LES FACTEURS DE MORTALITE CHEZ LES TRAUMATISES CRÂNIO-ENCÉPHALIQUES GRAVES

LES FACTEURS DE MORTALITE CHEZ LES TRAUMATISES CRÂNIO-ENCÉPHALIQUES GRAVES

INTRODUCTION

 Un traumatisme crânio-encéphalique est la conséquence d’un accident (traumatisme) sur l’extrémité céphalique. Il est grave si le score de Glasgow ≤ 8 lors de la prise en charge. Le traumatisme crânioencéphalique (TCE) grave est une cause majeure de décès et d’invalidité chez l’adulte jeune. S’il est parfois isolé, il s’intègre le plus souvent dans le cadre d’un polytraumatisme. Les causes restent dominées par les accidents de la voie publique, mais les chutes des personnes âgées prennent une place non négligeable. Sa spécificité par rapport aux atteintes extra-crâniennes s’exprime par sa grande part de responsabilité dans les causes de décès chez le sujet polytraumatisé, responsable de 68 % des décès [23, 47, 51]. Aux États-Unis le nombre de décès liés aux traumatismes crâniens est de 52 000 morts/an, le TCE est un facteur qui contribue à un tiers de tous les décès accidentels [33]. Au canada, l’incidence annuelle des TCE graves est de 9 à 17,1/100000. En Europe cette incidence est de 235/100000 [15, 67]. En France on dénombre environ 150 000 traumatisés crâniens (TC) chaque année. Ce sont à peu près 8000 décès et 4000 comas annuels [51]. En Afrique: Au Burkina Faso (CHUSS) une étude sur les TCE graves avait porté sur 133 patients pour une mortalité de 51,90% le plus souvent liée à l’hypotension [57]. Au Maroc, une étude sur les TCE en milieu de réanimation au cours de l’année 2005-2006 avait enregistré 60 TCE graves présentant une mortalité de 89% essentiellement due à l’hypotension et à l’hypoxie [41]. Au Sénégal, une étude rétrospective sur 10 ans portant sur les traumatismes crâniens graves chez l’enfant avait recruté 112 cas pour une mortalité de 34,8% avec une part significative de l’hypotension [52]. Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 15 De telles données sur les TCE graves nous ont incités à mener ce travail dont le but était d’identifier des facteurs responsables de la mortalité chez ces patients afin d’améliorer leur prise en charge. Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 

 RAPPELS

 Épidémiologie

L’incidence des TCE est près de 70%, ce qui représente le traumatisme le plus fréquent en dehors des lésions orthopédiques des extrémités (présentes chez 85% des patients). L’existence d’un TCE isolé ne concerne que 19% des traumatisés admis en réanimation [4]. Aux Etats unis, environ 450.000 patients sont victimes de TCE par an. Cependant, la mortalité est estimée entre 29 et 52.000 patients par an 

