ETUDE DES INFECTIONS A VIBRIONACEAE
CHEZ LES MOLLUSQUES BIVALVES
Relation Vibrio/ bivalve adulte: éléments d’analyse
Après avoir étudié et essayé de mieux cerner l’activité des vibrios sur les larves de mollusques bivalves, où leur impact est le plus manifeste, la cytotoxicité notable engendrée par les vibrios sur les hémocytes d’adultes, utilisés pour le test CL, pose le problème de leur agressivité vis à vis de ces animaux adultes et plus généralement de la relation entre l’immunité des larves et celle des bivalves adultes. Les adultes paraissent, en effet, très résistants aux maladies bactériennes, contrairement aux larves. A ce jour trois maladies bactériennes ont été clairement décrites chez les bivalves juvéniles ou adultes: la maladie de l’anneau brun (Paillard et Maes, 1990; Paillard et al., 1994), la nocardiose de l’huître du Pacifique (Elston et al., 1987; Friedman et Hedrick, 1991; Friedman et al., 1991) et la maladie du ligament de la charnière (Elston et al., 1982; Dungan et Elston, 1988; Dungan et al., 1989). Il faut noter qu’à l’exception des rikettsies, les maladies qui affectent les bivalves adultes sont plutôt externes. Enfin, seule la maladie de l’anneau brun est due à un vibrio (Vibrio tapetis, Borrego et al., 1996b). Par contre, les bactéries du genre Vibrio ont été isolées de nombreuses fois sur des animaux affaiblis, ou à mauvaise croissance, sans pouvoir leur attribuer un effet pathogène fort. D’après Prieur et al. (1990) les vibrios doivent être considérés comme des bactéries d’infections secondaires plutôt que comme des pathogènes primaires stricts des adultes. Parmi les vibrios les plus fréquemment isolés trois espèces se distinguent: V. alginolyticus, V. anguillarum et V. splendidus. Chez les juvéniles, on peut s’attendre à une plus grande sensibilité vis à vis des vibrios. Puisqu’ils n’ont pas atteint le même degré de maturité que les adultes, ils pourraient ne pas avoir acquis le même degré de résistance. Il est à souligner que des mortalités massives de jeunes huîtres (C. gigas) sont signalées depuis plusieurs années sur le littoral français. Pour l’instant ces mortalités estivales sont reliées à la présence d’un virus herpès ou à des conditions de stress particulières. Les recherches d’autres causes n’ont pour l’instant pas été menées mais il n’est pas exclu que des vibrios soient également impliqués. En effet, bien que les symptômes semblent être différents, des mortalités massives ont été observées chez les jeunes huîtres (C. virginica) au nord-est des Etats-Unis. Cette maladie nommée JOD pour juvenile oyster disease est vraisemblablement dues à des vibrios (Lee et al., 1995, 1996). Peu d’éléments sont disponibles pour comprendre la différence de sensibilité entre larves et adultes vis-à-vis des infections bactériennes. Elston et Leibovitz (1980a) suggèrent, comme une évidence, que plus les larves grandissent en taille et en âge moins elles sont sensibles aux toxines bactériennes. De leur côté, Nottage et Birkbeck (1986) montrent que des naissains d’huîtres creuses (C. gigas) de 7 mm sont 6 fois moins sensibles à l’action pathogène d’un vibrio que du naissain de 2-3 mm. Ce même type d’observations a pu être fait au sein des écloseries de P. maximus où les phénomènes de mortalité larvaire ont lieu, à quelques exceptions près, systématiquement avant la métamorphose. Cependant, même si les mortalités d’adultes, directement liées à une infection bactérienne, sont rares, le travail qui suit permet d’apporter quelques éléments nouveaux concernant l’action des vibrios sur les animaux adultes. En effet, au cours de ce travail, des coquilles Saint-Jacques adultes, en phase de conditionnement au sein de l’écloserie d’Argenton, ont présenté des anomalies, traduites notamment par l’apparition de dépôts bruns. Une recherche d’agents pathogènes a donc été effectuée ainsi que des inoculations expérimentales de l’agent étiologique supposé. Dans un second temps, pour tenter d’expliquer l’affaiblissement possible des défenses immunitaires des adultes confrontés à une attaque de vibrios, des inoculations de V. pectenicida ont été réalisées sur des P. maximus adultes et leurs effets évalués par le niveau d’activité chimioluminescente des hémocytes. B. Recherche d’un agent pathogène de P. maximus adultes. 1. Symptômes, observations Au cours de la période printemps/été 1996 un lot de coquilles Saint-Jacques adultes (trois ans) est mis en conditionnement à l’écloserie d’Argenton sous différentes conditions d’alimentation en micro-algues. Au cours du prélèvement de juillet, effectué pour des analyses biochimiques, un certain nombre d’animaux présentent des symptômes anormaux: muscle en liquéfaction, parties mâles et femelles des gonades inversées, présence d’importants dépôts bruns au niveau de la coquille. Suite à ces observations, les animaux sont stimulés pour la ponte sans résultat probant. Ils sont alors tous sacrifiés et observés: 6 animaux sur les 44 ouverts présentent des dépôts bruns caractéristiques sur la valve inférieure. Pour cinq d’entre eux le dépôt est situé sous la charnière, au niveau de la glande digestive et se continue, pour les plus atteints, autour de la zone de fixation du muscle.
