La composition biochimique de la chair du poisson- chat africain (Clarias gariepinus)
Présentation de l’espèce
Une révision de la systématique du genre Clarias a été réalisée par Teugels (Teugels, 1996). Le genre Clarias appartient à la famille des Clariidae, ordre des Siluriformes, sous-ordre des Siluroidei (Fink et Fink, 1981). Cette famille de poissons d’eau douce est présente en Afrique et s’étend vers la Syrie, le sud de la Turquie et le sud-est de l’Asie. Dans le nord et le centre de l’Afrique, il a été décrit sous le nom de C. lazera, dans la région orientale sous celui de C. senegalensis, dans la partie occidentale sous celui de C. mossambicus et dans la partie méridionale comme C. gariepinus. Il s’agit cependant, dans toutes ces régions, d’une seule espèce, C. gariepinus (Viveen et al., 1985). La répartition géographique latitudinale de cette espèce est de 70°. Il a largement été introduit en Europe et dans le reste de l’Asie pour son aquaculture (Van Weerd, 1995). Le genre Clarias, un des douze genres de Clariidae présents en Afrique, est subdivisé en six sous-genres dont Clarias Gronovius 1781 (Teugels, 1996). C’est à ce dernier qu’appartient le poisson-chat africain C. gariepinus (Burchell 1822). La morphologie externe de C. gariepinus se caractérise par un corps allongé avec de longues nageoires dorsales (toujours sans épine) et anale. La nageoire pectorale possède une forte épine. Il a 4 paires de barbillons péribuccaux. Il possède un appareil suprabranchial formé par des structures arborescentes, aux parois fortement vascularisées, originaires de la deuxième et de la quatrième épibranchie, qui lui permet de respirer l’air atmosphérique (Das et Ratha, 1996). Cette adaptation physiologique à vivre dans des milieux limités en eau se traduit également par son aptitude à excréter une plus grande quantité d’azote sous forme d’urée plutôt que d’ammoniaque (Clay, 1981). Il est par ailleurs capable de se déplacer d’un point d’eau à l’autre en utilisant ses épines pectorales et en effectuant des mouvements sinueux avec son corps (Teugels, 1996). Figure 1 : Clarias gariepinus (source : aquaportail.com)
Biologie de Clarias gariepinus
Exigences écologiques
Clarias gariepinus vit dans une très large gamme d’eaux continentales, généralement calmes (rivières, marais, lacs, etc.), mais également dans des cours d’eau plus rapides. Ils prospèrent bien dans les lacs turbides et peu profonds ainsi que dans les lacs clairs et profonds, mais ils sont particulièrement présents dans les rivières. Il respire efficacement l’air atmosphérique en utilisant son organe suprabranchial, son épithélium branchial et éventuellement sa peau. Il présente une forte résistance à la dessiccation. Il est capable, pour garder sa peau humide, de sécréter un mucus ou de creuser un trou ou un terrier grossier dans un substrat boueux lors de la sécheresse. Il tolère facilement les eaux turbides ainsi que la surdensité. En conditions d’élevage, la forte densité réduit le stress (jusqu’à 500 kg de poisson / m3 ) (Hecht, 1996). Son importante aire de répartition et son intérêt en aquaculture s’expliquent entre autres par ses faibles exigences écologiques et sa capacité à survivre dans une large gamme de valeurs physico-chimiques.
Maturité sexuelle, ponte et reproduction en milieu naturel
Clarias gariepinus atteint sa maturité sexuelle à l’âge de 2 ou 3 ans pour une taille qui varie fortement en fonction des conditions environnementales (température, régime alimentaire, etc.) de son milieu de vie. Cette taille peut aller de 15 à 75 cm selon les auteurs (Clay, 1979 ; Hecht, 1996 ; Pillay, 1990). Les Clariidae sont dioèces et présentent un dimorphisme sexuel au niveau des organes génitaux externes (Legendre et al., 1996). La période de frai de C. gariepinus commence avec la saison des pluies estivales et s’accomplit dans des zones inondées en bordure de lacs ou d’eaux calmes (Goos et Richter, 1996). La maturation des gonades est associée à la montée des eaux et à l’augmentation de la 6 température et de la photopériode (Clay, 1979). Les adultes ne restent sexuellement mûrs que durant une courte période. Chez les Clariidae, la ponte nécessite des eaux aux températures suffisamment élevées, le dernier stimulus de la ponte étant associé à la montée des eaux et l’inondation des zones marginales (Viveen et al., 1985 ; Clay, 1979). Plusieurs frais peuvent se produire la même année à quelques semaines d’intervalle, bien que certains démentent cette affirmation (Pillay, 1990). Les cas de ponte unique sont probablement dus à des conditions environnementales qui restreignent la reproduction à une seule ponte (Clay, 1979). Une fois fécondés, les œufs sont éparpillés et adhèrent à la végétation grâce à leur disque d’attachement (Riehl et Appelbaum, 1991). Il n’y a pas de garde parentale des œufs qui éclosent après 24 à 36 heures suivant la température de l’eau (Viveen et al., 1985). L’indice gonadosomatique (IGS) des poissons-chats africains mâles n’excède pas 1 %, et la concentration en spermatozoïdes de leur semence est de 109 spz .ml-1 (Legendre et al., 1996). Les ovaires des femelles contiennent avant le frai des ovogonies et des ovocytes à différents stades de développement (Legendre et al., 1992). La fécondité de C. gariepinus est très élevée, une femelle de taille moyenne (40-50 cm) pouvant libérer de 50.000 à 200.000 œufs par ponte (Hecht, 1996). Une corrélation hautement significative s’observe entre la taille de la femelle et sa fécondité qui est reliée exponentiellement à la longueur (mm) et linéairement aux poids (g). Ainsi, la fécondité relative moyenne de cette espèce oscille entre 20.000 et 25.000 œufs par kilo.
