Apport de la Cytogénétique dans la prise en charge de l’infertilité masculine
Généralités
Waldeyer (1888) décrit des éléments nucléaires qui migrent de façon longitudinale lors de la méiose (rapporté dans Cremer et Cremer, 1988) correspondant ainsi aux chromosomes. Ces éléments nucléaires revêtent une importance capitale dans la cellule et leur étude, depuis quelques décennies déjà, a permis de développer la cytogénétique avec tout particulièrement Kemp (1929), qui a permis de réaliser la culture cellulaire (rapporté dans Hungerford, 1978). Cependant il a fallu attendre 1952, avec la découverte du choc hypotonique (Hsu, 1952) et donc partant du nombre exact de chromosomes de l’espèce humaine (Tjio et Levan, 1956). Par la suite, Lejeune et al. (1959) ont mis en évidence la première aberration chromosomique responsable d’un état pathologique et correspondant à la présence d’un chromosome 21 surnuméraire (Lejeune et al., 1959). Il a fallu attendre Jacobs et Strong en 1959 pour associer chez un homme présentant une dysgénésie gonadique, une gynécomastie et de petits testicules à un caryotype 47, XXY correspondant ainsi au syndrome de Klinefelter, première relation officielle entre la cytogénétique et l’infertilité masculine. Cependant cette relation est bien antérieure car elle est suggérée depuis les années 1950. En effet, un corpuscule de Barr (chromatine sexuelle dans les cellules somatiques de la femme représentant un chromosome X inactif) a été mis en évidence chez plusieurs hommes ayant une azoospermie ou une oligozoospermie sévère (Ferguson-Smith, 1957; Perrin, 2009). Dès lors, une corrélation est notée entre le nombre de spermatozoïdes dans l’éjaculat et la présence d’anomalies chromosomiques (Kessler, 1966). Plymate et al. (1976) ont même rapporté que les translocations pouvaient être associées à une altération de la spermatogenèse. Par la suite, l’évolution des techniques cytogénétiques avec la mise en évidence de bandes (Q, C, R et G) sur les chromosomes métaphasiques (Caspersson et al., 1968; Dutrillaux et Lejeune, 1971 ; Evans et al., 1971; Sumner et al., 1971; Yunis et Amos, 1971) ont permis de révéler de nombreuses autres anomalies chromosomiques où l’exploration peut se faire aussi bien sur le sang que sur les spermatozoïdes et cela grâce à l’apparition et le développement de la biologie moléculaire à partir des années 1970.
Etiologies génétiques de l’infertilité masculine
Les anomalies géniques
Syndrome de persistance des dérivés müllériens
Ce syndrome à transmission autosomique récessif est dû à des mutations du gène de l’hormone anti müllérienne AMH (19p13.3-p13.2) ou de son récepteur (12q13). L’exploration de ces patients a montré l’hétérogénéité de ce syndrome qui pourrait même dans certains cas être dû a des mutations de l’enzyme de clivage responsable de l’activation de l’AMH (Khattala K et Bouabdallah Y, 2012).
Mutation du gène RET
Le gène RET, de symbole officiel RET, de nom officiel « proto-oncogène RET » est exprimé dans le système nerveux central et périphérique ainsi que dans le système excrétoire rénal (canal de Wolff et épithélium du bourgeon urétéral). Le gène RET fournit des instructions pour produire une protéine essentielle pour le développement normal de plusieurs types de cellules nerveuses, le développement normal des reins et la production de spermatozoïdes (spermatogenèse) ; il est localisé en 10q11.22.
Mutation
Gène CFTR et Agénésie des canaux déférents Le gène CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator) se trouve dans la région q31.2 sur le bras long du chromosome 7 humain. L’infertilité causée par une azoospermie obstructive a été signalée dans plus de 95% des hommes atteints de mucoviscidose. Par ailleurs, il est admis que 60 à 70% des patients avec absence congénitale bilatérale des canaux déférents (ABCD) présentent des mutations dans le gène CFTR, sans autres symptômes cliniques de la mucoviscidose. La spermatogenèse chez ces patients est normale, et l’aneuploïdie n’est pas augmentée dans le sperme des patients touchés (Ferlin et al., 2006).
Famille des Gènes candidats sur le chromosome Y
Le chromosome Y est fortement impliqué dans la spermatogénèse et son bras long (Yq) comporterait entre 15 et 20 gènes essentiels à la spermatogénèse localisés sur la portion non recombinante d’Yq (figure 1) (Kleiman et al., 2001). Ils sont divisés en 2 catégories, les gènes ubiquitaires possédant un homologue sur le chromosome X (DFFRY, DBY, SCMY) et les gènes dits « testiculaires » qui sont Y-spécifiques (DAZ, RBMY, CDY, BPY, PRY) (Kostiner et al., 1998). Les gènes DAZ et RBM sont de loin les plus étudiés. Figure 1: Représentation schématique du chromosome Y (Foresta C et al., 2000) Gène DAZ : cette famille de gènes est localisée en AZFc. C’est le gène retrouvé le plus fréquemment délété dans les infertilités masculines par trouble de la spermatogénèse avec microdélétions du chromosome Y. Jusqu’à présent, aucune mutation n’a été montrée dans la famille des gènes DAZ mais, la fréquence élevée de délétions chez les patients infertiles rendent son implication plus que probable et en fait donc un excellent gène candidat. Gènes RBM : cette famille comportant environ 40 gènes et pseudogènes sont localisés sur le locus AZFb. L’expression des gènes RBM1 sont testiculaire spécifiques, ce qui suggère leur importance dans le déroulement de la spermatogénèse. Cependant, le faible pourcentage de délétions de RBM1 comparé à celui bien plus élevé de DAZ, lui attribue un rôle moins prédominant que DAZ dans la spermatogénèse (Wallerand et al., 2003). Gènes DFFRY : le gène est localisé dans la partie centrale d’AZFa et possède un homologue sur le chromosome X (DFFRX) avec lequel il partage environ 89% d’homologie de séquence. Son expression est ubiquitaire (testicule, rétine, muscle, poumon, foie). Les délétions de DFFRY ont le plus souvent comme conséquence clinique une hypo spermatogenèse sévère (Wallerand et al., 2003).