 Physiopathologie 

Le cerveau ne représente que 2 à 3% du poids corporel alors qu’il reçoit 15% du débit cardiaque et consomme 20% de l’oxygène et 25% du glucose utilisés par l’organisme. La moitié de la consommation d’oxygène et de glucose sert à maintenir l’intégrité des membranes cellulaires et de la barrière hémato-encéphalique. L’autre moitié est utilisée pour le fonctionnement du cerveau par la création d’activité électrique et synthèse de neurotransmetteurs [14,19]. Dépourvu de réserves d’oxygène, pauvre en réserves de glucose et d’adénosine triphosphate(ATP), et ne pouvant restreindre sa consommation basale (sauf en cas d’hypothermie), le cerveau est dès lors totalement dépendant d’un apport continu de glucose et d’oxygène. IL est très sensible à toute diminution ou arrêt de son approvisionnement en oxygène (hypoxémie / anoxémie) ou en oxygène et en glucose [19]. La biomécanique d’un traumatisme crânio-encéphalique dépend directement du type du traumatisme et détermine largement la nature des lésions initiales observées. Schématiquement, l’impact sur le crâne produit une lésion directe et des lésions d’accélération et de décélération dont les conséquences sont la constitution de lésions encéphaliques focales ou multiples, uni- ou bilatérales, l’ouverture de la barrière hémato encéphalique, la création de lésions axonales diffuses et le développement de microhémorragies dans le tissu cérébral sur lesquelles peuvent se développer les hématomes intracrâniens [46]. Les Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 17 lésions primaires vont déclencher localement des réactions biochimiques et inflammatoires conduisant à l’aggravation de la lésion cérébrale. La conséquence essentielle de ces modifications tissulaires est l’augmentation du contenu cérébral en eau dû à un gonflement cellulaire. A la périphérie d’une zone contuse, cet œdème entraine la compression de la microcirculation. Celle-ci expose à la constitution d’un œdème ischémique en raison de la diminution de l’apport d’oxygène. Cette zone péri-contusionnelle est appelée zone de pénombre en raison du potentiel de réversibilité des lésions [1]. Au niveau systémique, ils sont définis par le concept d’agressions cérébrales secondaires d’origine systémique (ACSOS). [tableau1] Tableau I : Étiologies des facteurs d’agression cérébrale secondaire d’origine systémique (ACSOS) [54]. ACSOS Étiologies Hypoxémie Hypoventilation, traumatismes thoraciques, inhalation Hypotension Hypovolémie, anémie, insuffisance cardiaque, sepsis, atteinte médullaire Anémie Saignements internes ou extériorisés (traumatismes associés, épistaxis, plaies du scalp, etc.) Hypertension Douleur, trouble neurovégétatif, insuffisance d’analgésie ou de sédation Hypercapnie dépression respiratoire Hypocapnie Hyperventilation spontanée ou induite Hyperthermie Hyper métabolisme, réponse au stress, infections Hyperglycémie Hypothermie, perfusion de soluté glucosé, réponse au stress Hypoglycémie Nutrition inadéquate Hyponatrémie Remplissage avec des solutés hypotoniques, pertes en sodium excessives Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 18 Ils sont la conséquence des troubles cardiovasculaires, ventilatoires et métaboliques entrainés par le traumatisme. Ces altérations systémiques perturbent l’hémodynamique cérébrale avec modification de la PIC, de la PPC et du DSC. Les phénomènes locaux et généraux sont largement interdépendants et intriqués. Ils conduisent, par le biais de l’œdème, de la vasoplégie et de l’HTIC à la constitution de véritables cercles vicieux, dont le résultat final est l’ischémie cérébrale [4,8]. L’un des principes de la prise en charge du traumatisme crânioencéphalique reposera sur la prévention des ACSOS. [tableau2] Tableau II: Les facteurs d’agression cérébrale secondaire d’origine systémique (ACSOS) et Objectifs thérapeutiques [58]. Facteurs d’ACSOS Objectifs thérapeutiques Hypotension et hypertension artérielle sévère PPC 70 mm Hg et < 150 mm Hg Hypoxémie PaO2 > 100 mm Hg Hypercapnie et hypocapnie 35 mm Hg < PaCO2 < 40 mm Hg Anémie Hb > 8 g/dl Hyperthermie Température < 38 oC Hypoglycémie et hyperglycémie 0,8 g/l < glycémie < 1,6 g/l Hyponatrémie et hypo osmolarité 280 mOsm/l < Osmolarité < 320 mOsm/l Mais les agressions cérébrales peuvent être d’origine intracrânienne. [tableau3]. Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 19 Tableau III. Étiologies des agressions d’origine intracrânienne [58]. Événements intracrâniens Étiologies Hypertension intracrânienne Hématomes, brain swelling secondaire à une Vasodilatation, œdème, hydrocéphalie Vasospasme hémorragie méningée traumatique ? Épilepsie lésion cérébrale corticale Infections fracture de la base du crâne, fractures ouvertes et plaies pénétrantes de la boîte crânienne La boite crânienne inextensible contient le parenchyme cérébral (80%), du liquide cérébro-spinal (10%) et le volume sanguin cérébral (5%). Ces trois éléments constituent un système dynamique où l’augmentation du volume de l’un est compensée par la diminution des deux autres, maintenant ainsi une pression stable [19]. L’augmentation du volume intracrânien peut être due à l’expansion de l’un de ces secteurs (œdème cérébral, hydrocéphalie, hyperhémie) ou à la présence d’un volume supplémentaire (HSD, HED). La présence d’une HTIC symptomatique témoigne toujours d’une situation critique où une augmentation minime de volume se traduit par une augmentation très importante de pression [9,35]. L’élévation de la PIC comporte deux risques : la réduction de la pression de perfusion cérébrale, responsable d’une ischémie et d’engagement cérébral. L’engagement est toujours la conséquence de gradients de pression importants soit entre l’espace crânien et spinal, soit entre les étages sus et sous tentoriels, soit encore entre les deux hémisphères. Pour éviter ou limiter de tels gradients, la PIC doit être maintenue aussi basse, et le cerveau aussi détendu, que possible. L’arrêt circulatoire cérébral survient quant à lui, lors de l’annulation de la PPC, lorsque la PIC devient égale à la PAM au niveau du siphon carotidien. L’élévation de la PAM qui précède ce phénomène n’est pas un réflexe de Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 20 défense vis- à-vis du cerveau mais une réaction non finalisée secondaire à l’ischémie des centres cardio-circulatoires du tronc. Accompagnée par une bradycardie réflexe et des troubles du rythme respiratoire, il s’agit de la réaction de cushing [12]. Pour une lésion expansive aigue, la relation pression- volume n’est pas linéaire : elle est décrite par la courbe de compliance de LANGFITT [figure1]. Après une phase initiale de tolérance, une faible augmentation de volume va être responsable d’une forte augmentation de PIC, entrainant une décompensation brutale. En revanche, la soustraction d’un faible volume du LCR par drainage peut permettre une baisse importante de PIC. La survenue d’une HTIC est corrélée à une évolution défavorable des patients. Dans des séries autopsiées, les lésions d’ischémie cérébrale ont été mises en évidence chez plus de 80% des patients. Ces lésions sont la conséquence du traumatisme initial et des cascades inflammatoires qu’il active. Elles sont aggravées par l’HTIC qui abaisse la PPC ou par une chute de pression artérielle d’origine extra-cérébrale. C’est pourquoi le maintien d’une PPC suffisante est l’objectif prioritaire de la prise en charge des traumatisés crâniens [9,75]. Figure 1. Courbe de compliance cérébrale pression / volume de LANGFITT. Après un traumatisme crânien grave, l’autorégulation peut être altérée ou absente. Dans cette situation, le DSC devient dépendant de la PPC [9]. La courbe d’autorégulation peut aussi être décalée vers la droite, la borne inférieure du plateau ayant parfois été mesurée à 70 mm Hg [figure2]. Figure2. Courbe d’autorégulation du débit sanguin cérébral en réponse aux variations de pression de perfusion cérébrale (PPC = PAM – PIC). Dans ce cas, le DSC dépend de la PPC même pour des valeurs de pression artérielle normales. Une hypotension artérielle entrainera donc rapidement une ischémie cérébrale. Les anomalies de l’autorégulation sont précoces, survenant dans les 48 premières heures. La stratégie de maintien d’une PPC à 70 mm Hg repose sur l’existence d’une autorégulation intacte. Lorsqu’elle est altérée, toute hypertension expose à un risque de majoration de l’œdème avec HIC [4,9]. La réactivation au CO2 peut être altérée au cours du TCE grave, cette altération n’est pas couplée à une perturbation de l’autorégulation et semble de plus mauvais pronostic. Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 

