Evaluation de la résistance des variétés de manioc, Manihot esculenta Crantz
Introduction
Le manioc, Manihot esculenta Crantz, est une plante à tubercule importante dans les zones tropicales et subtropicales du globe pour ses racines tubérisées riches en amidon (N’zué et al., 2004). Il est cultivé en Afrique exclusivement pour l’alimentation, dans environ 39 pays en allant de Madagascar au Sénégal; mais aussi en Asie et en Amérique Latine (Muñoz-Bodnar, 2012). Sa production annuelle mondiale atteint 250 millions de tonnes, l’Afrique à elle seule assure les 52% de cette production. Le Nigéria est le premier pays producteur à travers le monde avec une production estimée à environ 45 millions de tonnes par an (Agre et al., 2015). En Afrique, le manioc sert de base alimentaire à près de 70 millions de personnes (FAO. 2010). La forte adhésion à cette culture est due à ces tubercules très riches en hydrate de carbone, source importante en calorie pour l’alimentation humaine pouvant même relayer les cultures vivrières telles que le riz et le maïs; mais aussi avec ses feuilles riches en vitamines, sels minéraux et protéine utilisables pour l’alimentation humaine et animale (Diallo et al. 2013). Le manioc est résistant à la sècheresse et génère des rendements satisfaisants, même sur des terres pauvres et marginales (Agre et al., 2015). C’est une culture stratégique pouvant assurer la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté du continent africain, dans un contexte de changement climatique (Agre et al., 2015). Sa transformation donne des dérivés comme le tapioca, l’amidon sec, le gari, l’attiéké, et la farine de manioc dont la demande au niveau mondial ne cesse d’augmenter (Diallo et al. 2013). Au Burkina Faso, la quasi-totalité de la production de manioc est destinée à l’alimentation humaine (Bationo, 2016). Le développement de la culture du manioc au Burkina Faso a débuté depuis 1995 grâce à l’adoption du plan stratégique1 de la politique de diversification des filières porteuses appuyé par la FAO et l’IITA (Diancoumba, 2008). La production s’accentue plus dans les régions des Cascades, Hauts Bassins et du Sud-Ouest du pays avec une production annuelle de 22000 tonnes (Bationo, 2016). Sa production s’élargit dans le reste du pays grâce à sa forte adaptation dans des terres pauvres et marginales mais aussi la faible nécessité d’intrants agricoles pour sa production (Ouedrago, 2010). Malgré toutes ses caractéristiques intéressantes, la production du manioc reste limitée par des contraintes biotiques et/ou abiotiques qui contribuent à la diminution des rendements au niveau mondial compromettant ainsi la sécurité alimentaire. Les contraintes biotiques pouvant nuire à la culture du manioc sont nombreuses et comprennent essentiellement les ravageurs tels que la cochenille du manioc (Phenacoccus manihoti), l’acarien vert du manioc 2 (Mononychellus tanajoa), le criquet puant (Zonocerus variegatus), la mouche blanche (Bemesia tabaci) etc (James et al., 2000); mais aussi les virus (mosaïque africaine du manioc), les champignons et les bactèries (Erwinia herbicola, Agrobacterium tumefaciens Biovar1, Xanthomonas campestris pv. Cassavae, Xanthomonas axonopodis pv. manihotis) (AbessoloMeye, 2013). Parmi ces maladies, la bactériose vasculaire causée par Xanthomonas axonopodis pv. manihotis est à l’origine d’importantes pertes de production. En effet, du fait de cette bactérie, des pertes de rendement de 12 à 100% ont été notées en Amérique du Sud et en Afrique (Lopez et al., 2005). Pour contrôler la maladie, l’utilisation de boutures saines et de variétés résistantes restent les moyens de lutte les plus efficaces (Mamba-Mbayi et al., 2014). Au Burkina Faso, la bactériose vasculaire a été récemment signalée et l’agent responsable a été caractérisé en 2014 à partir d’échantillons collectés dans la région des Cascades (Wonni et al., 2015). En octobre 2015, des prospections phytosanitaires sur le manioc ont permis de constater des incidences foliaires atteignant 100% dans les régions des Cascades et des HautsBassins (Yaméogo, 2016). Par ailleurs, les informations relatives sur les pertes économiques engendrées par la maladie, la diversité du pathogène et les variétés résistantes restent à être explorées. Aussi, la compréhension de la structure des populations (diversité génétique et phénotypique) de X. axonopodis pv. manihotis et la connaissance des mécanismes de survie du pathogène sur la plante hôte sont des conditions sine qua none pour le développement de variétés de manioc résistantes et adaptées aux conditions de culture du Burkina Faso. C’est dans ce contexte général que s’inscrit cette présente étude qui a comme objectif général de contribuer à l’amélioration de la productivité du manioc à travers une meilleure gestion de la bactériose vasculaire. Il s’agit de manière plus spécifique de: évaluer l’incidence de la bactériose du manioc ; isoler et caractériser l’agent pathogène; analyser la diversité des effecteurs de type Tal des souches de X. axonopodis pv. manihotis; identifier des variétés résistantes adaptées à la diversité locale des souches de X. axonopodis pv. manihotis. Ainsi le travail s’articule autour de quatre (04) chapitres: 3 1. revue de la littérature sur le manioc et la bactériose vasculaire causée par Xanthomonas axonopodis pv. manihotis ; 2. matériel et méthodologies; 3. résultats ; 4. discussion.