Les anomalies chromosomiques
Une anomalie chromosomique peut être homogène ou en mosaïque. Dans ce cas, l’individu possède au moins deux populations cellulaires différentes dont la proportion varie souvent en fonction du tissu (Perrin, 2009). C’est ainsi que l’anomalie chromosomique peut concerner un chromosome entier qui peut être absent ou en excès (appelée anomalies de nombre ou encore aneuploïdies), ou une partie du chromosome (région, bras, bande, sousbande) correspondant aux anomalies de structure. La fréquence de ces anomalies chromosomiques est plus importante chez les hommes infertiles que chez les femmes infertiles du fait que la spermatogenèse est plus sensible aux anomalies chromosomiques que ne l’est l’ovogenèse (Jalbert, 2004). De plus, il y a 5 fois plus d’anomalies autosomales observées et 27 fois plus au niveau des gonosomes (Vegetti et al., 2000). Si certaines d‘entre elles sont associées à un syndrome clinique particulier, d’autres peuvent se révéler uniquement par un phénotype d’infertilité
Anomalies chromosomiques constitutionnelles de nombre
Plusieurs études mettent en cause ces anomalies de nombres dans l’infertilité masculine mais aussi et surtout dans les avortements spontanés chez leur partenaire ou la naissance d’enfant mort-nés voir même porteur d’une anomalie chromosomique (Gadji, 2005 ; Turleau, 2011). Ces anomalies peuvent alors concerner les autosomes ou les gonosomes. Les anomalies des autosomes Parmi les anomalies des autosomes, nous retrouvons essentiellement les trisomies (étant donné que les monosomies touchant les autosomes ne sont pas viables et sont souvent responsables de fausses couches spontanées). Parmi ces trisomies, la plus connue et la première à être décrite est la trisomie 21 qui se produit par une non disjonction méiotique, le plus souvent au cours de la première division de méiose maternelle. La majorité voire la totalité des hommes sont infertiles, avec un phénotype qui comprend l’arrêt de la spermatogenèse avec une réduction du nombre de cellules germinales primordiale associée très probablement à l’accélération de leur apoptose (Ouiam, 2004). Les anomalies des gonosomes Syndrome de Klinefelter C’est l’aneuploïdie des gonosomes la plus fréquente chez les hommes, survenant chez environ 0,1 à 0,2% des nouveau-nés de sexe masculin. Dans ce syndrome, la formule chromosomique est 47, XXY dans 85 % des cas, causée par la présence d’un chromosome X supplémentaire. Dans 15% des cas environ, il existe un caryotype en mosaïque 47, XXY / 46, XY, présentant un phénotype variable. D’autres formules chromosomiques sont décrites, comportant un chromosome X supplémentaire; ces formules peuvent être 48, XXXY ou 49, XXXXY. Il existe une formule chromosomique 48 XXYY. Leur fréquence est très inférieure, et la présentation clinique est différente (Visootsak et Graham, 2006) Le syndrome de Klinefelter est présent chez au moins 3% des hommes infertiles, et chez plus de 10 % des hommes présentant une azoospermie. D’après Bojesen et al., 2003, seuls 25 % environ des patients Klinefelter seraient diagnostiqués au cours de leur vie. Syndrome du mâle XYY C’est la deuxième aneuploïdie des chromosomes sexuels la plus fréquente. L’incidence est de 1 pour 1000 de l’ensemble des naissances vivantes de sexe masculin. Ce sont souvent des patients fertiles cependant la présence du chromosome Y supplémentaire peut perturber la spermatogenèse et entrainer une oligospermie (Hauschka et al., 1962). En effet, l’analyse du sperme peut révéler une oligozoospermie sévère voire même une azoospermie (Torniero et al., 2011). L’origine de ce trouble est une non-disjonction paternelle à la méiose II. L’emploi du terme est remis en cause par certains généticiens du fait que les individus atteints ont un phénotype normal et une grande partie ne connaissent pas leurs caryotypes. Par ailleurs, encore appelé syndrome de Jacob ou syndrome du tueur, il a été entouré de beaucoup de fictions. Syndrome des hommes 46 XX Il est observé chez environ un homme sur 20.000 et chez environ 0,9% des patients azoospermiques. Ces hommes 46, XX ont la particularité de présenter le gène SRY dans la plupart des cas (SRY+), ce gène est habituellement situé sur le chromosome Y. Dans ces cas les mâles sont toujours stériles, et l’azoospermie résulte de l’atrophie testiculaire. Les autres catégories de mâle XX sont les mâles (SRY-), ce qui suppose une mutation dans un gène autosomique ou lié à l’X impliqué dans la cascade du déterminisme sexuel qui devrait remplacer le gène SRY, permettant de déterminer des testicules en l’absence de SRY (Ferlin et al., 2006).
Remerciements et Dédicaces |