APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE DU FANTASME DE VIOL PAR LE PERE
Le concept de fantasme reste complexe malgré les publications sur ce dernier qui sont actuellement innombrables. Cependant, les travaux sur le fantasme de viol par le père demeurent en réalité rares. Même de ces rares études, il ne se dégage pas un intérêt particulier porté spécifiquement à ce fantasme. Il n’est évoqué que superficiellement, et n’a jamais fais objet d’étude au Centre Hospitalier Universitaire de Fann. Comprendre la psychopathologie du fantasme de viol par le père, nous met devant un préalable incontournable : la compréhension de ce qui entre en jeu au cours du processus de construction d’un tel fantasme. Pour ce, nous nous sommes intéressé à deux patientes âgées respectivement de 17 ans et 24 ans, suivies au Centre Hospitalier National Universitaire de Fann, à la Clinique Moussa Diop et au Centre Hospitalier National Psychiatrique de Thiaroye, chez qui une thématique de viol par le père avait été observée au cours de leur suivi. C’est à partir de la présentation de ces deux observations cliniques que nous souhaitons illustrer ce fantasme. L’objectif général de notre travail était de montrer que l’expression d’une idée de viol par le père, pouvait résulter de l’existence d’un malaise familial, que la fiction imaginative tentait de solutionner. Les objectifs spécifiques s’articulaient autour de trois points: -Montrer que ce fantasme est une manière d’appel au secours, dirigée vers le père devant une situation pourvoyeuse d’angoisse. – Mettre en exergue le rôle des événements de vie qui raniment et donnent sens à ce qui est resté hors sens jusque là. Angélus NINDEREYE Page 5 – Faire valoir le rôle joué par la nature de la relation père-mère-enfant dans l’édification de ce fantasme. Dorénavant, il s’est avéré nécessaire de nous imprégner d’abord de notions sur le fantasme sur toutes ses différentes facettes, pour mener à terme notre travail. En effet, dans la littérature, le fantasme est défini par Freud comme un scénario imaginaire où le sujet est présent, et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir, et en dernier ressort, d’un désir inconscient [12]. Le fantasme est une recherche de satisfaction et de plaisir par la fiction et l’imagination, mais il est aussi le plus souvent une source d’insatisfaction et de souffrance psychique intense. Il nous démontre la structure qui s’organise autour de deux entités sémantiques proches; le manque et le désir, dans laquelle, l’état psychique et physiologique du sujet est déterminant. Le fantasme élabore différents matériels, dont certains sont conscients et d’autres non. Mais la majeure partie des fantasmes demeure inconsciente [13]. Dans cette perspective, c’est donc l’ensemble de la vie du sujet qui se révèle comme modulée, agencée par ce qu’on pourrait appeler, pour en souligner le caractère structurant, une fantasmatique. Celle ci n’est pas à concevoir seulement comme une thématique, fut elle marquée pour chaque sujet de traits éminemment singuliers [16]. Elle comporte son dynamisme propre, les structures fantasmatiques cherchant à s’exprimer, à trouver une issue vers la conscience et l’action, tirant constamment en elles un nouveau matériel [15].
Relation entre fantasme inconscient et désir
Le fantasme selon Freud est dans le rapport le plus étroit avec le désir et il l’atteste en ces termes : fantasme de désir. D’autre part, la relation entre le Angélus NINDEREYE Page 6 fantasme inconscient et le désir est étroit et complexe. Le fantasme est en quête de satisfaction d’un désir qu’il met en scène de façon plus ou moins déguisée. Il s’agit de scénarii organisés, où le sujet est toujours présent [21]. Selon toujours Freud le désir trouve son origine et son modèle dans l’expérience de satisfaction : « Le premier désiré semble avoir été un investissement d’un souvenir de la satisfaction.» [13] Les fantasmes les plus primitives sont ceux qui tendent à retrouver les objets liés aux toutes premières expériences infantiles de la montée et de la résolution de la tension interne. La relation du fantasme au désir semble alors être plus complexe. Même sous ses formes les moins élaborées, le fantasme apparait comme irréductible à une visée intentionnelle du sujet désirant [12,22]. Il s’agit de scenario, même s’ils s’énoncent en une seule phrase, de scènes organisées, susceptibles d’être dramatisées sous une forme le plus souvent imaginative. Le sujet est toujours présent dans de telles scènes, même dans la scène originaire où il peut paraître exclu. Il y figure en fait, non seulement comme observateur, mais comme participant qui vient troubler par exemple le coït parental [19]. Dans la mesure où le désir est ainsi articulé