La cosmologie moderne : la découverte du temps perdu

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L’exigence d’ordre

La philosophie classique se caractérise par une vision du monde, conditionnée pendant près de trois siècles, par la pensée cartésienne et la physique de Newton. Ces deux figures ont marqué de leur empreinte toute la science du 17ème siècle. Initiant une méthode qu’il veut universelle, Descartes développe dans ses ouvrages, des règles fondatrices pour l’acquisition de toute connaissance dont la visée est la certitude. Dés lors l’acquisition de toute connaissance, passe nécessairement par l’adoption d’une méthode, sans laquelle on ne saurait atteindre aucune certitude. De là l’idée d’ordre va apparaître aux yeux du 17ème siècle, comme le socle même de la science. Très fécond en productions intellectuelles, ce siècle connaîtra l’avènement de méthodes appliquées à la connaissance, au nombre desquelles figure l’induction mise à jour par Bacon. Parallèlement, la déduction est adoptée par Descartes.
Quand à Newton, son nom est resté à jamais attaché à la naissance de la science prédictive. La publication en 1687, des équations différentielles au rayonnement fulgurant, a fini par faire de Newton le prince de la science moderne ; celui à qui furent montrées à l’instar du prophète Moïse, les tables de la loi . Les équations différentielles ont été commémorées comme l’avènement d’un miracle dans l’histoire de la science. Car disait-on, « Un homme a découvert le langage que parle la nature, et auquel il obéit. »5
En effet, dans son ouvrage intitulé Philosophae naturalis principia mathématica, Newton établissait d’une part, la théorie qui explique comment les corps se meuvent dans l’espace et dans le temps ; d’autre part, il y développait aussi les équations mathématiques qui permettent l’analyse de ces mouvements. A partir de ces deux auteurs, la science classique va mettre en place un système scientifique, essentiellement basé sur la notion d’ordre développée par les 17 et 18ème siècles. Cette notion développée par ces deux siècles, consistait à dire que la nature dans son ensemble était ordonnée. Pour connaître le monde, il suffisait à l’homme, de chercher par sa raison les principes suivant les quels l’univers a été régi.
Une telle conception scientifique n’a pu être mise en place, que parce qu’on croyait au 18ème siècle que l’univers est une immense horloge dont le fonctionnement a été préétabli par Dieu, le grand horloger.
Comme l’artiste se représente le mode de fonctionnement d’un instrument avant de le fabriquer, Dieu, avant de créer l’univers, avait dans son entendement les règles qui régiraient le fonctionnement de celui-ci. A l’image de nos machines, l’univers fonctionne donc suivant des lois qui sont indépendantes de sa structure. Ces lois, parce qu’elles existent, peuvent être découvertes par l’homme, si ce dernier conduit sa raison suivant une bonne méthode.
C’est à la base donc de ces croyances philosophiques et métaphysiques, que la physique classique pensait entreprendre l’étude de l’Univers. En effet, parce qu’on croyait d’une part que l’univers conservait en lui l’ordre de sa création, la communauté scientifique devait mettre à jour les lois mécaniques. C’est cette conception mécanistique de l’univers qui justifie le développement et le rayonnement éclatant, que la science de la mécanique a connu dés ses débuts. A cette époque, la connaissance des lois de la mécanique était déterminante pour conduire à celle de la nature dans son ensemble.. D’autre part, la science classique, imprégnée du principe de l’ordre universel, se donnait comme ambition première de dévoiler le « langage » suivant lequel Dieu Créa l’univers. C’est ainsi que ces deux idées, du mécanisme universel et de la notion de langage de Dieu, vont tout au cours de ce chapitre guider notre argumentation.
Dans l’Europe occidentale, l’époque des Lumières a établi une transformation dans la manière non seulement de penser le réel, mais aussi dans la nouvelle fonction que la physique attribue à la pensée. Car faut-il le dire, à partir du 18ème siècle, la science de la nature ne se pose plus tout uniquement comme étant le mouvement de pensée qui se porte vers le monde des objets, mais aussi le milieu au sein duquel l’esprit acquiert la connaissance de soi.