Généralités sur le manioc
Origine, systématique et description
Le manioc est une culture vivrière originaire d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud, plus précisément au Sud-Ouest du bassin amazonien (Muñoz-Bodnar, 2012). C’est une spéculation qui a été introduite en Afrique de l’Ouest dans le bassin du Congo au XVIème siècle par les portugais; et y était utilisée comme une culture de subsistance puis s’est élargie dans les autres régions d’Afrique tropicale (CTA, 2016). Le manioc appartient: au règne des Planta; au sous règne des Trachéobionta; à la classe des Magnoliopsida; à l’ordre des Euphorbiale; à la famille des Euphorbiaceae; et au genre Manihot. Ce genre comprend 98 espèces classées en 19 sections et seule l’espèce M. esculenta y est cultivée (Olsen et Schall, 1999). Le manioc est une plante diploïde avec 2n=36 chromosomes. C’est un arbuste ligneux, vivace et à ramification généralement trichotomique pouvant atteindre jusqu’à cinq (05) mètres de hauteur. Ses rameaux fragiles et l’écorce lisse sont de couleur variant du blanc crémé au bun foncé. Le système racinaire est composé de racine traçante pouvant atteindre un (01) mètre de long. Certaines racines subissent un phénomène de tubérisation, par accroissement secondaire dû au cambium qui démarre un à deux mois après plantation. Les racines tubérisées sont farineuses et peuvent atteindre 50cm de long et leur nombre varient en fonction des variétés et des conditions environnementales (IITA, 1990). Elles contiennent jusqu’à 35% de réserve d’amidon et le poids des tubercules d’une plante peut aller jusqu’à 40kg (Edoh Ognakossan et al., 2016). Ses feuilles sont larges, 6 à 25cm, fortement lobées, avec un nombre toujours impair variant entre 3 à 7 lobes et spiralées de formes très variables. Les feuilles sont de couleur vert foncé à la face supérieure et glauque à la face inférieure. Les fleurs mâles et femelles du manioc sont regroupées en de petites grappes et donnent des fruits de type capsule non charnue (Edoh 5 Ognakossan et al., 2016). La Figure 1 illustre de manière détaillée les différentes parties du manioc. Figure 1: Présentation du manioc Source: Edoh Ognakossan et al., (2016)
Système de culture
La culture du manioc se développe bien dans les zones proches de l’équateur avec une altitude inférieure à 1500 mètres, une pluviométrie variant de 1000 à 1500 mm/an, et une température comprise entre 23 et 25°C (CMA/AOC, 2004). Hormis les sols lourds et inondés, il peut se développer sur tous les sols. Néanmoins, le manioc préfère les sols légers, bien drainés, profonds et riches en matières organiques. Il apprécie les situations bien ensoleillées et pousse dans les conditions de hautes températures et d’ensoleillement des régions tropicales et subtropicales. Le manioc préfère un climat chaud et humide et tolère les longues saisons sèches (6 à 7 mois), ainsi que les précipitations réduites. Il peut être planté seul ou en association avec d’autres cultures telles que le maïs, la banane plantain, les légumes ou les légumineuses (FAO, 2013). La culture du manioc ne requiert pas beaucoup d’intrant agricole et de main-d’œuvre de la préparation du terrain à la récolte (James et al., 2000). Les tubercules de manioc doux peuvent être récoltés au bout de 8 à 10 mois après la plantation, alors que les variétés amères se récoltent à partir de 12 mois (Edoh Ognakossan et al., 2016)
Importance du manioc
