Les conséquences de la dévaluation du franc CFA en Afrique de l’Ouest
LA MONNAIE EN A.O.F : POLITIQUES ET INSTITUTIONS
La notion monnaie sous des formes diverses et variées apparait tôt dans l’histoire des sociétés humaines. C’est pourquoi sa conception et ses fonctionsfont l’objet de beaucoup de controverses au sein des spécialistes, monétaristes et notamment dans les théories de l’économie comme celle de Keynes, Marx En Afrique de l’Ouest, fort est de constater que l’évolution de la monnaie a été spécifique. C’est pourquoi d’ailleurs la transition monétaire a connu un long processus dans des contextes historiques particuliers. La législation de la monnaie moderne pendant la période coloniale a été un facteur essentiel de transition économique de cet espace. Actuellement, le statut du franc C.F.A et du système bancaire constituent l’un des sujets les plus débattus en Afrique,dans un contexte où l’économie des jeunes États africains est confrontée à de graves difficultés de développement et de croissance économique. Dans ce chapitre, il est d’abord question d’apprehender la definition de la monnaie selon les théories monétaires, puis faire une analyse historique de la transition et du processus de la monétisation de l’économie ouest-africaine dans le contexte de la colonisation en AOF. Enfin nous aborderons l’évolution des systèmes de gestion monétaires et les plateformes financières coloniales établies dans les colonies françaises durant la période coloniale.
La monnaie : théories et évolution en Sénégambie
Les théories monétaires
La monnaie se définie tantôt par ses fonctions, comme étant « un intermédiaire dans des échanges, un étalon de valeur, voire un instrument d’épargne ». Dans ce cas de figure, elle est facilitatrice d’échange des marchandises, permettant également de substituer une vente et un achat, tout en considérant l’unité monétaire comme une unité de valeurs et mettant en réserve de la valeur pour une utilisation ultérieure. Elle simplifie les échanges des biens et services tout en évitant certains aléas du troc lorsque les échanges deviennent de plus en plus complexes. Nous allons progressivement étudier toutes ces théories monétaires pour mieux saisir les différentes conceptions selon les écoles. Mieux encore, les conceptions keynésiennes confortent cette définition fonctionnelle de la monnaie, en précisant que celle-ci est ambivalente car elle est à la fois instrument régulateur des transactions et un facteur de spéculation. Elle assure également la fonction de réserve de valeur de la monnaie . En clair, elle est de ce fait définie chez les keynésiens comme de la « liquidité », parce qu’elle est la forme de richesse la plus liquide qui soit, dont les individus préfèrent la plus. Il convient cependant de noter que la théorie des classiques et celle des néoclassiques sur la monnaie convergent sur le fait que la monnaie soit définie par ses fonctions. La théorie monétaire de Marx est par contre totalement différente de celle des classiques liberales. L’approche de Marx conçoit la monnaie comme une marchandise acceptée équivalent-général de tous les autres produits ou marchandises. Cette théorie de la « monnaie- marchandise », s’explique par l’approche selon laquelle la valeur de la monnaie se fixe sur la base des mêmes règles que celles qui régissent la valeur des marchandises. De ce point vu, la monnaie est comparable à une marchandise car il conçoit celle-ci comme une valeur d’usage et une valeur d’échange. Contrairement à la théorie néoclassique pour laquelle la monnaie ne peut pas être appréciée comme une marchandise car « elle n’a pas d’utilité propre, indépendante de la valeur d’échange5 ». Cette théorie marxiste est étroitement liée à sa doctrine politico-économique et à son appréciation du capitalisme. Étant donné que la société capitaliste se caractérise par une économie monétaire de production, la marchandise se dédouble en valeur d’usage et en valeur d’échange, alors que sans création monétaire, l’accumulation de capitaux serait impossible car, au cours d’une période, le capital ne pourrait récupérer que les avances faites sous forme de salaires et d’outils de production, en vendant les marchandises produites .