Croissance et régime alimentaire en milieu naturel
La meilleure estimation de la croissance annuelle de Clarias gariepinus est donnée à partir de ses épines, de ses otolites ou de ses sections vertébrales. Les taux de croissance (TC) de différentes populations (Afrique du Sud, Namibie, Zimbabwe, etc.) varient fortement. La croissance est plus importante durant la première année et ce pour les deux sexes (voir annexe 1). Le taux de croissance et la taille maximale atteinte seront fonction de la teneur du régime alimentaire en protéines. Il n’y a pas de différence significative entre les TC des mâles et des femelles. Le poids maximal atteint dans la plupart des lacs et des petites rivières, dépasse rarement 20 kg. Des spécimens de très grande taille peuvent être trouvés dans les grandes rivières turbides (poids record : 58,9 kg) (Hecht, 1996). Clarias gariepinus a été décrit par Jubb (1967) comme un fouilleur omnivore, ce terme ne spécifiant pas dans ce cas si les matériaux végétaux représentaient une proportion importante de son régime alimentaire (Jubb, 1967 in Clay, 1979). Angelopulo (1947) rapporta que le court tube digestif du poisson-chat africain suggérait un régime carnivore (Angelopulo, 1947 in Clay, 1979). Mais de nombreux auteurs s’accordent à dire que les espèces du genre Clarias se nourrissent de ce qu’ils trouvent et que la présence de grandes quantités de matériaux nonanimaux doit être considérée comme fortuite (Groenwald, 1964 in Clay, 1979). C. gariepinus est donc une espèce euryphage (Bruton, 1979) et opportuniste (Clay, 1979). Les juvéniles se nourrissent dans l’ordre de préférence décroissant d’insectes et de crustacés, de mollusques, de détritus et de plancton. Les adultes et les sub-adultes se nourrissent quant à eux principalement de poissons (Bruton, 1979 ; Van Weerd, 1995). Leur nature omnivore fut confirmée par Uys (1989) qui démontra que C. gariepinus possédait des protéases similaires à celles des espèces carnivores ; des mécanismes de digestion de l’amidon semblables à celles des espèces herbivores ; des lysosomes et des phosphatases alcalines comme les détritivores (Uys, 1989 in Van Weerd, 1995). Mais d’un point de vue aquacole, l’intérêt est de savoir si ce poisson peut utiliser efficacement les protéines végétales, ce qui fut démontré (Clay, 1979). Cockson et Bourne (1972) mirent par ailleurs en évidence la présence de protéases dans l’estomac et dans la partie antérieure de l’intestin de C. gariepinus, la plupart se révélant être des pepsines (Cockson et Bourne, 1972 in Clay, 1981). 8 Les pepsines se retrouvent à la fois chez les carnivores et chez les herbivores possédant un estomac ; leur présence indique donc que C. gariepinus est capable de digérer la plupart des protéines avec peu ou pas de spécialisation pour les protéines soit d’origine animale, soit d’origine végétale. Cette capacité à utiliser les matériaux végétaux est, au niveau alimentaire, le point de base de son potentiel en tant qu’espèce d’intérêt pour l’aquaculture (Clay, 1979). Il est par ailleurs physiologiquement équipé pour faire face à des repas non fréquents et irréguliers ; ces enzymes digestives répondant rapidement à la présence de nourriture (Uys et al., 1987 in Van Weerd, 1995). Clarias gariepinus est une espèce au comportement alimentaire nocturne reposant sur des stimuli tactiles, chimiques et même électriques ; ce qui explique son aptitude à se nourrir la nuit dans des eaux turbides (Hossain et al., 1999 ; Viveen et al., 1985). Sa grande bouche subterminale et transversale peut effectuer de larges déplacements verticaux lui permettant d’ingurgiter de grandes proies ou d’importants volumes d’eau lorsqu’il se nourrit par filtration. Cette espèce possède des branchiospines sur les bords antérieurs de ses cinq arcs branchiaux et d’autres supplémentaires sur les bords postérieurs des troisième et quatrième arcs branchiaux (Hecht, 1996). L’adaptation physiologique des poissons-chats africains de moins de 30 cm à se nourrir par filtration est d’un grand intérêt lors de la sélection d’une espèce pour l’aquaculture en étangs, principalement lorsque les températures garantissent une bonne efficacité de fertilisation des étangs (Clay, 1979). 