Cette nouvelle manière d’appréhender le réel, réside pour l’essentiel dans la fonction attribuée à la raison en tant qu’elle est nécessaire pour la connaissance de la nature. En rompant avec les considérations métaphysiques qui caractérisaient le monde médiéval, la science va à travers la philosophie de Descartes, donner à la raison la puissance de connaître et de rendre compte de l’univers. A ce propos Ernst Cassirer écrit « C’est la force de la raison qui constitue pour nous l’unique mode d’accès à l’infini, qui nous assure de son existence et qui nous apprend à lui appliquer la mesure et la limite dans le but, non de restreindre son ampleur, mais de connaître la loi qui l’enveloppe et le pénètre tout entier. »6
Sous ce rapport, la raison est en mesure de nous rendre compte de la nature de l’univers, qui depuis sa création reste régi par le même ordre éternel et immuable. Ainsi, il y a par ce fait l’introduction d’une sorte d’immanence dans l’explication de l’univers. Car, comme il en est d’une machine, dans la nature, il n’est nul besoin de s’élever à une cause transcendante pour comprendre un phénomène : l’explication de tout phénomène se trouve dès lors liée à sa structure, c’est l’établissement par celle-ci d’une dichotomie nette entre la vision d’un homme strictement étranger au monde, et celle d’un univers ordonné et homogène dans son ensemble. En effet, de Galilée à Newton, la philosophie des sciences jusque là hantée par l’idée d’un créateur de l’univers, posait l’existence de la raison au point de ralliement entre la nature, produit de la création, et Dieu, autour de la création. L’homme est de ce fait étranger au monde qu’il cherche à comprendre.
La science classique considérait de manière séparée d’un côté l’homme, être intelligent capable de connaître le réel en le soumettant à des lois physiques ; et de l’autre, le monde réel automate immuable dont les lois sont prescrites de toute éternité.
Cette conception, au-delà de l’aspect scientifique qui lui est assigné, demeure conforme aux croyances métaphysiques et religieuses de la philosophie de cette époque. L’homme, créé à l’image de Dieu, devait non seulement être différent des autres créatures par sa forme, mais aussi et surtout par sa nature qui, parce qu’elle est pensante, reste supérieure à toutes les autres natures créées.
Or, l’éminent scientifique belge d’origine russe Ilya Prigogine, montre que cette opposition faite entre l’homme et le reste de la nature, a fini par rendre impossible le seul mode de dialogue fécond que l’esprit humain devait entretenir avec la nature.
Face à cette attitude réductionniste et appauvrissante de la science Prigogine et Isabelle Stengers soulignent dans La nouvelle alliance : « La science à ses débuts a opposé avec succès des questions qui impliquent une nature morte et passive ; l’homme au 17ème siècle n’a réussi à communiquer avec la nature que pour découvrir la terrifiante stupidité de son interlocuteur. »7
Par sa capacité à connaître les lois de la nature, l’homme se pose en tant que créature comme une sorte d’existence intermédiaire entre la création et le créateur. Né de la création divine, le réel entretient avec son créateur un lien étroit. Cette idée au contenu étrange était en fait l’un des véritables arguments qui ont encouragé le projet de recherche des « lois de la nature », entrepris à partir du 17ème siècle. A cette époque disait-on, si l’essence de la nature est contiguë à cette dernière, cela voudrait dire que Dieu, en créant le monde, y a laissé les empruntes de sa signature. L’ultime but de la connaissance scientifique, était de chercher dans la nature, les lois qui régissent l’univers et par lesquels celui-ci fonctionne. Avec Newton ce but de la science sera atteint.