Les législations et systèmes de gestion monétaires en A.O. F
Législations de la monnaie moderne dans les colonies françaises
L’un des principaux instruments utilisés par l’administration coloniale au moment de son implantation a été une législation complexe qui a complétement bouleversé les espaces et les structures commerciales des autochtones. Parmi ces instruments, la législation de la monnaie métropolitaine a été un moyen essentiel de contrôle de l’économie des colonies. L’écu (pièce de cinq F en argent) a ainsi été la première pièce monétaire introduite au Sénégal en 1820 sur l’instruction impérial de Louis XVIII (1755- 1824), fut roi de France à partir de 1814 plus connu sous le nom de Louis Stanislas Xavier de France. Ce fut le point de départ de l’institutionnalisation de la monnaie étrangère dans les territoires conquis par la France en Afrique de l’Ouest. Pour augmenter la masse monétaire des colonies, l’ordonnance du 17 Aout 1825, préconise encore la frappe de pièces divisionnaires de cinq et dix centimes en bronze, exclusivement réservées à la colonie sénégalaise. Cette nouvelle monnaie fit toutefois face à la monnaie-marchandise locale. Les sociétés sénégambiennes ont toujours été réticentes face à cette monnaie étrangère. Ce qui justifie d’ailleurs l’adoption de la mesure du 7 Décembre 1826, interdisant des monnaies autres que le franc dans la colonie du Sénégal. Cette interdiction concerne non seulement les monnaies locales mais aussi celles des autres domaines coloniaux. La promulgation du décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage, représente par ailleurs un tournant décisif posant les premiers jalons du processus de la bancarisation de l’économie des colonies françaises. Alors on se pose la question à savoir, quelles ont été les raisons de ce changement et comment s’est fait le processus de transition monétaire à travers la création des banques d’émission dans les colonies occidentales françaises. Pour pallier à la crise socioéconomique qui devrait découler de l’abolition de l’esclavage, la reconversion des anciens propriétaires d’esclaves et le sort des affranchis constituent alors une préoccupation majeure pour l’administration coloniale. C’est en ce sens que le gouverneur des colonies françaises, M. A. Baudin, notifie à la Direction des colonies, la nécessité immédiate de créer une caisse d’escompte pour indemniser les commerçants ressortissants français. Elle devait ainsi être la première plateforme financière de transit des paiements . La création d’une plateforme financière est autant nécessaire non seulement pour indemniser les anciens propriétaires d’esclaves mais aussi le contexte de crise socioéconomique à laquelle la colonie sénégalaise s’est confrontée avec la hausse de la gomme arabique, le besoin de la monnaie se faisait ardemment ressentir dans la colonie. L’autorité coloniale planifie à cet effet la création d’une caisse d’escompte au Sénégal. Pour cela, un sondage est entrepris auprès des propriétaires d’esclaves, des signares, des principaux négociants sénégalais aussi bien qu’européens. Même si toutefois, le sujet de cette enquête était spécifique à l’émancipation mais il prenait également en compte l’avis de la population sur la création d’une caisse d’escompte pour indemniser les propriétés d’esclaves. Cependant, grand nombre de négociants européens et autochtones ne partageaient pas l’idée de la création d’une caisse d’escompte. Ce projet aboutit alors à l’adoption de la loi organique du 11 juillet 1851 préconisant la création des banques dans les colonies françaises comme celle de la Martinique, Guadeloupe et de la Réunion.Mais après tant d’années de négociations le projet de la création d’une caisse d’escompte du Sénégal fut bloqué. Ce blocage résulte de la mésentente issue du sondage auprès des commerçants européens pour la création d’une plateforme financière.
Les institutions financières coloniales
La banque du Sénégal 1853-1901
Pour les colonies occidentales françaises d’Afrique, il a fallu attendre la promulgation du décret impérial du 21 décembre 1853 pour que la banque du Sénégal dont le siège fût à Saint-Louis, soit créée. C’était un établissement privé au capital 230 000 franc français18. Elle est ainsi couverte par l’agence centrale des banques coloniales instituée par le décret du 17 novembre 1852, affiliée directement au comptoir national d’escompte de la Métropole qui lui sert de banque19 . La banque se conforme aux principes du décret du 11 juillet sur l’organisation des banques, « le montant cumulé des billets en circulation, des comptes courants et autres dettes de la banque ne pourra excéder le triple du capital social réalisé»20 . Il convient par ailleurs de noter que la banque est souvent en déficit budgétaire car les sociétés commerciales étrangères travaillant au Sénégal, réexportent leurs capitaux vers des maisons et banques de la Métropole. Le statut de la banque a changé au gré des circonstances socioéconomiques et politiques auxquelles la France faisait face. À l’issue de la guerre en 1870, le Sénégal étant coupé de la métropole, la banque est alors exceptionnellement autorisée à émettre des billets de 500, 100, 25 et 5 F puis la loi du 24 juin 1874 fait de celle-ci une société anonyme. Ceci explique l’accroissement de son capital passant de 300 000 en 1867 à 900 000 F en 190021. Ce grand bon se comprend de fait par la participation de nouveaux actionnaires comme la maison Maurel et Prom et la création progressive des agences annexes à Rufisque, Dakar et Conakry. On peut déduire à ce niveau que la banque du Sénégal s’agissait d’une petite banque d’émission privée ce qui fait que les francs émis par celle-ci ont la même valeur que le franc français et ne portent pas de nom particulier.
PREMIERE PARTIE |