dans le fantasme, celui-ci est aussi le lieu d’opération défensive. Il donne prise aux processus de défenses les plus primitifs tels que le retournement sur la personne propre, le renversement dans le contraire, la dénégation et la projection. De telles défenses sont elles mêmes indissolublement liées à la fonction première du fantasme qui est la mise en scène du désir, mise en scène où l’interdit est toujours présent dans la position même du désir [31]. Angélus NINDEREYE Page 7 À la différence de Freud, Lacan n’engage pas son premier abord du fantasme par le nœud amour-jouissance. Il commence par établir son mathème du fantasme à partir du rapport du fantasme au désir, qui tient dans le lien du sujet comme faille à ce qui vient répondre de l’être: l’objet A et a. Le rapport du désir à l’être dans le fantasme, Lacan le pose comme un rapport à ce que le sujet n’est pas, et que l’objet du désir vient condenser au champ de l’Autre comme support de l’être. Il en donne une formule précise: « l’objet du fantasme est cette altérité, image par où un autre prend la place de ce que le sujet est privé symboliquement»
Objets du fantasme
Le premier objet du fantasme est de créer un état de plaisir précédant toute perception, ou tenter de recréer la perception d’un objet extérieur qui a été à l’origine d’une satisfaction. Nous pouvons dire et accepter que ces fantasmes soient une tentative d’accomplissement d’un désir sur un mode hallucinatoire. Il a pour second objet de protéger et de construire le sujet en mettant en place des éléments de différenciation. Toutefois, dans cette fonction protectrice il n’est pas rare de voir se profiler une attitude défensive. Ce mécanisme est mis en place pour leurrer la réalité objective. Le sujet essaie, grâce à ses fantasmes, de venir à bout de ses sentiments contradictoires. Le sujet utilise ainsi ses fantasmes soit pour se protéger, soit pour se consolider [22]. Le comportement défensif et régulateur, qui constitue la troisième fonction du fantasme inconscient, est absolument nécessaire tant que le sujet ne dispose pas d’une autonomie suffisante pour résoudre ses tensions liées à ses frustrations
Fantasme de séduction selon Freud
Dans la première conception freudienne(1895), le fantasme de séduction, constitue selon son point de vu le temps de l’après-coup. Une scène infantile (Freud considère alors qu’il s’agit d’une scène réelle de séduction), vécue initialement sans émoi, du fait de l’incapacité de la psyché à lui donner le sens sexuel qu’elle comporte, prend une signification traumatique lorsque la puberté permet de lui donner ce sens au décours d’une expérience qui en réactive la trace mnésique. Par la suite, Freud cesse de donner un poids exclusif aux événements réels et met en évidence l’impact traumatique des fantasmes [13]. L’élaboration théorique du fantasme par Freud a connu un tournant épistémologique lors de la découverte du caractère imaginaire des traumatismes rapportés pas ses patientes. Il avait d’abord admis la « réalité » des scènes infantiles traumatiques surgissant dans la cure; puis il fut convaincu que la réalité matérielle des souvenirs n’était que « réalité psychique » [7]. Cette expression constituerait un « noyau hétérogène » résistant seul au réel par rapport aux autres phénomènes psychiques. Freud en a déduit qu’une force inconsciente poussait l’homme à remodeler son expérience et ses souvenirs. Ainsi, les désirs archaïques chercheraient leur réalisation dans la vie concrète du sujet; ils chercheraient à s’actualiser à travers les choix professionnels, relationnels, sexuels et affectifs du sujet devenu désirant [15]. Le fantasme de séduction par le père, fait partie du corollaire des fantasmes inconscients et permet d’obtenir de façon imaginaire et fictionnelle une certaine satisfaction difficile à atteindre autrement dans la réalité. Angélus NINDEREYE Page 9 Le fantasme n’aura, dans cette occurrence aucun lien avec une quelconque réalité objective. Il reposera exclusivement sur les constructions fictionnelles psychiques mises en scène dans l’enfance, sans pour autant leur trouver une signification, et qui se trouvent subitement réveillées par une autre scène qui en réactive la trace [34]. La clinique enseigne que le foyer du drame est essentiellement constitué par la reviviscence des images archaïques, qui sont des représentations fantasmatiques de la période infantile. Ces fantasmes revitalisés sont liés à une illusion du passé où l’enfant pouvait satisfaire tous ses désirs pulsionnels ou presque, comme si le retour en arrière était possible. Il s’agit d’une période dans laquelle sa libido n’était pas privée de satisfaction, d’une période où il était « heureux » en d’autres termes [16].
DEDICACES & REMERCIEMENTS |