 Diagnostic positif 

 Clinique 

 L’examen clinique recueille les données anamnestiques, évalue les paramètres vitaux et établit le bilan des lésions extra crâniennes associées. L’évaluation de l’état de conscience, par le calcul du score de Glasgow (GCS), l’observation de l’état pupillaire et la recherche de signes de localisation, est indispensable au diagnostic et au pronostic. Lors du recueil du GCS, les différents items et leurs valeurs doivent être rapportés, et son calcul régulièrement répété au cours de la médicalisation. Echelle de Glasgow : elle permet d’évaluer l’état de conscience et repose sur l’évaluation de l’ouverture des yeux (Y), de la réponse verbale (V) et de la réponse motrice (M). Le score maximal est de 15 et le score minimal de 3. La meilleur réponse possible est considérée (coté non hémiplégique par exemple) Ouverture des Yeux : – Spontanée 4 – A l’appel 3 – A la douleur 2 – Pas d’ouverture 1 Réponse verbale : – Claire 5 – Confuse 4 – Inappropriée (mots) 3 – Incompréhensible (sons) 2 – Aucune 1 Réponse motrice : – Exécution des ordres 6 – Orientée (flexion adaptée) 5 – Evitement (flexion non adaptée) 4 Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 23 – Décortication 3 – Décérébration 2 – Aucune 1 En permettant le suivi de l’évolution neurologique, ce score simple, rapide et reproductible, représente un des principaux éléments prédictifs du devenir des TCG malgré l’existence de certains facteurs confondants (imprégnation alcoolique notamment) [59]. Il s’est imposé comme la référence pour définir l’état neurologique d’un TCG, sous réserve d’une évaluation bien conduite. Rappelons que le score du meilleur côté est pris comme référence, que l’ouverture des yeux n’est pas évaluable en cas d’ecchymose ou d’œdème des paupières [21]. Indépendamment du niveau de conscience, la présence de signes de localisation, évocatrice d’une lésion focale potentiellement chirurgicale, est recherchée. La réactivité pupillaire étudie la souffrance axiale. Dans ce contexte de traumatologie, la recherche de lésions extra crâniennes est essentielle. L’évaluation neurologique initiale va dicter la prise en charge et la stratégie d’orientation de ces patients. La constatation d’un TCG conduit immédiatement, et ce dès la phase pré hospitalière, à un contrôle de l’hémodynamique systémique et de la ventilation afin de prévenir les ACSOS. La rapidité et la qualité de la prise en charge interviennent directement sur le pronostic fonctionnel individuel . L’Echelle de Glasgow – Liège recherche une atteinte du tronc cérébral. L’étude des réflexes fronto-orbiculaire, Oculo-céphalogyre, oculovestibulaire et Oculo-cardiaque proposée par cette échelle peut apporter des éléments supplémentaires pour l’interprétation des lésions. Réflexes du tronc cérébral – Fronto-orbiculaire 5 – Oculo-céphalogyre vertical 4 – Photomoteur 3 – Oculo-céphalogyre horizontal 2 Facteurs de mortalité chez les traumatisés crânio-encéphaliques graves 24 – Oculo-cardiaque 1 – Aucune .