En effet, grâce à Newton et plus précisément à ces travaux sur la dynamique, la physique classique pensait avoir enfin trouvé le sol ferme, le fondement qu’aucun autre bouleversement ultérieur de la science ne pourrait ébranler. Les lignes de correspondances entre la nature et l’esprit humain, venaient d’être établies avec la découverte des équations différentielles. Newton a donc permis d’unir l’homme à la nature, et cela par une alliance apparemment indissoluble. C’est en raison de ce fait, que Ernst Cassirer a pu écrire ceci : « La nature qui est en l’homme rencontre en somme, la nature du cosmos et se retrouve en elle. Qui découvre l’une ne saurait manquer de trouver l’autre. C’était déjà ce que la philosophie de la nature de la Renaissance entendait par nature : une loi que les choses ne reçoivent point de l’extérieur mais qui découle de leur propre essence, qui est dès l’origine implantée en elles. » 8
Pour mieux consolider sa conception d’une nature-automate, la science classique va par la découverte des lois scientifiques, se lancer dans la voie difficile de la recherche de ce qu’on peut appeler le « langage de Dieu ». La notion de langage de Dieu, n’est rien d’autre que les principes qui rendent compte de l’ordre de l’univers ainsi que de son harmonie. Ce point de vue qui a dominé la pensée occidentale ainsi que le développement de la science classique, aura connu un succès énorme. Il sera repris comme par l’effet d’écho, par plusieurs penseurs au XVIII ème siècle. En effet, c’est parce qu’ils ont été convaincus de l’existence d’une symétrie structurale entre l’esprit humain et le monde réel, que les penseurs de la science classique ont postulé la réalité de ce prétendu « langage de Dieu ». A cette époque disait-on « L’esprit humain qui habite un corps soumis aux lois de la nature, est capable d’accéder par le déchiffrement divin que ce monde exprime globalement et localement. » 9
La question qui se pose dès lors est de se demander ce qui a permis à la science classique de se faire une telle idée. Cette conception aux apparences étranges, remonte en fait à une époque qui en réalité, est antérieure à l’avènement de la science au XVII ème siècle. Cette idée date de l’époque de Pythagore.
En effet, sur Pythagore lui-même, la postérité n’a retenu que peu de choses. On raconte que c’est la musique, qui a apporté à Pythagore l’illumination de la connaissance. Pythagore dit-on, postulait qu’il existe un rapport simple entre la longueur des cordes d’une lyre et le son qui en émerge. Il affirmait aussi que le son engendré par un marteau sur une enclume, est proportionnel au poids du marteau. A partir donc de l’inspiration de l’harmonie musicale des marteaux et des cordes vibrantes. Pythagore énonce une proposition révolutionnaire à son époque. Celle-ci consiste à dire que la nature est fondamentalement mathématique. Il en résulte l’idée que les nombres gouvernent la réalité toute entière, ils en sont l’essence : le chiffre est la clé du cosmos.
A la suite de Pythagore, Platon va reprendre cette idée inédite dans sa manière d’appréhender l’univers. Platon est pénétré à beaucoup d’égards, de l’influence des doctrines telles que, la doctrine mathématique de Thalès et la géométrie de Pythagore. En effet, les Idées de Platon jouent à peu près le même rôle que les nombres de Pythagore. Car de la même manière que les successeurs de Pythagore cherchaient pour chaque être le nombre qui le caractérise, Platon a doublé la réalité, en établissant pour chaque être l’existence d’une Idée qui représente son essence dans le monde intelligible. Pour Platon donc le monde réel, n’est que la copie imparfaite du monde intelligible. C’est dans le domaine de la cosmologie que cette conception platonicienne sera le plus en vue. Selon la cosmologie platonicienne, le démiurge- le grand artiste de l’univers- en créant le monde, avait les yeux fixés sur des modèles géométriques. Et c’est suivant ces modèles que toute la réalité sera faite.
De son avis, l’ultime nature est de l’ordre des Idées. Celles-ci existent comme nous l’avons déjà noté, dans un au-delà non localisable ; à partir duquel elles fondent et gouvernent toutes les manifestations de notre univers.
