Caractérisation Moléculaire des Espèces Plasmodiales Circulant
INTRODUCTION
En dépit des programmes de lutte de ces dernières années, le paludisme (malaria en anglais)demeure l’une des maladies parasitaires les plus importantes dans le monde. Le paludisme est une parasitose due à des hématozoaires du genre Plasmodium, transmis à l’homme par des moustiques du genre Anophèles. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de la moitié de la population mondiale vit en zone d’endémie palustre. En 2013, 198 millions de cas de paludisme ont été enregistrés dans le monde dont 584 000 décès ; la plupart étant des enfants de moins de cinq ans en Afrique subsaharienne (WHO, 2014).De nos jours, il existe cinq espèces plasmodiales capables d’infecter l’homme: Plasmodium Falciparum (P. falciparum), P. knowlesi, P. malariae, P. ovale et P. vivax. Le degré de sévérité du paludisme est fonction de l’espèce en cause et peut aller des formes fébriles aux formes les plus graves, notamment le neuropaludisme. Cependant, il est admis qu’en vivant en zone d’endémie,l’individu acquiert lentement une immunité (Harris et al., 2010), incomplète et labile qui lui permet de supporter le parasite sans être constamment malade (Rogier et al., 2009), alors que le paludisme reste potentiellement mortel pour un sujet non-immun. L’acquisition de l’immunité pourrait donc être fonction de la complexité des infections, c’est-à-dire du nombre de populations parasitaires distinguables dans un isolat (Diallo, 2014).entreprises contre ce dernier ont nettement fait baisser sa prévalence dans beaucoup de localités du Sénégal (PNLP, 2014). Bien que la plupart des décès sont provoqués par P. falciparum, la contribution relative des autres espèces plasmodiales au fardeau global du paludisme augmente à mesure que l’incidence de P. falciparum diminue (Gething et al., 2012).L’estimation de la prévalence des infections plasmodiales dépend de la sensibilité de la méthode de détection utilisée (Rogier et al., 2009). Le diagnostic du paludisme est traditionnellement réalisé par l’examen microscopique de sang (Harris et al., 2010). Cependant,lorsque la parasitémie est très basse, l’information obtenue par microscopie est restreinte et dans certains cas biaisée (Snounou et al., 1993), du fait notamment des ressemblances morphologiques de certains stades parasitaires et crée des difficultés avec les décisions de traitement basées sur des résultats microscopiques (Barber et al., 2013). Au moment où certaines espèces de Plasmodium acquièrent la capacité à développer des résistances face aux meilleurs traitements antipaludiques,d’autres par contre ont la particularité de causer des reviviscences parfois tardives et à induire des complications en cas de mauvais diagnostic. Les progrès récents de la biologie moléculaire ont permis de lever certaines ambiguïtés en ce qui concerne le diagnostic des espèces plasmodiales. Des techniques de biologie moléculaire sont utilisées depuis plus de 20 ans pour diagnostiquer la présence de P. falciparum dans des échantillons sanguins et pour caractériser les populations parasitaires ainsi détectées. La plupart font appel à un stade ou à un autre à la réaction de polymérisation en chaîne (PCR), qui permet d’amplifier un fragment d’ADN compris entre deux courtes séquences nucléotidiques servant d’amorces (Rogier et al., 2009). La PCR peut détecter l’ADN parasitaire à partir d’échantillons de sérum (Bharti et al., 2007). Elle peut permettre, en épidémiologie, de distinguer les populations plasmodiales présentes simultanément dans un même isolat et d’analyser leur diversité génétique et leur dynamique intra-hôte, à l’échelle d’une communauté. Le sérum, plutôt que le sang total jusqu’ici utilisé comme spécimen standard de PCR,est plus aisément disponible car il est généralement stocké pour des études sérologiques et des analyses rétrospectives (Bharti et al., 2007).Cette présente étude a pour but d’une part, de déterminer par une approche moléculaire des espèces plasmodiales circulant dans la zone de Kédougou caractérisée par une forte prévalence du paludisme et d’autre part, de déterminer les caractéristiques génétiques des différentes souches de Plasmodium falciparum identifiées.