2.4. Le cannibalisme Le cannibalisme est un phénomène fréquent en aquaculture. Smith et Reay (1991) le définirent comme « l’acte de tuer et de consommer la totalité ou la majeure partie d’un individu appartenant à sa propre espèce, et ce quel que soit son stade de développement ». On reconnaît deux types de cannibalisme : le cannibalisme de type I, lorsque la taille de la proie est grande par rapport à celle du prédateur (la proie est alors consommée de la queue vers la tête), qui est progressivement remplacé par le cannibalisme de type II, lorsque la différence de taille entre la proie et son prédateur est suffisante pour que cette dernière soit totalement ingérée (Baras et Jobling, 2002). Le cannibalisme peut être provoqué ou augmenté par toute une série de facteurs biotiques et abiotiques qui peuvent être classés dans une des deux catégories suivantes : génétique ou comportementale. Cette seconde catégorie étant principalement contrôlée par les facteurs environnementaux limitants. Le principal caractère génétique influençant le cannibalisme est l’hétérogénéité de taille au sein d’une cohorte. Le comportement cannibale de C. gariepinus commence d’autant plus tôt que ses populations sont hétérogènes en taille (Baras et d’Almeida, 2001). Le cannibalisme est donc à la fois une cause et un effet de cette hétérogénéité de taille. Les facteurs environnementaux sont multiples. Ainsi, la densité de stockage peut intensifier ou au contraire réduire le cannibalisme. De nombreux autres facteurs environnementaux tels que l’accès à un refuge, la transparence de l’eau, l’intensité lumineuse, la fréquence à laquelle la nourriture est distribuée et la fréquence avec laquelle les proies alternatives sont présentées influencent de même ce comportement cannibale (Baras et Jobling, 2002 ; Hecht et Pienaar, 1993). Baras et Jobling (2002) proposent une série d’études préliminaires sous des conditions expérimentales susceptibles d’induire le cannibalisme afin de déterminer les habitudes cannibales inconnues d’une nouvelle espèce potentiellement intéressante pour l’aquaculture et ainsi d’être à même de mitiger ce comportement. Hecht (1996) quant à lui liste une série de précautions à prendre afin de minimiser le cannibalisme chez les larves et les juvéniles de C. gariepinus : nourrir à satiété toutes les deux (2) heures en distribuant la nourriture de manière uniforme sur toute la surface d’eau et supplémenter l’aliment avec de la nourriture vivante (d’abord avec des Artemia, ensuite avec des Daphnia). La taille des particules de nourriture doit être optimisée (2,2 % de la longueur totale du poisson). Les larves devraient être élevées sous de faibles intensités lumineuses (< 30 lux), à une densité de stockage de 150 larves par litre. Enfin, le cannibalisme peut être minimisé en triant régulièrement les juvéniles par classe de taille, en retirant les cannibales et en évitant de sélectionner les individus à croissance trop rapide (cannibales) comme reproducteurs (cela favoriserait la sélection de ce trait comportemental).
Aspects généraux de l’aquaculture de Clarias gariepinus
Les Siluridae font l’objet d’une culture traditionnelle dans de nombreux pays à travers le monde (Pillay, 1990). C. gariepinus est l’une des espèces les mieux adaptées à la pisciculture en milieu rural en Afrique qui, pendant longtemps, a été dominée par la culture du tilapia (Micha, 1973 ; Pillay, 1990). Elle a été considérée comme une espèce prometteuse de par son taux de croissance élevé, sa bonne résistance aux manipulations, au stress et aux maladies et l’appréciation de sa chair. On observe un intérêt croissant pour sa culture. Des conditions de température appropriées représentent le facteur le plus important pour sa culture, particulièrement lors de la période de croissance en bassins. 10 L’élevage de Clarias en grossissement en bassins extérieurs n’est dès lors rendu possible, dans certains pays européens, que durant la période estivale (Adamek et Sukop, 1995). Il est cependant possible d’assurer son élevage toute l’année en travaillant en circuit fermé ou en récupérant les eaux chaudes des tours de refroidissement de centrales nucléaires (exemple : Aquafarm, Belgique). Les caractéristiques qui font de C. gariepinus un excellent candidat pour la pisciculture intensive sont multiples : (1) ses géniteurs produisent de grandes quantités d’œufs et de sperme toute l’année ; (2) il accepte une grande variété d’aliments artificiels bon marché ; (3) il supporte des densités élevées en conditions d’élevage et (4) il tolère de mauvaises conditions environnementales (Hecht et al., 1996). Leur capacité à survivre hors de l’eau pendant de longues périodes en font des poissons de choix pour l’aquaculture dans les pays tropicaux (Pillay, 1990). Il existe de plus des variétés de cette espèce acclimatées aux hautes altitudes et aux faibles températures, telles que celles qui prévalent au Rwanda (Kanangire, 2001)
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