Selon Pythagore et Platon, Dieu est un fin géomètre et ils affirment l’idée qu’il doit effectivement exister un plan suivant lequel le monde a été crée, et c’est à partir de ce plan que doit être cherché tout l’ordre universel. Cette idée qui date de l’antiquité, sera reprise à partir des XVIIème et XVIIIème siècles par les promoteurs de la science naissante. Ces siècles qui correspondent au grand bouillonnement intellectuel caractérisé par la remise en cause de la pensée d’Aristote, vont trouver dans la philosophie de Platon, le modèle idéal de la conception qu’ils se sont fait de la science ; ce qui justifie la naissance de ce qu’il est possible d’appeler le renouveau platonicien.
En effet, les XVIII ème et XVIII ème siècles qui marquent en Europe l’époque des grandes découvertes coïncident avec l’essor des mathématiques nouvelles. C’est à cette époque que Descartes invente la géométrie linéaire, tandis que Leibniz et Newton vont parallèlement découvrir le calcul infinitésimal séparément duquel figure l’invention de l’arithmétique binaire par Leibniz. Cette époque très fertile en découverte, est celle où Galilée va aussi mettre en place la théorie de la chute des corps, sans oublier l’invention par Pascal, de la calculatrice.
Toutes ces découvertes et inventions vont profondément influencer la conception qu’on se faisait de l’Univers. Avec la science naissante émerge un réductionniste qui consiste à ramener tout l’ensemble du réel, à une sorte d’expression mathématique. Dans la logique de cette conception, d’éminents penseurs tels que Galilée, Newton et même Einstein, vont considérer les mathématiques comme exprimant le langage de Dieu. A ce propos Galilée écrit en 1623 dans le Saggiatore que « La philosophie écrite dans le grand livre de l’univers est formulée avec langage des mathématiques. Sans lui, il est humainement impossible de comprendre quoique ce soit ; et on ne peut qu’errer dans un labyrinthe obscur. » Quand à Newton, il dira que les mathématiques sont le langage de Dieu. Tandis que Einstein lui considère que le monde est intelligible en terme de géométrie.
A travers donc ces trois piliers de la science moderne, on voit comment la physique classique considérait l’Univers. Cette idée apparemment simple, va entraîner des conséquences qui ont servi de guide, pendant près de trois siècles, au paradigme de la science classique. En effet, depuis la coupure galiléo newtonienne, l’ensemble de la communauté scientifique croyait à l’idée d’après laquelle, non seulement la nature est régie par un certain nombre de lois bien déterminées, mais aussi, l’esprit humain est en mesure de découvrir ces dernières. La recherche scientifique va dès lors consister à une sorte d’abstraction, c’est-à-dire une sorte d’élévation vers la saisie de l’essence dernière des choses ; cette essence qui expliquerait tous les principes de l’existence des choses. La science est donc comme le dirait Aristote la recherche des premiers principes et des premières causes.
Toutefois, cela ne veut pas dire que la science classique se réduisait à une activité métaphysique. Car selon la physique classique l’essence de la chose n’est pas séparée de la chose elle-même, elle lui est contiguë parce que Dieu en créant toute chose y a imprimé le code suivant lequel cette dernière se comporte. C’est donc pour cette raison que Ernst Cassirer a pu écrire dans le même sens que selon la science de la nature de l’époque des Lumières, « L’être véritable de la nature ne doit pas être cherché sur le plan du créé mais sur le plan de la création. La nature est plus que simple créature ; elle participe à l’être divin originaire puisque la force de l’efficace divine est vivante en elle […] Le pouvoir de se donner forme et de se développer soi-même marque la nature du sceau de la divinité. »10 . On a donc plus besoin de fonder la physique, comme il a été avec Aristote, sur une quelconque métaphysique. Désormais l’expérimentation scientifique se révèle largement suffisante pour expliquer le réel.