Recherche, isolement et détermination de l’agent étiologique
Matériel et méthode
Isolement, détermination Sur les animaux malades, trois prélèvements sont réalisés stérilement au niveau des dépôts bruns, de la gonade et de l’hémolymphe. Les prélèvements de gonades et de dépôts bruns sont pesés et le volume d’hémolymphe est évalué. Les échantillons sont broyés, dilués et étalés sur boîtes (Marine Agar et TCBS). Après 48 heures, un comptage est réalisé et le nombre de bactéries par g ou mL est évalué (en UFC). Un type de colonie largement dominante dans les dépôts bruns est isolé, purifié et caractérisé (aspect des colonies, test en galerie API 20E, test de fermentation sur milieu Hugh et Leifson). Un séquençage de la sous-unité 16S de l’ARN ribosomique est réalisé selon la méthode décrite au § Séquençage, phylogénie ARN16S, p.21. La séquence obtenue permet de réaliser une étude phylogénétique en utilisant la méthode des matrices de distance (neighbor-joining, § Programme de phylogénie, p.22). Une hybridation quantitative ADN/ADN est également réalisée avec l’espèce trouvée la plus proche en phylogénie (méthode décrite au § Hybridation, p.30). (2) Infection expérimentale L’objectif de cette expérience est de vérifier le postulat de Koch à savoir: – inoculation de l’agent étiologique supposé. – observation des symptômes de la maladie. – ré-isolement de l’agent étiologique chez les animaux malades. La validation de ce postulat permet de confirmer le rôle de l’agent supposé dans le déclenchement de la maladie. Pour aboutir à cet objectif, le protocole suivant a été appliqué: un lot de 20 P. maximus de trois ans, issu du milieu naturel (rade de Brest) est disposé en deux lots de 10, dans deux bacs de conditionnement, alimentés en eau de mer à 15°C, avec un très faible taux de renouvellement de manière à éviter la dispersion des bactéries injectées. Les animaux sont nourris, à raison de 10 milliards de cellules par individu et par jour, d’un mélange de microalgues Pavlova lutheri, Isochrisis affinis galbana, Chaetoceros calcitrans. Une période de huit jours d’acclimation est respectée avant l’infection. L’absence d’éventuels dépôts bruns, préalablement développés par les animaux dans le milieu naturel, est contrôlée par observation des animaux, valves ouvertes. La limite de cette observation a rapidement été démontrée. Le lot de 10 coquilles (V1 à V10) disposé dans le premier bac est inoculé par l’agent étiologique supposé à raison d’un mL contenant 108 bactéries.mL-1. L’inoculum est injecté à l’aide d’une seringue sous le manteau de la valve inférieure, côté droit. Dans le second bac, cinq coquilles subissent l’injection d’un même volume d’eau de mer stérile (coquilles T2 à T6), et cinq autres reçoivent 108 bactéries de la souche U1, Pseudoalteromonas sp. trouvée en dominance dans l’eau de mer des élevages sains (coquille T1 et T7 à T10). Les animaux sont suivis pendant 28 jours, période au bout de laquelle l’agent étiologique est recherché par broyage et étalement sur milieu TCBS des dépôts bruns. Un isolement et une identification par galerie API 20E sont également réalisés à partir des colonies suspectes. L’analyse des réponses (indemne, malade, mort) des différents groupes (témoin ou infecté par VB) est réalisé en utilisant un tes de χ 2 (α = 0,05).
Résultats
Isolement, identification Le Tableau 18 (p.87) résume la charge bactérienne dans les différents compartiments analysés des coquilles Saint-Jacques conditionnées à l’écloserie d’Argenton et présentant le symptôme des dépôts bruns. Si le nombre de bactéries (en UFC par mL) présentes dans l’hémolymphe est faible (aucun vibrio n’ayant même été détecté sur TCBS), la gonade et surtout les dépôts bruns présentent une flore totale importante (8.104 bactéries par gramme dans la gonade, 1.108 au niveau des dépôts bruns). Dans ces deux compartiments le nombre de vibrios est également très élevé, surtout au niveau des dépôts bruns (7.10 6 vibrios par gramme). Il est intéressant de noter que 80% de la flore TCBS des dépôts bruns est composée d’une colonie de couleur verte, collante et filamenteuse (souche VB). Ce même type de colonie est retrouvée dans la gonade à hauteur de 15% (souche VG). hémolymphe gonade dépôt brun Marine Agar 7 à 8.102 8 à 9.104 1 à 1,5.108 TCBS N.D. 1 à 1,5.104 7 à 8.106 Tableau 18. Charge bactérienne en UFC par gramme ou par mL (hémolymphe) dans les différents compartiments analysés des coquilles Saint-Jacques malades. (N.D.: non détecté). Les caractères des souches VB et VG isolées et purifiées sont présentées dans le Tableau 19 (p.88). Elles sont strictement identiques pour les deux souches. Ces caractères ont été obtenus sur galerie API 20E (API system, Biomérieux, France) et par des tests de production d’acide à partir d’hydrates de carbone sur milieu Hugh-Leifson (OF basal medium, Merck). Les résultats montrent donc l’existence d’une infestation au niveau des dépôts bruns et partiellement de la gonade par une bactérie du genre Vibrio. L’appartenance à ce genre est confirmée par la capacité de croissance des souches sur milieu TCBS, leur capacité d’acidification du glucose en condition anaérobie, leur caractère oxydase positif.
I. INTRODUCTION |