Para-clinique 

L’examen para-clinique de référence est le scanner cérébral, largement disponible et facilement réalisable, il permet de rechercher des lésions nécessitant un traitement neurochirurgical (HSD, HED, plaie cranio encéphalique, embarrure, fistule carotido-caverneuse) Les indications sont : – Une altération de la conscience. – Une perte de connaissance brève quel que soit la durée. – Une crise comitiale. – Un déficit neurologique. – Une plaie crânio-cérébrale et une embarrure. – Une amnésie. Les lésions post traumatiques initiales étant évolutives, la survenue de lésions secondaires, et l’existence de lésions d’apparition retardée sont des phénomènes connus. Ainsi, la TDM représente un élément de surveillance. L’évolution des images peut précéder l’aggravation clinique. Ainsi, un premier bilan scanographique de contrôle est indiqué [37,38] : – Lors de l’apparition de signes cliniques de détérioration. – Lors d’une augmentation des valeurs de la pression intracrânienne. – En absence d’amélioration clinique. – Si la première TDM est normale ou en présence d’anomalies mineures. Cet examen peut être complété par des séquences d’angio-scanner pour rechercher une dissection des troncs supra-aortiques (TSA). Cependant, il faut souligner l’absence d’intérêt des TDM systématiques de contrôle, lorsque l’état du patient s’améliore sur le plan clinique ou lors des poussées de PIC si celles-ci sont déjà expliquées. En effet, le déplacement de ces patients est source d’ACSOS.

Table des matières

PREMIERE PARTIE
INTRODUCTION
Rappels
1. Epidémiologie
2. Physiopathologie
3. Diagnostic positif
3-1. Clinique
3-1. Para-clinique
4. Diagnostic de gravité
5. Facteurs de mortalité
5-1. Délai de prise en charge
5-2. Age
5-3. Hypotension artérielle
5-4. Hypertension artérielle
5-5. Hypoxémie
5-6. Hypercapnie-Hypocapnie
5-7. Hyperglycémie-Hypoglycémie
5-8. Natrémie
5-9. Pyrexie
5-10. Anémie
5-11. HTIC .
5-12. Œdème cérébral
DEUXIEME PARTIE
1. Cadre d’étude
2. Malades et méthodes .
2-1. Population d’étude .
2-2. Méthodologie
2-2.1. Type et période d’étude
2-2.2.Critèred’inclusion .
2-2.3. Critère de non inclusion
2-2.4. Données
2-2.5. Variables mesurées
2-2-6. Gestion et analyse des données
3. RESULTATS
3-1. Etudes descriptives
3-1-1. Epidémiologiques
3-1-2. Prise en charge pré-hospitalière
3-1-3. Prise en charge hospitalière
3-1-4. Evolution
3-2. Etude analytique
4. Commentaire et discussion
4-1. Epidémiologie
4-2. Prise en charge pré-hospitalière
4-3. Prise en charge hospitalière
4-4. Evolution
Conclusion
Recommandations
Références bibliographiques

 

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