Par ailleurs, la conception scientifique d’un univers ordonné fondé sur le principe de la création divine, soulève un problème lié à la problématique du devenir. Car s’il est vrai que la nature est l’œuvre de Dieu, qu’elle renvoie à l’image de l’esprit divin, alors elle doit refléter le signe de son immutabilité et de son éternité. C’est en fait sur cette conception que repose l’identification spinoziste de Dieu et de la nature, exprimée par la formule « Deus sirve Natura »
Selon Spinoza donc, l’uniformité de la nature prend sa racine et sa source dans la forme essentielle de Dieu. L’idée même de Dieu implique selon lui, que ce dernier soit pensé comme un, en accord avec soi-même ; c’est-à-dire immuable dans ses pensées et dans ses volontés. Poser en Dieu la possibilité d’un changement de son existence, équivaudrait à une négation et à un anéantissement de son essence. Par conséquent, la nature est éternelle à l’image de son créateur. Ce postulat de l’éternité de l’Univers va donner une chiquenaude à l’élaboration des théories scientifiques. L’Univers étant partout le même, les lois scientifiques ne risquent pas d’être influencées par des bigarrures du temps ; comme le notent si bien Prigogine et Isabelle Stengers : « Non seulement la nature est écrite dans un langage mathématique déchiffrable par l’expérimentation, mais ce langage est unique ; le monde est homogène, l’expérimentation locale découvre une vérité générale. »11
La conséquence d’une telle idée revient à nier la réalité même du temps, car comme le dit Bergson le temps est invention et porte en lui la marque du devenir.

Déterminisme et négation du temps

« Tout est donné » ! Voici de manière très brève comment se résume la profession de foi à laquelle procédait la science classique. Dans ses interrogations philosophiques, Leibniz se demandait Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Cette question qui se trouve à la croisée des chemins empruntés par la philosophie et la science, constitue la pierre philosophale sur laquelle repose toute réflexion sur le monde et sur tout ce qui le compose. Nombreux sont les auteurs qui ont tenté d’apporter une réponse à cette question, mais en vain. Leibniz lui-même, n’a pas pu répondre de façon satisfaisante à cette interrogation qui en fait, a plus trait au domaine de la métaphysique, qu’à celui de la science. Pour répondre à cette question, Leibniz a fait appel à l’argument philosophique connu sous le nom de la théorie des causes. Fondée sur le principe de la providence divine, la théorie des causes tente d’expliquer l’existence de tout phénomène, par la reconstruction de la chaîne des causes qui l’ont provoqué ; et cela par le principe que toute chose a nécessairement une cause qui lui est antérieure.
Cependant, considérée sous cet aspect, cette question pourrait nous conduire vers une impasse ; du fait qu’on aura toujours besoin de remonter de manière infinie à une cause toujours plus lointaine. Ce risque avait déjà été mesuré par Leibniz. En effet pour ne pas tomber dans cette voie qui pourrait conduire à l’incrédulité, Leibniz pose la nécessité d’arrêter la chaîne des causes à un principe premier cause de toute chose et qu’il nomme par conséquent Dieu. Cet argument d’ordre métaphysique va revêtir aux yeux des penseurs du XVIII ème siècle, une importance capitale. En fait, la science classique va reprendre la théorie des causes pour assoire d’une part, la croyance qu’elle avait du déterminisme universel, et d’autre part pour combattre l’existence du hasard, jadis considéré comme le signe de l’irrationalité. L’illustration en a été faite par la remarque de Louis de Broglie dans un texte paru en Février 1977 aux annales de la fondation qui porte son nom. Ce dernier écrit dans ce texte, « La recherche de la causalité est une tendance instinctive de l’esprit humain. Elle consiste à admettre que les phénomènes qui se manifestent successivement à nous ne se succèdent pas au hasard, mais dérivent les uns des autres, étant reliés entre eux par des liens tels que chacun d’eux est la conséquence nécessaire de ceux qui l’ont précédé. »12
La conséquence épistémologique d’une telle affirmation, consiste à dire, comme l’a toujours cru Hegel, que rien de nouveau n’arrive dans la nature ; le réel est un et toujours identique à lui-même. De là, nous pouvons conclure que le devenir n’existe pas, car pour que des liens de causalité puissent s’établir il faut que la nature soit inchangeante, éternelle ce qui, autrement dit, revient à soutenir que le temps même n’existe pas. C’est à une telle conclusion que la science a abouti au XVIIIème siècle, lorsqu’elle défendait avec rigueur, la conception épistémologique du déterminisme universel.