Définition et agents du paludisme
Les Plasmodiums sont des parasites intracellulaires obligatoires (Embranchement : Sporozoa,Phylum : Apicomplexa, Classe : Sporozoaires, Sous-classe : Coccidie, Ordre : Eucoccidie, Sousordre : Hoemosporina, Famille : Plasmodiideae, Genre : plasmodium). Parasites hétéroxènes, les Plasmodiums, présentent deux hôtes dans leur cycle de développement : un hôte vertébré (hôte intermédiaire) et un moustique hématophage femelle du genre Anophèles. Il existe de très nombreuses espèces de Plasmodium, dont quatre infectant spécifiquement l’homme (P. falciparum,P. malariae, P. ovale et P. vivax) (Mekonnen et al., 2014). Plus récemment, P. knowlesi, un parasite simien, a été identifié comme la principale cause de paludisme humain en Malaisie(Joven-Neoh et al., 2011), son apparition est également associée à la réduction de l’incidence des espèces de Plasmodium humains (William et al., 2013).
o Plasmodium falciparum
- falciparum est l’agent causal de la forme la plus grave du paludisme humain (Le Bras,1999), notamment le neuropaludisme. De toutes les espèces plasmodiales rencontrées en pathologie humaine, P. falciparum est celle qui présente la plus grande incidence à l’échelle mondiale. Sa transmission est annuelle en zone équatoriale, avec cependant des recrudescences saisonnières. En Zone subtropicale, il ne survient qu’en période chaude et humide. Cette transmission s’interrompt lorsque la température tombe en dessous de 18°C. A la différence des autres espèces plasmodiales,P. falciparum ne développe pas de rechutes tardives et sa période d’incubation est comprise entre 7 et 12 jours. Cependant, il est caractérisé par sa capacité à développer des mécanismes d’échappement au système immunitaire de l’hôte et à développer des résistances contre les antipaludiques.
o Plasmodium vivax
responsable de 100 à 300 millions de cas cliniques, notamment des cas sévères et parfois mortels (Bernabeu et al., 2012). Très largement répandu en Amérique du Sud et en Asie, il est beaucoup plus rarement observé en Afrique, du fait notamment de l’absence de l’antigène Duffy Chez la majorité des populations de ce continent, nécessaire pour l’infection des érythrocytes parP. vivax. La présence de formes dormantes au niveau du foie (hypnozoïtes) fait que P. vivax provoque des rechutes souvent tardives, parfois même à des périodes où les Anophèles vecteurs sont absents. Avec une période d’incubation de 11 à 13 jours, il commence à surgir quelques résistances médicamenteuses à P. vivax, notamment en Indonésie (Price et al., 2014).
o Plasmodium ovale
- ovale a son foyer d’endémie en Afrique tropicale, et est rarement observé dans d’autres régions du monde (WHO, 1969). Sa limite nord passe par le Sénégal, le sud Mali jusqu’au sudéthiopien et le sud de la Somalie. Sa limite sud est une diagonale allant du nord de l’Angola(excluant ce pays) jusqu’au sud du Mozambique, en passant le long de la frontière sud du Congo. Madagascar est inclus dans l’aire de distribution de P. ovale (Molez, 1987). Son incubation est de 15 jours au minimum mais peut-être beaucoup plus longue, jusqu’à 4 ans. Son évolution est bénigne mais on peut observer, comme avec P. vivax, des rechutes tardives (5 ans).Schématiquement, on dit que P. ovale remplace P. vivax là où cette dernière espèce n’existe pas.
o Plasmodium malariae
Les infections dues à P. malaria n’atteignent généralement pas un fort taux de parasitémie mais sont souvent associées à une néphropathie chronique (Calderaro et al., 2007). Elle se différencie des autres espèces par une incubation plus longue (15 à 21 jours), par une périodicité différente de la fièvre et surtout par sa capacité à entraîner des reviviscences très tardives. Les mécanismes physiopathologiques responsables de ces reviviscences tardives ne sont pas totalement élucidés,certains évoquent la présence de mérozoïtes latents dans les voies lymphatiques.
o Plasmodium knowlesi
Actuellement, il sévit dans tous les pays d’Asie du Sud-Est excepté le Laos (Singh and Daneshvar,2013) avec plusieurs centaines de cas déjà rapportés chez l’homme. Elle se différencie des autres espèces par une fièvre quotidienne. Il existe de rares formes graves et à ce jour aucune chimiorésistance n’a été observée pour cette espèce.
Vecteurs du paludisme
Le paludisme est transmis d’une personne à l’autre par les moustiques femelles du genre Anophèles (Embranchement des Arthropodes, Classe des Insectes, Sous-classe des Ptérygotes,Ordre des Diptères, Sous-ordre des Nématocères, Famille des Culicidés, Genre: Anophèles). Il y a environ 400 espèces différentes de moustiques anophèles, mais seulement 30 de ces dernières sont des vecteurs d’importance majeure (WHO, 2013). En Afrique sub-saharienne, il existe quelque 140 espèces d’anophèles, dont une douzaine sont d’excellents vecteurs et certains parmi les meilleurs vecteurs mondiaux (Carnevale and Robert, 2009). Au Sénégal, les espèces majoritairement rencontrées sont Anophèles gambiae, A. arabiensis, A. funestus, A. pharoensis et A. melas (WHO,2013).Les anophèles femelles ont la particularité de transmettre le parasite à l’homme par piqûre infectante au cours de leurs repas sanguins tandis que les mâles se nourrissent de nectars de fleurs et de sucs végétaux. L’essentiel des piqûres ont lieu à partir du coucher du soleil avec un maximum d’activité entre 23h et 6h (Rodriguez et al., 2009). Les facteurs environnementaux et climatiques contribuent largement à la distribution et à l’abondance des vecteurs du paludisme dans le monde et par conséquent, influencent la transmission du paludisme. Les espèces les plus dangereuses sont les espèces anthropophiles, qui ont une préférence pour effectuer leur repas sanguin sur l’homme plutôt que sur l’animal et les espèces endophiles qui se reposent à l’intérieur des maisons.