La culture du manioc assure l’alimentation d’environ 70 millions de personnes en Afrique, et apporte en moyenne 500Kcal par personne sur la nutrition journalière (FAO, 2010). Elle représente la troisième source de calorie dans les régions tropicales d’Afrique derrière le riz et le maïs (Guira et al., 2016). Le manioc est principalement cultivé en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. L’Afrique est au premier rang de la production mondiale de manioc suivie par l’Asie et l’Amérique Latine (Muñoz Bodnar, 2012). La figure 2 donne des informations relatives à la production du manioc en Afrique et dans le monde. Figure2: Niveau de production du manioc en Afrique et dans le monde Source: CTA, (2016) Au Burkina Faso, le manioc est produit principalement dans les régions du Centre-Ouest, des Cascades, de la Boucle du Mouhoun, des Hauts Bassins, du Sud-Ouest et dans le Centre-Est. Le manioc est introduit dans le pays depuis la deuxième moitié du XIXème siècle à partir des variétés venant du Ghana (Guira et al., 2016). La production est estimée à plus de 22000 tonnes par campagne. La culture offre une diversité culinaire dans le pays. Les tubercules, principales sources d’alimentation du manioc, sont transformés en attiéké, couscous de manioc, tô, gari, tapioca et pain. Grâce à la recherche scientifique, des variétés pouvant produire plus de 100T à l’hectare avec des revenus pouvant excéder 30 millions ont été identifiées (Bationo, 2016). La production du manioc bénéficie de l’appui des structures de l’Etat dont l’INERA, la Direction pour le Développement de l’Irrigation et les Directions Régionales de l’Agriculture (Diancoumba, 2008). Les secteurs de la transformation et de la commercialisation sont appuyés par des structures de la coopération bilatérale ou multilatérale et des ONG. Dans les régions de l’Ouest et du Sud-Ouest, des unités de transformation du manioc gérées par des groupements féminins ont Tonnes/année 7 été installées à Banfora et Orodara. Ces femmes produisent de l’attiéké de manioc très prisé sur le marché national et international (Bationo, 2016).
Contraintes de la culture du manioc
Le manioc est une plante extrêmement rustique capable de s’accommoder à différentes conditions écologiques (N’zué et al., 2004). Cependant, les contraintes biotiques induites par les ravageurs, bactéries, virus, champignons et adventices sur cette culture participent le plus à la baisse de la productivité.
Les ravageurs
Les ravageurs du manioc sont des insectes, des acariens et des vertébrés. Ils attaquent et s’alimentent sur différentes parties des pieds du manioc. Les feuilles, tiges et tubercules sont les principales sources de nourriture des ravageurs (James et al., 2000). Les ravageurs des feuilles et des tiges de manioc les plus répandus sont la cochenille du manioc (Phenacoccus manihoti), l’acarien vert du manioc (Mononychellus tanajoa), le criquet puant (Zonocerus variegatus), la mouche blanche (Bemesia tabaci), les aleurodes (Aleurodicus dispersus) (Edoh Ognakossan et al., 2016). L’acarien vert du manioc occasionne des pertes sur le rendement pouvant aller jusqu’à 80%. La cochenille quant à elle, provoque des pertes sur le rendement pouvant atteindre 75%. L’utilisation de boutures saines, la rotation culturale, le semis en début de saison des pluies et le maintien des parcelles propres sont les moyens de contrôles efficaces contre ces deux ravageurs du manioc (N’Zué et al., 2013). Les cochenilles Stictococcus vayssierrei, Aonidomytilus albus, les termites et les vertébrés dont essentiellement les oiseaux, rongeurs, les singes, les porc et les animaux domestiques s’attaquent principalement aux tiges et aux racines du manioc (James et al., 2000).
Les adventices
Les adventices entrainent des pertes sur le rendement en tubercules de manioc par la compétition sur les éléments nutritifs, l’éclaircissement et l’espace. Ils nuisent de manière indirecte aussi le manioc en offrant un abri aux ravageurs ou autres agents pathogènes nuisibles. Ils sont classés en trois grandes catégories: les graminées, les laiches et les latifoliées dont les plus dominantes sont Imperata cylindrica, Mariscus alternifolius et Chromolaena odorata respectivement pour chaque groupe (Melifonwu et al. 2000).
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