Pour mieux comprendre les enjeux d’une telle considération, nous essayerons dans ce chapitre de voir à travers l’histoire des sciences, deux des grandes disciplines scientifiques qui sous-tendent cette conception. Il s’agit notamment de la dynamique classique, et de la théorie de la relativité inventée par Einstein. En effet, ces deux disciplines soutiennent, dans leur fondement, une conception négatrice du temps, et réduisent celui-ci à un comportement réversible qui se traduit phénoménologiquement par la production du même par le même.
La dynamique classique, parce que c’est d’elle que nous allons parler en premier, constitue la partie de la mécanique qui étudie les relations entre les forces et les mouvements. Elle a gagné à partir du XVIII ème siècle une importance capitale, dans le dispositif des nouvelles sciences émergeantes. En effet, c’est grâce aux différentes théories confortées par la pertinence de leurs résultats, que la physique classique a, sous la voix de Leibniz, considéré la dynamique comme étant le modèle d’intelligibilité de la science. La raison d’une telle idée résulte du fait que, les lois de la dynamique, en tant qu’elle permettent de rendre compte et des phénomènes terrestres et de ceux du monde céleste ; étaient considérées comme absolues, éternellement vraies.
En effet, d’après la mécanique de Newton, quand on connaît l’état d’un système physique, à savoir ses positions et ses vitesses, à un instant donné aussi appelé instant initial, on peut en déduire son état à tout autre instant. Selon Newton, pour tout système donné, les forces sont à chaque instant déterminées par l’état du système à cet instant. Il en déduit la conséquence, que connaissant l’état d’un système à l’instant initial, le calcul de sa variation au cours du temps peut être établi. Cette conception qui a soutenu ce grand monument de la pensée universelle qu’est la mécanique newtonienne, connaîtra avec Laplace une formulation élégante et célèbre.
En effet, dans son Essai philosophique sur les probabilités publié en 1814, Pierre Simon Laplace écrit ceci : « Une Intelligence qui, pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. »
Cette citation aux résonances quasi théologiques, suscite diverses questions. Quelle place le déterminisme laisse t- il au libre arbitre de l’homme ? Quelle place laisse-t-il au temps et à l’évolution de l’univers ? La nature est-elle condamnée, depuis son existence, à une hybridité structurale ? Peut-il arriver que le monde change ? A toutes ces questions la science classique répond par la négative et montre que l’Univers est identique à lui-même. L’évolution de l’univers se produit par un comportement réversible, ce qui rend possible sa compréhension par l’esprit humain.
Cette manière étrange par laquelle le XVIII ème siècle concevait la science est très fréquente dans l’histoire des sciences. La science disait-on est le royaume de la nécessité, elle a pour but de mettre au jour les lois d’airain qui gouvernent la réalité dans sa totalité.
Deux raisons peuvent expliquer ce rapprochement de la science au règne de la nécessité. La première raison est celle qui se lie à la thèse aristotélicienne selon laquelle il n’ y a de science que du général. Car, dans la tradition aristotélicienne, ce qui est général est aussi nécessaire. La deuxième raison d’une telle conception se lie au fait que le discours scientifique, parce qu’il est souvent conçu sous le modèle du raisonnement mathématique, ne procède que par démonstration ; c’est-à-dire par un enchaînement de différents raisonnements qui ne laisse place à aucune incertitude.

Table des matières

Introduction
I- La science classique : une apologie du déterminisme universel
I-1/ L’exigence d’ordre
I-2/ Déterminisme et négation du temps
II- La cosmologie moderne : la découverte du temps perdu
II-1/ La conception historique de l’univers
II-2/ Le temps retrouvé
II-3/ Evolution et structures émergentes
III- Le chaos : un nouveau paradigme
III-1/ Le hasard
III-2/ L’effet papillon
III-3/ Le flou quantique
Conclusion
Bibliographie générale

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