Cycle biologique de Plasmodium spp.
Parasites intracellulaires obligatoires, les plasmodiums présentent un cycle de développement complexe, comportant essentiellement deux phases (Figure 1) 😮 Une phase de différenciation sexuée chez le moustique, l’hôte définitif qui héberge la forme adulte. Cette phase aboutit à la fécondation et est responsable de la dissémination du parasite par le moustique.o Une phase de prolifération asexuée chez l’homme, l’hôte intermédiaire qui héberge la forme immature. Cette phase asexuée comprend une schizogonie hépatique, suivie d’une schizogonie érythrocytaire, cette dernière, responsable des manifestations cliniques du paludisme (Ndiaye, 2009).
Chez l’homme
Schizogonie hépatique
L’infection par Plasmodium commence par une courte phase hépatocytaire asymptomatique.Les sporozoïtes inoculés par l’anophèle femelle lors de son repas sanguin restent pendant une trentaine de minutes maximum dans la peau, la lymphe et le sang. Beaucoup sont détruits par les macrophages mais certains parviennent à gagner les hépatocytes. Ils se transforment en schizontes pré-érythrocytaires ou ≪corps bleus≫ (formes multi nucléées) qui, après quelques jours de maturation, éclatent et libèrent des milliers de mérozoïtes dans le sang. La schizogonie hépatique est unique dans le cycle, la cellule hépatique ne pouvant être infectée que par des sporozoïtes. Dans les infections à P. vivax et P. ovale, une schizogonie hépatique retardée (hypnozoïtes) peut entraîner la libération dans le sang de mérozoïtes plusieurs mois après la piqûre du moustique, expliquant ainsi les reviviscences tardives observées avec ces deux espèces. Les hypnozoïtes n’existent pas dans l’infection à P. falciparum (évolution d’un seul tenant) et ils n’ont pas été mis en évidence non plus dans l’infection à P. malariae ou à P. knowlesi.
Schizogonie érythrocytaire
Très rapidement les mérozoïtes pénètrent dans les globules rouges. La pénétration du merozoite dans l’érythrocyte et sa maturation en trophozoïte puis en schizonte prend 48 ou 72 heures (en fonction de l’espèce) et conduit à la destruction du globule rouge hôte et à la libération de 8 à 32 nouveaux mérozoïtes. Ces mérozoïtes pénètrent dans de nouveaux globules rouges et débutent un nouveau cycle de réplication. Cette partie du cycle correspond à la phase clinique : la parasitémie s’élève, le sujet devient fébrile, c’est l’accès palustre. En l’absence de traitement, tous les parasites évoluent progressivement au même rythme (on dit qu’ils deviennent synchrones), tous les schizontes érythrocytaires arrivent à maturation au même moment, entraînant la destruction d’un grand nombre de globules rouges de manière périodique, toutes les 24 heures (pour P. knowlesi), 48 heures (fièvre tierce de P. falciparum, P. vivax ou P. ovale) ou toutes les 72 heures (fièvre quarte de P. malaria). En pratique, la fièvre tierce due à P. falciparum est rarement synchrone.Après un certain nombre de cycles érythrocytaires, certains mérozoïtes subissent une maturation d’une dizaine de jours, accompagnée d’une différenciation sexuée : ils se transforment en gamétocytes mâles et femelles.
Chez le moustique
Les gamétocytes, ingérés par le moustique lors d’un repas sanguin sur un sujet infecté, se transforment en gamètes mâles et femelles qui fusionnent en un œuf libre, mobile appelé ookinète.Cet ookinete quitte la lumière du tube digestif, se fixe ensuite à la paroi externe de l’estomac et se transforme en oocyste. Les cellules parasitaires se multiplient à l’intérieur de cet oocyste,produisant des centaines de sporozoïtes qui migrent ensuite vers les glandes salivaires du moustique.Ces sporozoïtes sont les formes infectantes prêtes à être inoculées avec la salive du moustique, lors d’un repas sanguin sur un hôte vertébré.
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