profils assimilés à la notion de classe moyenne, les auteurs s’accordent sur l’absence de définition objective du terme classe moyenne. L’incapacité des « éléments objectifs et tangibles constitutifs de la hiérarchie économique et sociale » à « définir une classe moyenne au singulier, autrement dit la classe moyenne» (Chauvel, 2006: 30) rend la notion ambivalente, ambiguë, controversée (Molénat, 2007:2; Chauvel, 55 Panel dirigée par Christian Baudelot, le mardi 23 avril 2013 de 9h30 à 13h00 à l’ENS. . L’utilisation du pluriel est en effet quasiment systématique et la majorité des travaux insistent sur l’hétérogénéité que revêt la notion, qui en devient même la caractéristique principale (voir Chauvel, 2006:13; Molénat, 2007:2; Vindt, 2009:1; Bosc, 2008:153; Charle, 2003:108). Si le pluriel est de mise, les adjectifs qui sous-catégorisent la classe moyenne en des fractions plus précises ne sont pas en reste, comme le note J. Damon (2013) : « il est possible et loisible de distinguer les classes moyennes anciennes et nouvelles, inférieures, intermédiaires et supérieures » (p.4) ou le dénonce L. Boltanski (2013) : « actuellement, il y a des nouvelles classes pour tout, ce qui ne sert pas l’idée de classe ». Effet des critères retenus afin de les définir S’il n’existe pas de définition objective de classe moyenne, il n’existe pas non plus de critères ou d’outils homologués pour délimiter et mesurer le groupe. Le débat sur les critères d’identification et leur pertinence ne constitue pas l’apanage des classes moyennes mais est une question qui se pose pour toute catégorie, pour tout groupe social56. Il est accentué lorsqu’il s’agit de délimiter des catégories aussi incertaines que celle de classe moyenne (notion traversée par une tension unité/diversité, fortement dépendante de son imbrication avec les autres groupes sociaux dans la structure sociale globale). Une étude de la littérature permet de relever trois types de critères retenus afin de mesurer les classes moyennes. Certaines études utilisent des critères exclusivement économiques (revenus et consommation), d’autres intègrent des critères sociologiques (professions, représentations, modes de vie), et certaines privilégient des critères subjectifs (auto représentation). Les outils de mesure sont extrêmement variables d’une étude à l’autre. L. Chauvel (2006) soulève l’insolvabilité de la situation : « On peut trouver des critères qui semblent plus pertinents que d’autres, par exemple, choisir de prendre en considération le revenu disponible plutôt que le salaire pour délimiter le groupe. Les découpages proposés à partir des 56 Voir par exemple Ogien, 1983, sur la pauvreté et Jerven, 2013, sur les outils utilisés pour quantifier les niveaux de développement des pays africains. NALLET Clélie Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 66 revenus disponibles seront cependant tout aussi arbitraires que ceux à partir des salaires. » (p.30) Les écarts entre les outils adoptés afin de circonscrire le groupe classe moyenne expliquent en partie la coexistence de thèses contradictoires (moyennisation/démoyennisation). Effets linguistiques L’utilisation de la notion de classe moyenne exige donc prudence, d’autant plus que les connotations des termes utilisés dans les différentes langues ajoutent à l’ambivalence et rendent le débat international sur les classes moyennes d’autant plus confus. Les terminologies utilisées peuvent correspondre à des réalités ou des idées très différentes. Il existe un écart important entre la vision élitiste et sélective de tradition anglaise de middle class et celle, de tradition européenne, du « citoyen moyen » qui exclut la haute bourgeoisie et le prolétariat, sorte d’average class (Chauvel, 2006:18). La tendance des représentations des classes moyennes est à l’oscillation entre cette vision de catégorie intermédiaire, de « juste milieu », de « français moyen » (Goblot, 2010 [1925]) et une vision beaucoup plus aristocratique (Molénat, 2007). C’est aussi la mise en garde du rapport du CREDOC sur les classes moyennes en Europe (Bigot, 2011) : « La signification que prend la notion de classes moyennes dépend largement de son acceptation dans différentes langues ou différents contextes socioculturels. Les sociologies nationales ont toutes leurs propres questions, qui trouvent leurs sources à la fois dans l’histoire et les spécificités culturelles, sociales et intellectuelles de chaque pays. » (Bigot, 2011 : 19) Dans son article La classe moyenne chinoise, réalité ou illusion?, Zhou Xiaohong met en exergue les confusions, en lien avec le manque de définition préalable à l’utilisation des différents termes, qui alimentent le débat sur la question de l’existence d’une classe moyenne en Chine (Zhou, 2008:140-159). Il montre que la plupart des interrogations « tiennent à l’utilisation erronée du terme anglais middle class » (Zhou, 2008:143) et dans « la confusion entre les caractéristiques de la classe moyenne telles qu’elles sont définies ailleurs et telles qu’elles existent en NALLET Clélie Thèse pour le doctorat en Science politique | 2015 67 Chine » (ibid.:144). Il explique que les critères stricts57 reconnaissant ou non une classe moyenne, élus par la majorité des articles chinois, correspondent in fine aux critères permettant d’être considérée comme une middle-class society, c’est-à-dire une société où la classe moyenne occupe une proportion importante de la population (ibid.:145). En ce qui concerne l’Éthiopie, le transfert de la notion de classes moyenne est d’autant plus problématique qu’il n’existe pas de traduction homologuée du terme dans les langues éthiopiennes58. La notion est alors d’autant plus sujette à interprétions et malentendus. La manière dont chacun traduit une expression qui n’a pas d’étymologie propre est significative des manières dont chacun se représente la notion et des connotations sociales qu’elle produit ou non. Durant mes séjours de recherche à Addis-Abeba, j’ai travaillé avec plusieurs collaborateurs éthiopiens. Ils ont traduits le terme classe moyenne en amharique de manière différente : l’un d’entre eux a utilisé l’expression « mekakelegna gebi yalachew » (« ceux qui ont un revenu moyen »), une autre le terme « mekakelegna sew » (« les gens du milieu ») et ma collaboratrice francophone « mekekelegna yehebreteseb kefe »’ (« segment/classe moyen.ne de la société »). Cette dernière traduction, aussi élaborée soit-elle, est particulièrement compliquée à appréhender. Si elle peut faire sens pour ceux qui connaissent les tenants de mon objet d’étude, elle ne traduit rien de particulièrement signifiant pour les autres. Le terme kefle a été aussi bien compris comme traduisant l’idée de groupe au sein de la société que de classe au sens de « salle de classe »
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